Vins Et Eaux-De-Vie Nouvelles, Les Approches De Sélection Qualitative

8 mars 2009

La sélection qualitative des vins de distillation et des eaux-de-vie nouvelles destinés à la production de Cognac s’est maintenant généralisée et actuellement les viticulteurs se hasardent de moins en moins à présenter des échantillons pour un agrément de pré-commercialisation sans en connaître à l’avance le profil de qualité. L’élaboration des vins de distillation fait l’objet d’un suivi qualitatif de plus en plus rigoureux qui se concrétise dans les faits par une sélection préventive des vins avant leur distillation. Les grands négociants de la région ont généralisé des démarches visant à écarter de la distillation les vins présentant des défauts majeurs.
distillerie.jpgLa forte mobilisation des producteurs autour des pratiques de vinification depuis maintenant 20 ans répond à l’objectif d’élaborer des vins susceptibles de correspondre aux attentes des grands négociants de la région délimitée. Chaque grande maison a mis en place des procédures de sélection qualitative spécifiques qui s’appuient sur des aspects analytiques et gustatifs. Un travail technique très important a été réalisé par la Station viticole du BNIC et les services techniques des grandes maisons de Cognac pour mettre en évidence un certain nombre de défauts majeurs. La définition des composés responsables de défauts majeurs comme l’éthanal + l’acétal (éthéré), l’acétate d’éthyle (piqué), le butyrate d’éthyle (putride), le butanol 2, l’hexanol et le Cis hexen-3-ol-1 (caractère herbacé), le TDN (caractère hydrocarbure), les alcools supérieurs (perte de finesse, note de lourdeur)… fait l’objet d’un consensus mais par contre chaque société a ensuite établi une hiérarchie propre des critères de sélection reposant sur des approches et des seuils analytiques souvent différents. Ainsi aujourd’hui, une propriété travaillant avec trois grandes maisons doit présenter des échantillons en pré-agrément de commercialisation répondant à trois cahiers des charges différents. Ces démarches ne posent plus aucun problème aux viticulteurs mêmes si elles suscitent toujours de manière discrète des réactions souvent critiques. Les approches de sélection qualitative sont aujourd’hui complètement opérationnelles et au fil des années les cahiers des charges ont aussi considérablement évolué en tenant compte à la fois de critères qualitatifs et de l’environnement réglementaire.

Les interférences réglementaires et qualitatives des alcools supérieurs

L’exemple concret des alcools supérieurs illustre à la fois les interférences du contexte réglementaire avec les aspects qualitatifs. Pendant très longtemps, les maîtres de chais considéraient que la présence de teneurs excessives en alcools supérieurs conféraient aux eaux-de-vie des notes aromatiques de lourdeur, une perte de finesse, mais depuis quelques années les messages avaient évolué en raison d’un contexte réglementaire en Chine. Dans ce pays, une réglementation très ancienne fixait pour les spiritueux une teneur limite en AS très faible et l’ensemble des cognacs commerciaux la dépassait largement. Heureusement, les autorités chinoises ne mettaient pas en application cette norme mais dans le contexte de concurrence commerciale accrue entre ce grand pays et l’Europe, cette situation pouvait évoluer de manière défavorable pour le Cognac. Un gros travail d’échanges scientifiques entre tous les acteurs de la filière régionale et les autorités chinoises a été engagé depuis dix ans pour expliquer l’origine naturelle des AS dans les eaux-de-vie charentaises (dont la présence est inhérente à la nature même des raisins). Le dialogue constructif qui s’est instauré sur ce dossier laissait entrevoir des possibilités d’avancées positives sans qu’il soit pour autant proposé de remettre en cause définitivement cette réglementation. Cette situation inquiétait bien sûr beaucoup les grands négociants de la région compte tenu du fort développement des ventes de Cognacs de qualités supérieures dans ce pays. Aussi, des messages spécifiques à ce sujet ont été diffusés auprès des viticulteurs pour les inciter à élaborer des vins de distillation et des eaux-de-vie nouvelles ayant des teneurs plus faibles en AS. Ce n’est pas un hasard si, depuis trois ans, les maîtres de chais se sont montrés beaucoup plus attentifs aux teneurs AS et un travail de réflexion technique a été commencé dans la région sur les moyens de limiter la production d’AS. Il est possible de minimiser leur présence en intervenant au cours de la vinification par la mise en œuvre de plusieurs éléments comme la pratique de la décantation, l’utilisation de levures appropriées et la maîtrise thermique. Un travail de sensibilisation important a été réalisé au cours des dernières années et les viticulteurs doivent tenir compte de ce nouveau problème dans la conduite de leurs vinifications. Tout récemment, la décision des autorités chinoises de faire évoluer favorablement la réglementation concernant les AS a été accueillie avec beaucoup de soulagement dans les grandes maisons de Cognac, ce qui en théorie devrait engendrer un peu plus de souplesse au niveau des approches de sélection qualitative.

Le vin de distillation, un produit intermédiaire qui « fait et défait » la qualité des eaux-de-vie

La transformation des vins d’Ugni blanc en eaux-de-vie grâce au procédé de la double distillation constitue une spécificité fondamentale qui oblige à aborder les démarches de sélection qualitative avec une tout autre philosophie que dans les autres régions viticoles productrices de vins de qualité. Le vin de distillation n’est qu’un produit intermédiaire dans le processus d’élaboration du Cognac mais il contient potentiellement tout ce qui fait ou défait la qualité des eaux-de-vie. Un lot de vin présentant des caractéristiques aromatiques et gustatives normales peut-il donner des eaux-de-vie présentant soit un défaut rédhibitoire ou au contraire extériorisant une grande qualité ? Les seuls commentaires d’une dégustation ne sont pas suffisants pour répondre objectivement à cette interrogation. Certains défauts majeurs présents dans les eaux-de-vie ne se perçoivent pas à la dégustation des vins. Les recherches menées par la Station viticole du BNIC dans le courant des années 80 ont permis de définir une méthode pour trouver une corrélation sur la présence dans le vin d’un certain nombre de marqueurs analytiques révélant ultérieurement des défauts majeurs dans les eaux-de-vie. L’élément déclencheur de toutes les approches de sélections qualitatives a été le développement très rapide de la mécanisation des vendanges au début des années 80. A cette époque, les maîtres de chais s’inquiétaient beaucoup car des vins gustativement sans défauts donnaient, une fois distillés, des eaux-de-vie qui présentaient parfois des déviations qualitatives marquées. Pour faire face aux difficultés économiques du moment, beaucoup de viticulteurs ont choisi de récolter mécaniquement sans se soucier si leur installation de vinification était technologiquement capable d’absorber une telle évolution. L’apport de volumes importants de vendange dans les chais n’avait pas été suffisamment anticipé au niveau de la conduite globale des vinifications et rapidement les effets néfastes des attentes de vendanges, des cycles de pressurage mal conduits, du manque d’hygiène, des départs de fermentation trop lents… ont été mis en évidence.

Une microdistillation de laboratoire concentre la présence potentielle de défauts dans les vins

Les travaux de recherche de la Station viticole du BNIC ont débouché sur la mise au point d’un procédé de microdistillation de laboratoire en présence de cristaux de cuivre qui tend à créer un phénomène de concentration comparable à celui d‘une distillation charentaise à double repasse. La dégustation du tout petit volume de distillat recueilli permet de sentir et de révéler la présence d’un certain nombre de défauts dit majeurs dans les vins. Ensuite, la réalisation d’une analyse en chromatographie en phase gazeuse sur le distillat a permis d’identifier des marqueurs analytiques précis pour chaque défaut et d’établir des seuils de perception aromatiques. La finalité de cette approche globale de microdistillation associée à une dégustation et une analyse a pour objectif d’écarter de la filière de production Cognac tous les lots de vins présentant des défauts majeurs. De nombreux tests ont permis de confirmer sa fiabilité vis-à-vis de l’extériorisation des défauts majeurs, mais cela ne permet pas d’apprécier le potentiel de qualité des eaux-de-vie. Une distillation en petit volume de laboratoire réalisée avec de la verrerie et quelques cristaux de cuivre ne peut pas être totalement représentative des phénomènes de concentration de vapeur se produisant dans un alambic durant deux cycles de 12 heures.

Des approches de sélection qualitative spécifiques à chaque Grande Maison

L’approche de microdistillation + dégustation complétée ou pas par une analyse en chromatographie en phase gazeuse a démontré son intérêt depuis de nombreuses années puisque la plupart des acheteurs de vins de distillation et d’eaux-de-vie nouvelles l’ont généralisé. Les grandes maisons de Cognac ont aussi conduit des travaux scientifiques de façon interne en tenant compte de leurs attentes qualitatives spécifiques. Les équipes de dégustation ont chacune une verre_vin.jpgphilosophie propre en matière de typicité aromatique et gustative des eaux-de-vie nouvelles qui a été intégrée dans la mise œuvre des procédures de sélection qualitative. Les maîtres de chais ont défini des approches différentes mais cohérentes par rapport à leurs attentes qualitatives et à leurs préconisations au niveau des vinifications et de la distillation. L’influence des principes de vinification (avec ou sans décantation, maîtrise thermique, soutirage de fin de fermentation…), des modes de distillation (avec ou sans lies, mise au courant rapide ou progressive, repasse des secondes dans les vins ou les secondes…). La société Courvoisier a opté pour une dégustation simultanée des vins et des microdistillats, Martell s’appuie prioritairement sur la dégustation des microdistillats, Hennessy a systématisé les chromatographies après une simple distillation, et Rémy Martin conseille de déguster sérieusement les vins avant d’effectuer les microdistillations. Les conditions matérielles de réalisation des microdistillations influencent aussi fortement le résultat. La forme des accessoires de verrerie, les modes de chauffage, le déroulement du processus de distillation… peuvent aussi modifier fortement la structure qualitative des distillats, et la Station viticole du BNIC a mis en évidence le rôle déterminant de tous ces éléments. Les grandes maisons de Négoce ont transmis aux laboratoires d’œnologie de la région leur cahier des charges pour élaborer des microdistillations et des chromatographies en phase gazeuse qui correspondent à leurs attentes, et actuellement les œnologues maîtrisent parfaitement toutes ces spécificités.

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