La mise en commun de moyens pour vinifier sur un même site la production d’une petite centaine d’hectares de vigne n’est pas un événement courant dans notre région. C’est pourtant la solution choisie par 6 viticulteurs de Grande Champagne qui ont monté cette année un chai collectif. Leur démarche est intéressante sur le plan technologique et humain, car leur vécu du travail en commun depuis de nombreuses années a permis de « mûrir » progressivement ce projet. La Cuma du Champ du Parc à Graves-Saint-Amant a vinifié cette année une production de plus de 12 000 hl de vin, en ayant le souci de concilier les aspects qualitatifs et la maîtrise des coûts.
Depuis maintenant 25 ans, les difficultés économiques ont modifié les comportements des viticulteurs qui naturellement étaient très individualistes dans leurs méthodes d’organisation du travail et d’utilisation des équipements. La réduction des coûts de production a reposé à la fois sur une compression des charges de main-d’œuvre au profit de méthodes de conduite du vignoble plus mécanisées et d’une utilisation plus judicieuse du parc matériel. Les exigences de rentabilité ont obligé les viticulteurs à faire preuve de réalisme dans l’acquisition et l’utilisation de nombreux équipements qui ne fonctionnent que quelques jours dans l’année. Progressivement, les utilisations de matériel en commun se sont développées soit de manière informelle, soit par le biais de structures de travail parfaitement organisées, les Cuma. Dans le milieu viticole, l’arrivée au début des années 80 des machines à vendanger, qui représentaient un investissement trop important pour des propriétés de petites et moyennes surfaces, a souvent été à l’origine de la création de nombreuses Cuma. L’organisation collective des chantiers de récolte sur plusieurs propriétés pendant une durée de deux à trois semaines nécessite de la part des viticulteurs une certaine ouverture d’esprit pour accepter les contraintes et les avantages du travail en commun. Les arguments économiques s’avèrent certes déterminants dans l’adhésion à une Cuma de vendanges, mais la pérennité du travail en commun repose sur une volonté humaine de s’intégrer dans un projet pensé dans le moyen terme.
SIX viticulteurs sensibilisés par les attentes qualitatives et réglementaires
L’histoire de la Cuma du Champ du Parc à Graves-Saint-Amant repose sur une antériorité de travail en commun qui a commencé au début des années 80 par l’acquisition d’un semoir à maïs puis de celle d’un enfonce-pieux. Ensuite, le véritable pôle viticole de la Cuma s’est créé avec l’achat d’une machine à vendanger automotrice en 1985. L’utilisation de la MAV concernait cinq exploitations représentant une surface de 75 ha de vignes et, progressivement, l’idée de mettre en place un vendangeoir commun avait germé dans l’esprit de certains adhérents mais sans une réelle volonté de voir les choses se formaliser. D’ailleurs, les associés de la Cuma tiennent sur ce sujet un discours unanime : « L’idée de construire un chai collectif avait effleuré nos esprits depuis maintenant plusieurs années mais nous n’avions pas manifesté la volonté de pousser plus loin cette réflexion. C’est à la fois l’expérience des vendanges en commun depuis 20 ans et la conjonction de circonstances nouvelles au cours des dernières années qui ont permis de mettre en place ce projet. Sur nos exploitations, les installations vinaires individuelles étaient vieillissantes, la main-d’œuvre familiale devenait plus rare et les seuls investissements importants que nous avions réalisés concernaient la cuverie. Par ailleurs, les négociants sont devenus beaucoup plus exigeants vis-à-vis de la qualité des vins et nos efforts pour élaborer de meilleurs vins nécessitaient souvent de gros investissements qui nous paraissaient trop lourds. La pression qualitative constante depuis dix ans et la nécessité de réaliser de nouvelles interventions comme la décantation, le levurage systématique, la mise à température en ligne des moûts, nous ont aussi permis de prendre conscience des limites technologiques de nos chais et des disponibilités humaines nécessaires à la réussite de ces vinifications plus technologiques. Les contraintes environnementales liées au nettoyage quotidien de la MAV et de nos chais individuels devenaient aussi une préoccupation d’actualité qui allait engendrer des charges financières importantes. Enfin, l’année 2003 très chaude a été l’élément déclencheur de la réflexion autour du projet de chai collectif. En effet, les fortes chaleurs nous avaient obligés à organiser différemment les vinifications pour rentrer dans nos chais des raisins les plus frais possible. Nous vendangions la nuit de 2 heures du matin à environ 12 heures pour lancer les fermentations avec des moûts à moins de 20 °C, et dans ce contexte nous avons perçu les limites de nos installations individuelles. Cette organisation du chantier de récolte particulière a permis d’éviter les accidents de surchauffe pendant les fermentations alcooliques, mais elle a eu comme conséquence d’engendrer des pertes de temps et de rallonger la durée totale des vendanges. Les volumes rentrés quotidiennement dans nos chais étaient plus faibles. »
Un projet de chai collectif où chacun conserve « sa maîtrise technique »
Après les difficiles vendanges 2003, les cinq associés de la Cuma, la sarl Richard (MM. Bruno et Pascal Richard), M. Michel Vinsonnaud, M. Christian Jobit, M. Robert Piveteau et M. Jean-Louis Musset avaient tous pris conscience des limites technologiques de leurs installations vinaires personnelles et l’idée de monter un chai collectif performant s’est rapidement transformée en un projet cohérent. Les cinq viticulteurs ont pris la décision de se lancer dans la construction d’un chai collectif et cette initiative a séduit un de leurs voisins, M. Eric Rambaud (aussi utilisateur d’autres matériels au sein de la Cuma). La démarche n’a pas été abordée dans une optique de vinification collective identique à celle d’une coopérative mais dans le cadre d’une mise en commun de moyens technologiques performants pour vinifier séparément la production de chaque propriété. La Cuma investit dans un chai collectif complètement aménagé pour traiter la vendange et les moûts, mais chaque viticulteur reste propriétaire de sa cuverie et de sa récolte de vin à l’intérieur du chai. La proximité des six exploitations a permis d’aborder la réflexion sur la construction de cette unité de vinification collective sans contrainte de distance. Le choix d’un site central satisfait à la fois aux exigences d’accès pour les transports (de la MAV, des bennes à vendanges et des camions-citernes) et aux contraintes environnementales d’une unité vinifiant chaque année 12 000 à 14 000 hl de vin (la production de 95 ha de vignes). Le permis de construire a été obtenu à l’automne 2004 mais les travaux n’ont réellement commencé que durant le printemps 2005. Les six viticulteurs ont passé de longues journées à concevoir ensemble l’unité de vinification en ayant le souci de satisfaire les exigences de qualité, les aspects fonctionnels et les contraintes réglementaires. Les axes prioritaires de réflexions ont concerné l’implantation de moyens technologiques performants et évolutifs, et aussi la conception d’une unité complètement aux normes sur le plan réglementaire et environnemental. La Cuma du Champ du Parc a franchi une étape décisive dans la mise en œuvre du travail en commun en décidant d’intégrer la conduite des vinifications dans son activité. Cela atteste de l’évolution profonde du comportement de ces cinq viticulteurs qui, pour des raisons qualitatives et économiques, ont décidé « d’ouvrir » leur chai et leur savoir-faire de vinificateur.
Une conception reposant à la fois sur l‘utilisation de technologies adaptées et sur la fonctionnalité
Six personnes mobilisées pour le chantier de récolte et le chai
Un coût/ha de 365 € pour vinifier et retraiter les effluents
L’enveloppe budgétaire totale pour la création du chai collectif de la Cuma du Champ du Parc s’élève à 340 000 € et l’apport financier des 6 associés a été de 20 %. Le coût/hectare de la prestation de vinification (comprenant aussi la collecte et le traitement des effluents) se monte à 365 € (2 400 F). Ce niveau de charges satisfait les six viticulteurs qui avouent avoir vinifié leur récolte 2005 avec facilité et en ayant acquis une meilleure maîtrise globale de la conduite des vinifications : « L’organisation des vendanges 2005 s’est globalement bien déroulée même si la première semaine le chantier n’était pas tout à fait terminé. L’antériorité du travail en commun que nous possédons a joué un rôle essentiel dans le bon fonctionnement du vendangeoir cette année. Un climat de confiance s’est instauré entre nous et depuis la fin des vendanges, nous accédons au chai quand on le souhaite avec nos propres clés. L’une des motivations essentielles pour créer cette unité de vinification avait été d’une part de se doter de moyens technologiques performants et d’autre part de se dégager du temps pour suivre toutes les phases d’élaboration de nos vins. A l’issue de ces vendanges 2005, ces deux objectifs ont été parfaitement remplis. »