les gaz du futur pour la distillation : des solutions accessibles à moyen terme

28 août 2018

A une échéance de 20 ans, la distillation au gaz (propane et gaz naturel) sera condamnée du fait de la raréfaction des énergies fossiles et de l’explosion programmée de leur fiscalité. Et si la solution était finalement de distiller… au gaz ? Progressivement, les distributeurs de gaz naturel ont programmé d’incorporer dans le réseau du bio-méthane dont le bilan carbone est beaucoup plus acceptable que les énergies fossiles. Hors réseau, les installations de gaz naturel liquéfié peuvent dès aujourd’hui faire profiter des avantages du gaz naturel sur des sites isolés. Du coté du propane, des avancées spectaculaires voient aussi le jour en particulier au travers de Primagaz qui lance, en ce moment, son premier bio-propane et qui promet de le généraliser à l’ensemble de sa distribution en 2040.

Le choix de l’énergie de distillation est un engagement sur le long terme. Mais qu’entend-on réellement par long terme ? 20 ans, 40 ans ? Car les experts estiment aujourd’hui que les réserves « exploitables » représentent environ 55 années de consommation pour le pétrole et  plus de 60 ans pour le gaz naturel. Depuis les accords de Kioto (1994) et la Cop 21 (2015) l’ensemble des énergies fossiles sont dans la ligne de mire des états qui incitent leur population à engager la transition énergétique sous la pression des mesures fiscales notamment. Bien sûr, il existe quelques cas isolés comme l’Amérique de Trump qui font marche arrière ou qui hésitent. Mais la tendance est là et la volonté affichée des grandes nations est d’atteindre la neutralité carbone si possible avant que les réserves d’énergies fossiles ne soient taries. L’Europe a fixé le 14 juin 2018, les objectifs de son paquet énergie : en 2030, 32% des énergies consommées dans chaque état membre devra être d’origine renouvelable sous peine d’amendes. La France, qui est déjà à 8,5 %, va donc devoir booster les alternatives ce qui aura nécessairement un impact sur la distillation charentaise. Faut-il pour autant prendre les devants et troquer dès aujourd’hui son brûleur gaz contre un foyer bois buche ou granulé ? A cette question, la réponse serait assurément « oui » si on ne prenait pas en compte les révolutions technologiques à venir dans le domaine du gaz. Car l’existence même des opérateurs gaziers et de leur modèle dépendra de leur capacité à innover. L’enjeu pour eux est donc de produire et de distribuer sur les réseaux en place une énergie décarbonée ou presque qui remplacera progressivement les énergies fossiles avant leur disparition.

 

Le gaz réseau : un privilège limité à quelques uns

En France, le gaz naturel est distribué sur 200 000 km de réseau à 11 millions de clients répartis dans 9515 communes. En Charente et Charente Maritime 166 communes ont la chance d’être raccordées. La chance car le gaz naturel a bien des vertus : bien qu’il soit d’origine fossile, il émet 14% de CO2 de moins que le propane et aucune particules fines. Pour l’utilisateur, il n’y a pas de contraintes d’approvisionnement et son prix est plus faible et régulier que le propane. Une enquête menée en 2014 par le BNIC estime que 40% des bouilleurs de profession et 10% des bouilleurs de crus sont raccordés au réseau de gaz naturel. Il n’existe pas de communication officielle sur ce que représente le marché du gaz naturels destiné à la production du Cognac mais un bref calcul peut nous indiquer la tendance : Au cours d’une campagne de distillation moyenne (soit 745 800 hl ap sur les 5 dernières récoltes), la consommation totale de gaz naturel avoisinerait 124 000 MWh. La part des bouilleurs de profession et des coopératives représenterait 85% de cette consommation contre 15% pour les bouilleurs de crus. Comme pour toutes les énergies fossiles, la fiscalité applicable au gaz naturel va connaître de fortes augmentations d’ici 2022 et au-delà. Mais cette majoration sera sans commune mesure comparable à celle programmée sur le propane. Le gaz naturel a donc un prix plus stable et plus accessible que le propane et cette tendance va assurément s’accentuer dans les années à venir.

 

Un exemple d’extension de réseau : Juillac le Coq

En août 2017, la commune de Juillac le Coq vient a été raccordée au réseau de gaz naturel. C’est la premier chantier de cette ampleur sur le département depuis l’an 2000. Le syndicat départemental d’électricité et de gaz de la Charente a reçu la délégation de compétence pour porter le projet. L’enjeu était d’étendre le réseau sur un peu plus de 8 km à partir du poste de Segonzac et d’alimenter plusieurs distilleries, les bâtiments communaux et une partie des foyers pour un marché potentiel de 7GWh par an. « La loi nous oblige, avant le lancement d’un tel projet, à garantir sa rentabilité explique Laure Gauthier, la directrice du Syndicat, or le critère de rentabilité n’était pas rempli selon les conclusions de la première étude. Nous avons donc proposé aux utilisateurs de participer à l’investissement de l’extension du réseau de façon proportionnelle à leur activité ». Entre le top départ et la mise en gaz, chaque étape a été menée tambour battant avec le Syndicat et la commune. Après 8 mois d’instruction et 4 mois de chantier répartis entre 2016 et 2017 pour ne pas perturber la campagne de distillation, la récolte 2017 a pu être intégralement distillée avec le gaz naturel. La maison Frapin fait partie de ces  entreprises inscrites dans la démarche. Sur cette campagne, la distillerie n’a pas constaté un écart de coût de distillation significatif avec le propane mais, à travers ce choix, ses dirigeant capitalisent surtout sur le long terme car les prix du propane sont réputés plus plus stables. « Par ailleurs, il n’y a plus de risques de rupture d’approvisionnement à cause des camions bloqués par les barrières de dégel. C’était un critère décisif à nos yeux » explique Bénédicte Dufour en charge du dossier chez Frapin.

Le Bio-méthane : les prémices d’un gaz « vraiment » naturel.

Le gaz naturel n’a de naturel que le nom puisqu’il est d’origine fossile. Le bio-méthane, lui, est un gaz vert produit à partir de déchets issus de l’industrie agro-alimentaire, de la restauration collective, de déchets agricoles et ménagers, ou encore de boues de stations d’épuration. Ce biogaz épuré respecte à 100 % les propriétés du gaz naturel et permet de réduire les émissions de CO et de tendre vers l’objectif de neutralité carbone fixé par l’État.

 

L’objectif de GRDF est d’atteindre 30% de biogaz dans les réseaux à horizon 2030. L’ADEME a récemment fait paraitre un scénario démontrant la possibilité d’atteindre 100% de bio gaz dans les réseaux en 2050. Cette étude évalue le potentiel de cette ressource à 430 TWh distribuables (= 430 millions de Mwh) : C’est déjà l’équivalent du marché actuel du gaz naturel sur la France. Aujourd’hui 49 sites présents sur tout le territoire français injectent du biométhane dans les réseaux. Selon Arnaud ANCELIN, responsable marché d’affaires Poitou-Charentes chez GRDF, le fort développement de la production de biogaz aura trois origines possibles : En premier lieu, la multiplication des sites de méthanisation traditionnelles sur les territoires, vient ensuite la gazéification du bois qui consiste à porter ce dernier à très haute température (>700°C) en l’absence d’oxygène. Enfin, l’électricité est également une source potentielle de production de méthane : la production d’hydrogène par l’électrolyse permet, après combinaison au carbone, de reconstituer le gaz. « Nous estimons qu’à l’échéance de quelques décennies, la consommation de gaz aura significativement baissé et que les bio-ressources dont nous disposerons seront tout à fait à même de couvrir nos besoin, affirme-t-il, les perspectives de développement du gaz naturel intègrent aussi le marché de la mobilité. Nous pensons, en effet, pouvoir faire rouler 340 000 véhicules au gaz naturel d’ici 2030 ».

Le applications du bio-méthane sont multiples : D’ici 2020, New Holland espère commercialiser cette nouvelle génération de tracteur capable de rouler avec du bio-méthane liquéfié qui pourra être directement produit par son propriétaire.

 

Méthaniser ses propres vinasses pour distiller : L’équation est-elle soluble ?

Combien de vinasses faudrait-il méthaniser pour distiller 1 hl d’alcool pur,  sachant que 1 hl de vinasses peut produire par méthanisation 5,8 Kwh PCI ? Le calcul approximatif nous amène à environ 100 hl de vinasses nécessaire pour produire 1 hlAP ou dit autrement le potentiel d’énergie contenu dans les vinasses pourrait fournir grâce à la méthanisation environ 10% de l’énergie nécessaire à la distillation en alambic charentais.  « Contrairement à d’autres résidus de distillation, le rendement de méthanisation des vinasses de Cognac est plutôt faible explique Nicolas Pouillaude le directeur de REVICO. On ne peut méthaniser que ce qui a un pouvoir méthanogène. A REVICO, notre procédé impose d’abord une concentration par 4,5 des volumes pour améliorer le rendement de nos installations. Des traitements préalables permettent aussi d’optimiser la dépollution en extrayant le tartrate de calcium contenu dans les vinasses». 

 

 

Le GNL : une solution pour les sites isolés

 

Le 6 juin dernier, Engie inaugurait dans la Société des Vins et Eaux de vie (SVE) à Chevanceaux, sa première installation de Gaz naturel liquéfié (GNL) pour la distillation. Le gaz naturel liquéfié est une solution qui ne se développe que depuis 5 ans en France contrairement à d’autres pays Européens comme l’Espagne par exemple. L’objectif est d’alimenter en gaz naturel des installations privées ou de petits réseaux collectifs trop isolés pour prévoir un piquage sur le réseau. A l’état liquéfié, le volume du gaz naturel est réduit 600 fois ce qui permet de le transporter par camion-citerne. En revanche, cet état liquide impose certaines contraintes, la première étant la température de conservation à – 160°Celsius. Engie propose à ses clients un service clef en main qui intègre l’alimentation et la maintenance des installations de stockage. « Nous disposons d’un panneau de contrôle et d’alarmes que nous consultons en temps réel via une liaison GSM. » explique Joseph Weiss, Chargé d’affaires chez Engie. L’investissement dans l’installation (citerne, vaporisation) est assuré par le distributeur qui répercute ses frais dans un contrat de location.

 

 

SVE : le précurseur du GNL à Cognac

 

Pour Julien NAU, le PDG de la SVE, le choix du GNL a deux objectifs : Le premier est économique puisque ce dernier lui garantit un prix d’achat de l’énergie plus attractif et surtout beaucoup plus stable dans le temps. « Nous avions engagé le projet avant la loi de finance de 2018 qui planifie le rattrapage puis le dépassement de la TICPE du Propane par rapport à la TICGN du gaz naturel. A cette époque, le propane était plus économique que le GNL, mais suite à l’évolution des cours la tendance est aujourd’hui inversée. La deuxième raison relève de l’engagement environnemental de l’entreprise : « Nous sommes historiquement sensibles à ces préoccupations par conviction personnelle et parce que notre activité est implantée sur un site Natura 2000 qui pose les exigences au plus haut niveau ». Le choix du gaz naturel permettra de réduire les émissions de CO2 de 370 tonnes par an sans compter l’impact sur les particules fines. Mais la perspective de la distillerie SVE s’inscrit sur le moyen terme, car progressivement les fournisseurs de GNL devraient incorporer une proportion grandissante de méthane bio-sourcé dans leurs livraisons. Enfin, cerise sur le gâteau, le passage au gaz naturel a permis au site de production de SVE, de ne plus être classé SEVESO. En effet, comme Engie s’est déclaré exploitant du site de stockage GNL, SVE qui a pu supprimer ses cuves de propane et passer en dessous des seuils critiques de risque d’accidents majeurs.

 

Une solution encore réservée aux gros consommateurs.

 

On ne remplit pas une cuve de 80 m3 (30 tonnes) de GNL à –160°c à la périphérie d’une zone natura 2000 sans montrer patte blanche. Et pour l’administration aussi, l’implantation sécurisée d’un site de stockage d’une énergie habituellement confinée dans des terminaux méthaniers était un chalenge à relever. Il aura fallu un peu plus d’un an d’études et de négociations pour appréhender et solutionner les freins techniques et règlementaires. « Nous avons largement été épaulés par les équipes d’Engie pour faire avancer notre projet avec les administrations. L’équipe LNGénération est une filiale spécialisé à taille humaine avec lesquels la collaboration s’est très bien passée » précise Julien Nau. La citerne de stockage alimente deux sites de production distincts grâce à une canalisation enterrée de 300 mètres. Le premier site est une distillerie Charentaise représentant un équivalent de 18 alambics de 25 hl. Le second, plus industriel comprend plusieurs colonnes et alambics alimentés par une chaudière vapeur de 3,5 MW. Selon Pierre Louis Girard, ingénieur commercial chez Engie, l’implantation d’un site de distribution de GNL exige un volume minimum de consommation annuelle. La saisonnalité d’une activité comme la distillation charentaise impose des contraintes qui sont facilement gérables par les ingénieurs mais la question de fond concerne le coût et l’amortissement des frais fixes d’installation. « Nous estimons que la consommation annuelle minimum pour passer au GNL se situe aux alentours d’un équivalent de 200 tonnes de propane par an ». En clair, sauf à envisager un regroupement entre voisins proches, une distillerie d’une capacité inférieure à 4000 hl ap/an n’y trouvera pas son compte sur le plan économique. Du moins pour l’instant…

 

 

Le bio-Propane : une révolution pour un futur proche

Primagaz lance en juillet 2018 son premier bio-propane en bouteille. Il est aussi disponible à la demande en citerne.

 

En mars 2018, un micro événement est venu marquer le début d’une nouvelle ère dans le monde de l’industrie pétrolière française : le tout premier navire méthanier transportant 4000 tonnes de bio-propane a déchargé sa cargaison au dépôt portuaire de Brest. Cette énergie de nouvelle génération est aujourd’hui fabriquée à base d’huile végétale et de déchets (huile de cuisson, graisses animales) recyclés. A terme, de nouveaux procédés innovants viendront compléter les technologies actuelles pour accroitre le potentiel de production. En France, c’est Primagaz, le challenger du marché français de propane en citerne, qui a mis le premier le doigt dans l’engrenage du verdissement du propane. Le distributeur est la filiale française du groupe SHV Energy, le leader mondial du gaz de pétrole liquéfié. Ce dernier annonce s’être fixé l’objectif de 100% de bio-propane sur l’intégralité de ses marchés d’ici 2040. Nul doute que leurs concurrents vont emboiter le pas dans les années qui viennent mais selon ses dirigeants, cette initiative devrait demeurer exclusive sur le marché national pendant encore deux ou trois ans.

 

 

Une offre prémium sur mesure

 

Pour Matthieu Lassalle, Directeur commercial de Primagaz, le bio-propane représente aujourd’hui un avantage concurrentiel de tout premier plan sur un marché en quête d’innovation. L’usine L’Oréal de La Roche-Posay, qui voulait démonter sa neutralité carbone a déjà convertie son site industriel au bio-propane. « A ce jour, compte tenu de la faible disponibilité de la ressource, notre stratégie est plutôt de proposer une offre prémium sur mesure et de nous faire connaître », explique Matthieu Lassalle. A destination du grand public, la toute bouteille de bio-propane de 5,1 kg appellée bio-Twiny sera disponible à la vente dès le mois de juillet 2018 dans tout l’hexagone. Son prix : entre 20,5€ et 21,5€ contre 20€ en propane d’origine fossile. A ce jour, la technologie est trop récente pour justifier d’une fiscalité spécifique, mais des négociations sont en cours et cette étape sera incontournable si la France veut atteindre les objectifs que l’Europe lui a fixé.

 

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