Université des spiritueux de Segonzac, « un oeil au bout du rang de vigne et un oeil au bout du mond

22 août 2019

Le rendez-vous du droit en Grande Champagne pour faire le point à l’international

 

La qualité à la quantité. Dans le village de Segonzac, 2 200 âmes, se sont déroulées deux journées d’étude à l’université des spiritueux les 20 et 21 mai derniers sur le thème de « Droit et économie des signes collectifs distinctifs ». Durant une journée et demie, rythmée par dix conférences, les professionnels du droit des spiritueux ont débattu d’une partie des politiques européenne, américaine, canadienne, japonaise, chinoise et africaine en matière de représentation, d’indication géographique, ou encore de douanes.

Jérôme Sourrisseau, président de Grand Cognac, a ouvert le rendez-vous en rappelant que le  « Cognac, de tout temps, depuis qu’il existe, s’est produit ici et tout de suite s’est exporté dans le monde entier. L’adage, le dicton, un œil au bout du rang de vigne et un œil au bout du monde, parce que le viticulteur cognaçais a toujours dû être dans ces deux dimensions, surveiller à la fois sa production locale et ce qu’il se passait à l’autre bout du monde, car un conflit, une guerre, des tensions géopolitiques, et tout de suite, cela avait une conséquence locale. »

 

COGNAC, UNE CAMPAGNE HISTORIQUE

 

Véronique Marendat, maire de Segonzac et vice-président de Grand Cognac, lui a embrayé le pas, louant l’enracinement d’un tel événement dans la campagne de Grande Champagne. « Dans une période où l’on a tendance à l’hyper-métropolisation, c’est une façon de démontrer, qu’en milieu rural, il y a un réservoir d’excellence, un réservoir de croissance, et qu’il ne faut pas faire en sorte que tout ce qui est formation, enseignement supérieur, recherche, reste cantonné aux grandes villes, mais que nous puissions continuer à aménager et développer le territoire en l’imprégnant de tout ce qui peut permettre la fertilité d’un écosystème. La création de l’agglomération nous a permis de franchir un pas, de travailler sur des stratégies économiques. Nous travaillons avec le Grand Angoulême, avec le Centre Universitaire de la Charente sur la stratégie d’enseignement supérieur, en lien avec le développement de la filière qui est très ancré au milieu des vignes. »

Nicolas Binctin, professeur de droit privé à l’université de Poitiers, souhaitait « à la fois aider les opérateurs du Cognac pour mieux construire leur stratégie juridique, mais aussi permettre à des terroirs, sur les continents africain, asiatique, américain, trouver des moyens de développement économique pour construire un aménagement du territoire, un écosystème, un commerce international, et arriver certainement, au bout du compte, à un meilleur partage de la chaîne de valeur entre les différents opérateurs et toute la chaîne en offrant à chacun sa place. » Ainsi, deux objectifs principaux étaient détachés : fournir « des outils de compréhension aux opérateurs locaux » et « des retours d’expérience des opérateurs locaux pour l’exportation d’un modèle économique et d’un modèle géopolitique. »

Les accords bilatéraux (qui ravissent certains et irritent d’autres), les fameux CETA et JEFTA, entre autres, ou la politique protectionniste américaine en terme d’IG, ont rythmé les échanges. Si du point de vue des appellations d’origine ou des indications géographiques, les traités sont protecteurs voire salvateurs, pour le Cognac notamment (par sa puissance économique, historique, diplomatique), d’autres pans de l’activité européenne risque d’en pâtir (comme l’industrie automobile française en Iran ou d’autres productions agricoles aux normes différentes dans le MERCOSUR).

 

L’IMPORTANCE DES SIGNES COLLECTIFS – ENJEUX POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES

 

Les intervenants ont mis en avant l’importance des signes collectifs (AOP, IGP, et autres marques collectives) comme force corporative d’exportation. Cependant, dans le cosmos européen (qui s’apparente parfois à un marasme), l’approche « est-elle tiraillée entre le niveau européen et le niveau national des États membres, explique Gabrielle Rochdi, Maître de conférences HDR, Droit public, responsable de la formation de la licence professionnelle Droit des métiers des vins et spiritueux à l’université de Poitiers. À l’échelle du continent, ces compromis expriment un jeu d’arrangement politique entre les États que viennent étayer des intérêts d’ordre économique ou divergents. Ces compromis d’ordre interne ont d’ailleurs conduit l’UE a tranché, entre les conceptions des pays du nord et celles des pays du sud de l’Europe, pour fonder définitivement sa politique de qualité sur l’origine des produits, à partir de noms de lieux, ou de mots associés à ces lieux. Les conceptions françaises et italiennes, des pays du sud, les conceptions disant que la qualité subjective vont l’emporter sur les préconisations des pays du nord de l’Europe plus tournés sur une approche de qualité basique visant le tandem sécurité-santé des produits. »

Thierry Fabian, chargé de mission national sur les boissons spiritueuses à l’INAO a illustré ces différences culturelles. Il a rappelé que la « demande de justification du service qualité de l’IG, Indication Géographique, avec la présentation de la spécificité par rapport aux standards de sa catégorie, et du lien entre les caractéristiques du produit et son milieu géographique, dans un contrôle de la cohérence de la fiche technique. La commission européenne se réserve le droit de venir discuter avec les États membres qui ont introduit des obligations de conditionnement dans l’ère géographique pour certains produits (exemple de l’eau-de-vie  grappa en Italie, volonté italienne contre l’Allemagne). »

Gabrielle Rochdi a expliqué l’intérêt et la défense de ces IG par les différents pays européens, parfois de manière fédérale, parfois de manière individuelle. « L’intention de l’UE vis-à-vis de ses partenaires commerciaux identifiés est de protéger les IG qu’elle reconnaît contre les pratiques d’usurpation.

L’accord de 1994, accord d’origine ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), avait prévu la mise en place d’un système multilatéral de notifications et d’enregistrement des IG pour les vins, par la suite la déclaration du cycle de Doha de 2001 est venu étendre cette prescription aux spiritueux [N.D.L.R. : selon le site officiel, ces travaux de l’OMC cherchent « la réduction des obstacles au commerce lorsque cela est possible et l’élaboration de règles concernant le maintien d’obstacles au commerce ainsi que d’autres politiques commerciales »]. Il est envisagé de créer un registre international des vins et spiritueux.

L’enlisement des négociations commerciales multilatérales du fameux cycle de Doha a découché sur un système d’accords de commerce négociés de gré à gré de ces accords bilatéraux.

L’UE demande systématiquement d’une liste d’IG dans chaque accord de libre-échange qu’elle négocie, des accords de libre-échange en tant que tel, de coopération ou de partenariat, et les États membres de l’Union, tout particulièrement la France, sont très attentifs à la protection de leurs filières (accord UE-Corée du Sud, protection au-delà de 25 IG dans les vins, inclus la protection de trois IG en lien avec les boissons spiritueuses : Cognac, Armagnac, Calvados ; approche que l’on retrouve dans les relations avec Singapour, Vietnam, CETA, etc.). »

 

 

 

L’INFLUENCE LATINE (FRANÇAISE) DES IG

 

Au Japon, il n’y a pas de différence entre AOC et IGP, pourtant très ancrée dans la culture européenne latine. Les rapports entre le Japon et l’UE vont forcément évoluer, articulés autour de l’accord de libre-échange JEFTA (Japan-EU Free Trade Agreement – JEFTA), où 58 IG japonaises (48 produits agricoles et 10 liqueurs) et 210 de l’UE (71 produits agricoles et 139 liqueurs) ont été enregistrées.

Le professeur Yukari Hira, de l’université de Kyoto Kyoiku au Japon, a reconnu que « le JEFTA est un pas important pour le partenariat entre le Japon et l’UE , et que les Européens profitaient davantage de cet accord. Le travail engagé par les Nippons pourrait modifier ce rapport de force, car ce traité n’en est « qu’au début ».

« La position tenue par l’UE en matière d’IG est en cohérence avec la position qu’elle tient avec les positions commerciales multilatérales de l’OMC, et notamment dans les discussions relatives à l’agriculture, visant la multi-fonctionnalité agricole. Les IG sont un argument de négociation directe au titre de la qualité des produits, et indirectement dans les débats sur la baisse des subventions agricoles. Ces IG font encore figure d’instrument du développement durable pour les producteurs et les communautés rurales », ajoute Gabrielle Rochdi.

Cette influence française se voit aux États-Unis. Officiellement héraut de l’ultra-libéralisme, Les États-Unis sont surtout à la pointe pour défendre leurs marques et leurs industries à l’étranger, ainsi que face à la concurrence sur leur sol.

Caroline Le Goffic, de l’université Paris V a présenté le rôle de l’État aux États-Unis en matière de protection des IG.

Ainsi, « l’ATTB, Alcohol and Tobacco Tax and Trade Bureau (Bureau des taxes et du commerce sur l’alcool et le tabac) fait preuve d’une exigence plus forte qu’au départ et apprécie les facteurs naturels qui vont caractériser les aires proposées puis protégées, exerçant un contrôle renforcé sur les terroirs. Le mot terroir apparaît, en français dans le texte, dans les règlements administratifs.

Le mot terroir, définition élaborée par une communauté de géographes, reprise et adoptée de manière assez large, définition géographique, correspondance extrêmement forte entre la définition juridique de l’appellation d’origine. Terroir, pour les géographes, est cet espace délimité qui a une histoire, une forme de notoriété et qui repose sur le caractère indissociable des facteurs naturels (physiques, géologiques, climatologiques) et des facteurs humains.

Il y a un nombre croissant de refus d’enregistrement d’AVA (American Viticultural Area, Région viticole américaine) fondés sur des données géographiques lorsque se révèle un manque d’homogénéité des zones. ATTB a refusé une AVA California Cost par des grands groupes vinicoles, car l’appellation représentait une trop grande diversité de sols et de conditions physiques. Des AVA reconnues dans les premiers temps se sont trouvées redéfinies et re-délimitées dans le sens des exigences croissantes d’homogénéité du terroir.

Se multiplient les reconnaissances de sub-AVA (sous-AVA), on cherche à affiner la définition des différents terroirs. Le contrôle de l’ATTB se renforçant, le rôle de l’État fédéral augmente et devient le gardien de l’homogénéité des AVA et globalement, l’État, l’autorité publique aux États-Unis, joue un rôle beaucoup plus important que l’on pourrait le penser dans la protection des indications géographiques.

Ces exigences ont entraîné des conséquences économiques : une série d’AVA reconnue dans l’État du Missouri, qui traditionnellement n’était pas un État viticole, et ces reconnaissances ont entraîné le développement de programmes de recherche locaux, l’augmentation du prix des raisins, des vins, et l’afflux de travailleurs en provenance des États voisins. Conséquences économiques loin d’être négligeables. »

 

LE COGNAC ET LE WHISKY FACE AU BAIJIU

 

Dans l’autre grand marché du Cognac qu’est la Chine propose une approche commerciale et culturelle bien différente. Il y règne le baijiu, littéralement « alcool blanc », l’eau-de-vie chinoise par excellence. Lionel Lalagüe, directeur des affaires publiques et internationales au BNIC, a longuement expliqué l’histoire l’installation du Cognac dans l’Empire du Milieu.

1993 : Nous lançons les actions de coopération avec la bénédiction des autorités européennes et françaises, pour prêcher la bonne parole des IG auprès des Chinois. La Chine avait énormément de produits de qualité, voulait développer des valorisations de ces produits et de leurs terroirs de production, et nous avons eu cette synergie dans les intérêts communs, ce qui a permis, notamment, de faire en sorte que l’IG Cognac et le BNIC en tant que tel, soit extrêmement bien considérés par l’administration chinoise, clé dans tout ce qui a suivi.

1999 : Premier texte développé par l’AQSIQ (Administration for Quality Supervision, Inspection and Quarantine, Administration générale de la Supervision de la Qualité, de l’Inspection et de la Quarantaine), qui va permettre de soutenir la démarche de valorisation des produits de qualité. Ce texte-là est vraiment le premier pas des autorités chinoises vers la promotion des produits de qualité. Deux dispositifs d’enregistrement des indications géographiques. Standard en 1999, puis des dispositions relatives à la protection.

2001 : Loi sur les marques, adoptée par le congrès du peuple

2002 : Règlement d’application adopté

2005 : Le système AQSIQ qui s’apparente au système des IG dans l’UE (en esprit, avec protection su generis). Géré par la SAIC (State Administration for Industry and Commerce, Administration de l’État pour l’Industrie et le Commerce) va mettre en place des dispositifs de protection des IG par maques collectives géographiques. Dès le départ, il va y avoir une forme de concurrence entre les deux systèmes.

Le système AQSIQ, dans la vocation et l’objectif des autorités chinoises, est un système avant tout dans les conditions de production, alors que le système SAIC est un système de droit de propriété intellectuelle.

2007 : Système qui permettait de créer une nouvelle structure de reconnaissance pour les IG chinoises.

6 décembre 2009 : Enregistrement de l’IG Cognac après quinze ans de coopération. Première IG étrangère enregistrée dans le système.

2016 : Plus de 1000 IG enregistré AQSIS, 14 étrangères et plus de 2000 dans la SAIC dont 50 étrangères. La SAIC travaille plus vite, dans une logique d’enregistrement sans trop prêter attention aux contenus et aux conditions de production. Elle ouvre des droits à la protection à la frontière des douanes chinoises (non valable pour AQSIQ). L’AQSIQ réalise examen plus approfondi des cahiers des charges. Il y a 10 produits UE-CHINE ; 4 indépendants : Cognac (1e enregistré à l’AQSIQ), Scotch Whisky (1e enregistré à la SAIC, 1e IG étrangère enregistrée en Chine), Nappa Valley, Champagne. Des quatre, Cognac le seul qui n’a pas été enregistré en tant que marque collective. Mais en Chine, il n’y a pas d’incompatibilité entre les marques collectives & IG su generis.

Il est important de s’allier avec des marques sur des cas où nous allions nous retrouver avec des Look-alike, carafes qui vont reprendre une forme connue de flacon de marque et qui vont, ou pas, utiliser la marque ou son logo ou l’IG.

2018 : Création de la  SAMR (State Administration for Market Regulation, Administration de l’État pour la Régulation du Marché), regroupant une une partie des AQSIQ, SAIC, FDA, Food and Drug Administration). C’est l’entité responsable de la mise en œuvre de la règlementation en Chine sur le territoire chinois, embauchant 300 000 personnes, de manière nationale puis provinciale.

La SAMR a récupéré la protection IG sur le territoire chinois, mais la protection intellectuelle à la frontière dont était responsable AQSIQ en ce qui concerne l’alimentaire, a été récupéré par les douanes. La protection des IG s’effectue à la frontière par les douanes ; protection IG sur le territoire chinois est effectué par la SAMR.

Ce que l’on peut attendre est de sortir d’une logique de concurrence entre les deux administrations, car une seule chapeaute le territoire, on devrait sortir du système d’aller-retour. »

À travers ce long partenariat juridique, d’autres éléments sont à prendre en compte dans la lente mais sûre intégration du Cognac en Chine est l’alcool local, le Baijiu. « Le seul élément gênant est le caractère assez limité sur le plan géographique de la consommation. Situé dans le sud, Banghore, Shenzhen, Hong-Kong, les provinces le long de la mer de Chine. Il y a tout un pan de la Chine continentale qui reste profondément ancré dans les spiritueux chinois. Quand bien même ce soit notre deuxième marché mondial en terme de consommation, tous les spiritueux importés en Chine ne représentent que 1,5% des spiritueux consommés, 98,5% sont baijiu. Cela offre une belle marge de progression sur ce marché. »

 

« CONSTRUIRE UN AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, UN ÉCOSYSTÈME, UN COMMERCE INTERNATIONAL »

 

Au-delà des mises-à-jours  et des questions légales et culturelles, Nicolas Binctin, professeur de droit privé à l’université de Poitiers a rappelé l’importance de ces rencontres, avec deux objectifs principaux : « fournir des outils de compréhension aux opérateurs locaux ;  fournir des retours d’expérience des opérateurs locaux pour l’exportation d’un modèle économique et d’un modèle géopolitique. À la fois aider les opérateurs du Cognac pour mieux construire leur stratégie juridique, mais aussi permettre à des terroirs, sur les continents africain, asiatique, américain, trouver des moyens de développement économique pour construire un aménagement du territoire, un écosystème, un commerce international, et arriver certainement, au bout du compte, à un meilleur partage de la chaîne de valeur entre les différents opérateurs et toute la chaîne en offrant à chacun sa place. »

Souhaitant élargir le champ d’expression du Cognac, non plus comme une mode mais comme un modèle de civilisation, il y a « l’ambition pour un travail de recherche, pour s’inscrire dans la globalisation, tout l’intérêt d’être à Segonzac, est de montrer qu’il n’y a pas d’opposition, en tout cas d’un point de vue de la technique juridique, entre un terroir, une défense d’un lieu singulier, qui ne peut pas se trouver ailleurs, et la construction d’une économie globalisée. La valeur la plus forte que nous puissions accorder au Cognac est dans une économie globalisée. »

Le Cognac parle au monde, et son histoire montre qu’il reste à la pointe car il ne cesse de travailler. Là est son génie.

 

RÉGIME JURIDIQUE

Tel qu’apparu en 1992, le régime des signes de qualité repose aujourd’hui sur l’unique règlement, 1151-2012 du 21 novembre 2012. Fondamentalement, le dispositif s’inscrit dans les dispositions de l’article 118 sur le traité de fonctionnement de l’UE, unique article, 118 FUE (Fonctionnement de l’UE) sur les questions de propriété intellectuelle, et également un article 17 paragraphe 2 de la Charte des Droits Fondamentaux, qui affirme que la propriété intellectuelle est protégée dans l’UE.

L’ensemble de ce dispositif du règlement 151-2012 prend comme postulat que les produits protégés relèvent d’un patrimoine non délocalisable, suivant les savoir-faire reconnus et par ailleurs constatés localement.

S’agissant des dispositions en matière d’IG, le régime juridique s’appliquant aux boissons spiritueuses est, depuis le 8 juin, le nouveau règlement 787-2019*.

 

 

*Texte téléchargeable sur :

eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019R0787

 

UE et accords commerciaux, sur tous les fronts

 

Les accords de libre-échange et d’intégration de nations n’est pas une idée neuve. Elle peut prendre racine dès La République de Platon, et à travers l’Histoire, par l’action du monde anglo-saxon et des financiers internationaux (Venise, Provinces-Unies, la City, Wall-Street). Petit point sur l’intégration de l’Europe de Bruxelles et des traités commerciaux.

 

Alors que le partenariat transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis (TTIP ou TAFTA), qui a fait couler beaucoup d’encre depuis une demi-décennie, est au point mort depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine, cette idée vient de plus loin. Nous pouvons remonter à 1939 et à l’ouvrage Union Now de Clarence Streit (journaliste américain de confession israélite au New-York Times), qui appelait déjà à une « union fédérale des démocraties de l’Atlantique Nord ». Cette idée avait déjà germé dans la première moitié du XVe siècle lorsque la France de Charles VII était à genoux devant l’Angleterre du roi Henri V, avec l’intermédiaire de l’abbé Cauchon, avant l’arrivée providentielle de sainte Jeanne-d’Arc. Et encore, après la bataille de France de la Deuxième Guerre mondiale, le 16 juin 1940, l’Union franco-britannique a failli voir le jour entre les mains de Winston Churchill, Jean Monnet (agent américain), Charles de Gaulle, qui transmis le texte d’alors à Paul Reynaud1. Mais le projet capota, et fut tenté à nouveau, vainement en septembre 1956, autour de Guy Mollet et Anthony Eden, Premiers ministres français et anglais2.

Émeric Crucé, dans son ouvrage Le Nouveau Cynée, Discours d’État représentant les occasions et moyens d’establir une paix générale et la liberté de commerce pour tout le monde, en 1623 montre l’idée très ancienne de libre-échange.

Faisant fi de ces échecs dans ces intégrations fédéralistes, l’UE et Mercosur (marché commun sud-américain (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) se sont mis d’accord sur un accord commercial abattant 90% des droits de douanes. Si les vins et spiritueux français peuvent être à la fête, ce sera moins le cas pour d’autres produits agricoles, notamment « le bœuf, la volaille, le porc, le sucre et l’éthanol. »3

 

Les autres négociations de l’UE

L’UE est actuellement engagée dans des négociations commerciales avec les pays tiers et entités suivants:

Japon – Accord de libre-échange (ALE) – JEFTA – qui est entré en vigueur le 1er février 2019 ; des directives de négociation ont été adoptées en 2012 et l’accord a été ratifié à la fin de l’année 2018

Singapour – ALE séparé en attente d’adoption au sein du Conseil; des directives de négociation ont été adoptées dans le cadre de l’ASEAN, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, en 2007

Viêt Nam – ALE séparé en phase de pré-signature, l’entrée en vigueur étant prévue en 2019; des directives de négociation ont été adoptées dans le cadre de l’ASEAN en 2007

Mexique – Le texte en vue de la modernisation de l’accord global entre l’UE et le Mexique doit être finalisé d’ici la fin de 2018; des directives de négociation ont été adoptées en 1999

Chili – Négociations en cours en vue de moderniser l’actuel ALE; des directives de négociation ont été adoptées en 2017 ;

Australie et Nouvelle-Zélande – Négociations d’un ALE sont en cours ; des directives de négociation ont été adoptées en 2018

Tunisie – négociations en cours pour un ALE complet et approfondi (ALECA) avec un

cinquième cycle de négociations dans la mesure du possible avant la fin de l’année 2019. Nous avions évoqué dans Le Paysan Vigneron n°1212 la bienveillance de la FEVS sur les accords de libre-échange, en l’occurence celui du Vietnam. De tous ces accords, historiquement, la branche des vins et spiritueux ont toujours su s’en tirer à bon compte.

« Du traité de libre-échange du 23 janvier 1860 avec la Grande-Bretagne, les conclusions étaient déjà sensiblement les mêmes.

"Aucune branche du commerce français ne profita plus du traité de commerce de 1860 entre la France et la Grande-Bretagne, bientôt suivi de plusieurs autres que avec la plupart des nations voisines, que le commerce des eaux-de-vie des Charentes." »4

Un chapitre de plus dans les aléas de l’Histoire.

 

1. http://www.ibiblio.org/pha/policy/1940/400616a.html

2. http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/6261885.stm

3. Les Échos du 1er juillet 2019

4. Louis Ravaz, Le Pays du Cognac, p. 270, in Jean-Vincent Coussié, Le Cognac et les aléas de l’Histoire, Éditions BNIC, 1996, 2e édition.

 

 

L’exemple québécois, l’ex-Nouvelle-France

 

Pierre-Emmanuel Moyse, Professeur Faculté de droit de McGill., à Montréal, au Canada, œuvre également au CIPP, Centre des politiques en propriété intellectuelle (Centre for Intellectual Property Policy en VO), est revenu sur l’AECG – Accord économique et commercial global – ou CETA – Comprehensive and Economic Trade Agreement, signé le 5 juillet 2016, entre l’Union européenne et le Canada. Les deux entités ont vu leurs relations commerciales transformés par ce trait, montrant les relations économiques et diplomatiques entre deux des pôles de l’océan atlantique.

 

Rapport de force et cadre juridique

 

« Les rapports entre États sont des rapports de force, rappelaient Marie-France Garaud dans l’émission Ce soir, ou jamais du 10 mai 2013. Toujours. Les rapports entre deux êtres humains sont aussi des rapports de force. Les rapports de couple sont aussi des rapports de force. Ce qui veut dire que les rapports de force ne sont pas forcément agressifs ou tumultueux. Cela veut dire que chacun a des atouts, les autres a des atouts, ce ne sont pas les mêmes et que chacun fait en sorte que ce qu’il considère comme important soit respecter ou pris en compte. »1

L’Amérique du Nord s’organise sur une approche différente de celles des indications géographiques (IG), davantage sur les marques (voire marques collectives) que les IG (la politique américaine étant plus ambigüe, soutenant ses marques à l’étranger mais soutenant ses IG en interne).

« Le cadre juridique qui existe au Québec est le seul du genre en Amérique du Nord, calqué sur le modèle de l’INAO. Il a été mis en place par le ministère de l’Agriculture pour la période 2018-2021 un programme qui vise à accompagner les groupes et a les soutenir financièrement dans la constitution d’un dossier qui pourra être soumis éventuellement aux CARTV, Conseil des Appellations Réservées et des Termes Valorisants, comme l’IGP Cheddar de l’Île-aux-Grues, en demande de reconnaissance.2

Vous comprenez, ici, que cela ne se fait pas sans froissement. Il faut un minimum de sensibilité par rapport à ceux qui reçoivent ce système. Ce droit, qui est fédéral, canadien, est au bénéfice de qui ? Pas des Canadiens, mais purement d’opérateurs étrangers. C’est une forme d’impérialisme juridique.

Loi 11.11, production purement européenne au bénéfice des européens. Nous avons désormais des listes qui n’en finissent plus de noms, de signes, d’indications géographiques qui sont protégées au Canada et nous n’avons quasiment aucune indication géographique canadienne (quatre en l’occurence2). L’AECG reconnaît 143 IG européennes (dont 42 françaises). À noter que les vins et spiritueux sont déjà protégés au Canada par un accord spécifique sur le vin datant de 2003.3

 

Rudes négociations et lobbying

 

Ces accords ne se font pas sans heurt. Pierre-Emmanuel Moyse a commenté l’ACEUM, Accord Canada-États-Unis-Mexique, remplaçant le fameux Alena de janvier 1994, l’Accord de libre-échange nord-américain, comme un « moment terrible. Les tarifs douaniers ont été augmenté le temps des négociations. Il y a eu la reconnaissance de dualité, en faisant reconnaître les indications géographiques à la mode européenne. Nous en sommes devenus la portée d’entrée. La marque prédomine sur les indications géographiques sauf les vins et spiritueux, mais il y a des clauses qui protègent les droits des européens dans l’accord vertical ACEUM. »

Rappelant que le mot « parmesan » est  devenue un mot usuel décrivant un fromage râpé, Pierre-Emmanuel Moyse a rappelé l’importance de ces enjeux économiques, issus de visions du monde différentes. « Un lobbying est financé par Kraft en particulier, l’industrie de l’agroalimentaire, qui a été financé à la suite aux déboires des compagnies de tabac. Philip Morris a réinvesti dans l’agroalimentaire ; c’est un lobby extrêmement puissant à Washington qui a des sites comme celui-là, common food names, qui a pour unique objectif que Cognac soit un whisky quelconque. SI vous ne portez pas attention à cette forme de lobbying qui existe à l’heure actuelle, beaucoup de produits qui sont considérés comme des indications géographiques vont être attaquées sous le mécanisme de motif d’opposition sous l’idée du mot usuel. »

 

1. https://www.youtube.com/watch?v=1Atyvt9TlcQ

2. https://cartv.gouv.qc.ca/registre-appellations-reservees-reconnues-au-quebec

Les appellations du Registre des appellations réservées et reconnues au Québec.

– Appellation relative au lien avec un terroir :
« Vin du Québec », « Maïs sucré de Neuville », « Cidre de glace du Québec », « Vin de glace du Québec »

– Appellation relative à un mode de production : 
« Biologique »

– Appellation relative à une spécificité :
« Fromage de vache de race Canadienne »

3.https://www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/13526_pourquoi-proteger-les-indications-geographiques

 

 

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