Que visez-vous avec ce manifeste ?
Cette « mesure » du vin qui donne le titre au manifeste, c’est à la fois la mesure de sa richesse patrimoniale, de sa culture multi-millénaire et la mesure de sa consommation, afin que le vin ne soit que bonheur, que plaisir. Nous voulions réaffirmer avec éclat cette fierté du vigneron à produire du vin. Après avoir consacré beaucoup d’efforts à répondre aux attaques, il nous semblait que le temps était venu de tenir un discours positif de valorisation. Sans ignorer pour autant les problématiques posés par les abus. C’est pourquoi le manifeste, signé par des centaines et des centaines de personnes de la « société civile », propose également aux producteurs un mémento « Vin & Santé ». Ce mémento synthétise les dernières études en la matière. Il donne des éléments argumentés pour prôner une consommation responsable du vin.
Vous évoquez la fierté à produire du vin. Pensez-vous que cette fierté soit entamée ?
Je ne sais pas mais il est bon de rappeler combien ce produit est merveilleux et pourquoi la filière doit être si fière de le produire. Il n’y a pas les gentils d’un côté, qui s’occupent de la santé des gens et les méchants de l’autre qui s’emploient à la détruire. Nous, vignerons, avons un discours clair à tenir là-dessus. Tout est affaire d’équilibre. Je suis née dans une région viticole – l’Arbois dans le Jura – où mon père me disait régulièrement : « Le vin c’est comme l’aspirine. On prend un cachet, on est guéri ; on prend la boîte, on va à l’hôpital. » Nous vivons dans une société qui souhaite courir de moins en moins de risque. Le risque doit être absolument maîtrisé. Par ailleurs, les exigences de santé sont différentes de celles d’il y a 50 ans. Ce discours, nous devons l’entendre, sans pour autant construire une société hygiéniste, « un monde qui n’existe pas ». Il est clair que nous ne vendons pas un vin médicament et que les abus nous nuisent, gravement. Mais le vin n’est pas non plus le poison que d’aucuns décrivent. Nous avons intérêt à valoriser le vin, à concilier cette valorisation avec une consommation large et respectueuse du produit. A ce titre, le discours sur le vin et la santé est central. Nous avons besoin de communiquer mais nous manquons souvent « d’éléments de langage ». Les vignerons ne savent pas trop comment s’y prendre. C’est l’un des objectifs de Vin & Société de les aider à trouver les mots justes, les références solides. L’association a créé depuis un peu plus d’un an un poste scientifique, pour mieux cerner les études des chercheurs, les synthétiser tant sur les aspects biologiques que comportementaux. A travers le manifeste, on parle aussi beaucoup du vin comme produit de culture.
Qu’entendez-vous par là ?
Notre filière est une filière très humaine. C’est cette humanité qui englobe la responsabilité. Je crois qu’individuellement, nous vivons tous cette réalité de l’intérieur. Avec le manifeste, nous essayons juste de le proclamer à l’extérieur. Le vin a une histoire vieille de plusieurs millénaires et qui se prolongera, je l’espère, dans les prochains millénaires. Le vin est étroitement lié à la nature. Il n’y a pas produit plus proche de la nature. Imaginez qu’il est possible de distinguer entre des terroirs distants d’à peine 100 mètres. Il n’existe aucun autre produit qui développe un tel lien avec le sol, le climat. C’est une donnée qu’il faut transmettre au consommateur. Comme il faut lui dire que le vin est un produit qui a besoin de temps pour s’élaborer et qui réclame aussi de temps pour être bu. Le binge drinkink, l’alcool défonce, ne fait pas partie de notre univers. C’est antinomique. Le vin est un produit qui éveille les sens, la vue, l’odorat, le goût. Et même le toucher. Ne parle-t-on pas du « gras » du vin. Un vin se « mâche ». Non vraiment, il n’y a pas de produit qui éveille autant les sens. En dégustation, tous les produits essaient de nous imiter. Le fromage de Comté n’a-t-il pas créé sa « roue des saveurs ». Au fil du temps, notre filière a éduqué le consommateur. Nous avons fait de la prose sans le savoir. Apprécier le produit, c’est apprendre à le consommer. Et pourtant, malgré tout, la France est allée très loin dans le rejet de nos produits, avec par exemple des hommes politiques hésitant à se montrer avec un verre de vin. De telle frilosité n’existe pas outre-Atlantique. Qui n’a pas vu l’image de Barack Obama un verre de bière à la main. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour retrouver le chemin de la fierté. En même temps, il y va de notre responsabilité, nous producteurs, de nous exprimer sur une consommation plaisir, par essence mesurée.
Entre le vin et la « société civile », le dialogue est-il plus facile aujourd’hui ?
Je l’espère, même s’il y a encore des idéologues qui essaient de nous éradiquer. Avec les parlementaires, nous avons créé une zone de discussion qui est le Conseil de modération et de prévention, afin que les positions divergentes puissent se confronter. Son fonctionnement n’est pas toujours facile. Des gens sont encore totalement hermétiques mais je pense que nous faisons des progrès. Cette structure a le mérite d’exister. Sur nombre de questions « sociétales », les pouvoirs publics ont besoin d’un interlocuteur clair et responsable, capable de pouvoir négocier au nom de tous et qui rende compte à toutes les régions. Je pense que Vin & Société joue ce rôle.
Quel est votre objectif en tant que présidente de Vin & Société ?
Mon but ultime consiste à ce que nous retrouvions la fierté totale en notre produit et que tout le monde la retrouve, y compris les politiques. La France est le premier pays producteur de vin au monde. C’est un modèle envié partout. Il n’y a aucune raison que la France ne s’enorgueillisse pas de cette richesse.
Vin & Société a connu un coup de projecteur en 2008, lors de la bataille internet, pour que la filière vin puisse continuer de communiquer sur ce média
La bataille internet était cruciale pour notre filière. Comment imaginer un secteur économique qui soit absent de la toile. Maintenant, il faut être vigilant. Nous avons gagné la bataille internet mais nous devons maintenir le cap. Vis-à-vis de la sécurité routière par exemple, je pense que tout le monde a compris qu’il ne servait à rien de descendre en dessous du seuil de 0,5 g. Nous n’avons qu’une seule ligne de conduite : agir de façon responsable. Je le répète : notre intérêt, c’est que nos consommateurs soient nombreux et responsables.
Quel regard portez-vous sur la fiscalité des boissons et les projets de hausse ?
Il n’y aurait pas meilleur moyen de soulever la filière viticole que de lui imposer une fiscalité supplémentaire. Toute la filière serait en révolution. C’est une fin de non-recevoir de notre côté.
Par rapport aux alcools, la fiscalité u vin paraît très avantageuse.
Je crois que nous le méritons vraiment. Nous avons fait un travail colossal en terme de valorisation de nos produits, d’appréciation, de culture. Un travail dont les autres boissons alcooliques bénéficient. Sans vouloir opposer les produits les uns aux autres, je crois qu’il faut savoir dans quel univers on évolue et segmenter les modes de consommation. Les consommateurs de produits d’origine viticole ne se comportent pas tout à fait comme les consommateurs de Whiskies et surtout de Vodkas. En tout cas les idées de défonce, d’oubli de soi ne font pas partie des codes du vin. La société les condamne et nous aussi.
Vin & Société
En réaction à la loi Evin
« Nous fûmes dans l’incapacité de nous organiser pour éviter cette loi. Elle s’est imposée à nous. C’est en réaction à la loi Evin qu’un premier regroupement s’est opéré. » Marie-Christine Tarby-Maire résume ainsi la genèse de Vin & Société. Dans le sillage de la loi Evin (1991) l’association se met en place, d’abord de façon informelle puis plus structurée. Tournée vers les sujets sociétaux, elle rassemble « tous les métiers et tous les acteurs du vin, coopératives, négociants, Vignerons indépendants, CNAOC… » Adhèrent à Vin & Société les 22 interprofessions viticoles régionales – qui assurent le gros du financement – ainsi que 7 organisations nationales. Se sont succédé à la tête de Vin & Société : Philippe Feneuil (Champagne), Michel Bernard (Champagne), Xavier Carreau (Bordeaux). Aujourd’hui, Marie-Christine Tarby-Maire préside l’association. Fille d’Henri Maire (les vins jaunes du Jura), elle occupe le poste de vice-présidente du Comité interprofessionel des vins du Jura, après l’avoir présidé. En 2010, la société de négoce et de production Henri Maire a été reprise par Verdoso, un fonds d’investissements luxembourgeois. Si la société Henri Maire ne compte plus aucun membre de la famille, Marie-Christine Tarby-Maire conserve un mandat de représentation auprès de l’entreprise. Femme dotée d’une autorité et d’un charisme peu communs, M.-Ch. Tarby-Maire incarne Vin & Société. Elle ne nie pas se consacrer totalement à sa tâche. « Mes enfants peuvent le confirmer. Je vis Vin & Société. »
« Le vin, et si on en prenait toute la mesure »
Les bons réflexes de Vin & Société
• Avant d’acheter, je déguste : 3 cl suffisent – Apprenons à recracher.
• Au restaurant, choisir le bon format : la bouteille de 75 cl contenant environ 7 verres, la demi-bouteille, le vin au verre. Demandons au restaurateur de remporter la bouteille entamée (Vinétui).
• Chez soi : n’achetons pas plus que de raison (1 bouteille pour 4 personnes buvant du vin) – évitons de trop remplir les verres, trop souvent – dressons la table avec deux verres (vin et eau) – au cours du repas, proposons eaux, jus de fruit – retirons le vin de la table avant la fin de soirée – proposons eau plate, gazeuse, café ou infusion – bouchons spéciaux pour conserver le vin.
• En voiture : ayons le réflexe de l’éthylotest – procurons-nous en en grande surface, pharmacie, sur internet – mettons-les à disposotion des invités – gardons-en dans la boîte à gants – respectons le verdict – en cas d’alcoolémie positive, attendons une heure ou deux. Le taux baisse en moyenne de 0,10 à 0,15 g par heure.
• Faisons appel à un chauffeur déjà désigné ou non.
Recommandations Manifeste Vin Société – www.vinetsociété.fr/manifeste
Manifeste Vin & Société : un lancement médiatique
Une bâche blanche géante signée pas cent femmes du vin, viticultrices, blogueuses, journalistes, restauratrices… Au fil des mois, Vin & Société enchaîne les actes symboliques, pour mettre en scène la fierté du vin et sa consommation responsable.
Après le lancement national, le 24 mai dernier, l’association a organisé des signatures en régions pour affirmer à la fois la fierté de produire du vin et la responsabilité d’une consommation mesurée. L’opération, qui a vocation à devenir pérenne, met à disposition des vignerons un kit comprenant un macaron – «Le vin, et si on en prenait toute la mesure » – une notice de consommation, des éthylotests. La « caravane du vin » s’est déjà déplacée en Gironde, Alsace, Provence, Côtes-du-Rhône, Bergeracois. Vont suivre dans la foulée Bourgogne, Savoie, Languedoc-Roussillon, Loire… Du manifeste, se déclinent une foultitude d’actions : Vinétui (pour pouvoir rapporter une bouteille ouverte au restaurant), le programme de prévention « A toi de choisir » tournée vers les jeunes, la participation à la Semaine du goût…www.vinetsociete.fr