Vignoble charentais : Régime des vins, imperméabilité et nouvelles plantations

25 mars 2015

L’actualité autour des nouvelles plantations conduit à se réinterroger sur la nature juridique du vignoble Cognac : vignes à IG (indication géographique) ou vignes sans IG (sans indication géographique) ? Et sur les conséquences d’être classé dans telle ou telle catégorie. Surtout, interpelle la notion d’étanchéité entre productions (Cognac, vins « autres débouchés »…). Sur ces grandes questions, Christian Baudry réagit. Une légitimité de grand témoin, forgée à l’aune d’engagements syndicaux de premier plan et d’un intérêt constant pour le domaine juridique.

 

 

p14.jpgAujourd’hui, le vignoble Cognac est réputé appartenir à la catégorie des vignes sans IG (sans indication géographique). Logiquement, il produit donc des vins sans IG, sans indication géographique.

J’entends bien mais c’est une contrevérité, une bêtise. Pour comprendre ce qu’il en est, revenons sur un passé pas si lointain. Pendant trente ans, de 1980 à 2008, le vignoble européen fut divisé en deux grandes catégories : le vignoble vin de table et le vignoble VQPRD (Vin de qualité produit dans des régions déterminées). A la marge, exis-
tait une troisième catégorie, celle des vins à cépages double fin, pour les eaux-de-vie de qualité, Cognac, Armagnac. D’un côté, les cépages double fin pouvaient pro-
duire des eaux-de-vie d’appellation et, de l’autre, des vins de table ou des vins de base mousseux. C’est pourquoi il était dit que l’appellation Cognac s’acquérait « à la sortie de l’alambic ». Avant distillation, le vin blanc Cognac avait la nature de vin de table. Et puis est arrivée la réforme de l’OCM vin de 2007-2008. Son objectif ? Simplifier les segments de marchés, les rendre plus lisi-bles aux consommateurs. Au fil du temps, s’était par exemple greffée dans la catégorie vins de table celle des vins de pays, vins à origine géographique. Et puis persistait cette fameuse catégorie des vins à cépages double fin, adossée à la distillation communautaire de l’article 28. L’Union européenne a voulu raboter tout ça. Elle a créé deux rubriques et deux seules : les vins à IG (indication géographique) et les Vins sans IG (les VSIG). En tant que tels, les VSIG ne peuvent revendiquer que le cépage et le millésime, un point c’est tout. Les vins à IG, eux, revendiquent en plus l’origine géographique. En ce qui concerne le Cognac, j’imagine que personne ne conteste le fait que notre produit appartient bien aux eaux-de-vie à indication géographique. Dès lors que la catégorie « vins à cépages double fin » a disparu en 2007-2008, seuls des vins à IG peuvent donc servir à son élaboration. Et ces vins ne peuvent être produits que sur des vignes à IG. CQFD. Le vignoble Cognac ne vit pas sous un régime d’exception. Des textes existent, qui s’appliquent aussi bien à lui qu’aux autres. Et si un doute persistait encore sur la question, il suffirait de regarder le cahier des charges Cognac. A quelle étape de l’élaboration démarre-t-il ? Du terroir, de la plantation de la vigne. Que réglemente-t-il ? Le cahier des charges traite principalement de la vigne, du vin, des contraintes d’encépagement, de densité de plantation, de vinification… Plus que la distillation elle-même. Pour faire bonne mesure, précisons que dans les statistiques douanières, les vins Cognac apparaissent sous la rubrique des vins à IG.

A la limite, est-ce si important de savoir si le vin Cognac relève de telle ou telle catégorie ?

Ah que oui ! Si le vin Cognac était un vin sans indication géographique, cela voudrait dire que l’on peut faire du Cognac partout dans le monde, en Australie et ailleurs, à partir de n’importe quelle vigne. C’est stupide. Le Cognac ne peut être produit que dans la région délimitée Cognac et sur des vignes à indication géographique. Ce n’est pas pour rien si, tous les huit jours, le Journal officiel relève la création d’un vignoble IGP pour des eaux-de-vie de vin : eaux-de-vie de Savoie, des Côtes-du-Rhône, Fine de Bugey… Tous ces vignobles revendiquent leur caractère d’IGP, même si les quantités produites sont dérisoires, de l’ordre de 50 ou 100 hl AP par an.

Si les vignes Cognac sont, par nature, des vignes à IG, cela peut aider à régler la question de l’étanchéité des vignobles, entre vignoble Vins de base mousseux et vignoble Cognac par exemple.

Pas vraiment. Comment fonctionne le système des vignes à IG ? On est d’accord que les vins à IG ne peuvent être produits que par des vignes à IG. Par contre, les vignes à IG, elles, peuvent produire des vins à IG et des vins sans IG. C’est le grand principe des appellations : qui peut le plus peut le moins. Personne n’est obligé de revendiquer l’IG. En Charentes, comme cela se traduit-il ? Lors de l’affectation annuelle, vous pouvez affecter vos vignes aux IG Cognac, moûts Pineau, Vins de pays charentais ou aux sans IG vins de table, vins de base mousseux. Ensuite chaque vin affiche ses propres contraintes en termes d’encépagement, de densité de plantation, de conduite du vignoble… Là où ça se complique, c’est lorsqu’il y a demande d’autorisation de plantation pour des Vins sans indication géographique dans une zone où il y a déjà des vins à IG. De deux choses l’une : ou il existe des critères de différenciation entre les deux vignobles (densité de plantation, cépages…), ou il n’y en a pas. En l’absence de critères différenciants, la question est la suivante : un engagement à poursuivre la production de Vins sans indication géographique est-il suffisant pour assurer l’étanchéité des débouchés ? Je crois comprendre que ce point interpelle Cognac mais aussi tous les vignobles IGP de France, sans exception.

A votre avis, quelle est la réponse ?

L’expérience nous prouve que tous les engagements qui furent pris par le passé, tant en vins de pays qu’entre autres productions n’ont jamais été tenus. Ni les Douanes ni l’INAO ne sont capables de contrôler la destination des vins sur le long terme. Quant à croire qu’un nombre de pieds/ha variable d’un vignoble à l’autre limitera l’effet des vases communicants, c’est un leurre. Le rempart le plus efficace tient sans doute au cépage – du Chardonnay à Cognac par exem-
ple – mais encore sur un laps de temps li-mité, 10 ou 15 ans au plus. Pour appeler un chat un chat, ces vignes ont très facilement vocation à devenir des vignes éponges. Et après tout, est-ce si dramatique ? Dans la réalité, les vignes éponges arrangent tout le monde. Elles permettent d’absorber les à-coups de production et de stockage. C’est même la meilleure des protections contre l’effondrement des cours.

Comment ?

La production d’un vin de base ne s’avère intéressante qu’à condition de pouvoir aligner de très gros rendements. Sinon, il vaut toujours mieux faire un produit d’appellation, même vendu peu cher. En d’autres termes, il est toujours préférable d’avoir un exutoire, pour éviter de déverser trop de marchandises sur le produit le plus valorisé. Ainsi a-t-on plus de chance de tenir les cours.

Le défaut d’étanchéité entre vignes à IG et vignes sans IG recèle-t-il un vrai enjeu ?

A mon sens, pas vraiment. On parle de quoi ? De 300 ha ici, 400 ha là. Les autorisations de plantations anticipées me semblent une mesure autrement plus prégnante. Sur 2 ou 3 ans, le vignoble peut grimper facilement de 4 000 ha.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous inquiète
le plus ?

Je dirai que c’est le flou artistique autour des vignes Cognac : IG ou sans IG ? La région devra bien un jour sortir de ses fantasmes et s’avouer à elle-même la vraie nature de son vignoble. Dans un contexte de libéralisation, elle a tout intérêt à le faire, au risque de courir un danger inconsidéré.

Double fin, une réponse d’opportunité

Quand elle fut créée, la double fin apportait une réponse d’opportunité à un problème ponctuel d’excédents. Christian Baudry se souvient.

« Le régime de double fin fut créé en 1980. A l’époque, la région croulait sous les excédents de production. Négoce et viticulture partageaient le même constat : il fallait évacuer chaque année deux ou trois millions d’hl vol. vers les vins de base mousseux, en
attendant que les arrachages rétablissent l’équilibre. Mais l’on ne pouvait tout de même pas produire du Cognac avec du vin ordinaire. Le directeur du BNIC, Jean Graille, qui avait une bonne formation de juriste, fut chargé de trouver une solution. Il s’inspira de ce qui existait en Italie pour les raisins de table. En cas de déséquilibre, les excédents pouvaient être vinifiés. Une même catégorie abritait deux chapeaux, les raisins de table et les vins. Les eaux-de-vie de vin de qualité, Cognac et Armagnac, adoptèrent un régime similaire. La formule, assez habile, perdura pendant presque trente ans, non sans essuyer des critiques : “il faut sortir de la double fin” ! Les mêmes qui souhaitaient la disparition de la double fin hésitent aujourd’hui à tourner la page. C’est assez paradoxal. »

 

 

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