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COGNAC

Un monde en recomposition et une filière en quête de nouveaux repères

17 mars 2025 Par La Rédaction
Un monde en recomposition et une filière en quête de nouveaux repères

Tenir le cap dans un monde en mutation

Alors que le commerce mondial se redessine sous l’effet de tensions géopolitiques et économiques majeures, la filière Cognac, fleuron de la balance commerciale française s’il en est, traverse une période d’intenses turbulences. Entre conflits et incertitudes commerciales au bout du monde, mais aussi ajustements temporaires ou structurels au pied du rang de vigne, si l’horizon n’est pas clair, l’enjeu l’est quant à lui : tenir le cap en naviguant à vue et en essayant de ne pas compromettre l’avenir. Dans un contexte où la filière n’a pas le vent dans le dos et où les rivalités économiques entre grandes puissances redéfinissent les échanges internationaux, le cognac ne part pas favori dans la course. Les guerres commerciales sino américaine ou sinoeuropéenne, la montée des politiques protectionnistes agitant tous azimuts la menace de droits de douane créent un environnement incertain, où chaque marché peut devenir à la fois une opportunité et un risque. Alors que la Chine impose une enquête antidumping sur les eaux-de-vie européennes et que les États-Unis menacent de rétablir des surtaxes, l’Union européenne tente pourtant d’ouvrir de nouvelles perspectives en poursuivant sa politique de négociation d’accords de libre-échange. Mais comme le prouvent les échanges avec l’Inde, ces négociations sont longues, complexes et se heurtent à des résistances locales.

Entre Pékin et Washington, l’Europe joue les équilibristes

Les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis s’intensifient, fragilisant les exportateurs européens pris en étau entre ces deux géants. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, la menace d’une nouvelle vague de surtaxes sur les vins et spiritueux européens plane (et encore plus à l'heure où nous bouclons ces lignes après l'annonce de la Commission européenne d'appliquer des droits de douane sur une série de produits américains en représailles des droits de douane imposés par Donald Trump s'agissant de la taxation de 25 % sur l’acier et l’aluminium à partir du 1er avril), remettant en cause le fragile compromis obtenu en 2021. De l’autre côté du Pacifique, la Chine n'est pas en reste avec l'enquête antidumping qui s'enlise depuis 15 mois sur les eaux-de-vie européennes, en réponse aux restrictions imposées par Bruxelles sur les voitures électriques chinoises. Résultat : un marché du cognac trinquant sur le premier marché en valeur de la filière avec des exportations en chute libre sur le premier trimestre 2025, mais aussi une désagréable sensation de déjà vu aux Etats-Unis, premier marché en volume, où la situation n’est pas plus favorable, bien qu’encore incertaine. Dans ce jeu diplomatique complexe, l’Union européenne tente de préserver ses intérêts et a peut-être un coup à jouer avec la Chine avec un appel du pied déjà signifié par Pékin. Le cinquantenaire des relations UE-Chine, célébré cette année, peut même être l’occasion de renouer des liens constructifs et d’obtenir un allégement des restrictions pesant sur le cognac. Un espoir à considérer toutefois pour ce qu’il est, les 60 ans de la relation diplomatique France-Chine fêtés en 2024 n’ayant pas permis d’obtenir quoi que ce soit pour les opérateurs de la filière. De leur côté, ces derniers suivent de près l’évolution des négociations sur les fronts ouest et est, conscients que la résolution de ces différends conditionnera en grande partie la dynamique des marchés chinois et américain pour les années à venir.

Un rayonnement mondial, mais une commercialisation assujettie à la conclusion d'accords commerciaux

Si la diversification des marchés apparaît comme un levier de bon sens, s’inscrivant dans la sagesse paysanne recommandant de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, la filière Cognac, intrinsèquement tournée vers l’export, n’a pas attendu pour assurer la présence de ses produits sur les étals des quatre coins du globe. Avec une implantation dans plus de 150 pays, elle a su tisser un réseau commercial solide, faisant rayonner son savoir-faire sur tous les continents. Mais si ce n’est donc pas là que le bât blesse, dans quelle direction regarder ? Le véritable enjeu réside en réalité dans les conditions d’accès à ces marchés, largement déterminées par les accords de libreéchange et les barrières tarifaires pouvant entraver les exportations. Si la filière a su conquérir des débouchés plus que nombreux, elle reste néanmoins dépendante des négociations commerciales menées au niveau européen pour garantir un accès compétitif à ces marchés. Des droits de douane élevés, comme ceux appliqués par l’Inde sur les boissons alcoolisées à hauteur de 150 %, illustrent bien la difficulté de pénétrer, sans assouplissement réglementaire, certains territoires stratégiques (l’Inde est la première puissance démographique mondiale comptant 18 % de la population du globe). Souvent freinée par des considérations protectionnistes locales, la négociation des accords de libre-échange est par ailleurs un exercice de longue haleine. À l’image des négociations en cours entre Bruxelles et New Delhi, relancées en 2022 après 9 années d’interruption, l’affaire n’est pas mince et l’agriculture souvent un point de blocage majeur, l’Inde cherchant, pour poursuivre sur cet exemple, à protéger ses millions de petits exploitants. Une situation qui n’est pas sans rappeler les échanges sur le Mercosur ou avant eux sur le CETA, positionnant cette fois-ci l’agriculture européenne au coeur des enjeux.

Réguler la production pour préserver l’équilibre

Au-delà des tensions commerciales, c’est avant tout le ralentissement des expéditions depuis l’éclatement de la bulle Covid et le manque de perspectives qui ont conduit la filière à engager une réflexion sur l’ajustement de sa production et de son potentiel. Le marché du cognac, marqué par une dynamique de croissance continue sur la dernière décennie, doit réagir à un coup d’arrêt net. Un arrêt net oui, mais pas surprenant pour les anciens, qui, en bonnes fourmis, alertaient ces dernières années les cigales sur les dangers d’un retour soudain de la bise. Si la fourmi met en garde sur la nécessité de garder du grain pour les campagnes futures, les plus de 10 années de stocks de la filière, là où 7 années sont en réalité de nature à garantir l’équilibre, sont aujourd’hui plus qu’une voie de salut et davantage une épée de Damoclès, la viticulture n'en détenant par ailleurs que moins d’un tiers. A l’aune de l’ensemble de ces « bonnes nouvelles », le rendement annuel cognac accuse, sans surprise aucune, une nouvelle baisse pour 2025, fixé à 7,65 hl AP/ha, prolongeant ainsi la tendance amorcée ces dernières années : 14,73 hl AP/ha en 2022, 10,5 hl AP/ha en 2023 et 8,64 hl AP/ha en 2024. Si cette décision vise à ajuster la production à la réalité du marché, elle représente un défi pour les exploitants, dont l’équilibre économique repose sur leur capacité à produire et à vendre à des niveaux optimaux. Et c’est pour accompagner cette transition douloureuse que les instances ont planché sur un plan d’adaptation de la filière, au travers du VCCI (volume complémentaire cognac individualisé) qui devrait permettre aux Charentais d’optimiser leur production au travers d’arrachages temporaires donnant droit à un bonus de production. Un premier levier d’adaptation aujourd’hui regardé avec intérêt mais prudence par les viticulteurs.

Une barre à tenir dans un océan d’incertitudes

Si le cognac a toujours su s’adapter aux évolutions du commerce mondial, cette période troublée ne fera pas exception. Entre tensions commerciales, ajustements de production et défis structurels, la filière navigue dans un environnement complexe, où les prochains mois seront décisifs. L’issue des négociations avec la Chine d’une part, mais aussi avec les États-Unis d’autre part, influencera directement la dynamique des exportations. Quant à la diversification et si les discussions avec l’Inde et d’autres partenaires commerciaux pourraient ouvrir de nouvelles perspectives, elles nécessiteront encore du temps et de la persévérance appelant alors une nouvelle question. En effet et si la filière ne peut davantage diversifier ses marchés, ne doit-elle pas diversifier ses débouchés ? Un vaste sujet, une vieille arlésienne suscitant à chaque fois des débats et échanges passionnés…

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