Une volonté d’améliorer la qualité qui débouche sur La création d’un chai collectif

28 mars 2009

La Rédaction

La mise en commun de moyens pour vinifier sur un même site la production d’une petite centaine d’hectares de vigne n’est pas un événement courant dans notre région. C’est pourtant la solution choisie par 6 viticulteurs de Grande Champagne qui ont monté cette année un chai collectif. Leur démarche est intéressante sur le plan technologique et humain, car leur vécu du travail en commun depuis de nombreuses années a permis de « mûrir » progressivement ce projet. La Cuma du Champ du Parc à Graves-Saint-Amant a vinifié cette année une production de plus de 12 000 hl de vin, en ayant le souci de concilier les aspects qualitatifs et la maîtrise des coûts.

 

volonte_dameliorer_la_qualit.jpgDepuis maintenant 25 ans, les difficultés économiques ont modifié les comportements des viticulteurs qui naturellement étaient très individualistes dans leurs méthodes d’organisation du travail et d’utilisation des équipements. La réduction des coûts de production a reposé à la fois sur une compression des charges de main-d’œuvre au profit de méthodes de conduite du vignoble plus mécanisées et d’une utilisation plus judicieuse du parc matériel. Les exigences de rentabilité ont obligé les viticulteurs à faire preuve de réalisme dans l’acquisition et l’utilisation de nombreux équipements qui ne fonctionnent que quelques jours dans l’année. Progressivement, les utilisations de matériel en commun se sont développées soit de manière informelle, soit par le biais de structures de travail parfaitement organisées, les Cuma. Dans le milieu viticole, l’arrivée au début des années 80 des machines à vendanger, qui représentaient un investissement trop important pour des propriétés de petites et moyennes surfaces, a souvent été à l’origine de la création de nombreuses Cuma. L’organisation collective des chantiers de récolte sur plusieurs propriétés pendant une durée de deux à trois semaines nécessite de la part des viticulteurs une certaine ouverture d’esprit pour accepter les contraintes et les avantages du travail en commun. Les arguments économiques s’avèrent certes déterminants dans l’adhésion à une Cuma de vendanges, mais la pérennité du travail en commun repose sur une volonté humaine de s’intégrer dans un projet pensé dans le moyen terme.

SIX viticulteurs sensibilisés par les attentes qualitatives et réglementaires

L’histoire de la Cuma du Champ du Parc à Graves-Saint-Amant repose sur une antériorité de travail en commun qui a commencé au début des années 80 par l’acquisition d’un semoir à maïs puis de celle d’un enfonce-pieux. Ensuite, le véritable pôle viticole de la Cuma s’est créé avec l’achat d’une machine à vendanger automotrice en 1985. L’utilisation de la MAV concernait cinq exploitations représentant une surface de 75 ha de vignes et, progressivement, l’idée de mettre en place un vendangeoir commun avait germé dans l’esprit de certains adhérents mais sans une réelle volonté de voir les choses se formaliser. D’ailleurs, les associés de la Cuma tiennent sur ce sujet un discours unanime : « L’idée de construire un chai collectif avait effleuré nos esprits depuis maintenant plusieurs années mais nous n’avions pas manifesté la volonté de pousser plus loin cette réflexion. C’est à la fois l’expérience des vendanges en commun depuis 20 ans et la conjonction de circonstances nouvelles au cours des dernières années qui ont permis de mettre en place ce projet. Sur nos exploitations, les installations vinaires individuelles étaient vieillissantes, la main-d’œuvre familiale devenait plus rare et les seuls investissements importants que nous avions réalisés concernaient la cuverie. Par ailleurs, les négociants sont devenus beaucoup plus exigeants vis-à-vis de la qualité des vins et nos efforts pour élaborer de meilleurs vins nécessitaient souvent de gros investissements qui nous paraissaient trop lourds. La pression qualitative constante depuis dix ans et la nécessité de réaliser de nouvelles interventions comme la décantation, le levurage systématique, la mise à température en ligne des moûts, nous ont aussi permis de prendre conscience des limites technologiques de nos chais et des disponibilités humaines nécessaires à la réussite de ces vinifications plus technologiques. Les contraintes environnementales liées au nettoyage quotidien de la MAV et de nos chais individuels devenaient aussi une préoccupation d’actualité qui allait engendrer des charges financières importantes. Enfin, l’année 2003 très chaude a été l’élément déclencheur de la réflexion autour du projet de chai collectif. En effet, les fortes chaleurs nous avaient obligés à organiser différemment les vinifications pour rentrer dans nos chais des raisins les plus frais possible. Nous vendangions la nuit de 2 heures du matin à environ 12 heures pour lancer les fermentations avec des moûts à moins de 20 °C, et dans ce contexte nous avons perçu les limites de nos installations individuelles. Cette organisation du chantier de récolte particulière a permis d’éviter les accidents de surchauffe pendant les fermentations alcooliques, mais elle a eu comme conséquence d’engendrer des pertes de temps et de rallonger la durée totale des vendanges. Les volumes rentrés quotidiennement dans nos chais étaient plus faibles. »

Un projet de chai collectif où chacun conserve « sa maîtrise technique »

Après les difficiles vendanges 2003, les cinq associés de la Cuma, la sarl Richard (MM. Bruno et Pascal Richard), M. Michel Vinsonnaud, M. Christian Jobit, M. Robert Piveteau et M. Jean-Louis Musset avaient tous pris conscience des limites technologiques de leurs installations vinaires personnelles et l’idée de monter un chai collectif performant s’est rapidement transformée en un projet cohérent. Les cinq viticulteurs ont pris la décision de se lancer dans la construction d’un chai collectif et cette initiative a séduit un de leurs voisins, M. Eric Rambaud (aussi utilisateur d’autres matériels au sein de la Cuma). La démarche n’a pas été abordée dans une optique de vinification collective identique à celle d’une coopérative mais dans le cadre d’une mise en commun de moyens technologiques performants pour vinifier séparément la production de chaque propriété. La Cuma investit dans un chai collectif complètement aménagé pour traiter la vendange et les moûts, mais chaque viticulteur reste propriétaire de sa cuverie et de sa récolte de vin à l’intérieur du chai. La proximité des six exploitations a permis d’aborder la réflexion sur la construction de cette unité de vinification collective sans contrainte de distance. Le choix d’un site central satisfait à la fois aux exigences d’accès pour les transports (de la MAV, des bennes à vendanges et des camions-citernes) et aux contraintes environnementales d’une unité vinifiant chaque année 12 000 à 14 000 hl de vin (la production de 95 ha de vignes). Le permis de construire a été obtenu à l’automne 2004 mais les travaux n’ont réellement commencé que durant le printemps 2005. Les six viticulteurs ont passé de longues journées à concevoir ensemble l’unité de vinification en ayant le souci de satisfaire les exigences de qualité, les aspects fonctionnels et les contraintes réglementaires. Les axes prioritaires de réflexions ont concerné l’implantation de moyens technologiques performants et évolutifs, et aussi la conception d’une unité complètement aux normes sur le plan réglementaire et environnemental. La Cuma du Champ du Parc a franchi une étape décisive dans la mise en œuvre du travail en commun en décidant d’intégrer la conduite des vinifications dans son activité. Cela atteste de l’évolution profonde du comportement de ces cinq viticulteurs qui, pour des raisons qualitatives et économiques, ont décidé « d’ouvrir » leur chai et leur savoir-faire de vinificateur.

Une conception reposant à la fois sur l‘utilisation de technologies adaptées et sur la fonctionnalité

vue_densemble_de_laire_de_lavage.jpgLe fait de pouvoir réaliser une installation complètement neuve sur un site vaste a permis de concevoir l’ensemble de l’unité en ayant des approches les plus ouvertes possible dans l’agencement des différents ateliers technologiques. La chaîne de transport et de traitement de la vendange a été conçue et réalisée pour minimiser les effets mécaniques sur les raisins. Le conquet de réception et les pressoirs ont été implantés directement sur une aire bétonnée pour que la différence de niveau entre la sortie de la pompe à vendange et les entrées axiales des pressoirs n’excède pas 2 m de hauteur. La vendange est vidée dans le conquet avec des bennes élévatrices de 60 hl et la situation de tout le matériel au niveau du sol facilite aussi les opérations de nettoyage. Les deux pressoirs pneumatiques de 80 hl (un neuf et un d’occasion racheté à l’un des viticulteurs de la Cuma) permettent de satisfaire le débit de la machine à vendanger automotrice sans aucune attente de vendange. L’agencement intérieur du chai a été conçu pour abriter une grande partie de la cuverie de fermentation de chaque viticulteur en respectant les aspects de sécurité et la gestion des effluents. Les batteries de cuverie fibre de verre ont été installées en vis-à-vis avec des caniveaux centraux pour collecter les eaux de lavage. La présence de points d’eau nombreux et de pôles d’alimentation électriques contribue à faciliter le travail. La Cuma a aussi investi dans de la cuverie sur pieds de 200 hl pour réaliser les décantations. Ces cuves, équipées de trappes à vidange totale, de coudes décanteurs, ont été implantées à proximité des pressoirs afin de pouvoir réaliser les décantations dans les meilleures conditions. La capacité de traitement quotidienne du chai de 900 à 1 000 hl de moût a incité les membres de la Cuma à s’équiper d’une installation de mise à température en ligne des moûts qui se limite pour l’instant au réchauffage. Une chaudière de production d’eau chaude et un échangeur tubulaire de grande capacité ont été installés dans le chai pour réchauffer les moûts en sortie de la décantation. Les volumes de moûts importants qui sont rentrés quotidiennement peuvent être certaines matinées à des niveaux de température très bas qui empêche ensuite un départ en fermentation rapide. Lors des vendanges 2005, l’installation de réchauffage en ligne a été utilisée assez régulièrement. Les viticulteurs envisagent à l’avenir aussi d’utiliser l’échangeur tubulaire pour refroidir les moûts en ligne lors de vendanges sous un climat très chaud comme 2003, mais le niveau d’investissement élevé pour l’acquisition du groupe de froid a été décalé dans le temps. Durant les fermentations alcooliques, le contrôle des températures est effectué en faisant ruisseler de l’eau sur les parois extérieures des cuves et en 2005 ce système simple a donné satisfaction. Ce chai collectif a intégré dans sa conception les opérations de lavage du matériel de récolte (vendangeuse et bennes) et la gestion des effluents. L’ensemble des effluents de chais sont collectés dans une grande lagune de 150 m3 dont le contenu est régulièrement transporté vers l’usine de retraitement de REVICO à Cognac. Les viticulteurs sont satisfaits de ce système simple sur le plan technique, même s’ils trouvent que le coût du retraitement par le prestataire n’est pas anodin. Une aire de lavage complètement aux normes a été implantée à côté du chai collectif avec plusieurs réseaux : un premier connecté à la lagune de stockage des effluents vinicoles pour le lavage de la MAV et des bennes, un second pour le nettoyage des tracteurs et du matériel doté d’un filtre à hydrocarbure et un troisième spécialisé pour les effluents de pulvérisation qui sont pour l’instant stockés dans une grande citerne enterrée (en attendant de pouvoir implanter un système de retraitement sur le site).

Six personnes mobilisées pour le chantier de récolte et le chai

cuve_de_decantation.jpgLe chai collectif de la Cuma du Champ du Parc était opérationnel pour les dernières vendanges, même si certains agencements de finition n’étaient pas tout à fait terminés. Les viticulteurs ont vinifié la production de 95 ha en 17 jours alors que les années précédentes les vendanges duraient 20 jours en moyenne avec une surface de 20 ha de vignes en moins. Le nouveau chai a donc parfaitement rempli sa mission en terme de qualité de travail et de performances. C’est la première année que la machine a pu travailler des journées complètes pour le même adhérent sans aucune perte de temps. L’organisation quotidienne de la récolte et des vinifications a mobilisé 6 personnes qui avaient chacune une mission bien particulière. La conduite de la MAV et le transport de la vendange occupaient trois personnes, et dans le chai un opérateur assurait la réception de la vendange et le chargement des pressoirs, un autre réalisait les décantations et enfin le viticulteur auquel la journée de récolte était consacrée assurait le remplissage et la gestion de sa cuverie (réchauffage des moûts, contrôle et refroidissement des fermentations, lavage des cuves et du chai). Le personnel des propriétés a donc été employé à plein temps sans qu’il soit nécessaire de faire appel à de la main-d’œuvre extérieure. De l’avis des cinq associés, les vendanges 2005 se sont déroulées dans des conditions beaucoup plus sereines : « Le gain de technologie de notre nouvelle installation a vraiment permis de vinifier la récolte 2005 dans d’excellentes conditions et les rapports humains entre nous ont été bons. Nous avons utilisé l’installation de réchauffage en ligne des moûts pendant une dizaine de matinées. Les décantations ont pu aussi être réalisées avec beaucoup plus de rigueur et de facilité. Le travail s’est déroulé dans la bonne humeur et au bout de quelques jours, toutes les personnes avaient trouvé leur place dans le chai. Le fait de vinifier sa production dans un chai collectif n’a pas modifié nos pratiques individuelles de vinification et chacun a conservé ses habitudes et ses méthodes de travail. Chaque jour, la vendangeuse était opérationnelle de 6 heures du matin à 18 heures, et en général le nettoyage complet du chai était terminé vers 22 heures. Le local technique, qui à l’origine ne devait faire office que de bureau et de petit espace d’analyse, a été agrandi pour se transformer en réfectoire, ce qui nous a permis de prendre tous les repas de midi ensemble. A l’issue de cette première année d’utilisation, le chai collectif a parfaitement rempli son objectif et les liens entre nous se sont resserrés. »

Un coût/ha de 365 € pour vinifier et retraiter les effluents

atelier_de_pressurage.jpgL’implantation de ce chai collectif a été aussi abordée avec un souci de saine gestion économique afin que le coût de la prestation de vinification reste réaliste. L’objectif des viticulteurs de la Cuma était de concilier les attentes de technologies actuelles et aussi de concevoir un outil de base pensé pour intégrer de nouvelles évolutions. Cette réflexion concerne, par exemple, la mise à température des moûts en ligne aussitôt la décantation : « Le fait d’intégrer dans notre installation un atelier de réchauffage des moûts en ligne nous paraissait indispensable car nous rentrons souvent entre 6 et 10 heures du matin 300 hl de moûts à des niveaux de températures inférieurs à 10 °C. Le réchauffement de ces volumes en sortie de décantation autour de 17 °C est une nécessité pour ensuite valoriser les interventions de levurage direct ou les apports de pieds de cuve. Nous avons choisi l’échangeur tubulaire suffisamment dimensionné sur le plan des performances pour réaliser à la fois le réchauffage et le refroidissement quotidien de volumes importants. Néanmoins, le refroidissement des moûts en ligne, même s’il peut s’avérer indispensable dans le cadre de millésimes précoces comme 2003, nécessite des investissements si importants que la sagesse économique nous a amenés à limiter le fonctionnement de notre installation au réchauffage. Si nous sommes confrontés à une année chaude, nous vendangerons la nuit pour rentrer dans notre chai des raisins tempérés. »

L’enveloppe budgétaire totale pour la création du chai collectif de la Cuma du Champ du Parc s’élève à 340 000 € et l’apport financier des 6 associés a été de 20 %. Le coût/hectare de la prestation de vinification (comprenant aussi la collecte et le traitement des effluents) se monte à 365 € (2 400 F). Ce niveau de charges satisfait les six viticulteurs qui avouent avoir vinifié leur récolte 2005 avec facilité et en ayant acquis une meilleure maîtrise globale de la conduite des vinifications : « L’organisation des vendanges 2005 s’est globalement bien déroulée même si la première semaine le chantier n’était pas tout à fait terminé. L’antériorité du travail en commun que nous possédons a joué un rôle essentiel dans le bon fonctionnement du vendangeoir cette année. Un climat de confiance s’est instauré entre nous et depuis la fin des vendanges, nous accédons au chai quand on le souhaite avec nos propres clés. L’une des motivations essentielles pour créer cette unité de vinification avait été d’une part de se doter de moyens technologiques performants et d’autre part de se dégager du temps pour suivre toutes les phases d’élaboration de nos vins. A l’issue de ces vendanges 2005, ces deux objectifs ont été parfaitement remplis. »

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