La Chine et le cognac : un amour inséparable

27 mars 2024

Avec plus de 30 millions de bouteilles officiellement expédiées en Chine en 2022, la Chine est le deuxième plus important marché du Cognac. De Guangzhou à Changchun, ce précieux breuvage ambré fait fureur. Plutôt que se focaliser sur les tensions actuelles, Le Paysan Vigneron vous invite à découvrir le contexte du succès du Cognac auprès de l’Empire du milieu.

Un camion de livraison Hennessy devant l’usine d’embouteillage de Shanghai, 1921 ©AD16

Banlieue de Shanghai, 1920. Les habitants peuvent apercevoir un défilé de camions richement décorés sortant d’une usine. Sur leurs flancs, de grands caractères chinois « Sin » et « Hua », signifiant « prospérité nouvelle » leurs sont familiers. D’autres cependant, en caractères occidentaux, le sont moins : « HENNESSY ». Le dessin d’une bouteille permet de les aider à deviner la nature de leur chargement : ces camions sortent en effet de la toute nouvelle usine d’embouteillage de la Maison Hennessy et ont pour destination les nombreux bars et hôtels-casinos qui fleurissent dans cette grande ville portuaire de l’est du pays, très moderne et ouverte aux influences extérieures (et majoritairement européennes), pour y délivrer un petit alcool français très populaire : le cognac.

Si vous pensiez que l’attrait des Chinois pour le cognac date de leur révolution économique des années 1990, il n’en est rien. Dès le milieu du 19ème siècle cet alcool se lance en effet à la conquête du monde – incluant évidemment la Chine -, grandement aidé par les Britanniques.

Si deux siècles plus tôt les marchands hollandais avaient permis de faire connaître le cognac dans toute l’Europe, ce sont les Anglais qui l’exporteront sur d’autres continents grâce au traité de libre-échange de 1860 entre la France et l’Empire Britannique- aussi appelé traité Cobden-Chevalier du nom des deux homologues à son origine-; facilitant la sortie de la production française vers l’Angleterre, et l’acheminant ensuite jusqu’en Asie grâce à leurs grands ports commerciaux de Shanghai, Singapour ou encore Hong-Kong.

Si les principaux leaders du marché comme Hennessy ou Martell restent attachés au marché anglo-saxon du fait de leurs origines, d’autres plus petites Maisons de cognac vont sauter à pieds joints dans ce nouveau marché potentiel en y apportant des innovations parfois oubliées, et d’autres qui révolutionneront le secteur tout entier.

En effet, il était de coutume à l’époque d’expédier sa production encore en fûts ; l’acheteur final, forcément un négociant ou grand commerçant, se chargeant alors de l’embouteiller à sa façon ou le servir directement. Sachant qu’ils ne feraient pas le poids face aux poids lourds du marché, la Maison Jules Robin & Co décide dès 1840 d’exporter son cognac déjà embouteillé, prêt à consommer.

Cette innovation, semblant aujourd’hui anodine et évidente rencontrera un énorme succès ; avant même l’invention du terme « marketing », proposer à la vente une identité visuelle auprès du consommateur marquera les esprits ; d’ailleurs les grandes maisons suivront rapidement le mouvement pour le marché américain.

On le voit, dès le début le cognac a su séduire les papilles chinoises… Mais pour quelles raisons ? L’attrait de la nouveauté, le symbole d’un « chic » à la française ? Cette passion aurait pu s’éteindre avec le temps ; pourtant le cognac a su rester dans les esprits durant la révolution culturelle et les décennies de dictature communiste pour ressurgir à l’aube du 21ème siècle.

Fondamentalement, et contrairement au marché américain, la principale raison du succès du Cognac en Chine n’est pas symbolique : le produit est tout simplement en synergie avec les habitudes chinoises !

Calendrier promotionnel pour le Cognac Jules Robin, 1920 ©AD16

« Bailandy » et Baijiu, un duo interchangeable

Même si le Cognac (appelé à ses débuts « Bailandy », déformé de Brandy par les chinois qui ne faisaient pas vraiment la distinction entre ces deux alcools) possède l’image avantageuse de la sophistication européenne, son réel atout est sa similarité avec l’alcool national chinois : le Baijiu.

Comme déjà décrit dans cet article, le Baijiu est l’alcool national chinois ; consommé en quantités considérables, il est même l’alcool le plus consommé au monde… Alors qu’il n’est populaire que sur un seul marché ! Depuis des siècles, les Chinois aiment le consommer au repas, accompagnement parfaitement les notes sucrées/salées et épicées de la cuisine locale… Et c’est également exactement le cas du cognac ! Bien que ces deux liqueurs soient très différentes dans leur fabrication et leur palette de saveurs, elles se marient agréablement avec les plats traditionnels cantonais. Il est donc logique que l’alcool charentais ait pu rapidement s’implanter dans l’Empire du Milieu, en sachant que près des trois quarts de la consommation chinoise de spiritueux se déroule pendant les repas.

Un retour « bling » du Cognac après 40 ans d’absence

Dans les années 1960, la situation politique chinoise marquera un grand coup de frein à l’essor du Cognac. Après l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong en 1949 et le durcissement de sa dictature communiste après son coup de froid avec le « grand frère » URSS et sa sanglante « Révolution culturelle », les produits occidentaux – incluant évidemment les alcools haut de gamme comme le Cognac – entrent sur la liste rouge du régime. Le Cognac ne devient ainsi plus qu’un souvenir pour la population chinoise.

Cette « hibernation » se poursuivra jusque dans les années 1990, avec l’explosion de l’économie du pays et son ouverture vers un modèle économique semi-capitaliste. Cet essor économique, créant rapidement une classe sociale ultra-riche, avide de produits de luxe – occidentaux bien sûr, leur propre pays n’en produisant pas encore – coïncide parfaitement avec la renaissance du Cognac à l’autre bout du monde et l’ennemi de la Chine communiste : Les Etats-Unis.

Les années 1990 signifient en effet l’explosion du phénomène rap, permettant à de nombreux Noirs américains d’atteindre la richesse ; et de la montrer de la façon la plus flamboyante possible. Puisque le Whisky était l’alcool de prédilection des riches Blancs américains, les rappeurs jetteront leur dévolu sur le Cognac. Et cette préférence, très médiatisée, permettra de remettre l’alcool sur le devant de la scène mondiale et aura de l’écho jusqu’en Chine, où de façon similaire cette catégorie de nouveaux riches adore exposer leur réussite.

De presque commun avant la révolution communiste, le Cognac devient ainsi le symbole des flambeurs ; et les Maisons charentaises ne perdent pas de temps à surfer sur cette vague en créant spécialement pour le marché chinois des produits d’exception, rares et surtout extrêmement chers. Le Cognac s’offre lors de grand rendez-vous diplomatiques et commerciaux, s’expose bien en valeur dans les séjours, et surtout coule à flot dans les bars et boîtes de nuits qui fleurissent un peu partout dans l’Empire du Milieu pour satisfaire cette nouvelle clientèle fortunée – et notamment leurs enfants ! Désignés « fuerdai », équivalent de « parvenus », ces jeunes ne se refusent rien et certainement pas le luxe de l’occident. Voitures, mode et bien évidemment alcool : plus c’est cher, mieux c’est.

La naissante classe moyenne, quant à elle, vise à émuler ce que les plus fortunés possèdent ; suivant un effet boule de neige le Cognac redevient un incontournable de la société chinoise. A Shanghai, comme le symbole d’un cycle éternel, après avoir rythmé la vie des habitants en accompagnement de leur repas lors des « années folles », le Cognac redevient un incontournable de la vie sociale ; et l’histoire prouve qu’il devrait le rester pour encore bien longtemps, quelles que soient les difficultés politiques qu’il rencontre.

La boutique « flagship » Hennessy de Shanghai, dévoilée le 22 décembre 2023 ©LVMH

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