Vitibio Charentes a 20 ans : Bio par pure conviction !

17 mai 2018

En 2018, vitibio Poitou-Charentes fête ses 20 ans ! Un anniversaire modeste mais précieux pour la petite association de quelques 30 viticulteurs qui pèsent à peine 1% des superficies régionales alors que cette proportion frôle la barre des 10% au plan national. Ce qui est le plus surprenant dans cette filière, c’est que 8 à 9 volumes de Cognac bio sur 10 sont mélangés, in fine, aux produits conventionnels perdant ainsi toute possibilité de valoriser le label. Mais à l’initiative de deux bouilleurs de profession, l’offre se structure, permettant, par là même à de petites maisons de négoce de structurer des gammes sans se soucier de leur approvisionnement à venir. Ces viticulteurs convaincus ont espoir de voir un jour leurs efforts valorisés à leur juste niveau.

La bio en France connaît une croissance historique. Selon l’Agence Bio, les vignobles convertis ou en conversion ont triplé entre 2007 et 2016, pour atteindre l’équivalent de 9% du vignoble national en 2018 avec 70 740 ha. Les objectifs du Grenelle de l’environnement, qui tablaient sur 6 % de la surface agricole consacrés aux vignes pour 2012, ont été dépassés dès 2010 et la progression se poursuit sans discontinuer. Côté consommation, mêmes tendances. Le marché français connaît une croissance annuelle de 15 à 18% par an pour atteindre sur la seule filière viticole 792 millions d’euros en 2016 commercialisés à 41% en vente directe. A l’export, la progression est encore plus marquée. Les vins bios représentent les deux tiers des exportations de produits français bios et ont progressé de 26% entre 2014 et 2015. A Cognac, même si la Bio est implantée de longue date, les statistiques sont beaucoup moins élogieuses. Les viticulteurs convertis représentent à peine 1 à 2 % du vignoble global. La raison ? La part de vente directe dans le vignoble Charentais est historiquement très faible et les grandes maisons de Cognac n’ont jusqu’ici pas identifié la « Bio » comme une attente prioritaire sur leurs marchés. Selon Magali Richard, qui a consacré son rapport de fin d’études (Master II) à l’université de Segonzac sur la question du Cognac bio, « Les maisons ne font généralement le choix du Bio pour répondre à des demandes spécifiques mais sans volonté réelle de communiquer sur ces gammes. Le risque de pénurie d’approvisionnement en cas de succès ou celui, peut-être, de décrédibiliser les autres gammes de produits conventionnels étaient jusqu’ici autant de freins à l’expansion du Bio sur le marché du Cognac ».

 

 

Des Cognac produits sous label mais vendus sans

 

Si les viticulteurs bios charentais ne sont pas les plus nombreux en France, ils figurent à n’en pas douter parmi les plus convaincus. C’est du moins la conclusion que l’on peut tirer au vu de la très faible part des volumes de Cognac qui sont, in fine, valorisés sous le label. Selon les représentants de l’association charentaise, au moins les 3/4 des Cognacs certifiés bios sont contractualisés dans le circuit classique des grandes maisons et finissent par être assemblés avec des produits conventionnels. Même cahier des charges, même cuve de destination et même prix que toutes les productions conduites en conventionnel… Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas l’appât du gain qui motive ces viticulteurs ! En fait, il existe un détail qui relie toutes ces exploitations. Une intime conviction profondément ancrée dans l’esprit de ces chefs d’entreprise qui se résume dans une idée : celle de préserver la santé des personnes, des sols et des écosystèmes : des concepts plutôt avant-gardistes, si on en croit le retour en force des valeurs RSE (Responsabilité sociale des entreprises) sur lesquelles beaucoup de modèles économiques cherchent à se développer aujourd’hui. Et Pascal Rousteau, le président de Vitibio Charentes, n’hésite pas à l’affirmer : « Le contexte actuel du Cognac fait de nous des précurseurs, parfois marginalisés, mais l’actualité nous conforte à chaque nouvelle crise ».

 

De rares circuits de distribution… et des déboires.

 

Il est d’usage de penser que les démarches bios et de vente directe vont de pair car c’est là que se situe la meilleure valeur ajoutée pour le producteur. Parmi les producteurs adhérents de Vitibio Charentes, 60% assurent leurs débouchés par leurs propres moyens. Les vins, Pineaux et jus de raisin sont généralement les produits distribués en priorité puisqu’ils concernent des marchés de proximité. Il faut plus de temps pour créer les premières gammes de Cognac d’autant que leur expansion exige en général des réseaux de distribution bien implantés à l’export. Il existe en Charentes quelques débouchés qui permettent de valoriser en vrac des productions de Cognac issues de l’agriculture Biologique. Plusieurs coopératives qui ont identifié des besoins croissants sur leurs marchés ont accompagné certains de leurs apporteurs dans la conversion en leur garantissant une juste rémunération de leurs efforts, c’est par exemple le cas d’Océalia, Uniré et Vitioléron qui ont produit leurs toutes premières eaux de vie Bio en 2017. Pour les Bouilleurs de Crus, le tout premier débouché conséquent de Cognac en vrac fût la société L & L dirigée par Jean-Paul Lafragette, le premier à avoir cru dans ce débouché. A l’époque, les perspectives de développement de la petite société étaient ambitieuses tant en Cognac qu’en Pineau des Charentes et beaucoup de producteurs y avaient cru en signant des contrats. Mais cette expérience s’est mal terminée lorsque la société a cessé brutalement son activité en 2008. Les Producteurs se sont alors retrouvés dans une impasse avec leurs contrats et leurs marchandises sur les bras.

 

SVE : constituer un stock pour réguler l’offre.

 

C’est à cette période que Julien NAU, l’actuel PDG de la société SVE à Chevanceaux a construit petit à petit et en partenariat avec Jean François Rault (Distillerie du Peyrat) une activité de distillation et de stockage de Cognac Bio. « A l’époque, nous avions identifié que l’absence de stock empêchait toute perspective de croissance sur ce marché, explique Julien Nau. La vocation de notre entreprise n’est pas de ventre des produits en bouteille. En revanche, nous savons distiller et faire vieillir des eaux de vie pour les proposer à des commerçants. Nous avons donc pris le parti d’investir dans ces stocks et nous sommes aujourd’hui à même de fournir des qualités diverses sur 10 comptes d’âge plusieurs maisons de la place de Cognac. »

Voilà donc un débouché sérieux, qui garantirait une plus-value à tous les maillons de la chaine. A l’origine, SVE proposait une majoration de 10% sur le prix d’achat des vins par rapport aux tarifs grandes maisons mais petit à petit, cet écart s’est réduit. Il ne représente plus que 4% aujourd’hui. « Cela n’est pas satisfaisant car le mode production Bio, plus exigeant, justifie un  écart de prix de 10 à 20% supérieur à celui des conventionnels, explique Julien NAU. La filière est naissante, elle doit se structurer et nous travaillons dans la durée avec nos clients embouteilleurs pour tendre vers cela». Malgré cela, le distillateur reste optimiste : « Nos partenaires sont souvent de petites maisons qui ont souffert des difficultés d’approvisionnement ces dernières années du fait de l’augmentation très importante des cours du Cognac conventionnel. Nous avons fait le choix d’accompagner ces entreprises sur cette période délicate pour qu’ils puissent faire prospérer leurs marchés. Une fois implantées, les marques Bios semblent se développer de façon très rapide et nous avons bon espoir de renouer prochainement avec des prix d’achats qui sécuriseront cet approvisionnement » explique le PDG de la SVE.

 

Le bio est vendu plus cher mais pas toujours pour les spiritueux

 

En analysant le marché des produits bio, toutes catégories confondues, Magali Richard, a mis en évidence un fait marquant : la plus-value généralement constatée sur les produits agricoles est de 70 % sur les fruits et à 92% sur les légumes (source Agence Bio et Synabio) n’est pas aussi significative dans le Cognac. A l’export, même constat, selon Jean François Rault, beaucoup de marchés pourtant réceptifs aux valeurs de la Bio comme les Etats Unis ou la Suède, n’étaient jusqu’ici pas prêts à payer le surcoût en lien avec ce mode de production. Selon Jean Pasquier, vendeur direct en France et à l’export, le label Bio n’est pas leur seul facteur déclencheur dans l’acte d’achat. Il existe beaucoup d’autres valeurs compatibles avec l’esprit de la bio que la filière doit se réapproprier pour reconquérir de la valeur. Il évoque notamment l’esprit « craft », les circuits courts ou l’éthique d’une consommation responsable.

 

 

Ils étaient pionniers, ils sont devenus des références

Il n’existe dans le monde, que 2 références commerciales de XO de plus de 30 ans d’âge issus de vignes conduites en agriculture biologique. Celui de la maison Pinard à Foussignac (1979) et celui de Brard Blanchard à Boutiers (1986). Car avant les années 80, ils n’étaient que quelques-uns à avoir osé franchir le pas de la viticulture biologique en Charentes. Ces produits étant d’ailleurs plus anciens que l’organisme certificateur qui est sensé les contrôler (Ecocert), ils ne peuvent pas afficher le logo AB sensé les distinguer des produits conventionnels. L’anniversaire des 20 ans de Vitibio est l’occasion de faire un flash-back sur l’expérience de ces deux entreprises pionnières dans l’univers de la Bio Charentaise.

 

Guy Pinard et fils : Dès 1962, Georges Pinard, le grand-père de Jean-Baptiste, s’est intéressé aux principes qualifiés, à l’époque, d’ « agro-biologistes ». Il était élu à la chambre d’agriculture de Charente et spectateur du changement radical de cap que vivait l’agriculture française. Ce modèle qui consistait à produire toujours plus et bon marché en multipliant les intrants d’origine chimique conduisait à une inévitable course aux superficies. En 1969, il a définitivement tourné le dos à cette mouvance et adopté une méthode de culture plus naturelle mise au point par Raoul Lemaire et Jean Boucher (Méthode Lemaire-Boucher). Cette méthodologie proscrivait tout apport d’intrants d’origine chimique et prônait de nouvelles techniques pour nourrir les sols et préserver les équilibres biologiques en place. Rapidement, Mr Pinard s’est attelé à mettre en œuvre des techniques de compostage des fumiers de la ferme. Pour le reste, il n’a pas réellement révolutionné ses méthodes de travail encore traditionnelles pour l’époque. « Le véritable changement de cap concernait le développement de la vente directe avec les jus de raisins, les vins, le Pineau et le Cognac. Il a fallu imaginer un nouveau modèle économique qui allait forcément de pair avec le projet » explique Jean-Baptiste. Aujourd’hui le vignoble compte 25 ha et ses débouchés sont assurés à 85% en vente directe. Ses niveaux de production sont équivalents aux conventionnels et, à l’image de son grand père, il bouillonne de projets pour continuer de mettre en valeur son terroir.

 

Brard Blanchard : « L’élément déclencheur a été cette conférence à Matha sur la méthode Lemaire-Boucher. Il y avait des grands noms de la génétique et de l’agronomie autour de la table et ça avait déplacé des foules ! J’étais déjà sensibilisé à la cause mais leur argumentaire a fini de me convaincre et je me suis lancé en Bio dès 1972 » explique Jacques Brard-Blanchard. A cette époque, l’exploitant souffrait d’inflammations chroniques à la gorge lorsqu’il travaillait dans les vignes. Son médecin suspectait une forme « d’allergie » aux produits de traitements (en particulier le dithane et le folpel) du fait que les symptômes s’atténuaient dès qu’il s’éloignait de son vignoble. « L’abandon pur et simple des solutions chimiques a été radicale sur mon état de santé » affirme-t-il aujourd’hui. Mais au-delà des aspects sanitaires pour eux-mêmes, leurs proches et leurs clients, ce qui a séduit l’exploitant et son épouse, ce sont les valeurs éthiques portées par la Bio. « Nous n’exploitons pas la terre, nous l’empruntons simplement, et nous nous devons de la rendre à nos enfants dans un meilleur état qu’on nous l’a transmise » explique Madame Brard-Blanchard. Aujourd’hui, c’est Sophie, leur fille, qui est aux manettes des 23 ha de vigne que comptent l’exploitation. « Il est clair que nous avons à gérer des contraintes différentes des conventionnels. Nos engrais verts, par exemple, favorisent le gel de printemps et nos solutions fongicides sont moins « faciles » d’usage, elles ne tolèrent aucune approximation.» explique-t-elle.


 

 

 

 

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