Pour stabiliser durablement la valeur du Pineau, la filière mène de front plusieurs chantiers (innovation qualitative, cépages, nouvelle segmentation des couleurs et du vieillissement, conquête de nouveaux marchés export…)
Des chantiers qui, pour Philippe GUERIN et Jean-Marie BAILLIF, respectivement présidents du Syndicat (ODG) et du Comité (Interprofession), structureront le devenir de l’appellation.
Mais ces dernières semaines, les équilibres entre l’offre et la demande semblent fragilisés. La filière a dû intervenir en ajustant le rendement et la réserve de production pour la récolte 2017 pour mettre en adéquation l’offre et la demande.
Les deux hommes assument et expliquent la position des instances qu’ils président.
Le Paysan vigneron : Le 23 juin dernier, la filière s’est entendue sur le niveau du rendement du Pineau de la prochaine récolte. Quel est-il ?
Jean Marie BAILLIF : Parce que cette décision était lourde de conséquences dans un contexte particulier, nous avons pris de temps de longuement étudier le contexte et de consulter nos bases. L’assemblée générale du Comité national du Pineau des Charentes du 23 juin a abouti à un consensus. Le rendement proposé par le syndicat à l’INAO sera de 72 hl/ha et intégrera un volume de réserve de 12 hl/ha bloqués au maximum 5 ans et qui pourront être libérés à tout moment par décision du Comité en fonction des besoins.
Le cadre réglementaire de la récolte 2017. (En cours de validation par les instances nationales).
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2016
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2017
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Évolution
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Rendement moût
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85
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72
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-13 hl (-15 %)
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Rendement Pineau des Charentes (produit fini)
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40,8
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38,7
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-2,1 hl/ha (-5 %)
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Dont Réserve.
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12
(14 %)
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12 (17 %)
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+ 3% (proportion)
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Durée maximale de stockage de la réserve
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36 mois
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60 mois
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+ 2 ans
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Le Paysan vigneron : Vous évoquez un contexte particulier, quel est il ?
Philippe GUERIN : Il y a 4 ans, la filière s’est fixé un objectif : celui de la valorisation durable du Pineau des Charentes. À cette époque, le contexte économique nous était favorable, c’était le moment d’engager une réforme profonde de notre rapport au produit et de sa mise en marché.
Les viticulteurs et les négociants ont œuvré ensemble à ce projet. Notre objectif : monter en gamme au travers d’une nouvelle segmentation de l’offre et s’ouvrir à de nouveaux marchés, en particulier les USA.
Pour que les metteurs en marché soient acteurs de ce projet et investissent sans crainte sur de nouveaux débouchés, il fallait leur garantir l’approvisionnement. La viticulture a donc pris ses responsabilités en augmentant la production.
Mais le chemin que nous avions tracé a rencontré des obstacles : les ventes baissent, conséquence d’une régression globale de la catégorie apéritif sur nos principaux marchés et par manque de dynamique de l’activité Pineau.
Le Paysan vigneron : D’où une baisse des cours ?
Philippe GUERIN : Effectivement, en début d’année, deux acheteurs ont cru bon de profiter d’un ralentissement des retiraisons et d’une tension sur le marché libre des Cognac 00 pour impulser une baisse des cours sur les volumes libres de vrac. La baisse pouvait représenter jusqu’à 25 % de « remise » et 2 000 € de perte de chiffre d’affaires par hectare.
Faut-il, au premier obstacle, renoncer à nos ambitions en cédant à nos vieux démons de course aux volumes pour compenser les marges ?
On ne peut pas laisser les choses dériver car l’enjeu pour la filière est beaucoup plus grand que ces volontés individuelles de petits profits immédiats. Le contexte actuel nous impose de contenir une équité de revenu entre le Pineau et le Cognac pour les producteurs et un prix stable d’approvisionnement pour les metteurs en marché.
L’enjeu est de renouer avec un volume de ventes avoisinant les 100 000 hl mais si on dévalorise, nous ne pourrons rien construire !
Le Paysan vigneron : Ne craignez-vous pas que la baisse du rendement cumulée au gel du mois d’avril ne démobilise les producteurs ?
Philippe GUERIN : La conséquence du gel est souvent sévère pour les viticulteurs touchés et influera inévitablement sur la production globale. Pour en mesurer l’impact potentiel, nous avons sondé un panel représentatif de nos producteurs (env. 40 000 hl) quelques jours après le sinistre : la baisse annoncée n’est pas aussi importante que nous aurions pu l’imaginer, de l’ordre de 20 %. Une conséquence modérée qui peut s’expliquer par une progression historique de la contractualisation ces dernières années et par le fait qu’une partie du vignoble n’a pas été impactée par le gel.
Nous estimons que ces déficits peuvent être potentiellement compensés par les réserves des récoltes 2015 et 2016 qui sont prochainement libérables. Mais il faudra malgré tout veiller à la bonne tenue des marchés car la réserve 2015 interviendra sur le marché un an trop tôt.
Concernant le rendement, il faut relativiser : La baisse n’est que de 5 % (2,1 hl/ha) sur le produit fini, comparée à la tentative déstabilisation des cours (de l’ordre de -20 %), l’effet sera bien moins impactant pour chacun des maillons de la filière.
Le Paysan vigneron : Le niveau élevé du rendement Cognac (12 hl AP/ha) et le prix des vins de distillation dans un contexte de pénurie d’approvisionnement ne risque-t-il pas de constituer un appel d’air qui mettrait votre potentiel en difficulté ?
Jean-Marie BAILLIF : La comparaison de chiffre d’affaires/ha de Cognac et de Pineau est et sera toujours une réalité mais le raisonnement doit être tenu sur plusieurs années. Nous avons, dernièrement, démontré que les chiffres d’affaires Pineau et Cognac peuvent être de niveau équivalent.
Chacun sait que les allers/retour vers le Pineau ont été rendus plus difficiles par notre organisation. Indépendamment de l’affectation, la seule question de la disponibilité des eaux-de-vie et des vidanges sur les logements bois est un frein à ce type de comportement.
Par ailleurs, comme le disait Philippe, les contrats sont aujourd’hui assez répandus. Ils nous aident à fidéliser la production.
Le Paysan vigneron : De son côté, l’interprofession fait le choix d’augmenter la proportion de réserve et sa durée de blocage. Pour quelle raison ?
Jean-Marie BAILLIF : L’objectif de filière est de capter durablement la valeur en montant en gamme, particulièrement grâce au développement des qualités plus vieilles.
Au-delà de 5 ans, le Pineau des Charentes franchi un seuil qualitatif qui représente une vraie valeur ajoutée pour le consommateur. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi cette durée. Mais je rappelle que l’interprofession est libre de libérer les réserves de façon anticipée selon le marché.
Philippe GUERIN : Le rôle de la réserve est de constituer un stock destiné à répondre à des besoins ponctuels et non-prévisibles (Aléa climatique, progression des ventes…). Si nous réalisons une analyse froide de nos besoins immédiats compte tenu de nos stocks et des réserves, le rendement serait de 60 hl/ha.
Le Syndicat a porté le rendement à un niveau plus élevé car des garanties ont été apportées, avec la réserve, d’adapter l’offre à la demande.
De plus, la constitution d’un stock de qualités plus vieilles est une possibilité offerte à chacun de diversifier ses revenus au sein même de sa gamme Pineau.
Le Paysan vigneron : Est-ce économiquement rentable pour le producteur ?
Jean-Marie BAILLIF : Jusqu’ici, les producteurs ne tiraient aucune valeur ajoutée de la vente en vrac de qualités vieillies. Seules les mentions de complémentaires « Vieux » et « Très vieux » justifiant d’une revendication et d’un examen par la commission de dégustation pouvaient prétendre à des prix plus attractifs.
C’est totalement incohérent car les qualités vieilles intègrent généralement des assemblages prémium ou améliorent substantiellement le niveau des gammes plus classique. Il y a donc un véritable intérêt pour l’acheteur.
Un Pineau de 4 ans doit avoir une valeur supérieure à un Pineau de 2 ans.
Les acheteurs doivent donc intégrer dans leurs grilles d’achat le coût du vieillissement (30 €/hl par an).
Pour les volumes qui seront mis en réserve pour la prochaine récolte, j’invite dès aujourd’hui, les producteurs à anticiper la mise en marché.
Il est important de produire mais il est indispensable d’organiser sa mise en marché. Aujourd’hui, le marché du Pineau est majoritairement Pineau Blanc, il est impératif d’adapter son vignoble en conséquence.