De plus en plus, les viticulteurs cherchent à se prémunir des ravageuses pullulations d’acariens phytophages à l’aide des acariens prédateurs ou phytoséiides. En particulier, ils cherchent à favoriser la colonisation naturelle des vignes par ces auxiliaires. Or les zones non cultivées environnant les vignes peuvent recéler ces précieux phytoséiides. Quelles en sont les espèces et les effectifs ? Cela dépend entre autres de la composition floristique de ces zones. Par ailleurs, que se passe-t-il dans une parcelle de vigne co-plantée d’autres espèces ligneuses ? Cette situation, pour l’instant rare en France, pourrait devenir plus fréquente dans le cadre de ce que l’on appelle l’agroforesterie. L’étude présentée ici montre ce qu’il en est pour une parcelle co-plantée de vignes et de cormiers, entourée d’autres vignes mais aussi de zones incultes où poussent chênes et pins.
Les connaissances concernant les échanges de phytoséiides entre les milieux cultivés et non cultivés sont assez limitées. Quelques études ont montré que les phytoséiides se dispersaient des zones non cultivées vers les parcelles cultivées (vignobles et vergers) par dispersion aérienne (Hoy et al., 1985 ; Tixier et al., 1998, 2000). Une étude conduite à Pouzolles (Hérault) a montré que K. aberrans était présente dans les zones non cultivées environnant les parcelles de vigne et que des effectifs importants se dispersaient dans ces parcelles. Malgré ces résultats positifs (Tixier et al., 2000, 2002), des interrogations subsistent concernant l’installation des individus migrants : les flux géniques entre les populations présentes dans les parcelles et celles des bordures non cultivées sont en effet limités (Tixier et al., 2002).
Nous avons donc voulu savoir si les observations réalisées dans le travail précédent pouvaient être généralisées. Nous avons étudié le processus de colonisation dans une parcelle récemment plantée après plus de dix années de friches. Cette parcelle est co-plantée avec du cormier Srbus domestica L. dans le cadre de travaux sur l’agroforesterie. Très peu de travaux portent sur l’influence de « l’inter-cropping » sur les communautés d’acariens et la plupart d’entre eux concernent les plantes herbacées (i.c. Castagnoli et al., 1997). Nous avons souhaité déterminer l’influence de la présence de S. domestica sur les communautés d’acariens planticoles de la vigne.
Parcelles, taitements et co-plantations
La parcelle expérimentale
Il s’agit d’une parcelle en production située à Restinclières (15 km au nord de Montpellier). Après une période de non culture de plus de 10 ans, cette parcelle de 4 494 m2 (densité de plantation : 2,5 m x 1 m) a été plantée en 1999 avec deux cépages, Syrah et Grenache : ont été ajoutées six rangées de cormiers. La parcelle est entourée d’autres vignes également plantées en 1997 et de zones incultes comportant des pins et des chênes verts.
Les principaux traitements phytosanitaires réalisés dans la parcelle sont des traitements fongicides anti-oïdium et anti-mildiou (2 à 4 applications par an). Deux à trois insecticides sont appliqués chaque année pour lutter contre Scaphoideus titanus Ball. Les produits utilisés sont choisis en prenant en compte leur toxicité vis-à-vis des phytoséiides (Sentenac et al., 1999). Aucun acaricide n’a été appliqué en trois ans.
Les phytoséiides dans l’environnement de la parcelle
Deux à trois échantillonnages par an ont été réalisés durant 3 ans dans les zones non cultivées, sur toutes les plantes présentes à raison de 50 feuilles minimum par plante.
Afin de comparer les effectifs de phytoséiides dans des zones boisées, aux composition floristique et structure différentes, un index appelé « Woody Richness » (WR) défini par Tixier et al., (1998) a été utilisé.
Les parcelles de vigne voisines (V1 à V5), égalementplantées avec les cépages Syrah et Grenache, ont été échantillonnées 3 fois en 2000 et 2001, à raison de 30 feuilles par sous-unité de 4 à 600 ceps.
Les phytoséiides dans la parcelle elle-même
La parcelle expérimentale a été divisée en 15 petites placettes de 100 ceps chacune, dans lesquelles un minimum de 20 feuilles a été prélevé une à deux fois par mois. Des échantillonnages ont aussi été réalisés sur les 6 rangées de cormiers, en prélevant 30 feuilles par rangée.
Les acariens sont extraits des feuilles en utilisant la méthode de Berlese-Tullgren ou la méthode de trempage-lavage. Les phytoséiides sont ensuite dénombrés à l’aide d’une loupe binoculaire et montés entre lame et lamelle. Les identifications sont réalisées en utilisant des clefs taxonomiques et les concepts génériques de Moraes et al. (1986) et de Chant et McMurtry (1994).
Dispersion de phytoséiides
Afin d’estimer la dispersion dee phytoséiides, 12 pièges « aériens » ont été disposés dans la parcelle. Ces pièges sont constitués d’entonnoirs plastique (31 cm de diamètre) remplis d’eau et de mouillant et disposés 1 m au-dessus de la végétation à l’aide de piquets englués (Tixier et al., 1998, 2000). Le contenu des entonnoirs est filtré chaque semaine avec des filtres de 100 µm. Puis les phytoséiides sont comptabilisés, montés entre lame et lamelle et identifiés.
Analyses statistiques
Des analyses de variance suivies du test de comparaison de moyennes Newman & Keuls (Statistica, 1998) ont été utilisées pour comparer les effectifs de phytoséiides piégés dans les entonnoirs, présents dans les différentes zones non cultivées, dans les parcelles voisines et dans les placettes de la parcelle expérimentale.
Le nombre de phytoséiides capturés a été converti en nombre de phytoséiides susceptibles de migrer sur une feuille de vigne selon une conversion établie par Tixier et al., 2000.
Résultats : des densités et des espèces
Dans l’environnement
Les index d’abondance de phytoséiides (WR) des trois zones non cultivées bordant la parcelle ne sont pas significativement différents pour les trois années d’étude (F(2.21) = 0,55 ; P = 0,58).
De 1999 à 2000, la densité de phytoséiides a augmenté dans tous ces milieux. Cette densité est assez élevée en début de saison (mai) puis décroît durant l’été, excepté en 2001.
Parmi les 35 plantes échantillonnées, seules quelques-unes comme Lonicera sp., Viburnum tinus L., Rubus sp. et Cornus sp. présentent des densités imoortantes de phytoséiides. Quatorze espèces ont été collectées et Typhlodromus exhilatatus Ragusa était l’espèce majoritairement observée.
Les densités présentes dans les parcelles de vigne voisines ne sont pas significativement différentes (F(5,24) = 1,10 ; P = 0,89).
Aucune différence n’est observée entre cépages (F(1,42) = 3,02 ; P = 0,89). De 2000 à 2001, les densités ont augmenté (de 0,065 ph/f à 0,18 ph/f en moyenne).
La diversité des phytoséiides présents dans ces parcelles a varié. En 2000, Neoseiulus californius (McGregor) était majoritaire notamment dans les parcelles V3, V4 et V5. En 2001, seule l’espèce T. exhilaratus a été rencontrée.
Dispersion des phytoséiides
Les densités de phytoséiides capturés en 1999 (3,01 ph/piège/an) sont significativement plus importantes qu’en 2000 (1,08 ph/piège/an) et 2001 (1,25 ph/piège/an) (F(2,33) = 6,11 ; P = 0,005). La conversion de ces densités en un nombre d’acariens pouvant coloniser une feuille de vigne montre que ces nombres atteignent en moyenne 0,23 phyto-séiides/feuille/an (minimum : 0,18 ; maximum : 0,33).
Les densités de phytoséiides capturées dans les 12 pièges ne sont pas significativement différentes F(11,24 = 0,66 ; P = 0,75). En 1999 et 2000, des densités importantes d’acariens ont été capturées en juillet, mais en 2001, les effectifs les plus importants ont été capturés en mai. T. exhilaratus et K. aberrans sont piégés de façon majoritaire en 2000 et 2001.
Dans le parcelle expérimentale
Les densités de phytoséiides observées dans les 15 placettes ne sont pas significativement différentes (F (14,174 = 0,64 ; P = 0,82). Cependant, des effectifs différents ont été observés en fonction du cépage (F(1,187) = 9,68 ; P = 0,02), le nombre d’acariens étant plus élevé sur la Syrah (0,14 phytoséiide/feuille) que sur le Grenache (0,05 phytoséiide/feuille). Ce résultat doit être toutefois interprété avce précaution du fait des faibles densités considérées. Les densités d’acariens élevées en mai ont diminué durant l’été. De 1999 à 2001, la densité moyenne de phytoséiides a augmenté dans la parcelle (de 0,042 à 0,15 ph/f).
T. exhilaratus est l’espèce majoritaire. Quelques K. aberrans ont été observés, mais en effectifs faibles et avec une localisation dans la parcelle très variable d’un échantillonnage à l’autre.
Les densités de phytoséiides observées dans les six rangées de cormiers n’étaient pas différentes (F(5,42) = 0,36 ; P = 0,87). T. exhilaratus était majoritaire et Tetranychus rurkestani Ugarov & Nikolski a été rencontrée plusieurs fois.
Ce qu’ils nous apprennent
Importance de l’environnement non cultivé
Les résultats diffèrent de ceux de Pouzoles (Tixier et al., 1998, 2000, 2002), le nombre de phytoséiides étant bien plus faible. Dans les travaux précédents, les milieux non cultivés comportaient de nombreux arbustes (Q. pubescens, C. australis, Rubus sp. et Ulmus sp.) accueillant des phytoséiides en forte densité (Tixier et al., 1998, 2000). À Restinclières, la structure et la diversité de la végétation spontanée environnant la parcelle sont complètement différentes. Les pins et les chênes verts sont très nombreux et accueillent très peu de phytoséiides.
Quelques plantes (V. tinus, Lonicera sp., Rubus sp.), peu répendues à l’exception de V. tinus, présentent des effectifs importants.
La présente étude confirme l’importance de la composition floristique sur la présence et l’abondance de phytoséiides dans les milieux non cultivés (Duso et al., 1993 ; Tixier et al., 2000).
Les plus fortes densités sont observées tôt en saison, en général en mai, sûrement du fait de l’action des conditions climatiques sur le développement de ces prédateurs et particulièrement l’effet négatif des conditions chaudes et sèches (Ivancich Gambarro, 1987 ; Malison, 1994).
Les phytoséiides se dispersent dans la parcelle par voie aérienne, ce qui confirme les résultats précédents (Hoy et al., 1985 ; Tixier et al., 1998, 2000). Les densités capturées étaient faibles, certainement du fait de la faible abondance (index WR) de phytoséiides dans les zones non culivées. Cette relation évidente entre le nombre de phytoséiides capturés et le nombre présent dans l’environnement montre que la dispersion semble se réaliser à partir de milieux peu éloignés de la parcelle.
Dans la vigne : situation maîtrisée, dispersion homogène
Même si le nombre de phytoséiides capturé est faible, la densité moyenne pouvant coloniser une feuille de vigne en un an (0,23 phytoséiide) semble suffire pour assurer une colonisation rapide et efficace, dans la mesure où 0,5 phytoséiide par feuille serait suffisant pour maîtriser les populations d’acariens phytophages sur la vigne (Ivancich Gambaro, 1987).
La dispersion dans la parcelle expérimentale semble être homogène sans aucun gradient de dispersion depuis les zones boisées, montrant aisni une influence identique de toutes les zones sur la colonisation.
T. exhilaratus et K. aberrans ont été capturées régulièrement. L’observation est évidente pour T. exhilaratus, espèce majoritairement observée dans l’environnement. En revanche K. aberrans n’a été observée que très rarement dans les zones proches de la parcelle.
Dès 1999, des phytoséiides ont été observés dans la pacelle expérimentale et malgré l’usage de pesticides leur densité a augmenté de 1999 à 2001. Cette augmentation est homogène, en accord avec l’homogénéité spatiale des captures.
Les différences de densités sur les deux cépages confirment l’importance des caractéristiques foliaires sur le développement des phytoséiides (Karban et al., 1995 ; Kreiter et al., 2002), vu que les feuilles de Grenache sont glabres et celles de Syrah pileuses (OIV-UPOV-IPGRI, 1997).
Bien que des phytoséiides aient été observées sur les cormiers, les densités étaient faibles mais des échanges pourraient malgré tout exister entre ces deux populations. Des densités relativement importantes de Tetranychus turkestani ont été échantillonnées sur ces arbres mais cette espèce, présente sur la vigne de façon sporadique en France (Bolland et al., 1998), n’est pas considérée comme un ravageur de cette culture.
Pourquoi T. exhilaratus ?
T. exhilaratus est l’espèce prédominante sur tout le site d’étude (parcelle expérimentale, cormiers, milieux environnants cultivés ou non). C’est une des espèces majoritaires dans le sud et le centre de l’Italie, à la fois dans les vignobles et dans la végétation spontanée. Elle est signalée sur vigne en Grèce (Papaioannou-Souliotis et al., 1999).
Elle peut s’alimenter sur divers acariens phytophages comme Panonychus ulmi (Koch), Eotetranychus carpini (Oudemans) et Colomerus vitis (Pagenstecher) (Castagnoli & Liguori, 1986 ; Castagnoli et al., 1989).
T. exhilaratus est un prédateur généraliste. Sa capacité de développement est importante lorsqu’il s’alimente de proies ou de nourritures alternatives comme les pollens de Q. ilex et de Q. pubescens (Castagnoli & Liguori, 1986 ; Liguori & Guidi, 1990). Or dans le site expérimental, le chêne vert Q. ilex est très abondant. Cette disponibilité en pollen pourrait expliquer la présence et la dominance de ce phytoséiide. De plus T. exhilaratus, très commun dans les habitats chauds et secs, présente une certaine tolérance vis-à-vis des faibles hygrométries. À 25 oC, 55 % HR (humidité relative), plus de 50 % des œufs éclosent (Liguori & Guidi, 1995).
Pourquoi K. aberrans ?
K. aberrans, espèce principale des vignobles du sud de la France (Kreiter et al., 1993, 2000), a été très peu observée sur le site de l’étude.
En 2000 on aurait pu penser que l’espèce commençait à coloniser la parcelle. Mais en 2001 elle n’a pas été retrouvée de façon importante. K. aberrans semble ne pas pouvoir s’installer de façon durable sur ce site. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela.
D’abord, Tsolakis et al. (1997) ont montré que K. aberrans est plus abondant dans les cultures qu’en milieu non cultivé : ils le supposent adapté aux pratiques culturales et notamment aux pesticides. Peu de traitements phytosanitaires ont été réalisés dans la parcelle expérimentale. K. aberrans serait-il dans ce cas moins compétitif que T. exhilaratus ?
Des facteurs climatiques pourraient intervenir. Schausberger (1998) a mesuré le taux de mortalité de K. aberrans en conditions sèches. L’espèce semble moins tolérante que T. exhilaratus vis-à-vis de telles conditions. Malison (1994) note que le développement de K. aberrans peut être affecté par le stress hydrique des plants de vigne.
En bref et à suivre
Cette étude montre une colonisation effective de la parcelle expérimentale par les phytoséiides à partir des milieux environnants, ce qui confirme l’importance des zones non cultivées. Mais, au bout de trois ans et contre toute attente, K. aberrans n’est pas l’espèce colonisatrice.
De nouveaux essais seront conduits les prochaines années pour déterminer si T. exhilaratus restera majoritaire malgré la possible intensification de la protection phytosanitaire sur le site.
De plus, des travaux de marquage génétique des populations sont envisagés pour caractériser les relations et échanges entre les populations de T. exhilaratus présentes sur la vigne, sur le cormier et dans les abords cultivés et non cultivés.
Remerciements. Nous remercions les étudiants qui ont participé à l’étude (Dora Strafile, Frédéric Leblanc, Olivier Soulat), le viticulteur
M. Vachet et le Conseil général de l’Hérault pour les financements attribués.
Diagnostic technique de production viticole intégrée
L’ITV France vient d’éditer ce diagnostic d’exploitation qui permet de situer les pratiques de celle-ci par rapport au Référentiel national de production intégrée de raisins.
Présenté sous forme d’une grille de saisie d’informations, une liste de critères ou d’indicateurs de comportement, d’équipement, de consommation d’intrants… est proposée au viticulteur et au technicien qui le conseille. Répartis en sept chapitres considérés d’importance équivalente, ces critères d’évaluation, quantitatifs ou qualitatifs, sont issus d’une lecture directe du référentiel.
Pour chaque chapitre, l’objectif P.I. proposé au viticulteur correspond à la somme des engagements demandés. L’évaluation effectué permet de préciser en pourcentage l’objectif rempli par rapport à l’objectif Production Intégrée fixé.
Globalement, une représentation synthétique de cette évaluation est visualisée sous forme d’un diagramme en radar. Cette représentation constitue une « photographie » à un moment donné de l’exploitation. Elle permet de bien préciser l’évolution qui reste nécessaire (ou déjà obtenue) par rapport aux objectifs minimum de la Production Intégrée (engagements) et au-delà (recommandations).
Une analyse plus fine, par chapitre ou critère, est aussi possible, appuyée dans certains cas sur des documents cartographiques.
Cet ouvrage sera diffusé gratuitement à partir de décembre 2002.
Pour toute commande, vous pouvez contacter Mme Claudine Fournaud : ITV France – Unité de Montpellier – Domaine de Piquet, route de Ganges, 34790 Grabels. Tél. 04 99 23 33 02. Fax : 04 92 23 33 09 – E-mail : claudine.fournaud@itvfrance.com