Viticulture – Indemnité grêle : Décalage de fiscalisation : Y regarder à deux fois

26 décembre 2014

Souhaitant éviter une superposition d’impôt, la loi de finance rectificative de 2012 a créé un dispositif pour reporter la taxation de l’indemnité grêle. Quand ? Jusqu’à la date où la récolte aurait dû normalement être commercialisée. Une intention louable. Problème en viticulture ! Compte tenu des valeurs en cause, ce décalage d’impôt risque d’engendrer un déficit important l’année du dommage. Et de créer une zone d’insécurité fiscale, vu le décalage parfois important des ventes dans le temps. Avec la grêle 2014, le nouveau régime va s’appliquer pour la première fois à Cognac. Commentaires de Pascal Rousseau, juriste fiscaliste au CERFrance Poitou-Charentes.

 

 

 

 

C’est la loi de finance rectificative du 29 décembre 2012 qui a mis en place ce retraitement fiscal de l’indemnité grêle ou plutôt « l’indemnité destinée à couvrir les dommages causés aux récoltes par des événements d’origine climatique ».

En effet, on retrouve ce dispositif sous l’article 72 B du Code général des impôts. Avec la grêle de 2014, c’est vraiment la première fois que ce nouveau traitement fiscal de l’indemnité « perte de récolte » va trouver à s’appliquer.

Qu’en pensez-vous ?

L’objectif du législateur était louable. Il s’agissait d’éviter l’imposition d’une indemnité d’assurance sur l’exercice qui précède la récolte. Comment est-ce possible me direz-vous ? Eh bien si. En fonction du contrat d’assurance, il peut arriver que la prime d’assurance soit comptabilisée avant même la date prévue de la récolte. Par exemple, on la rentrera dans la comptabilité au mois de juin pour une récolte qui n’interviendra qu’au mois en septembre. Conséquence au niveau fiscal : avant la loi de finance rectifcative de 2012, il pouvait y avoir doublon d’imposition sur un même exercice. L’article 72 B met fin à ce risque.

Plutôt une bonne chose.

Tout à fait. Sauf qu’à y regarder de plus près, nous nous sommes aperçus des possibles effets indésirables de la mesure. Cela se vérifie notamment sur des productions viticoles à haute valeur ajoutée comme le Cognac, qui présente la double caractéristique d’avoir un prix de revient élevé et des ventes souvent fortement décalées dans le temps. Je m’explique : le fait de repousser la taxation de l’indemnité d’assurance le jour où la vente aurait dû se réaliser va entraîner un déficit important l’année de constatation des dommages. Pourquoi ? Parce que dans la comptabilité, vous allez rentrer un prix de revient sans retrouver, en face, la marchandise en stock pour une valeur équivalente. Et sans non plus qu’apparaisse l’indemnité d’assurance destinée à compenser le manque de récolte. D’où la perspective d’un déficit conséquent.

Un gros déficit, c’est parfois intéressant.

Certes mais c’est quelque chose qui se calcule, s’apprécie, s’optimise entre guillemets. C’est vrai que l’on peut avoir intérêt à profiter d’une « fenêtre de perte » pour régulariser du passif fiscal, type DPI/DPA (Dotation pour investissement, Dotation pour aléas). Mais un vieux fiscaliste vous dira qu’il ne faut pas « perdre ses pertes ». Autrement dit, sous l’effet des plafonds, les pertes se révèlent parfois trop importantes pour générer un impact optimum sur les prélèvements fiscaux, sociaux. La question de fond est de savoir si, oui ou non, on a intérêt à générer un déficit important une année, en risquant de se retrouver en excédent les années N + 2, + 3, + 4 ou + 5.

Vous faites allusion à la réintégration décalée de l’indemnité d’assurance l’année N + quelque chose.

En effet, comme déjà dit, l’article 72 B de la loi de 2012 prévoit de repousser la taxation de l’indemnité d’assurance au moment où la récolte aurait dû être vendue. Pour des productions annuelles comme les céréales, c’est simple. Vous réintégrez l’indemnité en général l’année qui suit le dommage. Pour les productions viticoles type Cognac ou vins d’appellation, c’est tout de suite plus compliqué car les ventes interviennent parfois trois, quatre, cinq ans plus tard voire dans les dix ou vingt ans. Si l’on suit le texte à la lettre, il va donc falloir pratiquer une projection virtuelle de ses habitudes de ventes. Se dire : « à quel moment aurais-je dû vendre ce produit si je l’avais récolté ? ». A Cognac, cet exercice de prévision ne présentera pas de difficultés majeures pour un livreur de vin ou un bouilleur de cru qui fonctionne sur un roulement d’eaux-de-vie de comptes 0, 1 ou 2. Mais j’ai par exemple un client qui n’a pas de contrat, qui garde toutes ses eaux-de-vie en stock et qui les vend au fil du temps, au gré des opportunités. Pour lui, comment savoir à quelle date son indemnité 2014 sera taxée ? La réintégration ne risquera-t-elle pas de tomber au même moment qu’une sortie d’eaux-de-vie avec, pour conséquence, le fameux doublon de taxation que voulait éviter la loi ? Quand le pas de temps devient trop grand, la projection se transforme vite en prédiction. Elle instille une dose d’insécurité fiscale, une zone de trouble toujours préjudiciable. Même sans aller jusqu’à ces extrêmes, il y a tous les viticulteurs qui, en plus de leurs habitudes de ventes, libèrent de la réserve de gestion, de la réserve climatique… Comment démêler tous ces fils, avoir une vision claire des prélèvements fiscaux et sociaux ? Comment mieux anticiper les choses pour prendre les bonnes décisions ?

La loi de 2012 existe. Peut-on s’en exonérer ?

Vous avez raison. Le dispositif de retraitement de l’indemnité d’assurance récolte prévu à l’article 72 B du CGI n’est pas optionnel. Il s’applique de droit. Mais il n’est pas interdit de le commenter, de s’interroger sur l’intention réelle du législateur. Et je ne suis pas sûr qu’avec ce dispositif le législateur souhaitait engendrer des déficits importants ou encore reporter sine die la fiscalisation de l’indemnité grêle. Son intention, me semble-t-il, était plus simplement de neutraliser cette indemnité, afin d’éviter de superposer des produits sur un même exercice fiscal. Je doute que les spécificités viticoles aient vraiment été prises en compte.

Quelles sont les recommandations du fiscaliste que vous êtes ?

Bien sûr, la loi est la loi. Elle est opposable à tous, y compris dans sa partie « commentaires de l’administration fiscale ». Celui qui les suit ne prend donc aucun risque. Ceci dit, entre nous, j’ai du mal à penser que l’administration fiscale s’offusquerait de taxer par anticipation une indemnité grêle ! Plus fondamentalement, je crois que l’application de ce texte mérite que l’on s’y penche, qu’on y réfléchisse. Peut-il être mieux adapté à la problématique viticole ? De quelle manière ? C’est une réfle-
xion que nous allons conduire à CERFrance Poitou-Charentes. Les exploitations ont grossi, l’épisode grêle 2014 a occasionné des dommages importants, des montants d’indemnité élevés. Et il y a fort à penser que cet épisode de grêle ne restera pas un cas isolé. Compte tenu des sommes en jeu, le questionnement autour de la taxation de l’indemnité d’assurance récolte n’est pas que de pure forme. Prenons le cas d’une exploitation de 30 ou 40 ha, assurée pour un montant en capital de 5 000 €/ha. On peut arriver très vite à devoir gérer la réintégration de 150 000 €.

Par ailleurs, au-delà de l’aspect purement fiscal, ce dossier permet de remettre en perspective la stratégie à tenir après un sinistre : dois-je vendre des eaux-de-vie, débloquer ou non de la réserve de gestion ? Quel sera l’impact sur ma fiscalité ? Les réponses ne peuvent qu’être individuelles : besoin de trésorerie ici, endettement là, besoin de « purger de la fiscalité latente » ailleurs. Les enjeux varient énormément d’une exploitation à l’autre. Cela rejoint la question de la gestion du risque, quelque chose que nous allons aborder avec nos clients dans les mois qui viennent.

Sous-activité  : Applicable aux sinistres grêle

Méthode largement utilisée par le monde industriel et commercial, la notion fiscale de sous-activité était très peu pratiquée en agriculture. Depuis 2005, l’administration fiscale a donné son feu vert. La sous-activité peut s’appliquer aux sinistres grêle importants.

Face à une récolte amputée de moitié, comment va pouvoir se traduire le mécanisme fiscal de sous-activité ? Pour résumer, il va permettre de déduire la moitié des charges immédiatement. Cette mesure cherche en fait à compenser une élévation du prix de revient unitaire, consécutive à la faiblesse de la récolte.

Prenons le cas d’une exploitation qui a l’habitude faire 10 hl AP/ha, à un coût de revient de 5 000 € l’ha. L’année de la grêle, les mêmes charges de culture auront été investies. Par contre, si le rendement n’est que de 5 hl AP/ha, le prix de revient de l’hl AP ne sera plus de 500 € mais de 1 000 €. A condition d’apporter la preuve que la capacité normale de production de l’exploitation s’élève bien à 10 hl vol./ha sur les cinq dernières récoltes – en éliminant la plus faible et la plus forte récolte – l’administration fiscale admet de pouvoir constater immédiatement la perte économique découlant du faible rendement dû à un aléa climatique. Ce mécanisme s’adresse à toutes les exploitations soumises au bénéfice réel, normal ou simplifié, à condition que la détermination du prix de revient se fasse au coût réel et non au cours du jour moins une décote. A partir du moment où la baisse de rendement dépasse 20 à 25 % de la moyenne quinquennale, la notion de sous-activité peut être mise en œuvre.

Article 72 B

Une mesure réservée aux exploitations à l’IR (impôt sur le revenu)

Le décalage d’imposition prévu par le dispositif fiscal ne s’applique qu’aux exploitations agricoles soumises à l’IR (impôt sur le revenu), régime du réel normal ou simplifié (à l’exclusion des bénéfices forfaitaires). Ne rentrent pas dans le champ de la mesure les structures soumises à l’IS (impôt sur les sociétés).

La progressivité de l’impôt, c’est la marque de fabrique de l’IR, l’impôt sur le revenu. Le barème de l’impôt augmente par tranches successives. Plus les tranches s’élèvent, plus les taux sont importants. Quant aux cotisations sociales, elles se calculent sur l’ensemble du revenu. Dans ces conditions, toutes les mesures d’aménagement ne vont viser qu’un seul but : lisser le revenu, écrêter l’impôt. C’est le cas de la moyenne triennale, des DPI, DPA, de l’étalement des plus-values, du décalage de taxation de l’indemnité d’assurance récolte… Pourquoi ces mesures ne s’appliquent-elles pas à l’IS (impôt sur les sociétés) ? Parce que, à l’inverse de l’IR, l’IS prévoit une taxation à taux fixe, quel que soit le revenu : 15 % jusqu’à 38 000 € et 33 % au-delà.

 

 

 

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