Vins de liqueur : Baisse des taxes « Il s’en est fallu de peu »

31 janvier 2011

La Rédaction

Dans leur combat contre la discrimination fiscale, les vins de liqueur AOC ont failli l’emporter fin 2010. Ils n’avaient jamais été aussi près du but. Mais le soutien du Gouvernement n’a pas suffi. D’autres barrières se sont levées pour éloigner la victoire. Récit d’une défaite, d’autant plus cruelle que vécue comme injuste par la filière Pineau des Charentes. Dur, dur de laver son linge fiscal en famille, entre le Cognac et les autres spiritueux.

baudry.jpgVoilà 25 ans que dure la bataille fiscale du Pineau des Charentes et des vins de liqueur AOC* pour obtenir une taxation plus douce et plus juste. Le Gouvernement a mis plusieurs fois la main à la poche pour accorder des aides compensatrices mais jamais, au grand jamais, il n’avait été aussi loin. Cette fois, c’était différent. L’Etat s’attaquait carrément au Code général des impôts, peut-être sous l’effet de la discrimination criante introduite voilà quelques années par les vins aromatisés. Ces derniers, par un tour de passe-passe technologique, sont aujourd’hui taxés au tarif des vins. Quoi qu’il en soit, un amendement, rédigé par le cabinet du ministre du Budget, se proposait d’inclure dans la loi de finances 2011 un article additionnel (article 40 bis). Cet article se proposait de réduire de manière substantielle la fiscalité des vins de liqueur. Il était prévu qu’elle passât de 223,29 € l’hl vol. à 180 € l’hl vol., soit une baisse de 40 cents par bouteille, une somme non négligeable. Pour faire bonne mesure – et s’assurer du soutien des élus méridionaux – la fiscalité des vins doux naturels diminuait dans les mêmes proportions : de 56 à 45 € par hl vol. Mais comme, en matière fiscale, toute baisse doit d’être compensée par une rentrée équivalente, l’Etat envisageait d’augmenter d’1,3 % (6 cents par bouteille) les droits sur les boissons spiritueuses vendues en France (Whisky, Cognac, Armagnac, Vodka, boissons anisées…). Aurait-il pu faire autrement que de relever – très légèrement – la taxation des spiritueux ? « Pas sûr » estime un bon connaisseur du dossier. « En choisissant une telle option, le Cabinet a plutôt procédé par élimination. Augmenter la fiscalité des Vins Doux Naturels ? Impossible. D’ailleurs, le fond de l’amendement consistait à réaménager la fiscalité des produits intermédiaires. Et puis, cela fait longtemps que les VDN ne sont plus vraiment nos concurrents. Augmenter la fiscalité des vins aromatisés ? Cela aurait demandé une modification législative alors qu’un gros chantier communautaire s’ouvre sur le sujet. Le Gouvernement n’avait peut-être pas envie non plus d’affronter des groupes plutôt costauds. Augmenter la fiscalité des vins ? Le ministre du Budget se serait mis à dos tous les bassins viticoles français. Ne restaient que les spiritueux. »

Déposé en première lecture au Sénat par les sénateurs de Charente-Maritime – Laurent, Doublet, Belot – le projet recueille une majorité de voix au Palais du Luxembourg, tous bords politiques confondus. Le vote a lieu le 24 novembre 2010 et, d’un coup, les vins de liqueur se prennent à y croire. La victoire couronnerait 25 années de lutte syndicale ; autant dire le combat d’une vie. Mais l’adoption définitive du texte est sous-tendue à une ultime étape, celle du vote de la Commission mixte paritaire (CMP) Assemblée nationale/Sénat. Comme son nom l’indique, la commission se compose à parité de députés et de sénateurs. Et là, patatras ! Le lundi 13 décembre, à l’occasion d’une sous-commission de travail, la CMP rejette la proposition d’amendement. Certains députés auraient voté contre. Lundi noir pour les vins de liqueur AOC en général et pour le Pineau en particulier. Immense déception dans les rangs. « On y a cru » reconnaissent, émus, des membres de la filière.

travail de lobbying

lacarriere.jpgComment expliquer une telle défaite, si près du but ? Sont évoqués en vrac une méconnaissance du dossier de la part de certains élus, une opposition doctrinale à toute baisse de fiscalité sur les alcools et même « un règlement de compte politique ». Mais la raison essentielle tient semble-t-il à l’intense travail de lobbying exercée par les spiritueux, tant du côté des entreprises que du syndicat qui les défend. Ainsi, un groupe comme Pernod-Ricard se serait beaucoup dépensé pour empêcher l’adoption de l’amendement. Quant à la Fédération française des spiritueux (FFS**), l’organe représentatif des spiritueux en France, elle ne le nie pas. Elle est montée au créneau, pour faire entendre sa voix auprès des parlementaires et/ou des groupes politiques. « Nous ne remettons pas en cause le combat des vins de liqueur. Il est légitime. Mais nous avons trouvé totalement injuste que les spiritueux soient pris en otages » explique Marie-Delphine Benech, directeur général de la FFS. « La solidarité bien comprise, poursuit-elle, eut consisté à ce que les vins de liqueur s’interposent à cet amendement. » Et de poursuivre : « La filière des spiritueux supporte déjà 80 % de la fiscalité des boissons alors qu’elle ne représente que 22 % de la consommation. S’il fallait trouver une compensation, la profession entière aurait dû se mettre autour de la table pour en discuter. » Président de la FFS, Jean-Pierre Lacarrière (groupe Rémy Cointreau) ne dit pas autre chose : « C’était d’une injustice rare que de compenser la baisse des vins de liqueur par une hausse des spiritueux. N’oubliez pas que notre syndicat, à 90 %, se compose de PME, producteurs de liqueurs, de Cassis de Dijon, d’eaux-de-vie de fruits. Pour ces entreprises, la hausse fiscale eut été très pénalisante. Si l’on veut régler le problème fiscal de manière juste et durable, notre syndicat préconise depuis des lustres d’appliquer une fiscalité au degré d’alcool, la seule manière pour que les consommateurs comprennent clairement la taxation. »

« se parler entre nous »

Au détour d’une phrase, J.-P. Lacarrière passe du fond à la forme. « Il aurait été plus efficace de se parler entre nous, avec le Pineau. Nous n’aurions pas été confrontés à un tel désaccord. » A Cognac, il faut dire que le sujet est revenu en boucle, tel une antienne. Pour résumer, le Pineau serait accusé « d’avoir pris le Cognac en traître » en ne le prévenant pas du projet qui était en train de se tramer. Il aurait fait cavalier seul et pousser ses feux sans ébruiter l’affaire. « Faux » rétorque le Pineau. « Le président du BNIC et le chef de famille du négoce furent informés du projet d’amendement un mois avant son passage devant les sénateurs. » Mais la vérité commande de dire que cette information fut transmise en aparté, lors d’un échange informel. Elle n’a pas fait l’objet d’une communication officielle devant une assemblée ad hoc, comité permanent du BNIC ou, mieux encore, Fédération des interprofessions du bassin des Charentes. Ainsi, les représentants du Pineau sont frontalement accusés d’avoir été « mauvais joueurs ». « Ils en ont pris plein la tête » confirme un témoin.

La filière Pineau n’est pourtant pas loin de penser qu’il s’agit-là d’un mauvais procès, totalement dénué de fondement et surtout de bonne foi. « C’est de l’intox ! » « Quand nous avons informé nos partenaires du BNIC, peut-être n’avons-nous pas été pris au sérieux ? Depuis 25 ans, qui se soucie du combat du Pineau ? Nous sommes tellement isolés que, c’est vrai, nous avons un peu de mal à faire de notre combat une affaire collective. » La filière Pineau trouve regrettable – le mot est faible – que l’interprofession du Cognac n’est pas fait preuve d’un minimum de solidarité. « Je suis convaincu que si le Cognac nous avait un tant soit peu soutenus, cela aurait pu marcher » note un professionnel. Et de citer l’enjeu financier qu’aurait représenté, pour le Cognac, une augmentation de 6 cents par bouteille : 250 000 €. « Rien à l’échelon du Cognac ! » Et si peu à l’échelle des spiritueux. « En effet, iIs ont exagéré » estiment des observateurs. « La FFS aurait pu protester mais sans y mettre autant de zèle. » Certains expliquent cette surenchère par l’attitude un peu apathique qu’auraient observé les spiritueux il y a deux ans, lors de l’indexation de la fiscalité sur l’inflation. « A l’époque, ils n’ont pas bougé. On a pu le leur reprocher. Ils se rattrapent aujourd’hui mais de manière disproportionnée, compte tenu du très faible enjeu financier. » D’aucuns considèrent même que ce « coup de marteau pour tuer une mouche » pourrait, à terme, se retourner contre eux. « En acceptant cette petite augmentation d’1,3 %, les spiritueux donnaient des gages de bonne volonté. Ils simplifiaient la tâche du ministre du Budget. Du coup, ils auraient certainement pu s’acheter une paix fiscale pendant quelques années. Une chose est sûre ! Dans toute administration, il y a de la mémoire et le ministère du Budget n’en manque pas. »

Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut bien appeler une défaite a désarçonné la filière Pineau. « Nous sommes à un virage » avouent ses représentants. A une époque où les ventes de Pineau ne connaissent pas la même embellie que les sorties de Cognac, la profession travaillait déjà à l’utilisation du gain fiscal. « Il n’était pas question de baisser les prix de vente d’autant mais de redonner de l’argent aux entreprises, de lancer des programmes marketing et de communication. Nous avions plein de projets en tête. » Des projets renvoyés aux calendes grecques. La question du moment serait plutôt de savoir comment rebondir. Faut-il durcir le mouvement des taxes, ne pas le durcir, carrément l’arrêter ? Si la conviction des représentants syndicaux demeure intacte, quand est-il de celle des opérateurs ? Pour le savoir, syndicat et Comité national ont convoqué une réunion générale le 14 janvier à 10 heures à la Maison de la Vigne et des Saveurs, à Archiac. Sont invités tous les opérateurs – producteurs, négociants, grévistes, non grévistes – ainsi que les élus, députés et sénateurs. A cette occasion, seront certainement débattues les actions à tenir, en fonction des différentes pistes possibles (voir encadré). « Le combat est gagnable » estime Christian Baudry, le président de la CNVLAOC (Confédération nationale des producteurs de vins de liqueur à appellation d’origine contrôlée). Le leader historique de la cause fiscale des vins de liqueur prend cependant la précaution d’ajouter : « N’attendons pas de l’emporter dans 6 mois. Quand on a mis 25 ans à accomplir la moitié du chemin, il faut se montrer patient. » La moitié du chemin… En effet, avec cet épisode, la filière des vins de liqueur a quand même le sentiment d’avoir franchi une marche décisive. « Il y aura un avant et un après. » Jean-Bernard de Larquier s’en explique : « Pour la première fois, le Gouvernement a reconnu l’existence d’un vrai problème fiscal, et a tenté de le régler par un texte législatif. C’est une vraie victoire. »

* Vins de liqueur d’AOC : la catégorie compte outre le Pineau des Charentes, le Floc de Gascogne, le Macvin du Jura.
** FFS (Fédération française des spiritueux) : créé en 1996, le syndicat regroupe environ 200 adhérents, dont 80 à 85 % de PME (petites et moyennes entreprises). Parmi ses membres, figurent des « poids légers » – fabricants de liqueurs, genièvre, eaux-de-vie de fruits, crème de cassis – mais aussi des poids lourds comme les fabricants de Gin, Whisky, Vodka, Rhum, Pastis.

Produits Intermédiaires – Aménagement De La Fiscalité
Les pistes possibles
Pour régler le problème de la discrimination fiscale des produits intermédiaires, la piste de la loi de finances tient toujours la corde. D’autres solutions existent mais elles réclameront beaucoup plus de temps.
En France, c’est l’article 402 bis du Code général des impôts qui fixe la taxation des vins de liqueur et autres vins doux naturels. Vouloir aménager dans le court terme la fiscalité des produits intermédiaires passe encore et toujours par la loi de finances. Car, de par l’annualité budgétaire, la loi de finances est discutée et votée chaque année, sur proposition du Gouvernement. C’est pourquoi un revers subi une année ne présume pas du résultat ultérieur. « Dans ces matières, le monde renaît tous les six mois » relève Christian Baudry, président de la Confédération des vins de liqueur. D’où la nécessité d’avoir les nerfs solides et un certain sens de la contingence. Keep cool, restons calmes.
Sur le long terme, d’autres pistes d’aménagement de la fiscalité des boissons existent. Citons celle qui a les faveurs de la Fédération française des spiritueux : la taxation au degré. Effectivement, elle est dans les tuyaux communautaires mais ces tuyaux ont la dimension de pipelines. Avant que la proposition n’aboutisse, il s’écoulera de l’eau sous les ponts. « Pourquoi pas, répondent les opérateurs Pineau, mais à condition que cette fiscalité au degré soit elle aussi amendée, pour tenir compte de nos particularités. »
Les vins aromatisés – la catégorie des Martini et équivalents – ont su faire preuve d’opportunisme fiscal. Quand les ABV (apéritifs à base de vin) étaient renforcés à l’alcool, ils s’inscrivaient comme le Pineau dans la catégorie des produits intermédiaires. Et puis ils ont changé leur mode d’élaboration. Ils se sont enrichis par cryoextraction ou ultra-filtration en osmose inverse… et sont tombés dans la catégorie des vins. D’où une discrimination fiscale abusive avec les vins de liqueur, toujours taxés dans la catégorie des produits intermédiaires. Pour rétablir un traitement égalitaire entre apéritifs, il faudrait créer une nouvelle catégorie fiscale, par exemple celle des vins à 15 % vol. Il faudrait aussi en profiter pour diminuer la fiscalité du Pineau. La Commission européenne a été saisie du problème. Ces sujets se discutent à Bruxelles mais leur résolution prendra du temps.
Une autre piste consisterait à faire reconnaître la distillation – du Cognac pour le Pineau des Charentes, de l’Armagnac pour le Floc de Gascogne – comme un mode de concentration, au même titre que la cryoextraction ou l’ultra-filtration. Mais là aussi, il faudrait faire évoluer le règlement communautaire, avec les difficultés et le délai que cela sous-entend.
Et la grève des taxes dans tout ça ! A l’évidence, toucher l’Etat au porte-monnaie s’avère souvent un accélérateur de particules. Aujourd’hui, les vins de liqueur AOC ont deux grèves au feu. La première concerne la période 2002-2004. La grève a été arrêtée mais les fonds restent toujours en dépôt auprès de la Confédération des vins de liqueur. Il y a un an, début 2010, une nouvelle grève a été entamée. Elle demeure toujours d’actualité. Les opérateurs grévistes versent 45 € par hl vol. aux Douanes et le reste à la confédération. Certes, si l’Etat n’approuve pas cette rétention de droits, il manifeste une certaine gêne, bien obligé qu’il est de reconnaître le fond du problème. C’est pour ça qu’avec le projet de loi de finances pour 2011, il a tenté de trouver une porte de sortie. Mais la porte lui a claqué sur les doigts.

 

 

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