La tête dans le guidon, plongées depuis plus 9 mois dans un dossier des plus épineux, les maisons de cognac se verront appliquer, par la Chine et à compter d’aujourd’hui, des mesures antidumping temporaires aux montants plus que significatifs pour elles et qui impacteront tout un territoire.
Ces surtaxes, calculées sur la base du ratio de marge de chaque entreprise déterminé par les enquêteurs du ministère du commerce chinois (MOFCOM) et communiquées le 29 août dernier (de 30,6 % à 39,0 %) vont fortement impacter des entreprises déjà fragilisées par un contexte économique et géopolitique incertain.
Pour rappel et bien que les maisons de cognac soient aujourd’hui présentes dans plus de 150 pays, la Chine, figurant en deuxième position dans le classement des zones d’expédition de l’eau-de-vie charentaise (23 % en volume et 38 % en valeur en 2023), constitue un marché qu’aucun relais de croissance ne peut aujourd’hui compenser.
Par ailleurs et pour bon nombre des 245 maisons de négoce de l’appellation cognac, constitué à 97 % de TPE/PME, la Chine constitue un marché prioritaire, sur lequel certaines génèrent plus de 50 % de chiffre d’affaire. La mise en place de surtaxes va donc lourdement peser sur la trésorerie de ces entreprises, qui subissent déjà les conséquences d’une procédure impactante en ressources humaines et financières, en temps et en énergie…
En effet, la menace pesant depuis le 5 janvier sur la tête des maisons de cognac a déjà eu des effets négatifs sur leurs expéditions, tout comme elle en a sur l’ensemble de l’appellation. Si les impacts sur la trésorerie sont évidents et dans toutes les têtes, la perte de diversité dans l’offre proposée, appréciée sur un marché en capacité d’accueillir tous les opérateurs autant qu’elle constitue un des fondamentaux de l’appellation, est aussi une réalité.
Pour rappel et au moment de la première étape de la procédure, en janvier dernier, plus de 80 opérateurs avaient pu être assistés lors de leur enregistrement auprès des autorités chinoises. Ils n’étaient plus que 65 répondants au second questionnaire, en février, certaines PME du négoce ayant dû, faute de ressources nécessaires, se retirer – à date – du marché.
Pour celles qui auront pu résisté et qui viennent déjà d’être éprouvées par 9 mois d’une procédure digne du plus haut fonctionnaire français, elles devront désormais se contraindre à une procédure, qui, en plus d’être couteuse, sera, à n’en pas douter complexe.
Et le doute n’est pas de mise sur ce point. Comme l’indique Thibaut Delrieu, directeur général de la maison Hine, « la Chine est un marché historique et stratégique. Ces mesures ont malheureusement un impact immédiat pour notre PME car notre importateur vient de suspendre une belle commande de deux containeurs qui devaient partir courant octobre.
Notre importateur attend de mieux comprendre les cautions demandées, mais il sera probablement trop tard pour honorer nos engagements de Chinese New Year et risquons d’être délistés des grossistes et des comptes clés. La Maison Hine ne vend que du cognac et la Chine est notre marché prioritaire, nous avons recruté des personnes qui travaillent depuis plusieurs mois sur des projets à destination de la Chine, les conséquences seront lourdes pour notre maison. Je crains aussi un effet domino dévastateur pour la filière et la région. »
Car c’est un autre élément à prendre en considération. Cet effet domino. Si les maisons de cognac sont en première ligne, elles ont aussi la responsabilité et la charge de tirer toute une économie locale, une irréductible communauté qui, si elle a toujours réussi à se relever par le passé, craint aujourd’hui un vertigineux effet papillon qui pourrait faire de la casse à court terme.
Les taxes entraîneront nécessairement des fermetures de sites industriels en Charente, où l’industrie représente 25 % des emplois du secteur privé, soit une part supérieure de 10 points rapportée à la moyenne française, et des impacts sociaux majeurs.
Au cœur de cette économie connexe, Jean-Pierre BERNADET, président de l’entreprise Bernadet, décor verrier, le confirme. « L’impact des mesures va être important voire dramatique. Les réductions d’effectifs sont inévitables ; chez nous 50 personnes sur 90 dépendent directement et indirectement de ce marché. Les budgets R&D, formation, transition environnementale vont devoir être gelés.
15 ans d’implication territoriale pour finir sacrifié et abandonné des pouvoirs publics : c’est le sentiment exprimé par mes collaborateurs, j’ai peur d’en arriver à le partager ».
Depuis le 5 janvier, la filière cognac n’a négligé aucune piste et a continué à se battre pour défendre ses intérêts et ceux de son écosystème dans un combat qui semblait ou semble aujourd’hui – et avec du recul – perdu d’avance face à l’absence de soutien concret et d’actes des décideurs politiques.
« Sacrifiée » sur l’hôtel de la filière voitures électriques, qui, elle-aussi en difficulté, ne tirera pourtant qu’hypothétiquement les fruits de la décision du conseil européen, la filière cognac est un « otage inutile » qui pourrait perdre beaucoup et entrainer avec elle toute une chaine de valeur historiquement ancrée sur un territoire.
Nina Couturier
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