La grande classe du Pineau

21 mars 2009

Beaulon et son castelet du XVe siècle, Beaulon et ses fontaines bleues, Beaulon surtout avec ses grands Pineaux et leurs réussites en France et à l’exportation. A la tête de l’entreprise, un homme, Christian Thomas, qui a mené son embarcation en amoureux mais aussi en audacieux.

 

« Le Paysan Vigneron » – Quelle perception avez-vous du Pineau ?

christian_thomas.jpgChristian Thomas – C’est un produit à part, qui n’a pas son équivalent. Malheureusement, il souffre d’un manque de références. Malheureusement et peut-être heureusement.

« L.P.V. » – Pourquoi ?

Ch.T. – Parce qu’à l’étranger notamment, cela nous confère une certaine latitude pour positionner le produit comme nous le ressentons. Ainsi parlons-nous volontiers d’un vin de dessert, un vin de dessert élaboré dans la région de Cognac et fortifié avec du Cognac. D’ailleurs, aux Etats-Unis, nous avons l’obligation d’indiquer sur l’étiquette « Dessert Wine ». Je préfère de loin ce terme à celui de « vin apéritif » qui s’apparente trop à un Vermouth. La dénomination « vin de dessert » présente le mérite de caractériser d’emblée le produit, un vin sucré. Car je ne suis pas sûr que le terme Pineau des Charentes parle spontanément à un Américain, un Russe ou un Chinois. Nous expliquons donc à nos clients étrangers que le Pineau des Charentes est un vin de dessert mais que les Français aiment le prendre en apéritif. S’ils veulent faire comme les Français, ils peuvent le consommer avant le repas mais si cela ne correspond pas à leur goût personnel, ils peuvent aussi le servir autrement.

« L.P.V. » – Quel écho revêt le mot Cognac ?

Ch.T. – Le Cognac représente la grosse locomotive, l’élément de poids de notre argumentaire. Nous disons que le Pineau est un vin fortifié avec du Cognac et que les autres vins fortifiés le sont avec des brandies. C’est tout de même plus élitiste d’être le compagnon de route du Cognac !

« L.P.V. » – Le Pineau est généralement perçu comme un apéritif, au moins en France. Ne vous sentez-vous pas un peu enfermé dans cette image ?

Ch.T. – C’est un problème de communication. Aujourd’hui, de quoi s’aperçoit-on ? Que le produit est très important mais que la communication l’est au moins autant. C’est nous, opérateurs, qui pouvons créer la tendance. Je crois fermement qu’il est possible de gagner des parts de marché, à condition de communiquer sur autre chose que l’apéritif. Chacun sait que la mode est passée de prendre l’apéritif au restaurant, pour les raisons de restrictions d’alcool que l’on sait. Par contre les gens apprécient de se retrouver chez eux autour d’un verre de vin ou d’apéritif à base de vin, tout en grignotant quelque chose. Dernièrement, en région parisienne, j’ai fait l’expérience d’un repas que l’on pourrait qualifier de « branché ». Nous avons mangé les hors-d’œuvre debout, au salon, tout en sirotant les produits proposés – Pineau, Champagne et malheureusement aussi Whisky –, puis nous sommes passés à table pour le plat principal, en pleine forme dois-je dire. Dans ce contexte, le Pineau est le type même du produit qui est au goût du jour. Autant les termes de produits « authentiques » ou de « terroirs » sonnaient comme péjoratifs autrefois, autant ils deviennent porteurs aujourd’hui. Un apéritif à base de vin – qui plus est naturel et non produit de laboratoire comme certains vins apéritifs – dispose à coup sûr d’un bel avenir devant lui. Si on ne le développe pas, c’est que nous ne serons pas bons !

« L.P.V. » – A soi tout seul, peut-on influer sur une tendance ?

Ch.T. – Dans la petite sphère qui est la nôtre, nous essayons de tracer notre route ; de faire les choix que nous croyons bons de faire. Parfois, j’entends des propos du style : « M. Thomas joue perso. » Je ne suis pas plus personnel qu’un autre. Je comprends même mes confrères gros opérateurs qui ont d’autres idées en tête. Par contre, je suis moins d’accord avec l’assertion selon laquelle « autrefois, c’était tout et n’importe quoi et qu’il fallait bien classer le Pineau dans une catégorie, celle de l’apéritif ». Si, un jour, les gens ne prennent plus d’apéritif, que se passera-t-il ? C’est la mésaventure qui est arrivée au Cognac en France. Rangé dans le créneau du digestif, il est passé de mode. A ma connaissance, Whisky comme Porto n’ont postulé pour aucun choix. Ils laissent aux consommateurs le soin de décider de la façon dont ils veulent les consommer.

« L.P.V. » – Personnellement, comment préconisez-vous le Pineau ?

Ch.T. – Moi aussi, je laisse toute latitude au client pour en décider. S’il vient sur mon stand en disant : « le Pineau, c’est mon apéro préféré ! », je ne lui en ferais pas grief. Mais je lui glisserais dans l’oreille que le Pineau peut aussi accompagner du fromage de chèvre, du roquefort, une bonne tarte aux abricots ou aux pêches. Je lui suggérerais que l’on peut multiplier les occasions de dégustation ; que le Pineau est un excellent vin cordial, un vin d’amitié, un vin d’accueil, à partager entre amis sur le coup de 16 h-17 heures. Je lui dirais encore : « Si vous aimez le Pineau à l’apéritif, ne vous en privez pas mais ne le réduisez pas à un simple apéritif. »

« L.P.V. » – Le positionnement prix joue comme un vecteur d’image. Qu’en est-il du Pineau ?

Ch.T. – Malheureusement, en matière de tarif, le pli est pris depuis longtemps, et dans le mauvais sens. C’est dommage car, sur beaucoup de marchés, attaquer avec des prix bas vous condamne à l’échec. C’est le cas du marché asiatique où les prix bas n’ont aucune chance de réussite. Là-bas, les gens relèvent la tête, ils ne regardent pas le bout de leurs pieds. Même ceux qui n’ont pas tout à fait les moyens cassent leurs tirelires pour consommer le meilleur. Ils ont la fierté des Orientaux. Le Cognac en sait quelque chose. Ce type de marché est à aborder uniquement avec des produits haut de gamme. Sinon on ne décollera jamais. On ne fera pas comme le A 380.

« L.P.V. » – Le Pineau Château de Beaulon est-il distribué en Asie ?

Ch.T. – Dans les années 90, j’ai envoyé jusqu’à cinq containers à Taïwan. J’avais un distributeur sur place qui avait compris comment attaquer le marché. Ne lui attribuant pas de budget de communication, il a fallu qu’il se crée son propre budget, en positionnant le produit à un très haut niveau de prix. Beaulon était référencé auprès d’une clientèle élitiste, joueurs de golf, jet-set… Et puis nous avons vu débarquer des Pineaux vendus un tiers du prix du nôtre, distribués dans les quartiers populaires. Mon distributeur a jeté l’éponge et le Pineau, après avoir imprimé une crête à Taïwan, est retombé dans les statistiques. Il a fait « plouf ». Car le marché n’avait pas eu assez de temps pour se construire et n’a donc pas pu résister à l’assaut. Mais on y retournera, on ne va pas baisser les bras. Je crois au Pineau en Asie. Les Asiatiques aiment ce type de produit. Je ne citerai que l’exemple de l’Ice wine, un vin doux canadien d’origine slovène, très fortement sucré, produit à partir de raisins congelés. D’où son nom, Ice wine. Vendu par une société canadienne, il s’exporte à des millions de caisses dans les pays asiatiques. Sur certaines destinations comme la Corée du sud, on le retrouve quasiment au prix du Château Yquem. Il dégage une énorme valeur ajoutée et génère de gros budgets de communication.

« L.P.V. » – Le Pineau des Charentes est-il susceptible de s’exporter partout dans le monde ?

Ch.T. – Il faut rester modeste. Je ne pense pas que l’on puisse l’exporter dans 180 pays comme le Cognac. Mais des marchés très porteurs tels la Russie ou les Etats-Unis ne sont pas fermés au Pineau. Le Pineau peut y vivre sa vie, sa « petite vie ». Les Allemands aiment le Pineau, les Anglais aiment le Pineau et si le vin de liqueur a subi un revers au Japon c’est que, là aussi, nous avons attaqué le marché par le bas. En volume, le Canada se révèle un bon marché pour le Pineau mais en prix, il reste difficile. Le Pineau est classé parmi les apéritifs, des habitudes sont prises et l’extraire de cette tranche de prix s’avère extrêmement dur. Une fois encore, je regarde ce qu’a accompli le Porto. Au début des années 90, le Porto vendait 5 à 6 000 caisses au Québec alors que, tous Pineaux confondus, nous expédions 15 à 20 000 caisses. Et puis je pense que l’ensemble des maisons de Porto se sont entendues pour aborder ce marché avec ambition. Elles ont ciblé la gastronomie, positionné le Porto comme vin de dessert sur les fromages. Dix ans plus tard, elles en vendent 250 000 caisses. Voilà un exemple.

« L.P.V. » – Certaines de vos étiquettes portent des indications d’âge. Vous êtes un des rares opérateurs Pineau à pratiquer de la sorte. Est-ce « légal » et considérez-vous cet effet de gamme important ?

Ch.T. – Sur l’aspect de la légalité, je vous répondrais que la seule chose qui ne soit pas permise, c’est de tromper le consommateur. Tout ce qui est écrit sur la bouteille doit pouvoir être prouvé. Sur la seconde question – l’effet de gamme – évidemment qu’il est déterminant. Le Porto a su admirablement jouer de ses « vintages ». Quand les Canadiens sourcillent à débourser 15 $ pour une bouteille de Pineau, ils ne rechignent pas à payer 75, 80 ou 100 $ une bouteille de Porto vintage. Je pense qu’il faut de tout pour établir une catégorie, des produits de base mais aussi des produits haut de gamme. Lors du dernier Challenge international du vin de Blaye-Bourg, j’ai noté avec intérêt l’inscription de nombreux Pineaux millésimés. Je trouve cela très bien. Le consommateur a besoin de clarté. Un produit comme le Cognac a sans doute pâti d’être un peu dans le flou.

« L.P.V. » – Le Pineau Beaulon se situe clairement sur le « dessus du panier ». Vous sentez-vous un peu seul dans votre créneau ?

Ch.T. – Il existe beaucoup d’autres beaux Pineaux. Je pense au Pineau François Ier des frères Rivière entre autres. L’appellation a fait beaucoup de progrès, même s’il reste de gros efforts à accomplir.

« L.P.V. » – Comment se répartissent vos ventes entre marché intérieur et exportation ?

Ch.T. – Sur la foi des statistiques du BNIC (Bureau national interprofessionnel du Cognac), pas loin de la moitié de nos volumes de Pineaux partent à l’export. L’exportation a démarré au château de Beaulon de manière significative au tout début des années 70. Ces ventes à l’export nous aident beaucoup quand le marché français va mal. Si un jour nous parvenions à vendre 90 % de nos Pineaux à l’étranger, je serais content. Mais, vu mon âge, sans doute ne le verrais-je jamais (rire). L’exportation reste un marché important pour nous. Nous avons une commerciale export et des importateurs-distributeurs dans de nombreux pays : Belgique, Danemark, Suède, Norvège, Lettonie, Estonie, Ukraine, Russie… Aux Etats-Unis, nous avons deux ou trois importateurs mais ils ne sont pas très performants. Au Canada par contre, nous disposons d’un très bon agent.

« L.P.V. » – Quelles sont vos cibles de marché ?

Ch.T. – En France comme à l’étranger, nous cultivons les niches, CHR, magasins spécialisés. En clair, nous recherchons les belles caves, les belles tables, la belle restauration. En fait nous aimons travailler avec toutes les tables, les belles mais aussi les « un peu moins belles ». Le seul critère vraiment déterminant consiste à pouvoir fonctionner en partenariat avec nos interlocuteurs. Nous aimons bien que les gens qui nous distribuent soient réellement motivés par notre produit, qu’ils y croient autant que nous ou presque. Si ce n’est pas le cas, nous n’insistons pas. Sur le marché français, nous possédons une seconde étiquette pour la grande distribution, Le Moulin de la Grange. Il paraît en effet difficile de chasser deux lièvres à la fois, au moins avec une même étiquette.

« L.P.V. » – Comment évoluent vos ventes de Pineau ?

Ch.T. – Nous avons vécu deux très belles années, une superbe année 2003 et une magnifique année 2004. Par contre, l’année 2005 démarre un peu difficilement, en raison de la grève qui a sévi chez un de nos clients important, la SAQ (la Société des alcools du Québec). Nos collègues ont dû ressentir la même gêne.

« L.P.V. » – Vous vendez toute votre production en bouteilles ?

Ch.T. – En effet nous essayons de tout vendre en bouteilles. Le Pineau représente la grosse part de nos ventes mais le Cognac constitue aujourd’hui une niche et je dirai même une belle niche. La propriété compte 90 ha de vignes. Avec le quota Cognac actuel, en gros, nous disposons tous les ans de 500 hl AP pour servir nos deux débouchés, Pineaux et Cognacs. La structure emploie seize salariés permanents plus des saisonniers sur le vignoble.

« L.P.V. » – D’où vient Beaulon ?

Ch.T. – La propriété appartenait à M. Chebrou. A son décès, en 1965, j’ai repris les rênes de l’entreprise. Membre du BN dans les années 50, M. Chebrou fut l’un des grands initiateurs du Pineau avec les familles Garandeau, Ordonneau, Brillet… En tant qu’avocat, on dit qu’il participa à la rédaction du décret d’appellation Pineau. Mais M. Chebrou était aussi ingénieur de Centrale et, à ce titre, homme d’ordre et de méthode. Il avait rationalisé la production de Pineau sur sa propriété. A mon arrivée, ses éphémérides sur la distillation du Cognac ou l’élaboration du Pineau m’ont servi de précieux guides. J’avais le pied à l’étrier. Ne me restait plus qu’à suivre le bon chemin. Ceci étant, rien n’est jamais gagné.

« L.P.V. » – Avez-vous ce qui est convenu d’appeler une « suite » ?

Ch.T. – J’ai un garçon et une fille qui, j’espère, pourront reprendre l’entreprise. Mais le gros problème de Beaulon aujourd’hui, son problème n° 1 est de régler la succession. Outre le vignoble, la structure possède de très gros stocks, un atout qui se révèle aussi un handicap. Comment transmettre un tel outil sans que cela coûte trop cher ? Nous avons parfois l’impression de tourner en rond, comme nos collègues bourguignons ou bordelais, eux aussi confrontés à la transmission d’affaires assez conséquentes.

« L.P.V. » – Dans ces conditions, êtes-vous tenté de « lever le pied » ?

Ch.T. – Pas du tout. Beaulon a deux gros projets en route. Le premier, opérationnel dès septembre prochain, concerne la création d’une station de traitement des effluents viti-vinicoles et de rejets de distillation à Lorignac, derrière la distillerie. D’un coût de 200 0000 €, il fait appel au process Cascade de Vaslin-Bucher. Le second, qui représente un investissement bien plus élevé, vise la construction d’un chai de mise en bouteille et d’un chai de vieillissement Pineau (à barriques) semi-enterré, ici à Saint-Dizant-du-Gua. Autre signe que l’entreprise ne « s’endort pas sur ses lauriers », elle vient de recevoir deux médailles d’or pour ses Pineaux blanc et rosé au Challenge international du vin de Blaye-Bourg*. Même si cette manifestation est moins importante que « Citadelle », le concours qui représente un peu l’antichambre de Vinexpo, il est toujours très agréable de s’y voir récompensé. Participer à des concours, quelque part c’est « se faire des frayeurs ». Quand on possède une petite notoriété, la confrontation n’est jamais anodine. Mais nous aimons bien nous remettre en cause. Cela permet de se situer et de se dire que nous ne sommes peut-être pas parmi les plus mauvais. Cela ne va pas plus loin.

 

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