Qui dit excédents dit nécessairement dépassement et donc limites à dépasser. Dans un vignoble à double fin, c’est le niveau de QNV (Quantités normalement vinifiées) qui fait office de limite, avec, pour base juridique, l’article 28 de l’OCM viti-vinicole (distillation de retrait). Si, un jour prochain, les règles devaient changer et le vignoble des Charentes s’orienter vers une bipolarisation de ses surfaces entre un vignoble « type » AOC pour le Cognac et un vignoble « type » vin de table pour les autres vins, quelle(s) limite(s) s’appliquerai(en)t aux vignes affectées à l’AOC Cognac ? Dans une optique INAO, la question est régie par le décret du 5 novembre 2002 relatif « aux conditions de production et au rendement des vignobles produisant des vins à appellations d’origine contrôlée ». Ce décret, de portée générale, mentionne tous les types de rendements susceptibles de s’appliquer à un vignoble AOC. A travers cette liste, l’on peut distinguer deux grandes familles de rendements : les « incontournables » – ceux que l’on retrouve obligatoirement dans chaque décret d’appellation – et les rendements dont la fixation est laissée à la discrétion des syndicats. Dans la plupart des cas, ils font office de variable d’ajustement, en fonction des conditions de l’année.
Les différents rendements
Le rendement de base et le rendement butoir appartiennent à la première catégorie. Ils figurent dans chaque décret d’appellation. Par définition, le rendement de base est le rendement où s’exprime le mieux la typicité du produit. Mais comme toutes les années ne se ressemblent pas, des leviers existent pour moduler ce rendement de base. En raisons d’accidents climatiques, le syndicat peut souhaiter, une année, diminuer le rendement de base. On aura donc un rendement annuel inférieur au rendement de base. C’est le Comité national des vins et eaux-de-vie qui prend la décision, après avis du Syndicat de défense de l’appellation. La fixation du rendement annuel fait l’objet d’un arrêté. A l’inverse, une belle année pourra inciter le syndicat à rehausser le rendement de base. On lui appliquera donc un pourcentage d’augmentation, dit encore PLC pour plafond limite de classement. Le mécanisme de décision est le même que plus haut (Comité national sur avis du Syndicat de défense, officialisé par un arrêté). Le rendement annuel – en l’occurrence rendement de base + PLC – ne pourra pas dépasser un rendement inscrit dans le décret d’appellation. C’est le rendement butoir. Rendement de base et rendement butoir constituent les deux « taquets » à l’intérieur desquels évolue le curseur du PLC. Cas concret : le rendement de base de l’appellation s’élève à 55 hl vol./ha ; son rendement butoir à 66 hl vol./ha. Le PLC ne pourra pas excéder 20 % (11 hl vol./ha). En cas de phénomènes climatiques très localisés sur un vignoble (gelées, grêles) générant des amplitudes de rendements importantes d’une petite région à l’autre, un mécanisme d’ajustement peut consister à fixer un rendement annuel très bas (25 hl vol./ha par exemple), associé à un PLC de 100 % (55 hl vol., pour rester en cohérence avec le cas concret envisagé plus haut). Un syndicat peut décider, une année, que le PLC sera individuel et non pas collectif. Cependant, les PLC individuels engendrent des difficultés de gestion et les grands vignobles s’en dispensent généralement, sauf circonstances exceptionnelles (comme un accident climatique). Dans les appellations plus petites, il n’est pas rare de trouver des PLC individuels.
Excédents : au-delà du plc
En matière d’AOC, c’est la limite du PLC qui fonde la notion d’excédents. Toutes les quantités en DPLC (dépassement du plafond limite de classement) doivent être distillées (voir plus loin). Dans l’absolu, il n’y a pas de limites à la production de ces quantités produites en DPLC. Quelque part, cette situation peut poser problème vis-à-vis de la déontologie des AOC alors que dans le même temps, les exploitations mixtes (AOC/vin de table) sont soumises à rendement maximum sur leurs surfaces vins de table (pour éviter le phénomène des vases communicants). Est-ce pour répondre à cette apparente contradiction ? L’article 6 du décret général « rendement » du 5 novembre 2002 a prévu que le Syndicat de défense puisse fixer dans son décret d’appellation un rendement maximum de production, dit encore RMP. Ce « super-rendement », par définition plus élevé que le rendement de base + PLC, vise la production totale des vignes en AOC. En cas de dépassement du rendement maximum de production, la sanction est simple et « sans bavure » : le déclassement de toute la récolte revendiquée en AOC. La fixation d’un tel rendement ne s’impose pas aux syndicats de défense. Ils sont libres de l’adopter ou non. Si oui, il figure dans le décret de l’appellation, à côté des deux « gardiens du temple », rendement de base et rendement butoir. Certaines appellations ont fait le choix de s’en doter (Côtes du Rhône…), d’autres non, pensant qu’il y avait plus de risques que d’avantages à afficher un rendement élevé, souvent perçu par le producteur comme le niveau « jusqu’où on peut aller ».
Après avoir abordé la question des « bordures », voyons le sort réservé aux excédents qui, dans le cadre des AOC, jouent au-delà du DPLC (dépassement du plafond limite de classement). Les excédents doivent obligatoirement être livrés à la distillation. Ici, l’on ne parle pas d’une distillation de retrait aidée, comme dans le système de la double fin. Il s’agit d’une distillation « sans frais » censée ne pas coûter d’argent mais ne pas en rapporter non plus. Mieux, dans son principe, la règle AOC voulait que le viticulteur ne tirât aucun revenu de la destruction de ses produits excédentaires. Dans la problématique vin en effet, plus les rendements sont élevés, moins bonne est la qualité. Il n’était donc pas question d’inciter le producteur à augmenter sa production pour en tirer des « recettes de poche ». Dans les faits, on s’est pourtant aperçu qu’il fallait bien couvrir les frais de ramassage et les coûts additionnels de vinification. Ainsi, en fonction de leurs marchés, de leurs coûts de production, les distilleries accordent-elles généralement un « petit quelque chose » aux viticulteurs pour leurs livraisons de DPLC. Afin de se mettre en conformité avec la pratique, les textes INAO ont tourné la difficulté en disant que le viticulteur ne pouvait pas « prétendre » à rémunération… ce qui ne l’empêche pas de recevoir ce qu’on lui donne. Distillés entre 80 et 92 % vol., les DPLC produits dans les régions d’AOC rejoignent pour la plupart la filière alcool de vin, autrement dit brandy. D’où le débat interne à la région délimitée pour savoir si, oui ou non, les vins Cognac pourraient – par la bande – rejoindre la filière brandy. La vérité commande de dire qu’ils y vont déjà. Sous le régime de la double fin, encore en vigueur, les vins de l’article 28 peuvent être distillés à 92 % vol. et, à ce titre, rentrer comme distillat dans la composition du brandy, à hauteur maximale de 50 %.
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