Vignerons de l’île de Ré : Iliens et agriculteurs militants

24 avril 2013

D’une certaine façon, il faut avoir la foi chevillée au corps pour être à la fois agriculteur et îlien. Entre risques naturels (Xynthia) et concurrence exacerbée pour l’occupation de l’espace, la voie est étroite, en dépit de quelques compensations sonnantes et trébuchantes (clientèle touristique, valeur patrimoniale). Les activités primaires ! Tout sauf simples dans un tel territoire multi-facettes. En facilitant le dialogue avec les élus, l’organisation coopérative rend les arbitrages possibles.

 

 

p17.jpgOn n’ira pas jusqu’à dire que l’examen des comptes est une formalité à Uniré mais, clairement, les dirigeants « n’ont pas la tête sur le billot ». Pour une bonne et simple raison : année après année, les chiffres sont empreints d’une grande régularité, au moins ces derniers temps. Prenons l’exemple de la branche « vigneronne ». Au cours des deux derniers exercices – 2010-2011 et 2011-2012 – le chiffre d’affaires a évolué de 9,8 à 9,6 millions d’€. Autant dire qu’il est resté stable. Sur l’exercice 2010-2011, la plus grosse rentrée d’argent est venue du Cognac vendu sur le marché de place (3,6 millions d’€), suivie d’assez près par les ventes de vins de pays au détail (2,3 millions d’€), elles-mêmes talonnées par le Pineau détail (2,1 millions d’€). Compte tenu du bon niveau de résultats et du climat régional, la rémunération de la récolte 2011 a augmenté de 16 % par rapport à l’année précédente. C’est Jean-Jacques Enet, président d’Uniré, qui s’est chargé de la présentation des comptes, assisté du directeur de la coopérative, Christophe Barthère.

Submersion des terrains

« Je ne vous sens pas bavards ce matin » avait lancé, pince-sans-rire, J.-J Enet à l’attention de ses collègues, pour stimuler le débat. Les premières réactions de la salle ont concerné la submersion des terrains, un sujet que le président de la coopérative rhétaise avait lui-même abordé dans son rapport moral. « Trois ans après Xynthia, les digues sont toujours dans le même état. » Cette situation n’est pas sans inquiéter les agriculteurs : par deux fois cet hiver, ils ont vu des terrains submergés par l’eau salée, suite à des marées de 105. Présent en deuxième partie de réunion, Lionel Quillet, président de la communauté de communes de l’île de Ré, par ailleurs conseiller général du canton nord, est monté au créneau.

« Je vous entends bien et vous êtes dans votre rôle de m’interpeller sur le sujet. Mais je voudrais vous dire qu’après la tempête Xynthia, l’île de Ré a été le territoire le mieux doté de Charente-Maritime. Depuis 2010, 14 millions de travaux ont été enclenchés et 45 millions sont à venir. »

p18.jpgReste que ces 45 millions tardent à se manifester. D’où l’impatience, l’incompréhension voire la colère des agriculteurs. L’élu est tout de suite rentré dans des explications plus techniques, où il apparaît que le dossier des digues est un véritable champ de mines. Surprise d’apprendre que l’enrochement des ouvrages de défense trouve des opposants farouches chez… les îliens eux-mêmes. Non pas des agriculteurs mais des résidents ou encore des protecteurs de la nature. Les uns veulent protéger leurs vues sur la mer, les autres un espace « naturel » pour les oiseaux. Et les attaques devant les tribunaux vont bon train (plus de 75 allers-retours administratifs pour la digue du Boutillon, à Ars-en-Ré). Elles sont menées par des gens pugnaces et déterminés. D’autant que la doctrine de base veut que les digues protègent les biens ou les personnes et non les terrains agricoles (et encore moins les dunes). En urgence, les collectivités territoriales ont dû échafauder une nouvelle notion juridique, celle « d’intégrité territoriale ». Reste que, dans cette guerre de tranchées, la puissance publique demeure la seule véritable parade. « Nous avons besoin d’une autorisation de l’Etat pour restaurer les digues en toute sécurité juridique, quand bien même l’argent serait disponible. C’est pourquoi nous ne pouvons pas aller plus vite. »

« Aidez-moi ! »

Le conseiller général du canton nord – qui s’est vu confier par le Conseil général la mission « digues du littoral » – a vivement encouragé les personnes présentes à aller remplir les enquêtes d’utilité publique. « Aidez-moi ! Je suis là pour défendre les activités primaires mais j’ai besoin de votre soutien. » Par ailleurs, il a répondu à un autre souci des agriculteurs, celui de l’urbanisation. Il a assuré que le Scot (Schéma de cohérence territoriale) était verrouillé. « On bloque l’urbanisme à fond. On ne va pas construire des digues pour reconstruire derrière, comme à La Faute-sur-Mer. »

En septembre prochain, démarrera le chantier de la digue du Boutillon, sur la commune d’Ars-en-Ré. Avant d’en arriver là, comme déjà dit, les collectivités territoriales auront affronté une avalanche de procédures en opposition. Une perte de temps, un gaspillage énorme.

Un espace fragile

Dans l’île, un tiers du territoire est submersible, ce qui en fait un espace des plus fragiles. Jean-Jacques Enet a convenu de l’effort accompli par les élus locaux.

« Nous connaissons tout à fait la complexité du dossier mais c’est de bonne guerre de vous titiller. Par contre, je trouve vraiment lamentable que des personnes qui vivent dans l’île 15 jours ou trois semaines dans l’année bloquent des procédures, rallongent les délais, nous dictent leur loi alors que l’agriculture est probablement l’acteur le plus important pour le maintien de l’environnement rétais. »

« Je vous comprends, a répondu L. Quillet, mais nous vivons aussi grâce à leur fiscalité. »

Décidément, la vie insulaire est compliquée. Elle recèle des chausse-trappes insoupçonnées des gens du continent. Qui pourrait penser que les oiseaux polluent ? C’est pourtant la vérité. Bernaches et autres cygnes, en nombre sur cette belle réserve naturelle rétaise, lâchent leurs fientes dans les bassins d’irrigation des deux syndicats éponymes d’Ars et de Saint-Clément. Aujourd’hui, l’eau des bassins est impropre à l’arrosage des légumes car dangereuse pour la santé humaine. Il va falloir la traiter dans les espaces lagunaires à l’aide d’UV. Un système qui coûte fort cher – au bas mot 350 000 € – « mais on n’a pas le choix » s’est exclamé Léon Gendre, maire de La Flotte et conseiller général du canton sud.

Un vignoble aux Chateliers

p19.jpgFidèle entre les fidèles de l’assemblée générale de la coopérative, L. Gendre, 75 ans, vise un dernier mandat. Sans doute serait-il satisfait de voir un nouveau vignoble d’une dizaine d’ha entourer l’abbaye des Chateliers, vieille bâtisse cistercienne dont les ruines romantiques dominent la mer, tout près de La Flotte. Ce projet, Léon Gendre le partage avec Michel Pelletier, autre figure de l’île, ancien président de la coopérative, ancien pilier de l’INAO en Charentes. Mais L. Gendre ne se nourrit pas d’histoire. Il va de l’avant. Sa grande ambition, depuis des lustres : « Acquérir des espaces et les redistribuer à ceux qui les exploitent. » Il se souvient que 45 familles de La Flotte ont abandonné l’agriculture. « Tout cela en l’espace de vingt ans » dit-il. Et d’égrener des noms : Favreau, Tessier…

Mais ce qui l’insupporte le plus, c’est de voir les propriétaires pratiquer la rétention des terres exploitables « par sentimentalisme et/ou par souci patrimonial ». Son combat ! Que le département accompagne la mise à disposition de ces terres, y compris par la contrainte, pour éradiquer les friches et installer de jeunes agriculteurs, comme ce jeune deux-sévrien qui exploite 9 ha de pommes de terre. Dans les cartons également, deux projets de bâtiments agricoles, un germoir à pommes de terre et un bâtiment mutualisé à Sainte-Marie avec, à chaque fois, les verrous nécessaires « pour que ces bâtiments restent agricoles et surtout ne partent pas à d’autres destinations ».

La « problématique lapins »

De la friche à la « problématique lapins », il n’y a qu’un pas, que les participants ont franchi allégrement. Au bas mot, depuis cinq ans, pas une assemblée générale d’Uniré où il ne soit question de cette espèce invasive qui mange les pieds de vignes et autres céréales ou légumes. Tout a été dit, de l’impuissance des ACCA à contenir les rongeurs à l’écotaxe tirée du pont qui pourrait financer des éco-gardes. « Je suis au taquet » a avoué Lionel Quillet qui se reconnaît impuissant à « bouter le lapin hors de l’île ». Si les agriculteurs ne renoncent pas à se faire entendre – « le temps presse » – ils paraissent un peu désabusés face au problème – « C’est extrêmement compliqué. Arrivera-t-on un jour à trouver une vraie solution ? » « La tentation d’une île » a titré un auteur. « Les contraintes d’une île » pourraient être son pendant éditorial.

En responsable professionnel qu’il est resté, Michel Pelletier a souhaité attirer l’attention sur un autre enjeu, plus général celui-ci : les plantations de vigne dans la région de Cognac. « Ne cédez pas aux sirènes de l’euphorie. La région a mis 30 ans à s’en relever. Soyez mesurés et prudents. »

Repères
l Ventes bouteilles : 5,6 millions d’€. 80 % sont commercialisées sur l’île : 33 % au cellier, 47 % auprès des autres commerçants.
l Les ventes sur l’île de Ré procurent 80 % du chiffre d’affaires.
l Ventes de Cognac : 15 000 bouteilles.

 

 

 

 

Nouvelles de la cave

Abandon du Pineau Ils – D’un commun accord, les deux coopératives insulaires – Ré et Oléron – ont décidé de jeter l’éponge. Elles mettent fin à leur projet de commercialiser un Pineau commun, baptisé Ils. « Ce Pineau était destiné à l’export mais nous nous sommes aperçus que les acheteurs recherchaient, là aussi, des prix bas. Or, ce n’est pas notre politique. Sur la grande distribution française, nous pensions qu’il serait plus facile d’aller à deux au national. Mais les centrales nous ont tenu le bec dans l’eau. C’est un peu dommage car le produit était très bon. »

Réserve climatique – La coopérative n’en a pas fait en 2011. « C’est quelque chose d’assez compliqué à gérer au niveau collectif. L’effort implique tout le monde, viticulteurs concernés comme ceux qui ne le sont pas. Et, pour la réintégration, il faut prouver un déficit de récolte » a expliqué le directeur Christophe Barthère. Des viticulteurs ont néanmoins regretté la perte de marchandise. « Par les temps qui courent ! ». « C’est une décision du conseil d’administration, forcément révisable. Les coopératives ne sont pas interdites de réserve climatique » a répondu J.-J. Enet.

Conversion bio – L’idée de convertir une partie de la production en bio fait son chemin à la cave. Une sortie dans le Gers a conforté certains producteurs à créer un groupe « décidé à travailler autrement ».

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