Jamais aussi proche d’un grand changement

11 mars 2009

Le rapport de la commission d’enquête INAO portant modification du décret d’appellation Cognac a été voté à l’unanimité par le Comité national INAO le 26 février dernier. Cette première décision, avant le vote définitif du décret, annonce les grands principes qui s’appliqueront à la région délimitée des Charentes : conditions de productions spécifiques pour les vins destinés à la distillation ; abandon du régime de la double fin pour lui substituer celui de la séparation des productions en quatre vignobles spécialisés (Cognac, Pineau des Charentes, vin de table et vin de pays, produits d’origine viticole destinés à la transformation) ; fixation annuelle d’un rendement eau-de-vie sur avis du Syndicat de défense de l’AOC Cognac ; agrément des eaux-de-vie. Mais des étapes restent à franchir, des textes devront être pris et une incertitude demeure sur le « teaming » du changement.

 

« Avec ce nouveau système, nous allons essayer d’établir une politique durable dans l’objectif d’améliorer le revenu des viticulteurs. C’est un moyen, pas une fin en soi. » Moins que tout autre, Michel Pelletier, président du comité régional INAO, se veut doctrinaire dans l’affaire. S’il croit aux vertus de l’AOC et à l’ancrage dans le territoire qu’elle procure – « le Cognac est produit là et pas ailleurs, c’est l’inverse d’une démarche industrielle » – il sait aussi que la déclinaison INAO ne sera jamais la même dans une région vins et une région eau-de-vie. De même, les principes contenus dans le projet de décret INAO ne jouent pas seuls. Ils s’insèrent dans un projet plus global, désigné sous le nom de « Schéma

d’avenir du vignoble des Charentes ». Outre la séparation des surfaces, ce schéma s’appuie sur la poursuite de la restructuration et sur des rendements différenciés pour « les produits d’origine viticoles destinés à la transformation » (jus de raisin, vin de base mousseux). Si cette catégorie existe au plan réglementaire dans d’autres pays européens, elle n’existe pas en France. C’est tout le problème de l’articulation du Schéma d’avenir avec le contexte viti-vinicole communautaire, objet, entre autres, du rapport Zonta. Pour toutes ces raisons, on comprendra que le SGV Cognac, à l’annonce de la décision du Comité national INAO, ait préféré parler de « permis de construire » et non de point d’orgue au chantier lancé sur son initiative. Quant à Danielle Le Gall, bras droit d’Anthony Zonta sur le dossier Cognac, elle voit dans la décision INAO « à la fois un accélérateur et un déclencheur ». « Pour pouvoir gravir de nouvelles marches, dit-elle, il fallait d’abord construire la première qui était celle de l’abandon de la double fin. » Voilà qui est fait avec la décision de l’INAO, qui ouvre la voie à une négociation importante : celle des rendements différenciés. C’est toute la question des 180 hl/ha de vin et/ou de non-vin pour les « produits d’origine viticole », c’est-à-dire les jus de raisin et les vins de base mousseux. Jusqu’à présent, les voix les mieux autorisées ont toujours assuré que ce point ne devait pas soulever problème. Le rapport Zonta, attendu courant de printemps, devrait en dire davantage.

« calage » juridique de la mouture finale

Une autre étape et non des moindres tient au « calage juridique » du décret INAO, c’est-à-dire la rédaction de la « mouture finale », celle qui sera soumise au vote définitif du Comité INAO. La tenue d’un prochain Comité est prévue fin mai. Si l’on peut considérer que les principes posés dans le projet de décret sont acquis, les services du ministère de l’Agriculture ont tenu à examiner la faisabilité juridique de l’affectation parcellaire vis-à-vis de Bruxelles. Alors que l’on exhortait la région à sortir de la double fin, semble se poser aujourd’hui le problème du comment. Les questions du contrôle de l’affectation, des sanctions et de la traçabilité générale des produits, notamment jus de raisin et vins de base mousseux, font également l’objet d’un examen attentif de l’Administration, côté DGCCRF et Douanes.

Dans un système INAO, arrêtés annuels et règlements techniques ont vocation à compléter le décret « accord cadre ». Ce sera le cas pour la fixation du rendement annuel des eaux-de-vie, soumis à arrêté. Quant aux mécanismes d’affectation parcellaire et d’agrément des eaux-de-vie, ils devraient faire l’objet de règlements techniques d’application. Une prochaine étape tiendra donc à la rédaction de ces textes. Cet épisode sera d’autant plus important qu’il ne devrait pas concerner que le seul Cognac mais s’étendre à d’autres régions. Pour ce qui est de l’affectation parcellaire par exemple, un vignoble mixte (AOC/vin de table) comme le Minervois y recourt depuis 1992 mais sur la base d’un consensus professionnel, en l’absence de texte ; et d’autres vignobles se déclarent potentiellement intéressés par la procédure d’affectation.

L’agrément des eaux-de-vie d’AOC (Cognac, Armagnac, Calvados, Rhum de la Martinique) n’est pas une découverte en soi. Un décret de 1993 en prévoit même la procédure sur les eaux-de-vie d’appellation, sauf qu’il ne s’est jamais appliqué… « faute d’être applicable ». Ne stipulait-il pas que tous les mouvements d’eau-de-vie (y compris les mouvements de chais) devaient s’accompagner d’un certificat d’agrément ! Sur cette question de l’agrément, Michel Pelletier – qui siège au Comité spécialisé eaux-de-vie de l’INAO avec Jean-Pierre Lacarrière – fait aujourd’hui état de « positions claires, tranchées et bien établies ». « Sur ce point, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre viticulteurs, distillateurs, négociants. Nous avons réussi à faire admettre à nos collègues qu’il n’y avait de Cognac AOC qu’à la sortie de l’alambic (ou à la sortie des installations de distillation) et que l’agrément devait se concevoir non pas sur tous les lots mais par sondage. En fait, il s’agit d’un non-agrément par défaut. » Une commission d’enquête INAO doit descendre en Charentes fin avril pour travailler sur le chapitre de l’agrément.

L’enjeu du syndicat de défense

Dans l’avenir, deux sujets au moins solliciteront l’intervention du Syndicat de défense de l’AOC Cognac : la fixation du rendement annuel des eaux-de-vie et l’agrément de ces mêmes eaux-de-vie. Comme par hasard, ces deux sujets sont au cœur du système Cognac (comme ils sont d’ailleurs au cœur de n’importe quelle appellation) et tournent autour de la question essentielle de savoir « qui contrôle qui », l’idéal étant bien sûr que personne ne contrôle personne et que les opinions puissent se manifester de façon suffisamment libre. On comprendra dès lors qu’au fur et à mesure que le temps avance, les discussions se fassent de plus en plus vives sur ce qu’il faut entendre par « Syndicat de défense de l’AOC Cognac » ? S’agit-il du seul syndicat des producteurs, comme dans les régions productrices de vins ? Pour tenir compte de la spécificité eau-de-vie, ne faut-il pas y inclure les bouilleurs de cru et les bouilleurs de profession ? Pour aller plus loin, ce syndicat a-t-il vocation à être paritaire, viticulture-négoce en devenant une réplique de l’interprofession ? Dans sa rédaction actuelle, le projet de décret parle « du » Syndicat de défense de l’appellation d’origine contrôlée et d’ailleurs, en régime INAO, la règle veut qu’il n’y ait qu’un seul syndicat de défense par appellation. Par contre, rien ne s’oppose à ce que « le » syndicat de défense recouvre plusieurs composantes, plusieurs entités syndicales, à condition d’en transmettre la liste à l’INAO (et donc de s’être mis d’accord au préalable sur le sujet). Reste savoir à quelle hauteur chaque syndicat devrait être représenté à l’intérieur d’un « super » syndicat de défense. Une question à coup sûr déterminante pour l’avenir et qui risque de faire l’objet d’une négociation serrée. « Si la viticulture ne devait représenter qu’un peu plus de 50 % des forces en présence, il y a fort à parier qu’elle n’aurait pas la majorité » reconnaissent des syndicalistes viticoles qui ajoutent « qu’il ne peut pas y avoir de Cognac sans les viticulteurs ».

Si personne ne remet plus en cause la réalité du changement – le nouveau régime s’appliquera, c’est incontestable – la question du « teaming » est sur toutes les lèvres. Le SGV Cognac, par la voix de son président Philippe Boujut, souhaite que ce soit le plus tôt possible, dès la récolte 2003. « Nous pousserons au maximum dans ce sens et si, malgré tout, cela s’avérait impossible pour des questions de délais administratifs, que ce soit au plus tard en 2004. » « Pour nous, précise-t-il, c’est le seul moyen d’augmenter le revenu de ceux qui n’ont pas accès au Cognac et de ceux qui y ont accès. Car l’on sait très bien que le régime transitoire ne persistera pas longtemps. » Même tonalité chez Yves Dubiny, secrétaire général du SGV Cognac. « Si les choses restent en l’état, on ira très vite aux 90 ou 100 hl vol./ha sur tous les ha. Les exploitations les plus spécialisées seront aussi les plus fragilisées. » Président de l’interprofession, Bernard Guionnet tient un discours bien différent. Pour lui aussi le passage à un nouveau régime est irrévocable mais il demande « que l’on se précipite avec lenteur » (voir interview ci-contre). « Par la liste des problèmes à résoudre et l’ampleur du changement à gérer, je demande un peu de certitudes et de temps de réflexion. »

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