Un essai de décantation rapide des mouts par flottation

26 mai 2016

La mise en oeuvre des décantations rapides de moûts est devenue,dans la région de Cognac, une pratique courante dans denombreux chais. L’intérêt qualitatif de cette intervention a étédémontré depuis longtemps, mais sa mise en oeuvre nécessitede la technicité. La réussite des stabulations statiques reposesur la forte implication des vinificateurs qui doivent optimiserles temps de décantations etl’importance des prélèvements.Julien Frumholtz, l’oenologue du laboratoire ArchiacOEnoLabo, a testé au cours des dernières vendanges une technologiedynamique de décantation des moûts : la flottation. Lesconclusions de ce premier essai semblent intéressantes. En 2016, l’expérimentation sera reconduite sur plusieurs sites.

Les décantations rapides des moûts à l’issue du pressuragesont devenues des pratiques fréquentes dans la chaîne de vinificationdes vins de distillation. L’objectif de cette interventionest de permettre l’élimination rapide de composés qui sontsusceptibles de nuire à la révélation des potentialités aromatiquesdes eaux-de-vie nouvelles. La décantation rapides’apparente à un prélèvement segmenté des éléments « lesplus lourds » présents au sein des bourbes. La réussite decette intervention doit permettre d’éliminer des composésvégétaux et des bourbes grossières, dont la présence joue unrôle masquant sur d’autres composés bénéfiques à l’expressionaromatique. C’est une intervention de valorisation positivede la qualité des moûts dont le principe s’avère simplemais sa réalisation nécessite de la technicité. Ce n’est pas dutout une intervention de clarification des moûts comparableà un débourbage. La finalité des décantations rapides desmoûts est de valoriser le bon équilibre de teneurs en bourbesqui joue un rôle majeur sur l’extériorisation ultérieure dupotentiel aromatique des vins de distillation et des eaux-devienouvelles.

Maîtriser les décantations permet de valoriser les « bonnes » bourbes des moûts

La mise en oeuvre des décantations rapides des moûts s’effectuepar une stabulation statique de courte durée en cuve qu’ilconvient de savoir moduler en tenant compte de la nature de lavendange et des conditions climatiques au moment de la récolte.La durée de décantation et l’importance des prélèvements ontune influence directe sur la turbidité des moûts soutirés et leurpotentiel en « bonnes » bourbes. Elle trouve son plein intérêten présence de vendange saine récoltée à une température de12 à 18 °C. Le temps de décantation peut varier de 30 minutes à1 h 30 maximum lorsque l’état sanitaire des raisins est dégradé. Dans ce cas de figure, la décantation devient une interventioncorrective qui permet seulement de réduire l’impact négatif dubotrytis et des différentes pourritures. La décantation rapide desmoûts, bien que n’étant pas une opération de clarification à proprementparler, permet de réduire modérément la turbidité desmoûts. Les études récentes conduites pour quantifier les niveauxde turbidité des moûts avant et après les décantations représententune avancée véritable pour maîtriser l’intensité de ceprocessus de stabulation statique. Le vécu des décantations parles vinificateurs de la région depuis une dizaine d’années révèlel’importance de l’effet nature de la vendange sur la réussite decette intervention. L’état de maturité des raisins, leur état sanitaireet la qualité des interventions de récolte et de traitementde la vendange jouent un rôle déterminant sur l’équilibre enbourbes des moûts et la plus ou moins grande facilité à piloter lesdécantations.

Une action de clarification volontairement limitée

La notion de moûts équilibrés en bourbesreprésente un objectif qualitatif majeur dela réussite de la chaîne de traitement de lavendange.Les composés extraits lors des différentesinterventions de récolte, de transport,de transfert et de pressurage ne peuventpas être éliminés ultérieurement de façoncurative par la réalisation d’un débourbagedont les conséquences négatives sur lastructure des eaux-de-vie ont été mises enévidence depuis longtemps.L’idée de l’initiateur de cette pratique,Jean Pineau, de la société Hennessy, étaitjustement de trouver un moyen simple« d’affiner » l’équilibre des moûts issusde lots de vendange saine.L’action de clarification d’une décantationstatique rapide des moûts durant45 minutes s’avère volontairement limitée,mais suffisante pour valoriser lepotentiel de « bonnes » bourbes desmoûts.Vouloir prolonger la durée d’une décantationrapide à deux, trois heures et plusengendre des risques importants de clarificationtrop poussée et de colonisationdu milieu par des flores de levures et bactériesindigènes rarement bénéfiques à laqualité des vins.La décantation rapide des moûts ne doitpas contrarier les démarrages des fermentationsrapides dans un délai de 4 à 8 heures après la fin du pressurage. Desdéparts en fermentation intervenant 24 à48 heures après la fin du pressurageconstituent une prise de risque véritablevis-à-vis du développement d’une flore delevures peu bénéfiques à la structure qualitativedes vins de distillation.

Des travaux récents surl es niveaux de turbiditédes moûts

Le principe des décantations rapides desmoûts est très séduisant, mais sa mise enoeuvre nécessite une véritable technicité.Une décantation rapide des moûts s’apparenteseulement à un prélèvement segmentéde composés néfastes à l’équilibrenaturel en bourbes des moûts. Les travauxrécents sur les mesures de turbiditéet l’issue de cette intervention ont mis enévidence que les moûts décantés doiventavoir un indice de trouble se situant entre400 et 600 NTU. À titre de comparaison,un débourbage statique en présence desoufre pendant 24 à 36 heures permetd’obtenir des jus très clairs à moins de100 NTU. La chaîne de traitement de lavendange en Charentes devrait permettrel’obtention naturelle de moûts « louches »ayant des teneurs en bourbes équilibrées.Or, les mesures de turbidité réalisées dansde nombreux chais de la région révèlentque les moûts issus d’une vendange sainerécoltée mécaniquement atteignent fréquemmentdes niveaux de turbidité comprisentre 800 et 1 000 NTU à l’issue dupressurage.

Les décantations statiques nécessitent du travail et des compétences

Beaucoup de viticulteurs ont intégré lesdécantations rapides des moûts dans l’organisationdu travail de chai quotidien. Desateliers de décantation statiques ont été implantés souvent à proximité des unités de pressurage. Ils sont constitués de batteries de cuves dotées d’équipements (pompes, coudes décanteurs, mireurs, vannes, dispositif de lavage…) permettant de réaliser rapidement les soutirages. L’implantation de deux cuves de décantation par pressoir avec des pompes performantes facilite le déroulement des soutirages. Néanmoins, ce travail mobilise souvent une personne à temps plein dans les chais traitant plus de 500 hl par jour, et il nécessite de la technicité pour être en mesure de moduler les temps de décantation et les niveaux de prélèvements. La charge de travail liée à la mise en oeuvre des décantations représente un frein au développement de cette intervention dans les propriétés où les disponibilités en main-d’oeuvre sont limitées.

La technologie de flottation, un moyen dynamique pour réaliser les décantations

Julien Frumholtz constate chaque année que les viticulteurs pratiquant de façon sérieuse les décantations de moûts doivent faire preuve de beaucoup de sens de l’observation pour piloter judicieusement cette pratique : « La réalisation des décantations rapides des moûts par une stabulation statique en cuve est une intervention assez technique qui nécessite de la réactivité pour s’adapter aux différences de nature de la vendange. Les variations d’acidité, de niveaux de TAV potentiel, d’état sanitaire et de température de la vendange d’une parcelle à l’autre ont une incidence directe sur l’aptitude des éléments lourds à précipiter plus ou moins vite. Parfois, un délai de 40 minutes de stabulation statique donne pleine satisfaction en début de matinée et s’avère insuffisant quelques heures plus tard. C’est un travail qui mobilise du temps et des compétences. Les nombreuses remarques des viticulteurs sur ce sujet m’ont donné l’idée de m’intéresser à des moyens dynamiques pour décanter les moûts plus facilement à la sortie des pressoirs. Dans la région, les récentes avancées aux niveaux des mesures de turbidité des moûts avant et après les décantations statiques contribuent aussi à mieux définir la notion de bon équilibre en teneurs en bourbes. Les échos positifs de la technologie de flottation, utilisée dans d’autres régions viticoles pour réaliser des débourbages de moûts des vins blancs et rosés, ont retenu mon attention. Le principe de cette méthode de clarification dynamique m’a paru être cohérent et transposable aux décantations rapides des moûts destinées à la vinification des vins de distillation. La flottation permet d’atteindre des performances en débit importantes et surtout de piloter avec efficacité et progressivité le processus de clarification. Mon souhait était de trouver un site d’essai en Charentes pour tester cette technologie pendant quelques jours au cours des vendanges 2015. Les vignobles Chevrier, à Segonzac1, ont accepté de réaliser un essai de flottation lors des dernières vendanges. L’approche qui a été mise en place avait deux objectifs : comparer cette pratique à la décantation statique traditionnelle et apprécier la capacité de cette technique à s’intégrer dans la chaîne technologique de vinification des vins de distillation. »

Des microbulles d’azotes sous pression qui fixent les particules solides

Le principe de la flottation repose sur l’injection d’un gaz (en général de l’azote) dans les moûts dont les bulles entraînent les particules solides à la surface du liquide. La mise en oeuvre de la flottation s’effectue grâce à un équipement spécifique : un saturateur dont la fonction est d’assurer à la fois l’injection du gaz et la mise sous pression du moût (de 5 à 6 bars). Le fait de mettre sous pression le moût favorise la production de plus fortes concentrations de microbulles, ce qui améliore l’effet de fixation et d’entraînement des particules solides en surface. Le saturateur est un petit appareil qui se monte à la sortie des pompes à vin centrifuges (ayant un débit régulier). L’utilisation de pompes à pistons ne permet pas d’utiliser des saturateurs. Il est relié à une bouteille d’azote, dont l’injection est réglée grâce à l’injecteur par l’opérateur.

La flottation discontinue plus simple et moins coûteuse

La technologie de flottation discontinue est relativement simple et pas très coûteuse à mettre en oeuvre. Les moûts en sortie des pressoirs peuvent commencer à être traités en ligne par le saturateur lors du transfert dans la cuve de décantation. Le traitement doit se poursuivre pendant 15 à 30 minutes une fois la cuve pleine pour assurer une bonne homogénéisation du microbullage. Le remplissage de la cuve s’effectue par le bas et les bourbes remontent à la surface du liquide. L’injection d’azote est modulée en fonction du volume de la cuve à traiter et des exigences de clarification recherchées. Le soutirage intervient après un temps de stabulation statique variable et proportionnel aux objectifs de turbidité recherchés. Plus la phase de stabulation statique augmente, plus la clarification sera intense. La réalisation d’un débourbage efficace nécessite une durée de stabulation de 4 à 8 heures pour obtenir des moûts très limpides à moins de 100 NTU de turbidité. Pour les décantations rapides des moûts des vins de distillation, une durée de stabulation de 30 minutes semble adaptée.

Anticiper les conséquences des teneurs en pectines plus élevées par un enzymage

Le seul élément qui peut perturber le processus de clarification par flottation est la viscosité naturelle des moûts qui est corrélée aux teneurs en pectines naturelles de la vendange. Ces composés gênent le pouvoir de fixation des particules solides par les microbulles de gaz. Une concentration importante en pectines dans les moûts peut nuire à l’efficacité du processus de clarification par flottation. Naturellement, ces constituants sont présents dans tous les cépages mais à des concentrations différentes. La vendange d’Ugni blanc est assez riche en pectines, alors que celles de Sauvignon ou de Colombard le sont moins. Le rajout d’enzymes pectolitiques au moment du chargement du pressoir permet de dégrader les pectines des raisins et facilite ensuite considérablement la clarification des moûts. Lorsque l’état sanitaire des raisins est altéré, la présence dans les moûts de composés liés aux dégâts du botrytis comme les glucanes rend le déroulement des débourbages statiques ou dynamiques beaucoup plus difficiles et l’apport de divers produits clarifiants est alors conseillé.

Les principes de la flottation concilient progressivité et rapidité

Le principe d’utilisation souple et simple de la technologie de flottation discontinue, le montage facile du saturateur à la sortie des pompes centrifuges et surtout le déroulement progressif et homogène du processus de clarification ont convaincu J. Frumholtz de tester la flottation pour réaliser les décantations rapides des moûts : « Il m’a semblé que la technologie de flottation discontinue pouvait présenter des avantages pour maîtriser plus efficacement la clarification des moûts lors des décantations rapides. Le déroulement du processus de clarification initié par la flottation intervient avec progressivité, régularité et dans des délais courts. Cette technologie peut permettre aux vinificateurs de maîtriser plus facilement les objectifs de niveaux de turbidité (de 400 à 600 NTU) souhaitables pour réussir les décantations rapides. Ensuite, le suivi et l’arrêt de la phase de clarification me semblaient plus faciles à conduire. L’implication des Vignobles Chevrier1 a permis de tester la fonctionnalité de l’intervention de flottation au cours des vendanges 2015 au sein d’un chai bien structuré pour traiter la production de 100 ha de vignes. Un partenariat a été noué avec la société Sofralab pour conduire cet essai. Un équipement de flottation a été mis à disposition et l’expertise des techniciens de cette entreprise au niveau de la flottation dans d’autres régions viticoles a aussi facilité les choses. »

Un chai de vinification structuré qui pratique les décantations statiques de moûts

L’organisation du chai des Vignobles Chevrier permet de traiter quotidiennement 1 000 à 1 300 hl de moûts par jour. La chaîne d’extraction des jus est constituée de trois pressoirs de 80 hl qui sont remplis en axial aux ¾ de leur capacité. L’objectif est de réaliser les vendanges dans un délai de deux semaines afin de rentrer les raisins à bonne maturité dans les différents îlots de terroirs de la propriété. Laurent Nédélec2, l’un des deux responsables de cette exploitation, explique que la priorité de l’organisation du chai est d’assurer le traitement de la vendange en continu : « Nous avons structuré l’organisation du chai pour traiter en continu les apports de vendange. Cela représente pour nous une priorité qualitative. Un troisième pressoir pneumatique de 80 hl a été installé afin, d’une part, d’éviter de surcharger les cages et, d’autre part, d’arrêter la machine en milieu de journée. Cela permet de faire face sans problème aux cadences de récolte élevées de la MAV automotrice, même les années de forts rendements comme en 2015. Les cages des pressoirs sont remplies en axial aux ¾ de leur capacité, ce qui facilite considérablement le déroulement du pressurage. En moyenne, 100 à 110 hl de moûts sont coulés par cycle de pressurage (d’une durée de 1 h 30 à 1 h 40). L’ensemble des moûts sont décantés de façon statique dans la mesure où les conditions de température le permettent. Une batterie de trois cuves inox de 180 hl permet de mettre en oeuvre les décantations. La réalisation des décantations nécessite des compétences pour bien maîtriser les turbidités des moûts. C’est un travail lourd à piloter quand on doit soutirer une dizaine de cuves dans la journée. »

Un essai sur 1 200 hl comparant la décantation statique au traitement par flottation

L’essai s’est déroulé sur un volume total de moûts de 1 200 hl dont la moitié a été traitée par flottation et le reste en décantation statique. La totalité des lots de vendanges ont été enzymés avec une spécialité commerciale purifiée en méthyle estérase (à la dose de 1 g/hl). L’essai s’est déroulé sur une même journée avec des lots de vendange provenant d’un îlot de terroir homogène (TAV de 9,5 % vol et raisins parfaitement sains). Des mesures de turbidité sur l’ensemble des lots de moûts ont été réalisées avant et après les décantations. La turbidité moyenne des 1 200 hl de moûts produits durant l’ensemble de la journée s’élevait à 880 NTU. La durée de remplissage des cuves de décantation durait en moyenne plus d’une heure. La durée des décantations statiques était de 30 minutes après la fin du remplissage de la cuve. Le temps de stabulation statique pratiqué sur cette exploitation est le fruit de l’observation de l’état des moûts et des contraintes logistiques de flux des volumes de vendanges. Les moûts soutirés issus des décantations statiques avaient un niveau de turbidité moyen de 650 à 700 NTU.

L’utilisation de la flottation concluante au niveau de la clarification

Le traitement par flottation a été réalisé en utilisant l’équipement mis à disposition par la société Sofralab. Le module pompe et flottateur ne pouvait pas être installé en reprise directe des moûts à l’issue du pressurage (pour des raisons d’inadaptation des réseaux de tuyauterie). Le traitement de flottation est intervenu après que la cuve ait été remplie en effectuant un pompage en circuit fermé de 30 minutes. L’injection d’azote s’est déroulée en continu pendant toute cette phase en mettant les moûts sous pression entre 5 à 6 bars. La remontée des bourbes en surface a commencé dès le début des traitements. Le soutirage des moûts est intervenu après une phase de stabulation statique de 30 minutes dont la durée a été calculée pour satisfaire les niveaux de turbidité recherchés. Ce délai de stabulation court permet aussi de s’adapter aux exigences de débit élevées de la chaîne de traitement de la vendange. Les mesures de turbidité des moûts après leur soutirage ont révélé la bonne efficacité du traitement par flottation, puisqu’en moyenne les résultats se situaient entre 400 et 450 NTU. Le processus de clarification a été bien maîtrisé et s’est déroulé avec facilité.

Une réduction des teneurs en alcools supérieurs et en marqueurs de trituration et une production d’esters plus importante

Les moûts décantés de façon statique et par flottation ont été vinifiés séparément en mettant en oeuvre des principes comparables. Une intervention de mise à température à 16-17 °C a été réalisée pour favoriser un départ en fermentation rapide. Un levurage à la dose de 20 g/hl de LSA (Zymasil) est intervenu au moment de la mise en cuve, complété par un apport d’azote de 30 g/hl. La fermentation alcoolique s’est déroulée de façon régulière en 5 à 6 jours à des niveaux de températures n’excédant pas 25 à 27 °C. Les lots de vins de chaque modalité ont été conservés dans 2 cuves de 500 hl. La dégustation des vins n’a pas révélé de différence mais, par contre, les analyses en chromatographie en phase gazeuse expriment des différences. Les teneurs en alcools supérieurs totaux et en cis-3-hexénol sont réduites fortement dans les vins issus de la flottation, et les productions d’acétate d’isoamyle et d’acétate d’éthyle sont nettement plus importantes. J. Frumholtz estime que la présence d’un milieu moins bourbeux dans les moûts issus de flottation crée des conditions plus favorables vis-à-vis de l’activité des levures durant le déroulement de la fermentation alcoolique. La synthèse de plus d’esters et de moins d’alcools supérieurs et de marqueurs de trituration en est la conséquence.

Un intérêt technique qui devra être validé par des essais plus vastes en 2016

Les résultats de ce premier essai confirment l’efficacité de cette technologie pour réaliser les décantations mais n’ont pas permis d’apprécier véritablement les contraintes d’organisation et le coût économique de cette intervention. J. Frumholtz souhaite poursuivre l’expérimentation au cours des vendanges 2016 : « L’objectif de pouvoir réduire la turbidité des moûts entre 400 et 500 NTU a été atteint dans un délai de stabulation court de seulement 30 minutes après l’arrêt du traitement. Nous avons observé une meilleure régularité du processus de clarification et de la turbidité. L’opération de soutirage des volumes décantés s’est déroulée avec facilité car la turbidité des moûts était beaucoup plus homogène sur toute la hauteur de la cuve. Les performances en débit sont très intéressantes, mais la mise en oeuvre de cette intervention nécessite des moyens technologiques différents, pas très importants mais qu’il faudra bien appréhender. L’installation du flottateur, son alimentation en azote et la proximité de la bouteille d’azote doivent être intégrées au sein de l’atelier de décantation statique. La réalisation d’un enzymage de la vendange, qui a été réalisé pour optimiser le déroulement du processus de flottation, doit faire l’objet d’études plus approfondies. Je ne suis pas sûr qu’il soit indispensable d’utiliser cet adjuvant pour réaliser les décantations rapides en présence de vendange saine. Mon souhait serait de renouveler l’essai lors des vendanges 2016 pour tester la flottation sur une diversité de nature de moûts (de pH, de niveau de TAV et d’état sanitaire plus ou moins dégradé), pour mieux apprécier l’intérêt des rajouts d’enzymes sur la vitesse des clarifications et pour cerner plus finement le coût de cette intervention. »

Intégrer de façon rationnelle l’intervention de flottation au sein de l’atelier de décantation

L. Nédélec estime pour sa part que les résultats techniques sont encourageants, mais l’intégration de cette intervention dans l’atelier doit aussi faire l’objet d’une réflexion plus approfondie : « Indéniablement, les niveaux de clarification que nous avons obtenus avec la flottation sont bons et plus réguliers qu’avec la décantation statique. Par contre, l’équipement que nous avons utilisé pour l’essai n’était pas adapté à l’agencement de notre chai. L’injection d’azote est intervenue par un pompage une fois que la cuve de décantation ait été remplie. Cela a induit un transfert de moût supplémentaire qui rend plus complexe la mise en oeuvre de la flottation et le travail que cela demande. Il me semblerait plus rationnel de pouvoir commencer le traitement lors du pompage des moûts en ligne des pressoirs vers la cuve de décantation. Le travail serait alors simplifié ainsi que le coût de sa mise en oeuvre. Les discussions que nous avons eues avec le fournisseur du flotatteur laissent penser que cette organisation pourrait être tout à fait envisageable. Les aspects économiques liés à l’acquisition du flottateur et aux consommations de gaz sont aussi des éléments qu’il nous faudra appréhender avec justesse. Apparemment, les consommations d’azote sont très limitées puisqu’une un bouteille de 80 kg doit permettre d’assurer le traitement de 6 000 hl de moûts. »

Un ensemble complet pompe et flottateur coûte de 6 000 à 6 500 €

La société Sofralab travaille la mise en oeuvre de la flottation depuis une dizaine d’années dans l’optique de réaliser des débourbages efficaces de moûts de vins blancs et rosés. Les retours d’expériences confirment l’efficacité de ce processus de clarification et surtout sa rapidité. En seulement 4 à 6 heures, les moûts atteignent des niveaux de turbidité équivalents (de 50 à 100 NTU) à ceux ayant subi un débourbage statique durant 24 à 36 heures. Patrice Dupuis, l’oenologue de la société Sofralab ayant participé à la mise en oeuvre de l’essai en Charentes, n’a pas été véritablement surpris par les résultats encourageants pour les décantations rapides : « La flottation est une technologie qui a fait ses preuves pour la réalisation des débourbages des moûts dans de nombreuses régions viticoles en France et en Europe. Son intérêt pour effectuer les décantations rapides de moûts des vins de distillation réside principalement dans la progressivité et l’homogénéité du processus de clarification. C’est un procédé qui donne de bons résultats quand sa mise en oeuvre respecte certaines règles. La réalisation d’un microbullage du gaz très homogène est indispensable. On a également observé que la forme de la cuve et notamment sa hauteur avaient une incidence sur la vitesse du processus de clarification. Des hauteurs de cuves moindres permettent d’accélérer le processus de flottation et de réduire le temps de stabulation statique. Il est également essentiel de mettre en oeuvre des moûts bien tamisés dépourvus de fractions de pellicules, de rafles et de pépins. » La société Sofralab commercialise deux équipements de flottation, les OEnoFloat 15 et 30 qui permettent de répondre aux exigences de débit allant de 50 à 500 hl/heure. L’équipement, constitué d’une pompe inox centrifuge, du saturateur, de l’équipement d’injection de l’azote et d’un filtre de tamisage des moûts, a un encombrement correspondant à celui d’une pompe à vin traditionnelle. Le prix de vente de ces matériels atteint 6 000 à 6 500 € HT.

Bibliographie : • Étude de la société ArchiacOEno Labo. • La société Sofralab. • Les documents de la société Lamothe-Abiet. (1) Les Vignobles Chevrier : Recherville, 16130 Segonzac. (2) Emmanuelle Lammertyn et Laurent Nédélec, les deux gérants des Vignobles Chevrier. 

 

Points clés de l’essai de décantation des moûts par flottation 

Un essai conduit avec une philosophie de travail adaptée aux réalités des unités devinification charentaise.• L’expérimentation a été initiée par Julien Frumholtz avec l’appui technique de lasociété Sofralab.• Le site d’essai, le chai des Vignobles Chevrier, à Segonzac, vinifie 1 000 à 1 300 hl/jour et pratique de manière systématique les décantations rapides de moûts parstabulation statique.• Une expérimentation conduite sur une journée de vendange avec deux modalités :600 hl de moûts décantés de façon statique et 600 hl de moûts décantés par flottation.• L’équipement de flottation discontinue utilisé était un OEno Flat 30 piloté par untechnicien de la société Sofralab.• Des contrôles de turbidité ont été effectués sur les moûts avant et après les décantations.• Les niveaux de turbidité des moûts en sortie des pressoirs se situaient entre 880 et900 NTU.• Les deux lots de moûts ont subi un traitement d’enzymage identique (à 1 g/hl) etont été vinifiés séparément.• Le traitement par flottation s’est décomposé en deux phases : un circuit fermédans la cuve pleine de 30 minutes de traitement avec injection d’azote suivi d’unedécantation statique de 30 minutes.• La décantation statique en cuve a duré 30 minutes après le remplissage de la cuve.• Les vins ont été dégustés et des analyses en chromatographie gazeuse ont étéeffectuées.

 

La technologie de flottation discontinue

• Un procédé dynamique de clarification des moûts fonctionnant en deux phases : une première séquence d’injection et de saturation en microbulles d’azote du milieu et une seconde de stabulation statique en cuve. • Les bulles d’azote attirent et fixent les particules solides présentes dans les moûts et les font remonter à la surface. • La finesse et la concentration en microbulles d’azote sont capitales pour la réussite du processus de clarification. • Les pectines présentes naturellement dans les moûts gênent le phénomène d’attraction des particules solides par les bulles d’azotes, d’où la nécessité d’éliminer ces constituants en réalisant un enzymage de la vendange. • Le procédé de flottation discontinue permet d’obtenir une clarification progressive, homogène et rapide dans un délai de quelques heures (de 3 à 5 heures). • La mise en oeuvre de la flottation nécessite un équipement simple qui se compose d’une pompe centrifuge, d’un saturateur et d’un système d’injection de gaz. • Les consommations d’azote sont assez réduites. • Lors du traitement de flottation, les moûts sont mis sous pression par le saturateur (autour de 5 à 6 bars) pour favoriser la production de bulles fines et leur bonne homogénéisation. • L’équipement de flottation permet le transfert des moûts entre la sortie du pressoir et la cuve de décantation. • La durée du traitement et l’apport d’azote sont proportionnels aux objectifs de clarification recherchés. • Lors du traitement, une phase de travail en circuit fermé (de 15 à 30 minutes) après le remplissage de la cuve est indispensable pour bien homogénéiser les microbulles d’azote. • Le prix de vente des flottateursOEno Flat 15 et 30 se situe autour de 6 000 à 6 500 € HT. 

 

La décantation rapide des moûts par stabulation statique : les préconisations des grandes Maisons de Cognac

COURVOISIER – La Maison Courvoisier estime que la réalisation des décantations rapides ne se justifie pas quand la vendange est saine et lorsque le pressurage est bien conduit. Elles ne sont à envisager qu’en présence de vendange dégradée par le botrytis. En présence de vendange libérant des jus abondants, qui peuvent générer des bourbes surnageantes légères à la surface des lots de moûts (ayant un aspect mousseux), l’élimination de ces fractions est vivement conseillée par un soutirage avant la mise en fermentation. La société Courvoisier déconseille aussi l’utilisation des enzymes, quelle que soit leur formulation, en raison des risques de concentration en composés indésirables (méthanol). HENNESSY – La Maison Hennessy, qui est à l’origine de la mise en oeuvre des décantations rapides des moûts, a défini un protocole de conduite des décantations rapides en s’appuyant sur des essais rigoureux. J. Pineau et les équipes du service de production ont démontré avec diverses expérimentations que la réalisation des décantations rapides des moûts jouait un rôle bénéfique sur l’expression aromatique des eaux-de-vie nouvelles. Actuellement, l’équipe technique de la maison Hennessy confirme l’intérêt de disposer des équipements nécessaires pour pratiquer la décantation. L’équipe incite fortement à une courte décantation sur vendanges saines et considère la pratique obligatoire pour les vendanges altérées sur une durée proche d’une heure. La décantation intégrée dans le CDC de vinification représente un acte qualitatif majeur. MARTELL – La Maison Martell ne préconise pas la mise en oeuvre des décantations. Sur vendange saine, elle n’a pas d’intérêt qualitatif. De plus, la mise en oeuvre de vins clairs lors de la distillation impose un soutirage après fermentation alcoolique et permet ainsi d’éliminer les bourbes avec les lies. La décantation est utile dans le cas de vendanges altérées et si les conditions de mise en oeuvre sont maîtrisées. Car une décantation mal maîtrisée entraîne notamment des risques de fermentation spontanée (levures indigènes) non maîtrisée et donc des risques de déviations organoleptiques. Enfin, l’expérience d’EDV Martell issues de vins décantés, y compris par flottation, a donné les résultats suivants : production d’esters importante, des bons tel l’acétate d’isoamyle, mais aussi des mauvais comme l’acétate d’éthyle et parfois dans des proportions très importantes. RÉMY MARTIN – La Maison Rémy Martin porte un regard différent sur l’intérêt de cette pratique. L’équipe du service qualité eaux-de-vie considère que la décantation rapide des moûts est une intervention corrective à mettre en oeuvre quand les conditions d’extraction des jus et de tamisage n’ont pas permis d’obtenir des moûts pauvres en bourbes et en débris végétaux. Elle est conseillée en présence de moûts très bourbeux et quand la vendange est altérée par le botrytis. La durée des décantations ne doit jamais dépasser 1 h 30 et être envisagées en présence de moûts ayant des températures inférieures à 18 °C.

 

Les premières conclusions de l’essai flottation

• La nature de la vendange mise en oeuvre pour l’essai était très représentative de la récolte 2015 : un TAV de 9,5 % vol, une acidité plutôt élevée, une température autour de 15 °C et un état sanitaire parfait. • Le procédé de flottation discontinue s’est révélé efficace pour réaliser les décantations rapides de moûts. • Les niveaux de turbidité des moûts d’origine de 880 à 900 NTU ont été ramenés à 650 à 700 NTU avec la décantation statique et à 400 à 450 NTU avec la décantation par flottation. • Le débit de la décantation par flottation était à peu près équivalent à celui de la décantation statique. • La clarification des moûts par flottation s’est déroulée d’une manière à la fois rapide, progressive et homogène (sur toute la hauteur de la cuve), ce qui a facilité la conduite des soutirages. • Les dégustations des vins issus des deux modalités n’ont pas révélé de différences. • Des teneurs moindres en alcools supérieurs et en marqueurs de trituration et des concentrations en esters plus importantes. • Des différences analytiques dans les vins probablement liées au déroulement de la fermentation alcoolique dans un moût moins riche en bourbes. • Des interrogations sur le bien-fondé des apports d’enzymes pour optimiser la clarification. • Les conditions de mise en oeuvre du traitement de flottation en ligne lors du transfert des moûts à la sortie des pressoirs doivent faire l’objet d’études complémentaires. • Un besoin de renouveler l’essai en 2016 sur des natures de vendange différentes. • La réalisation d’une étude économique fine sur le coût de la flottation comparé aux décantations statiques serait souhaitable.

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