La FML n’est pas toujours « domptée »

13 décembre 2019

La maîtrise du déroutement des malo, un sujet complexe en cours d’études

 

            La déroulement de la fermentation malolactique n’est pas encore maîtrisée dans la plupart des chais de vinification de la région. Sur le plan des connaissances scientifiques. Cette fermentation secondaire n’a pas encore livré «tous ses secrets». Parfois, elle peut s’enclencher très facilement dans le prolongement des fermentations alcooliques et dans d’autres situations, elle semble bloquer. Le rôle correctif de cette fermentation secondaire vis à vis des teneurs excessives en éthanal lui confère un intérêt réel pour la vinification des vins de distillation. L’accomplissement ou pas de la «Malo» est devenu un centre d’intérêt vis à vis de la stabilité de la structure qualitative des vins.

            Les conséquences de l’évolution climatiques  conduisent à l’obtention de vins plus riches en alcool et moins acides dont les conditions de conservation nécessitent de la vigilance. Si le rôle secondaire de régulation des teneurs en éthanal de la FML demeure intéressant, l’impact qualitatif qu’elle engendre sur le potentiel de qualité global des vins devient un sujet de préoccupation majeur. En effet, les maîtres de chai de certaines  grandes maisons de Cognac apprécient la finesse et la structure aromatique des vins distillés avant la réalisation des malo.

L’équipe de la Station Viticole du BNIC conduit depuis 5 à 6 ans des études importantes sur le déroulement de la fermentation malolactique. Les premières conclusions ont jusqu’à présent révélé la complexité de ce processus. Claudie Roulland, l’ingénieure responsable du laboratoire de microbiologie,  pilote des recherches sur la FML. Elle nous a fait part de l’état d’avancement des connaissances.

 

Des vins moins acides, une réalité impossible à nier

 

            Les deux éléments marquants de la structure qualitative des vins de distillation depuis une dizaine d’années sont à la fois la baisse régulière des niveaux d’acidité totale et l’augmentation de pH. De façon empirique, les œnologues, les maîtres de chais et les viticulteurs ont depuis très longtemps observé que les vins acides se conservaient mieux et étaient un gage d’expression aromatique plus marqué au niveau des eaux de vie.  Or, l’évolution des équilibres acides à la baisse  ne semble pas forcément impacter de façon régulière et systématique  la qualité des eaux de vie au cours des dernières années. Lors du millésime 2018, les maîtres de chais ont reconnu la qualité d’un millésime et pourtant, les vins étaient dans l’ensemble peu acides.

 

Les niveaux d’acidité ont une incidence directe sur les flores de bactéries

 

            Les niveaux d’acidités ont une influence directe sur les conditions de conservation des vins et bien sûr leur bonne tenue en absence de sulfitage. Les niveaux d’acidité totale et de pH ont une incidence forte sur le développement des flores de bactéries que Cl Roulland illustre par des propos pertinents : « Les bactéries sont très sensibles à la concentration des acides tartriques et maliques  présents dans les vins alors que les levures le sont beaucoup moins. Des niveaux d’acidité élevés freinent le développement des bactéries alors que des concentrations plus basses  sont plus propices. Cependant, dans les chais, la baisse des niveaux d’acidité totale des vins depuis 10 ans ne s’est pas accompagnée d’une fréquence d’altérations bactériennes accrues. L’amélioration de la maîtrise de l’hygiène et de la conduite des vinifications explique en grande partie la rareté des déviations qualitative d’origine bactérienne».

 

Le facteur pH joue un rôle de sélection sur  Oenococcus oeni et les autres bactéries

 

            Le déroulement des FML est effectué par des souches de bactéries lactiques bien spécifiques dont la présence est liée aux spécificités des vins de distillation et aussi à des  effets terroirs. L’espèce dominante  qui a été identifiée dans les vins de la région délimitée est l’Oenococcus oeni. C Roulland explique que sans la présence de cette espèce, le déroulement des  malo devient très  improbable : « On a observé dans les nombreux lots de vins de nos expérimentations que  Oenococcus oeni est l’espèce de bactérie lactique qui fait la malo dans les vins de distillation. On trouve d’autres espèces comme des bacilles mais qui ne se développent de façon dominante qu’au-delà des valeurs de pH de vins supérieures à 3,5.  Les Oenococcus oeni se développe facilement lorsque les  plages de pH des vins se situent entre 3,10 e 3,30 et de telles valeurs d’équilibres acides sont désormais courantes dans la région. Le facteur ph joue un rôle de sélection sur les différentes espèces de bactéries lacticques , acétiques, … ».

 

  • La FML est effectuée par une espèces très dominante de bactéries lactiques : Oenococcus oeni

  • 5 à 10 souches de BL Oenococcus oeni assurent le déroulement des malo en Charentes

  • Une forte sensibilité des bactéries au pH et aux teneurs en acide malique

  • Des niveaux de ph situé entre 310 et 3,30 sont propices au développement des BL

  • Attention aux vins ayant une acidité trop basse qui favorisent le démarrage des FML en présence de 2 à 10 g de sucres résiduels

  • Les teneurs en acides malique courantes des vins de distillation ( de 3 à 5 g) rendent le milieu «appétant» pour les BL

  • La FML, un moyen naturel de dégrader l’éthanal présent en excés dans les vins. L’éthanal est dégradé en fin de processus malolactique.

    Les vins riches en éthanal, une situation plus difficile pour le déroulement des Malo

  • La plage de températures de 18 à 22°c représentent un contexte idéal pour l’enclenchement et le déroulement des malo

  • Des vins d’un TAV de 11,5 % vol  représentent un milieu moins propice que des vins de 9 % vol

  • Les paramètres, pH, teneurs en acide malique, températures et TAV sont « inter-connectés

  • Le déroulement des fermentations malolactiques n’affecte pas les teneurs en esters des vins

  • L’impact sensoriel des transformations analytiques des vins (de qualité) suite aux malo pas encore démontré

     

    Des acidités trop basses peuvent favoriser un départ des malo en présence de sucres

     

                Les fortes baisses d’acidité de certains lots de moûts et de vins représentent des situations propices à un enclenchement des malo rapide. C Rolland estime que ce type de situation doit être appréhendé avec vigilance par les vinificateurs : « Le point le plus sensible lié à la baisse des niveaux d’acidité serait le risque l’enclenchement des malo en cours de fermentation alcoolique en présence de seulement 5, 10 ou 15 g de sucres résiduels. Lors du démarrage des FML, les bactéries lactiques commencent par dégrader, l’acide malique en acide lactique, puis l’acide citrique ce qui correspond au déroulement classique du processus. La dégradation de l’éthanal intervient en fin de cycle. Une fois la malo terminée, les  microorganismes meurent régressent progressivement en présence de vins acides ( pH < 3,20). A l’inverse si les pH sont plus élevés (> 3,25 à 3,30) les populations de bactéries lactiques restent active. En fin de fermentation alcoolique, elles peuvent alors commencer à se développer et consommer les sucres résiduels présents. Cela signifie que le ph minimum des vins permettant aux bactéries lactiques de dégrader l’acide malique est plus bas que celui des sucres résiduels».

     

    Un cycle de vie des bactéries lactiques a bien prendre en compte

     

                Le cycle de vie et de développement des bactéries lactiques a été étudié par les chercheurs mais il n’est pas encore totalement exploré. Ces micro-organismes sont présents dans les moûts avec les levures indigènes au moment de la récolte.  C Roulland considère que  de la malo : « Les bactéries lactiques sont présentes dans les moûts ( Oenococcus Oeni pas dominante) dès la récolte et vont régresser par la suite en début de fermentation alcoolique (pendant la pleine phase de croissance des levures). Leur développement ne commence qu’à partir de la phase de  déclin des populations de levures ( le dernier 1/3 de la FA). Plus le ph des vins en cours de fermentation alcoolique est élevé, plus leur développement sera stimulé et rapide. Des fins de fermentation languissantes sont très propices à leur multiplication. C’est à partir du moment ou leur concentration atteint 1 millions de cellules / ml qu’elles deviennent opérationnelles pour dégrader l’acide malique. Dès que les levures ont terminé leur travail, les bactéries lactiques se mettent progressivement à coloniser le milieu. Les acides aminés libérés par les membranes des levures mortes sont des aliments prisés pour les bactéries lactiques».

     

     Les teneurs en acides maliques et en éthanal  interfèrent sur l’enclenchement des malo

     

                Tous ces connaissances ne sont pourtant pas encore suffisantes pour comprendre pourquoi les les malo se font facilement dans certaines situations et pas du tout dans d’autres. Les chercheurs travaille mais le sujet est très complexe. La maîtrise de la malo intéresse la plupart des productions viticoles en France et à l’étranger. C Roulland a réalisé une synthèse des études récentes qui révèle des pistes intéressantes : « Tout d’abord, les teneurs en acide malique soit trop basses, soit trop très élevées gênent le déclenchement de la malo. En Charentes, les teneurs en acides maliques courantes des vins de distillation (de 3 à 5 g) rendent le milieu appétant pour les bactéries lactiques. A l’inverse, des teneurs très élevées ( un pH bas de 3 à 3,10) rendent le processus plus difficile à s’enclencher. Autre constat, les vins riches en éthanal représentent une situation rendant plus difficile l’enclenchement des malo. L’une des explications  de cette observation serait liée à un phénomène de production de faibles teneur de sulfites par les souches de levures ( issues en général de la flore indigène) et  assurant en partie la fermentation alcoolique. La présence de ce composé à faible dose serait suffisante pour avoir une efficacité antiseptique sur les BL. La synthèse de l’étanal serait la conséquence de populations de levures soumises à des situations de stress (fortes températures, sous-alimentation, ….). D’autres composés également produits retarderaient le déclenchement de des FML» .

     

    Les points clé du cycle de vie des bactéries lactiques :

     

  • Les bactéries lactiques sont présentes dans les moûts dès la récolte

  • En début de fermentation alcoolique, les populations de  BL régressent pendant la phase de croissance active des levures

  • La multiplication des BL commence à partir de la phase de déclin des populations de levures dans le dernier 1/3 de la fermentation alcoolique

  • Les acides aminés libérés par les membranes des levures sont un aliment prisé des BL

  • Plus le ph des moûts en cours de fermentation est élevé, plus le développement des BL sera rapide et stimulé

  • Les fins de fermentation alcooliques languissantes sont des conditions propices à la multiplication des BL

  • Les situations de stress des populations de levures (fortes température, mauvaises alimentation,….) amplifient les risques fin de fermentations alcooliques languissante et la synthèse par les levures de faibles doses de sulfites inhibant et retardant le développement des BL.

     

    Les paramètres, pH, teneurs en acide malique, températures et TAV sont « inter-connectés

     

                Le vécu du déroulement des malo dans les chais démontre aussi le rôle de la température des vins. Des cuves en fin de fermentations entre 18 et 22 °C représentent des conditions très favorables pour leur enclenchement et leur déroulement complet. C Roulland confirme l’importance du facteur température et aussi des interactions avec plusieurs autres facteurs : «  Le facteur température joue à la fois un rôle sur l’enclenchement et la vitesse du processus. Plus la température est élevée, plus l’enclenchement des FML et leur vitesse seront accélérées. Les conditions idéales de températures se situent entre 17 et 22 °C. Par contre, en dessus 10 °C, la malo a du mal à s’enclencher. Néanmoins, si son déroulement est commencé, un refroidissement ultérieur des vins ne fera que ralentir son évolution mais ne la bloquera pas. Le niveau TAV des vins combiné à d’autres facteurs peut gêner le déroulement de la FML. Un vin titrant 11,5 % vol sera un milieu moins facile à coloniser pour les bactéries lactiques que des cuves à 9 % vol.Dans les réalités des chais Charentais les paramètres pH des vins, teneurs en acide malique, températures et TAV sont en quelque sorte interconnectés ».

     

    L’acide citrique est plus ou moins dégradée en acide acétique et en diacétyle

     

                Le déroulement de la fermentation malolactique s’accompagne en général d’une augmentation de la teneur en acidité volatile des vins. Ce phénomène bien qu’étant la conséquence normale du processus peut parfois être plus importante et aussi préjudiciable pour la conservation des vins. Les plus fortes teneurs en acidité volatile s’accompagnent également de concentrations supérieures en diacétyle et parfois aussi en acétate d’éthyle. Le diacétyle est un composé qui confère aux eaux de vie notes « beurrées » diversement appréciées. C Roulland a réalisé de nombreuses observations sur les conditions favorisantes ou pas la synthèse de l’acidité volatile et du diacétyle à l’issue des malo : « Dans des vins de distillation de bonne qualité, de faibles teneurs en acide citrique sont toujours présentes. Lors du déroulement des malo, les bactéries lactiques le dégradent l’acide citrique en acide acétique et en diacétyle. Si le processus intervient en présence de sucres résiduels, les teneurs en acidité volatiles seront plus élevées. La dégradation de l’acide citrique n’est pas systématique. Des essais de diverses souches commerciales de BL ont révélé des capacités variables à le dégrader. Certaines souches produisent peu d’acide acétique et de diacétyle et d’autre beaucoup. Les niveaux de pH bas des vins limitent la dégradation de l’acide citrique mais d’une manière générale, les conditions influençant la dégradation de ce composé ne sont pas encore bien identifiées. Un vin très riche en diacétyle aussitôt la malo verra la concentration de constituant diminuer fortement ( de l’ordre de 30 à 50%) s’il est distillé 3 à 4 mois plus tard ».

     

    5 à 10 souches de bactéries lactiques font la malo des vins de distillation

     

                Les fortes disparités de déroulement des malo d’une propriété à l’autre et parfois au sein d’un même chai ont amené les chercheurs à s’intéresser à la diversité génétique des populations de bactéries lactiques Oenococcus Oeni. Des travaux conduits par l’ISVV de Bordeaux ont révélé une grande diversité des souches présentes dans les vins provenant des diverses régions viticoles Françaises. Il semble qu’à chaque type de vin correspond une flore de 5 à 10 espèces dominantes d’Oenococcus Oeni. C Roulland confirme que dans les vins de distillation, les malo se déroulent en présence de souches spécifiques : « Les observations que nous avons réalisées sur les vins de distillation révèlent que les malo ne se font en général que grâce à la présence de 5 à 10 souches d’ Oenococcus oeni. D’un chai à l’autre et d’une cuve à l’autre, les équilibres entre ces micro-organismes peuvent fluctuer. La diversité génétique de BL engendre des capacités œnologiques favorisant la variabilité de la synthèse de certains composés présents dans les vins. La structure aromatique et gustative des vins s’en trouve impactée ».

     

    L’impact sensoriel des FML sur les eaux de vie pas encore confirmé

     

                Le déroulement des fermentations malolactique en provoquant des transformations de l’équilibre de divers composés présents dans les vins de distillation a-t-il une incidence sur la qualité finale des eaux-de-vie nouvelles ? La distillation de vin en cours de fermentation malolactique n’est pas recommandée en raison d’une conduite des coulages plus complexes à maîtriser. La présence de teneur en gaz carbonique plus élevé accentue les risques de poulinage au moment des mises au courant des cycles de coulage des vins. Actuellement, les équipes de productions des certaines grandes maisons de Cognac semblent cautionner la richesse et la finesse aromatique accrue des eaux-de-vie élaborée à partir de vins n’ayant pas effectué leur malo en début de campagne. C Roulland avoue manquer de données scientifiques sur l’impact sensoriel des FML : « Dans tous les essais concernant l’étude des fermentations malolactiques, nous n’avons jamais observé de diminutions des teneurs en ester aromatiques après l’accomplissement complet du processus. Nous pensons qu’il faut faire la part des choses entre les conséquences de la FML et la durée de conservation des vins. Diverses études ont démontré qu’après 3 à 4 mois de conservation, les teneurs en ester légers dans les vins diminuent naturellement. J’avoue que l’on manque de données scientifiques pertinentes sur l’impact sensoriel des malo sur les eaux-de-vie. C’est un sujet d’études sur lequel, l’équipe de la Station Viticole est mobilisée. L’acquisition de nouvelles connaissances dans ce domaine permettrait de raisonner l’intérêt de faire ou pas la malo et aussi d’essayer de mieux la piloter ».

                                                                                                 

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