La question identitaire
résumé – La grande distribution a tendance à retenir l’origine géographique des vins comme aide à la classification et au référencement l En conséquence, les appellations s’organisent de plus en plus en bassins géographiques l Le terme « appellation » déborde les seules AOC pour embrasser les vins de qualité dont les Vins de pays, démontrant que sémantique et économie évoluent de concert l A condition d’être organisée, l’appellation joue comme une marque l Masse critique, gamme de prix et de couleurs restent à la base d’un bon référencement
l Le vin « plaisir » assoit sa suprématie avec la formule magique : « il me plaît, il ne me plaît pas » l On ne parle plus de vin en terme de qualité œnologique mais en terme de goût l Le « poli-tiquement correct » va à l’offre spécifique, décrite comme une relation harmonieuse entre un cépage et un terroir, ce qui est une manière de redécouvrir l’AOC quand on ajoute « que c’est l’homme qui fait le vin » l Allons que diable ! Il faut donner du sens.
Comment identifier le vin, comment le rendre lisible au consommateur ? Faut-il jouer la simplification à travers le cépage et la marque ou défendre une offre spécifique, quitte à ce qu’elle soit plus sophistiquée, voire compliquée ? Une appellation (ou une dénomination) peut-elle s’imposer comme une marque ? Quid de la notion de taille critique ? Que faut-il penser du vin plaisir ? Une filière peut-elle se dispenser d’être organisée ? Autant de questions qui interpellent les acteurs des VPC mais qui constituent également des sujets de préoccupations pour les autres vignobles, quel que soit leur degré de développement, de reconnaissance ou de notoriété.
Les vins de pays charentais aujourd’hui, ce sont 1 200 ha en production. Demain, avec les 1 350 ha de plantations nouvelles déjà effectuées, ils franchiront à coup sûr le cap des 2 500 ha. A échéance 2006 une volonté politique, professionnelle et plus globale, assigne aux vins de pays charentais l’objectif de 5-6 000 ha, avec des moyens à la clé pour y parvenir (aides aux plantations, aux structures, au développement…). L’objectif sera-t-il atteint ? Bien malin qui peut répondre à cette question aujourd’hui, entre les viticulteurs « qui y croient », ceux qui n’y croient pas, les incitations et les freins en tous genres (sortie de terre des structures, rémunération, situation du Cognac, aides…). En tout cas, la responsabilité la plus élémentaire consiste à prendre en compte l’hypothèse des 5 000 ha et à anticiper ses conséquences. Une telle superficie représenterait la production de 400 000 hl vol., soit presque l’équivalent d’un vignoble comme celui de Bergerac. Si, aujourd’hui, les vins de pays charentais peuvent se contenter d’un marché de proximité qui les fait honnêtement vivre, demain, plus question de se limiter à de telles perspectives. Ce qui fait dire à Roger Girard, président de VCS (Coopérative des Vignerons des Côtes de Saintonge), qu’une vision égoïste des choses, du côté des anciens producteurs en tout cas, consisterait à maintenir les vins de pays charentais à leur niveau actuel. Mais tel n’est pas le cas. Il faut donc se mettre en posture de gérer, même virtuellement, 400 000 hl de production. C’est là que la question : « A quelle maison j’appartiens ? Quelle est mon identité ? » prend tout son sens. Comment les autres régions viticoles abordent-elles cette interrogation quasi métaphysique ? C’était un peu l’objet du voyage d’étude que de le savoir. Les vins entre Garonne et Pyrénées – Buzet, Plaimont, Fronton… – offrent à cet égard un bon poste d’observation, enserrés qu’ils sont entre « la figure du commandeur » bordelais et le « ventre mou » du Sud-Ouest. D’un côté, il y a l’ombre portée de Bordeaux, écrasante, et de l’autre une constellation de micro-appellations d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées (une centaine entre AOC, VDQS et vins de pays), pouvant donner l’impression d’une offre brouillée sinon bavarde. Dans ces conditions, comment exister « tout de même », question qui n’est pas loin de renvoyer à celle du « comment exister déjà ? » des vins de pays charentais.
Pour ces vins qui « roulent les r », le premier réflexe ne serait-il pas de se raccrocher à l’image de Bordeaux ? Si l’on y regarde bien, Bordeaux reste le seul mot porteur au plan international pour cette partie du vignoble français. Qui plus est et malgré une image quelque peu écornée, Bordeaux représente toujours « la » référence mondiale en matière de vin. D’où une tentation bien légitime de capitaliser sur ce nom. « Plus facile sur le papier que dans la réalité » diagnostique Pierre Cambar, directeur du Conseil régional des vins d’Aquitaine, précédemment directeur du Syndicat des Bordeaux supérieurs. Le vignoble de Bordeaux n’est certainement pas prêt à partager les bijoux de la couronne et les autres vins à jeter aux orties une identité même fragile au nom d’une efficacité encore à démontrer. Même appréciation de Roland Feredj, directeur général du CIVB qui se voit « archevêque de Bordeaux » avant que Bergerac, pourtant souvent cité comme « satellite » de Bordeaux, intègre l’appellation. « Bergerac, note-t-il, a développé une stratégie de communication très intelligente qui consiste à se présenter comme « l’autre vignoble commençant par un B. » C’est l’application de ce que l’on appelle en économie la théorie du passager clandestin, qui consiste à tirer avantage d’une situation sans en avoir les inconvénients. » Mais faut-il encore que « le passager clandestin » soit identifié par le consommateur. Que se passe-t-il quand la notoriété est chancelante, a du mal à s’affirmer ? De tout temps, on avait dit aux vins d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées qu’ils étaient « le reste », « les appellations qui ne s’appelaient pas Bordeaux ». Crise identitaire garantie.
Vins du sud-ouest : un signe de reconnaissance
En 1989, alors que quelques pépites commencent à émerger en leur sein – Buzet, Duras… – ils décident de partir à la recherche d’un signe de reconnaissance à l’adresse de la grande distribution France, là où se vendent 70 % des vins. Le concept « Vins du Sud-Ouest » s’impose très vite à eux. Il a le mérite d’exister, il renvoie à l’origine géographique des vins, il véhicule des valeurs d’accueil, d’hospitalité, de bien vivre. « C’est peut-être idiot comme concept mais on n’a jamais trouvé plus intelligent » résume Jack Verdier, directeur de la cave coopérative de Fronton. Là où le mot AOC évoque aux yeux des consommateurs « au mieux un parti politique au pire un médicament » (enquête de reconnaissance conduite tous les quatre ans par l’INAO), l’indication géographique renvoie aux vacances, à la maison de la belle-mère… Le succès des 120 ou 130 dénominations de vins de pays s’est forgé sur de tels ressorts. Dix ans après, les résultats semblent donner raison aux 16 appellations (AOC, VDQS) et satellites qui se sont fédérées au sein du GIE « Vins du Sud-Ouest », un GIE appuyé à l’association interprofessionnelle CIVSO (Conseil interprofessionnel des vins du Sud-Ouest). Avec un potentiel de départ de 2-3 millions de cols, le GIE permet d’écouler aujourd’hui 14 millions de cols, grâce à une organisation qui s’apparente à – un acheteur, une entreprise, une logistique – sans rupture entre les différentes phases. Alors que le GIE ne vend rien, il permet à deux commerciaux d’aller négocier pour le compte de tous les autres, une fois par an, avec les représentants des cinq enseignes nationales. Mieux : il a contribué à la montée en gamme de l’ensemble. Conformément à l’idée de départ, le concept « Vins du Sud-Ouest » fonctionne comme une aide à la classification et au référencement auprès de la grande distribution. Car, en GMS, le linéaire vin s’organise de plus en plus en bassins géographiques – vins du Languedoc-Roussillon, de la Vallée du Rhône, du Sud-Ouest, des Corbières, de Provence – et les appellations ont tendance à jouer comme autant de marques commerciales aux yeux des clients (Alsace, Bordeaux, Bourgogne…). Si les appellations « VSO » n’ont pas vocation à être toutes présentes en même temps sur les linéaires, elles possèdent ensemble la masse critique, la gamme de prix et de couleurs de vins, cette palette de choix que s’attend à trouver tout acheteur de la grande distribution. « Un jour, il faut bien faire le choix entre exister tout seul ou avec les autres » disent les gens de cette région habituée à « jouer collectif ». Que pèserait Irouleguy et ses 30 000 hl de production face aux cinq enseignes de la GD ? De quelle visibilité disposerait la plus petite appellation de France (Estaing, 14 ha, 700 hl, près de Rodez) ? Comment s’organiserait la mosaïque d’appellations du Sud-Ouest que 500 km séparent du nord au sud et qui, regroupées, pèsent moitié moins que Bordeaux ?
Des périmètres face à la grande distribution
« Notre force, c’est d’avoir défini des périmètres face à la grande distribution » relève Bernard Bonnet, président de l’Union de producteurs Plaimont. Les appellations de tête, celles qui tirent le GIE, se nomment Gaillac, Madiran, Saint-Mont, Fronton, Tursan, Jurançon ou Irouleguy, le vignoble basque. Un regret hante les promoteurs de VSO : celui de n’avoir pu encore attirer dans leurs rets deux locomotives du Sud-Ouest : Buzet et Duras, deux appellations parmi les premières de la jeune génération des AOC du Sud-Ouest à s’être structurées, qui, paradoxalement, ont ouvert la voix à VSO. Si les parrains de VSO s’écoutaient, ils ajouteraient à leur liste une troisième appellation, Cahors, la « perle » du Sud-Ouest, la référence « historique », capable de soutenir la comparaison avec Bordeaux. Jack Verdier, directeur de la cave coopérative de Fronton et l’un des chevilles ouvrières du GIE, n’abandonne pas l’idée de voir ces appellations rejoindre un jour la « grande famille des vins du Sud-Ouest », même si ses propos sont empreints d’un grand réalisme et de pas mal de modestie : « Elles ont tout intérêt aujourd’hui à garder un grand pied à Bordeaux et un petit pied chez nous. D’une certaine manière cela nous embête. On préférerait qu’elles aient les deux pieds chez nous. Nous sommes prêts à leur dérouler le tapis rouge. Voilà dix ans que nous y travaillons et nous n’avons pas réussi. Peut-être y a-t-il un déficit de maturité, chez elles comme chez nous. Peut-être n’avons-nous pas atteint le degré suffisant pour les accueillir au niveau où il faut les accueillir ? » Ces quelques phrases toutes simples découvrent l’infini complexité qui entoure toute stratégie d’image, et encore plus, toute stratégie d’image dans l’union. A qui profite l’union ? Une question qui n’est pas loin d’évoquer les propres interrogations de Buzet quant à son avenir.
Buzet : la vie en « rose »
Si elle le voit « rose », l’appellation est tout de même consciente d’être arrivée à un palier, entre une qualité jugée satisfaisante, à quelques produits d’exception près, et des quantités qui ne peuvent progresser qu’à la marge, compte tenu de l’attribution homéopathique des droits à produire. Le développement ne peut donc être que structurel. « On cherche des mariées » résume-t-on à Buzet. Quant au « profil de la mariée » il a du mal à se dégager, pour des raisons complexes d’identité, de représentation et d’image. En gros, faut-il aller chercher « la mariée » très loin ou chez le voisin ? Le premier réflexe serait celui de proximité « en intégrant la difficulté qu’il y a à se marier à un voisin » et si, un temps, la cave n’avait pas exclu d’investir au Chili, il semble qu’elle en soit revenue. Voilà le type d’arbitrage dans lequel se débat l’appellation actuellement, qui brasse des notions complexes d’identité, de représentation et d’image.
L’attente du consommateur vue par un spécialiste, Yves Grassa
Dans la réflexion sur l’identité, une composante essentielle tient à l’attente du consommateur. Quelles que soient les structures visitées – caves de Buzet, Plaimont, Fronton, château Tariquet – sont revenues en boucle trois expressions récurrentes : vin « plaisir », offre « simple », et, ce qui peut paraître plus contradictoire, offre « spécifique ». Question : peut-on être simple et « spécifique » à la fois ? C’est Roland Feredj, du CIVB, qui s’est chargé de répondre le plus complètement à cette question, et de manière convaincante si l’on en croit les réactions positives du groupe de viticulteurs charentais (voir encadré page 26).
Si vous voulez de l’image, vous allez en avoir ! C’est le message – simple celui-là – que semble renvoyer de prime abord Yves Grassa, le charismatique propriétaire de château Tariquet, qui gère la production de 600 ha de vignes entre Eauze et Condom. Un chapeau à la « Crocodile Dundee », des bottes blanches de poussière, une barbe de deux jours, du « coffre », l’homme ne laisse pas indifférent. Impression renforcée par la visite au pas de charge, dans la pénombre d’une glaciale soirée de novembre, d’installations dimensionnées aux volumes traités mais dont toute trace de superflu est bannie. En cas de glissade, ne comptez pas trop sur la rampe pour vous rattraper ! Pourtant, au fil de la visite, le discours se fait moins mécanique, le débit ralentit, la passion affleure, transformant ce baroudeur des collines du Gers en vrai seigneur du vin. Depuis 20 ans, quel viticulteur n’est pas venu communier au moins une fois dans ce temple de l’assemblage des Ugni blanc et des Colombard, rejoints depuis par les Sauvignon et les Chardonnay. En 1987, Y. Grassa fut élu meilleur vinificateur en blanc du monde, ce qu’il n’omet pas de rappeler. Le propriétaire de château Tariquet se fait le chantre du vin « plaisir », une notion toute droite héritée de ses nombreux voyages dans les deux hémisphères. A l’écouter, ce vin « plaisir » acquiert une autre dimension, quasi naturaliste au sens philosophique du terme, celle d’un vin (et d’une vigne) respectueux des rythmes biologiques. Son credo : ne pas « stresser » la plante, préserver les équilibres… Un discours « new age » ouvertement séducteur. En même temps, il est peut-être à la base de la formidable réussite de château Tariquet, mélange détonant de la communication la plus pointue et du respect de quelques principes têtus et originaux, quasi à contre-courant. Par un calcul bien compris, Y. Grassa personnalise à extrême son vin – « c’est l’homme qui fait le vin » – en ce qu’il doit tout à son propriétaire (et à l’équipe de vinificateurs volants venus d’Australie ou de Nouvelle-Zélande), mais c’est au prix d’une personnalité hors du commun. On ne vend pas 6 à 7 millions de bouteilles par an, on ne décroche pas quelques-unes des plus grandes récompenses internationales par la simple opération du hasard et du marketing.
Vins « culture », vins « plaisir »
« Les vins qui ont de l’avenir demain, défend le propriétaire de château Tariquet, ce sont les vins « culture », les vins « plaisir », vendus entre 50 et 80 F la bouteille. A Vancouver, en avril dernier, lors du Challenge international des vins, notre Sauvignon était à 16-17 $ (150 F) et celui de Mondavi à 34 $ la bouteille. Notre devoir consiste à être à l’écoute de ces tendances, sans se prostituer. Les AOC correspondent à une approche typiquement française, fondée sur un terroir, des cépages, des vignerons. L’approche anglo-saxonne privilégie un homme, des cépages et des terroirs, quel que soit l’endroit dans le monde. Quand un Anglo-Saxon ouvre une bouteille, sa question est simple : j’ai du plaisir, j’ai pas de plaisir ? Il peut rajouter : j’ai du plaisir et en plus, cela ne me fait pas trop mal au portefeuille. Aujourd’hui, on en est là. Il existe de super-vinificateurs dans le monde, australiens, néo-zélandais. Ils prennent une paire de bottes, des jeans et s’investissent dans le chai, rentrent dans les pressoirs. Le meilleur œnologue de Bordeaux se fait « planter » par un banal problème de vaisselle vinaire. La résistance de la chaîne dépend du maillon le plus faible. La France dispose d’un patrimoine viticole fabuleux mais ne l’exploite pas à sa juste valeur. Et puis il y a cette p… d’image des vins de table. Ailleurs, l’on ne s’embarrasse pas de telles catégories réglementaires. Les « trucs » les plus ordinaires se vendent 30 à 50 F la bouteille, jouissent d’une bonne image et prennent des parts de marché. Derrière, les entreprises ont les moyens d’occuper le terrain, de dégager de l’argent et d’éduquer le consommateur. Nous, nous survolons le terrain du haut d’avions de chasse et notre viticulture souffre. » Rejoignant le propos d’Yves Grassa, Olivier Cabirol, le jeune directeur du Syndicat des Vignerons des Côtes du Frontonnais et Jack Verdier, directeur de la cave coopérative de Fronton, parlent eux aussi du vin plaisir et de la formule magique : « j’aime ou j’aime pas. » « On évoque souvent le rapport qualité/prix. C’est un jargon de producteur. Le goût a évolué. Il n’y a pas très longtemps, le goût, c’était la qualité que voulait bien offrir le producteur. Aujourd’hui le goût s’est affranchi du type, de la catégorie du vin. C’est la facilité, le plaisir qu’il y a à le consommer. On ne parle plus des vins en terme de qualité œnologique mais en terme de goût. »
Un raisonnement par bassins de production
« Il faut être basique avec le consommateur ». Bernard Bonnet, président de l’Union des producteurs de Plaimont, se veut réaliste : « Le monde n’est pas tel que l’on voudrait qu’il soit. » En même temps, il redoute les conséquences d’une vision trop industrielle des choses. Car qui dit produit « industriel » dit distribution par les grandes marques et risque d’évolution vers un vin qui ne serait plus que l’otage d’un système. Il en conclut provisoirement à la difficulté d’adapter des logiques agricoles à des logiques de distribution industrielle. Se gardant bien de confondre approche AOC et approche vin de table/vin de pays, il en vient à souhaiter un toilettage des AOC, tâche relevant de l’INAO et un raisonnement par bassins de production pour les vins de pays, au moins pour attaquer le grand export. Par exemple, il verrait bien un ou deux vins du Sud-Ouest s’allier à un Côtes-du-Rhône, un Bourgogne et un Bordeaux pour aller prospecter les Etats-Unis. « Nous n’y sommes pas » regrette-t-il simplement. Le même pointe le côté incessible de la marque pour des unités comme la sienne. Trop chère, trop compliquée à mettre en œuvre. « Les entreprises de Champagne investissent 15 % de leur marge dans le budget marketing et les vins du nouveau monde 30 %. » Question du président de Plaimont : « Est-on prêt à amputer 30 % de notre marge dans des budgets dont on n’est pas sûr qu’ils nous aideront à “dépoter des caisses” » ? A moins d’un million de francs tu n’as rien et à un million de francs pas grand-chose. « Les vraies marques s’appellent Coca-Cola ou Nike. Elles sont mondiales. Avec Colombel, notre marque des Côtes de Saint-Mont, pesant 3 à 4 millions de cols sur le marché français, nous n’existons pas. » Il s’en console d’ailleurs assez facilement en étant convaincu « qu’à condition d’être structurées, les appellations jouent le rôle de marques ». Et dans sa bouche, le terme appellations vaut aussi bien pour les catégories Vins de Pays ou VDQS.
Une logique de commercialisation
« Sortez de votre tête une logique de producteurs » exhorte-t-on partout et en tout lieu. « C’est la logique de la commercialisation qui doit primer. » En d’autres termes, il faut produire ce que les consommateurs attendent. A ce propos, B. Bonnet rappelle ce qui a fait l’une des forces de Plaimont et son image de marque au sein du monde viticole : le fait de contraindre l’adhérent de base à aller au contact du consommateur une journée par ha et demi, soit, pour une exploitation de 15 ha de vignes, 10 jours par an, tous frais payés. « J’y vois plusieurs vertus relate le président de Plaimont : accepter les contraintes techniques comme autant d’autodisciplines, produire le bon produit et mieux comprendre les éléments de la rémunération. Cela évite d’avoir en face de nous des gens qui ne bougent pas. » A l’adresse de charentais soupçonnés de désamour avec leurs vins blancs de bouche, les gens de Fronton leur soufflent dans l’oreille que le vin blanc est réputé vin d’initiation. Ils mettent également en garde contre une vision de niche. « Votre marché, c’est le monde. » D’où tirent-ils cette conviction ? Du fait que, quand il y a crise, la concurrence a tendance à coloniser toutes les strates, y compris sur les marchés de niche. A Fronton, les mêmes qui assument la mondialisation vantent les mérites de la spécificité. A les écouter, le petit vignoble aux portes de Toulouse (110 000 hl vol., VDQS depuis 1947, AOC depuis 1975) a été sauvé par la Négrette, cépage local qui intervient pour au moins 50 % de l’encépagement. Les stratèges de l’appellation parlent d’un « goût spécifique », fruit de l’adéquation terroir/cépage. La Négrette ne présente pourtant pas que des avantages. Le cépage est acide, la pellicule de la baie très fine. « Il nous a fallu du temps pour apprendre aux producteurs à tirer la quintessence du cépage. L’appellation avait trop longtemps souffert d’un manque de fierté. » L’exemple n’est pas non plus reproductible à l’infini. « Il faut redoubler d’effort auprès du consommateur dont le goût est formé aux quatre-cinq grands cépages. Il ne peut s’agir que d’une stratégie de niche. » Cependant, ils n’en démordent pas : la foultitude des cépages locaux a fait la spécificité des vins du Sud-Ouest et pour finir leur réussite. » Et de s’interroger : « existe-t-il un goût Charentes ? »
Rolan Feredj : la sensibilité AOC
Manifestement c’est avec un œil critique que Roland Feredj a lu le rapport Berthomeau et les différentes études émanant de l’ONIVINS. Il a des paroles définitives à leurs propos et son intervention a pris par instant valeur de discours-programme, notamment lorsqu’il a souhaité une gestion régionale de la filière vin qui remettrait en cause les catégories réglementaires. A travers lui, c’est sans doute une certaine sensibilité de la viticulture française qui s’exprimait. Les viticulteurs charentais, bien que ne faisant pas – encore – partie du club des AOC pour leurs vins, s’y sont apparemment reconnus.
Roland Feredj : « notre offre n’est pas disqualifiée »
« D’une façon générale, a dit R. Feredj, ces études sont menées de façon très sérieuse mais leurs conclusions paraissent orientées et peu dignes des enjeux. » L’ire du représentant des vins de Bordeaux tire sa source d’un appel à la simplification de l’offre jugée excessive. « Aujourd’hui, il est de bon ton de dire que nos vins sont trop chers, trop compliqués et, de manière générale, indignes de leur réputation. On use et abuse de l’expression « vins du nouveau monde », comme pour souligner la ringardise de nos vins. Ces présupposés n’ont aucune justification. Certes, nous observons une augmentation de la production mondiale et une baisse de la consommation. Mais être à ce point à cheval sur le problème des volumes produits montre que nous avons intégré l’idée que le vin est une matière première au même titre que les céréales ou la viande. Avec les vins dits « du nouveau monde », nous nous battons sur les mêmes créneaux, les mêmes segments. Si nous avons les mêmes armes (uniquement les marques et les cépages), seul le prix comptera. Par conséquent, le discours est simpliste que celui qui consiste à dire que notre offre, parce qu’elle est spécifique, est disqualifiée. Il y a donc un enjeu stratégique pour les vins français à s’inscrire dans une stratégie de l’offre et non dans une stratégie de la demande. En revanche, une offre spécifique a besoin de moyens financiers pour être connue. Il est sidérant de constater que l’aide publique est de l’ordre de 50 millions de francs pour la promotion d’une viticulture qui représente 50 milliards de chiffre d’affaires et que l’Etat n’hésite pas à promettre 400 millions de francs pour financer des distillations sans contreparties structurelles. De même il est sidérant de constater à quel point les prélèvements de toutes sortes qui accompagnent les boissons alcoolisées ne sont utilisés ni pour la promotion de nos produits ni d’ailleurs pour la moindre action de prévention et d’éducation des jeunes. Face à des consommateurs hyper-sensibilisés aux préoccupations d’ordre esthétique, identitaire, il y a après tout dans le concept d’AOC ou de Pays, une référence à un terroir, à une histoire, à un savoir-faire, à une traçabilité qu’il nous appartient de transformer en atouts marketing alors qu’ils doivent être conquis à coups de millions de dollars par nos concurrents. Il y a vingt ans, le péril japonais était annoncé comme inéluctable et la mort de notre industrie programmée. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas de péril mais un marché ; il n’y a pas de modèle mais des réalités. Il y a une objectivité de la production viticole en France. Elle ne peut vaciller sous les coups de boutoir de la concurrence et se sauver en singeant un quelconque modèle. On assiste actuellement à une formidable mutation du négoce et de la viticulture française, par une internationalisation pour les uns, un renforcement des exploitations pour les autres qui s’opère selon un rythme somme toute assez satisfaisant. Aujourd’hui, il faut des marques mais on ne peut pas rester dans une seule logique de marque. Une marque qui marche est une marque qui est devenue internationale et qui ira donc s’approvisionner là où la matière première sera moins chère. L’avenir de la viticulture n’est pas de faire de la matière première.
Une question mérite d’être posée aux stratèges qui, ici ou là, réfléchissent à l’avenir de notre filière : quelle est la politique viticole française ? La question se pose car au plan communautaire nous connaissons la réponse. La viticulture fait partie de l’agriculture alors qu’elle serait aussi bien à l’artisanat ou au commerce ; l’agriculture fait partie de la PAC et la PAC ennuie tout le monde. Nous assistons donc à une tentative de re-nationalisation de la Politique Agricole Commune au gré des intérêts et des pressions, qui n’éclaire pas particulièrement les débats. Dans les faits, il n’y a pas de politique viticole avec des objectifs, une stratégie et des moyens et c’est la cause du désarroi de nombreuses régions ou de nombreux professionnels. La globalisation des échanges devrait nous conduire à nous spécialiser dans des produits à haute valeur ajoutée. A un moment où, aidée par la Communauté européenne, des pays en voie de développement ou d’autres décident de se lancer dans une production de masse, la question se pose de savoir dans quel segment de marché la France entend jouer et ce ne peut-être celui-là. Comme souvent, nous ne choisissons pas, nous arbitrons des rivalités interrégionales ; les fonds publics servent à dénouer d’éventuels conflits locaux et non à investir sur l’avenir. Il n’y a pas de politique non plus parce que les catégories réglementaires françaises n’ont plus beaucoup de pertinence face à la concurrence. Aujourd’hui, nous pouvons perdre des parts de marché contre des vins de pays de qualité, voire des vins de table et chacun sait que le consommateur ne boit qu’une fois. Cette façon d’ordonner la production autour de textes administratifs se traduit par une organisation inefficace au sein de nos bassins de production et d’emploi, voire même au sein des organisations professionnelles. Or aujourd’hui, alors que les régions existent aux yeux de l’Etat et davantage encore de Bruxelles, il serait temps de gérer la ressource viticole et ses ambitions au sein de ces entités. Pour quelles raisons une région défendrait-elle ses industries et devraient-elles se soumettre à des arbitrages complexes chaque fois qu’il s’agit de viticulture ? On peut dire de la viticulture française qu’elle est un géant économique et un nain politique. »
Revenant à des réalités plus proches du terrain, R. Feredj a dit aux Charentais que si leur projet consistait à faire émerger un secteur dynamique en s’appuyant sur des ressources locales, une organisation ad hoc et des aides, leur problématique n’était pas très différente de celle des AOC. « Toutes les régions viticoles françaises se posent la question de savoir où elles vont et comment. » « Chacun a sa chance sur les marchés. En revanche, il faut se doter d’une organisation structurée, avec des droits et des devoirs, faire preuve de la cohérence indispensable et surtout produire du contenu, du sens. Votre région à une histoire, une identité. Le Cognac jouit d’une réputation internationale. Le Pineau fait bien le lien entre le Cognac et le vin. Il n’est donc pas invraisemblable de penser à une stratégie de communication, soutenue par le tourisme régional, qui s’appuierait sur un effet de gamme cohérent, accessible, d’un bon rapport qualité/prix. Même si l’on ne peut pas indiquer « Vins de pays de Cognac », il s’agit d’une réalité, Cognac est en Charentes. Les vins de pays charentais ne doivent pas être un énième vin de pays mais une aventure humaine authentique, au bénéfice de la viticulture et du négoce local, avec du sens. Vous ne gagnerez que si vous y croyez. » A un hypothétique rapprochement des vins de pays charentais avec un bassin de production comme Bordeaux, le directeur du CIVB n’y voit aucune espèce de logique. « Vous seriez écrasé par Bordeaux et n’en tireriez aucun bénéfice. Voyez Buzet, il bénéficie d’une identité extraordinaire, Irouleguy est un modèle de réalisme, Madiran manque de vin. Je ne crois pas une seconde à la stratégie d’un Vins de Pays de France. On vend un vin de Bordeaux, un vin de Bourgogne… On achète du vin parce qu’il est bon mais aussi parce qu’il a une histoire à raconter, sur laquelle communiquer. On ne peut pas réinventer, révolutionner le vin. Il faut y mettre autre chose. »
0 commentaires