Le territoire insulaire charentais – Ré et Oléron – représente en quelque sorte la Mecque de la consommation estivale de Pineau. Les touristes arrivent en masse et repartent rarement sans l’apéritif régional, achat cadeau ou provision pour l’hiver. Sur l’île d’Oléron, vignerons indépendants et cave coopérative se partagent une clientèle à la fois captive et exigeante.
La plus grande des îles métropolitaines après la Corse (35 km de longueur, 12 km dans sa plus grande largeur), l’île d’Oléron est aussi une des îles les plus fréquentées. En nombre de nuitées d’hôtellerie (y compris de plein air), elle dépasse « d’un chouia » sa voisine de Ré. On estime que sa population est multipliée par dix l’été (200 000 hab. au lieu de 20 000). En période de pointe, entre les touristes de passage et les résidents il n’est pas rare qu’un million de personnes fréquentent l’île au même moment. Autre indicateur : sur l’année, le trafic relevé sur le pont dépasse allégrement les 5 millions d’allers-retours. Peu à peu, les Oléronnais – viticulteurs, maraîchers, ostréiculteurs… – ont appris à exploiter cette manne touristique, alors que le visage de leur île se transformait. Après le tourisme de masse des années 70, est venu le temps d’un tourisme plus résidentiel. Les campeurs d’il y a trente ans sont devenus les propriétaires de résidences secondaires d’aujourd’hui. Entre-temps, ils ont pris de l’âge et sont venus grossir les rangs des jeunes retraités. Ils accueillent enfants et petits-enfants pour les vacances. La zone de chalandise d’Oléron – l’attraction qu’elle exerce sur les autres régions – correspond à une sorte de triangle qui part de l’île pour s’évaser vers la Région parisienne et le Nord. Si les Allemands raffolent du lieu, les Anglais n’en sont pas fous. Ils sont davantage « patrimoine ». Ici, on ne les regrette pas trop, eux qui étaient réputés acheter « une moitié de concombre ».
Sur l’île, deux communautés incarnent la viticulture oléronnaise : la communauté des vignerons coopérateurs, regroupés dans la Cave des Vignerons réunis de l’île d’Oléron (nouvelle appellation de Viti-Oléron) et celle des vignerons indépendants. Si la coopérative compte une centaine d’adhérents, elle obéit cependant à la règle des 80/20, une vingtaine de membres représentant le gros de la production. Parmi les vignerons indépendants, ils sont également une vingtaine à posséder plus de 25 ha de vigne. La cave écoule environ 3 000 hl de Pineau par an, en vrac et au détail, ce qui en fait le plus gros opérateur Pineau de l’île. En elle-même, sa marque de Pineau est tout un programme : « Soleil d’Oléron ». Mais les vignerons indépendants ne sont pas en reste et la plupart manifestent une belle vitalité commerciale. Guy Videau et son épouse font partie de ceux-là. A la tête d’une exploitation de 45 ha de vigne (la seconde de l’île en terme de surface), ils commercialisent environ 500 hl vol. de Pineau, dont la plus grande partie au « caveau » (ils font aussi plusieurs marchés et un peu de leurs bouteilles se retouvent en GMS). Leur marque de Pineau : « Nectar d’Oléron ». Ouverts 6,5 jours sur 7 (du lundi au dimanche midi) 300 jours par an, ils savent ce que vendre veut dire. En haute saison, une centaine de clients poussent journellement la porte de leur magasin de vente.
Le pineau n’a rien perdu de son aura
Comment les vacanciers perçoivent-ils le Pineau ? Est-il encore « dans le bain » ? Pour Guy Videau, le Pineau n’a rien perdu de son aura. Il reste le produit un peu « mythique », en tout cas emblématique de la région. « Le vin, les touristes ne s’attendent pas à en trouver ici ou, en tout cas, il n’incarne par le territoire. Ce n’est pas comme à Bordeaux ou en Bourgogne. Ce rôle “d’icône régionale”, c’est le Pineau qui le tient. En ce sens, il y aura toujours des touristes de passage qui découvriront le Pineau pour la première fois. » Le vendeur direct admet cependant « que ce ne sont pas les moins de trente ans qui consomment le plus de Pineau ». L’apéritif charentais reste « un produit féminin, qui plaît aux dames ».
Pour qualifier le marché du Pineau sur l’île, les opérateurs préfèrent parler de « marché stable » plutôt que de marché stagnant. Par contre, une chose est sûre : la progression, si progression il y a, se fera davantage sur l’augmentation de la chalandise (l’effet de masse du trafic) que sur le ticket moyen. Pour le client de passage, la caisse de six devient une rareté. Elle a plutôt tendance à se transformer en 3-4 bouteilles maximum. Dans ce contexte, le carton panaché a la cote. Certes, sur les propriétés ou au caveau de la coopérative, il existe encore des clients à 16 ou 24 bouteilles. Mais ils appartiennent tous à la catégorie des « fidèles », ceux que l’on revoie tous les ans, souvent propriétaires d’une résidence secondaire ou ayant leurs habitudes sur l’île. Le Pineau est vendu pour les trois quarts aux touristes et pour un quart à la clientèle locale. « Les touristes font consommer les produits locaux aux gens du pays » note un rien désabusé un producteur. Cette clientèle captive – au moins le temps d’un séjour – représente une manne commerciale mais se paie au prix fort. Les touristes n’apprécient pas la disponibilité, ils « l’exigent ». Les vignerons se sentent appartenir à la grande famille des restaurateurs, hôteliers, propriétaires de fermes-auberges ou de gîtes, au service de la clientèle non-stop. Pas facile quand il faut faire suivre en même temps un vignoble et un chai. Est-ce l’effet « ras le bol » ? Un certain nombre d’exploitations de l’île, et pas parmi les moins dynamiques, n’ont pas de repreneurs. Les fils ou filles ont fait de bonnes études – « bonne place, bonne paye » – et ne veulent pas rester. Perplexité des parents qui s’interrogent sur les conditions de la transmission (voir encadré). Vont-ils pouvoir réaliser leurs affaires au juste prix ?
Le mode de vacance change. Réduction du temps de séjour, haute saison plus courte mais aussi allongement de la période touristique constituent autant de caractéristiques qui jouent en sens opposés. Aujourd’hui, la pleine saison se concentre sur à peine un petit mois, du 20 juillet au 20 août. Mais les touristes commencent à arriver à Pâques et repartent à la Toussaint. Quand ils repartent ! Car l’on voit de plus en plus de ces citadins qui passent les quatre mois d’hiver chez eux et le reste du temps ici, quitte à se demander où sont leurs résidences principales. Ce semi-nomadisme a pour effet positif de densifier la clientèle des habitués sur certaines périodes de l’année. En moyenne saison, les magasins de vente accueillent bien 8 clients fidèles pour 2 de passage. Par contre, pour ceux qui n’ont pas posé leurs valises dans l’île, il y a belle lurette que les séjours d’une semaine ont remplacé les séjours d’un mois. Conséquence, mineure : les achats de départ, toujours plus substantiels, ne s’effectuent plus en fin de mois mais en fin de semaine, le jeudi ou le vendredi. Il y a la bouteille que l’on rapporte à la gardienne et les bouteilles que l’on garde pour soi. Mais, plus les vacances sont courtes, plus on a tendance à expédier les courses pour aller à la plage ! Et cela sert les affaires des grandes surfaces. « Si le consommateur intelligent va à la propriété » (dixit les propriétaires eux-mêmes), ils sont tout de même un certain nombre à pousser le caddie.
Qui ne joue pas son rôle ?
A la propriété comme à la cave coopérative, les prix « ne se font pas de mal ». Guy Videau vend son Pineau 7,15 € la bouteille et 9 € le litre. Le Pineau vieux grimpe jusqu’à 10 €. C’est dans la grande distribution, bien implantée sur l’île, que l’on retrouve les prix cassés, les promotions à 5,15 € ou encore la bouteille de 75 vendue au prix du litre. « Qui ne joue pas son rôle, s’interrogent les producteurs, les négociants qui ne vendent pas assez cher ou les grandes surfaces qui travaillent à marge zéro ? » Dans ces conditions, les opérateurs traditionnels ont-ils du mal à tenir leurs prix ? Oui et non. « Devant la qualité, le client ne rechigne pas », constate une épouse de viticulteur. Mais outre que le Pineau vendu à prix bas « dévalorise l’image », il empêche quelque part de faire passer les augmentations de prix. « Tant qu’il y avait 1 F de différence, ça allait. Mais des écarts de 2 € ne passent plus. Les gens n’ont pas un pouvoir d’achat extensible », note un opérateur qui regrette que les Charentais ne s’inspirent pas de l’exemple champenois pour gérer leur politique de prix. « Si nous produisions deux bouteilles de Pineau pour une vendue, on comprendrait. Mais ce n’est pas le cas. Production et ventes sont à l’équilibre. »
Extension de volumes : sur les vins de pays charentais
Depuis une dizaine d’années, un nouvel acteur est venu dynamiser les ventes au caveau, le vin de pays charentais. Aujourd’hui, les extensions de volumes se réalisent sur son nom. Chez les opérateurs, le chiffre d’affaires tiré du vin fait de plus en plus jeu égal avec le Pineau, à 50/50. Et laisse une meilleure marge, car les produits tournent plus vite. Pour Louis Auvray, président de la Cave des vignerons réunis de l’île d’Oléron, c’est clair : « Le Pineau a fait le plein ou presque auprès des touristes. Par contre il existe encore une bonne marge de progression avec les vins de pays charentais, surtout sur le rosé et le rouge. » La cave ne vend pas loin de 4 000 hl vol. de vins de pays et tout part en bouteilles. Guy Videau livre à peu près le même constat. Chez lui aussi, le vin de pays est monté en puissance. Après avoir démarré avec 200 hl vol., il fait cette année l’objet d’une revendication de 1 600 hl. La vente de vin a non seulement le mérite d’offrir un taux de rotation plus rapide mais encore de générer du flux. Des vacanciers qui viennent acheter leur bouteille de vin en se promenant repartent avec une bouteille de Pineau. Pour Guy Videau, l’un ne va pas sans l’autre. « J’ai deux cordes à mon arc dit-il, le Pineau et le vin. Je n’en couperai pas une pour l’autre. » Et même si c’est compliqué de gérer une déclaration de récolte à multiples entrées, Cognac, Pineau, vin de pays, vin de table. « Parfois j’envie les Bourguignons qui ne produisent que du vin ! » glisse Guy Videau. Est-ce si vrai que cela M. Videau ?
« Candidats repreneurs, présentez-vous ! »
Plusieurs viticulteurs oléronnais, dont Guy Videau, envisagent d’arrêter d’exploiter mais ne le peuvent pas. Avant, ils doivent avoir trouvé l’oiseau rare, celui qui voudra « prendre la suite », c’est-à-dire acheter leurs propriétés. Pourtant, ils ont travaillé trente ans à forger un bel outil et ils y sont parvenus, à force de samedis et de jours de fête passés au service du client. L’entreprise tourne et même fort bien. « Notre plus gros problème, c’est plutôt de savoir comment payer moins d’impôts », avouent-ils. Alors ils ont du mal à comprendre que les candidats ne se bousculent pas au portillon. Certes, ils ne sont pas décidés à brader leurs affaires pour « trois francs six sous ». « Il faut être correct, on a suffisamment travaillé ! » Mais ils voudraient bien passer la main, pendant qu’il en est encore temps, pour vivre la vie qu’ils n’ont pas vraiment vécu. Ils ne comprennent pas que des jeunes ne sautent pas sur l’occasion. « Il y a peu d’entreprises où, le premier soir, on fait déjà la caisse. » « La longueur des dents de la nouvelle génération aurait-elle raccourci ? » s’interrogent ses battants qui ont fait passer la réussite professionnelle avant leur confort. « Si on est trop petit, on n’est pas viable, si on est trop gros, on n’est pas reprenable ! Où est le juste milieu ? » se demandent-ils avec une pointe d’angoisse dans la voix. Alors qu’ils envisagent de faire des investissements dans la qualité, ces entrepreneurs dans l’âme hésitent à les lancer. « Ce serait plutôt à mon successeur d’en décider. Avant, on n’avait pas d’argent, mais on investissait. Maintenant qu’on a les moyens, le contexte n’y est pas ? » « Si l’exploitation doit être mangée par les termites, ce n’est pas la peine ! » constatent avec un brin d’amertume ces viticulteurs à qui le courage n’a pourtant jamais manqué.
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