Une réussite exceptionnelle

29 mars 2009

Franchir le million de caisses… le rêve de tout spiritueux. C’est la « bonne aubaine » échue à la vodka Grey Goose. Appartenant au portefeuille de marque de l’importateur américain Sidney Frank, la vodka est fabriquée à Cognac par la société H. Mounier. Grâce à l’alcool blanc, cette dernière a trouvé un second souffle, le moyen de surmonter ses difficultés financières. Olivier Bugat, directeur du développement du spiritueux, témoigne de cette « sucess story » qui, comme toute réussite, ne s’explique pas par le seul hasard.

« Le Paysan Vigneron » – Comment s’est créé le contact avec la société H. Mounier ?

Olivier Bugat – Sidney Franck Importing est une société américaine d’importation de spiritueux, installée dans l’Etat de New York. Implantée depuis de nombreuses années sur le marché américain, elle distribue ses produits dans tous les Etats. En 1996, nous décidons de créer une marque de Vodka pour le marché U.S. C’est à ce moment-là que nous contactons la société H. Mounier avec qui nous avions travaillé sur des approvisionnements de brandy. Nous la questionnons : « Seriez-vous capable de produire une Vodka ? » « Nous ne l’avons jamais fait mais nous devrions pouvoir y arriver » nous répond-elle. Après plusieurs dégustations, le produit final est retenu et le packaging de la bouteille mis au point, sous l’égide de Christian Métreau, responsable packaging de la société H. Mounier mais à partir de nos propres consignes. Ces consignes correspondaient à l’image que nous voulions projeter aux Etats-Unis. Nous souhaitions une bouteille élégante, éventuellement satinée, dont le packaging mette en valeur la qualité du produit à l’intérieur du flacon. La Vodka arrive sur le marché national en juin 1997. Sur les six derniers mois de l’année, son lancement s’accompagne d’un budget marketing important, d’environ 3 millions de $. Il faut dire que le « ticket d’entrée » est élevé aux Etats-Unis. Après avoir « rempli les rayons des distributeurs » fin 1997, les ventes décollent très vite. Jusqu’à cette année, le taux de croissance de la Vodka Grey Goose dépassait les 100 %. Aujourd’hui, compte tenu des volumes atteints, nous nous situons davantage sur une progression de 50-60 % l’an.

« L.P.V. » – Que représente le marché de la Vodka aux Etats-Unis ?

O.B. – Il représente 42 millions de caisses de 9 litres et se caractérise par sa très grande segmentation. A côté des qualités standard et premium, existent les catégories super-premium et ultra-premium. Dans cette dernière catégorie, les prix de vente avoisinent les 30 $ la bouteille (entre 29 et 33 $). Nous appartenons à cette gamme de produits ultra-premium et nous en sommes de loin le leader. Notre challenger direct réalise trois fois moins de volume que nous. Cette année, nous allons commercialiser 17 à 18 millions de bouteilles sur le marché américain. En nombre de caisses de 9 l, nous dépassons légèrement les performances d’Hennessy sur le marché américain.

« L.P.V. » – Pensez-vous disposer d’une marge de progression ?

O.B. – Je pense effectivement que nous avons encore de la marge pour grandir. Des parts de marché sont à prendre sur les catégories premium et super-premium. Par ailleurs, aux Etats-Unis, avec 13 millions de caisses, les Vodkas importées représentent un créneau florissant. C’est celui de la Vodka suédoise Absolut ou de la Vodka russe Stolichnaya qui commercialisent chacune un peu plus de 4 millions de caisses. Si la Vodka Grey Goose arrive en 3e position dans ce segment des alcools importés, elle se classe par contre parmi les ultra-premium, contrairement à Absolut Vodka ou Stolichnaya Vodka qui appartiennent à la catégorie des premium.

« L.P.V. » – Comment expliquez-vous votre succès ?

O.B. – Nous avons eu la chance d’investir une branche – celle des Vodkas importées – qui était en pleine évolution. Mais notre réussite ne se fonde pas sur le seul sens de l’opportunité. Encore fallait-il pouvoir justifier de la différence de prix avec nos concurrents et à ce titre, la qualité du spiritueux, celle du packaging et les importants moyens marketing mis en œuvre furent à coup sûr déterminants. Nous avions un très bon produit et nous avons su capturer l’imaginaire des consommateurs. C’est quelque chose de difficile à décrire. Sans doute cette subtile alchimie repose-t-elle sur une multiplicité de facteurs. Nous n’étions même pas les premiers sur le créneau des ultra-premium. La Vodka Belvédère nous avait précédé mais nous l’avons rapidement dépassée, ce qui est rare dans le monde du marketing. En général, les premiers à se positionner sur un marché en tirent une sorte de prime. Par ailleurs et bien que le segment des ultra-premium fût porteur, aucune autre marque n’a rencontré un tel succès. A peu près en même temps que nous, Seagram avait lancé, avec les moyens de Seagram, une Vodka suédoise s’inspirant d’Absolut, l’autre Vodka suédoise arrivée 6 ou 8 ans plus tôt. Sans résultat. Un succès aussi fulgurant que celui de Grey Goose reste l’exception. Sans faute modestie et au risque de me répéter, je dois dire qu’une telle réussite est tout simplement exceptionnelle.

« L.P.V. » – Est-ce que de telles performances ont besoin d’être entretenues ?

O.B. – C’est une absolue nécessité. Pas question de dire que le travail a été réalisé une fois pour toutes et que l’on peut se reposer sur ses lauriers. Arrêter d’investir, c’est perdre des parts de marché. Pour continuer de développer nos ventes, nous dépensons chaque année un budget marketing de 20 millions de $, une somme importante, permise par la croissance des volumes.

« L.P.V. » – Est-ce que le succès de Grey Goose est reproductible ?

O.B. – Si le succès reposait sur des recettes, cela se saurait. Il n’existe jamais de formule éprouvée. Ceci étant, nous avons également dans notre portefeuille de marque un produit qui marche très fort. Son envol a demandé beaucoup plus de temps que celui de Grey Goose mais ses ventes atteignent voire dépassent aujourd’hui le million de caisses de 9 litres. Il s’agit d’une liqueur allemande, Jägermeister, traditionnellement consommée après un bon repas, en digestif et à température ambiante. Nous l’avons repositionné aux Etats-Unis auprès d’une clientèle jeune. Le produit se boit frappé et cette année il va se classer comme la deuxième liqueur importée aux Etats-Unis.

« L.P.V. » – Comment les Américains perçoivent-ils un spiritueux comme la Vodka ?

O.B. – C’est à la fois un marché très grand public et très pointu. Je m’explique. Aux Etats-Unis, la Vodka est consommée par une tranche de population très large, dont l’âge varie de 21 à 65 ans, sans frontière de race ou de catégories socioprofessionnelles. Une donnée statistique résume cette réalité. Sur le marché américain, la consommation de vodka vient de dépasser celle du Whisky. En valeur, les Etats-Unis représentent le premier marché au monde de la Vodka même si en volume, la palme revient aux pays de l’est. Mais, dans le même temps, la perception qu’ont les Américains de la Vodka est beaucoup plus qualitative que celle des Européens. Ce gros marché, où des millions de consommateurs boivent de la vodka, se révèle par exemple très sensible à la critique des journalistes spécialisés, contrairement à la France où la Vodka est perçue comme un produit basique. Aux Etats-Unis, il est possible de sortir de l’ordinaire et de proposer des produits différents. Le marché saura y répondre. Notre Vodka se soumet fréquemment à des dégustations à l’aveugle et se trouve facilement identifiée par son goût. C’est pour cela que nous préconisons des modes de consommation les plus respectueux possibles de l’authenticité du produit, juste réfrigéré ou sur glace. Cette vision de notre positionnement ne nous empêche pas de profiter de la résurgence du cocktail Martini qui a favorisé les marques de qualité.

« L.P.V. » – En tendance de consommation, peut-on dire que l’alcool blanc supplante l’alcool brun auprès des consommateurs américains ?

O.B. – Cette opposition alcool blanc/alcool brun ne me semble pas particulièrement pertinente. Au lieu de raisonner « catégories », je pense que l’on gagne à réfléchir de manière plus segmentée, par marchés de niche et produits de marque. Il n’existe pas de consommateur type de vodka. Tout dépendra de la période de la journée, de l’humeur du moment, des circonstances. La seule chose que l’on puisse dire, c’est que le consommateur de Whisky est certainement quelqu’un de plus âgé que le consommateur de vodka. Le Whisky correspond à un goût acquis alors que la vodka est davantage un produit d’approche, un produit d’éducation.

« L.P.V. » – Et le Cognac ?

O.B. – Le Cognac aux Etats-Unis répond à un positionnement très particulier, principalement auprès d’une clientèle afro-américaine. C’est un marché à part, réalisant la majorité de ses volumes sur la qualité V.S.

« L.P.V. » – Vous qui vivez aux Etats-Unis et qui connaissez bien la filière des spiritueux, diriez-vous qu’il s’agit d’un produit démodé ?

O.B. – Tout dépend comment on le travaille. Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un produit démodé ou vieillissant mais d’un produit de tradition. On peut effectivement le mettre sur le marché avec des moyens et des méthodes démodées ou vieillissantes, mais on peut aussi essayer d’être un peu plus moderne dans l’approche tout en gardant le côté traditionnel du produit. Sans généraliser à toutes les marques, je pense que le Cognac est vraiment marqué par la tradition et qu’il est difficile d’en sortir. D’ailleurs une telle initiative comporterait des risques évidents car l’on ne connaît jamais l’impact d’un changement de stratégie. Si j’étais une grande marque de Cognac, j’aurais beaucoup de mal à me positionner entre une actualisation du produit ou une capitalisation sur ses valeurs traditionnelles. Par contre, si j’étais une nouvelle marque de Cognac, je me sentirais les mains plus libres pour créer quelque chose de nouveau.

« L.P.V. » – La Vodka n’a pas tout le poids de la tradition à gérer.

O.B. – Non et nous sommes notamment dispensé de tout l’aspect vieillissement. Par contre, à l’inverse, le côté marketing est bien plus important et la concurrence sévère. Si quatre grandes marques de Cognac se partagent le marché américain, il existe une cinquantaine de marques de Vodka. La rivalité entre marques ne se situe pas du tout au même niveau.

« L.P.V. » – Question ouverte : qu’est-ce que le marketing ?

O.B. – C’est un mix. Il s’agit d’arriver à faire percevoir au consommateur l’image que vous voulez projeter. Pour cela, vous disposez d’un certain nombre de moyens : publicité, packaging, opérations publi-promotionnelles, bouche à oreille, articles de journaux, opérations de relations publiques… Avec ce mélange d’approches, vous devez arriver à faire passer le même message partout. C’est là où réside la difficulté.

« L.P.V. » – Le fait que la Vodka Grey Goose se revendique très clairement d’une origine française constitue-t-il un plus ?

O.B. – Oui, très nettement. La France est non seulement reconnue pour la qualité de ces produits distillés mais encore pour son art de vivre, son excellence culinaire ou ses vins. C’est sur cette image que nous avons voulu capitaliser à travers la Vodka Grey Goose. Plus généralement, je dirais que les produits importés dégagent une valeur ajoutée. Ainsi, aux Etats-Unis les Vodkas locales souffrent d’un net déclin. C’est un peu le même phénomène constaté en France, entre le Whisky français et le Whisky écossais.

« L.P.V. » – Grey Goose est-elle vendue ailleurs qu’aux Etats-Unis ?

O.B. – Sa notoriété a dépassé les frontières américaines. Elle est demandée partout, en Afrique du sud, dans tous les pays d’Amérique latine… Nous ne pouvons pas nous développer tous azimuts. Nous le faisons de façon progressive. Outre les Etats-Unis, la vodka est déjà présente au Canada, dans les Caraïbes, au Royaume-Uni, récemment en Suède, en Italie, en Allemagne et depuis janvier 2004 en Chine, en Australie et en Russie. En France, Grey Goose fait l’objet d’une distribution sélective, essentiellement à Paris et sur la Côte d’azur, dans les grands hôtels, les épiceries fines et les cavistes spécialisés.

« L.P.V. » – Que représente la société Sidney Frank ?

O.B. – La société en elle-même emploie 150 personnes, exerçant de près ou de loin sur tous ses produits. Je suis la seule personne de la société à travailler exclusivement pour la Vodka. Après la Vodka nature, notre gamme connaît des extensions avec les Vodkas orange, citron et vanille.

« L.P.V. » – Que pensez-vous des spécialités au Cognac comme Hpnotiq qui rencontrent un beau succès aux Etats-Unis ?

O.B. – En effet la réussite d’Hpnotiq est assez phénoménale. Ce cocktail, consommé sur glace ou comme ingrédient, s’adresse au même marché que le Cognac, celui des afro-américains. Il s’agit d’une cible à la fois très intéressante mais peut-être un peu instable. Contrairement à la Vodka qui est une catégorie en elle-même, les liqueurs sont des produits essentiellement marketing et dans le cas présent, créés pour une niche particulière. Le phénomène de mode joue pour beaucoup.

« L.P.V. » – N’est-ce pas le cas pour tous les produits ?

O.B. – Bien sûr, n’importe quel produit peut être touché par un effet de mode. Le tout est d’arriver à faire perdurer le marché ou plus exactement à le transcender. Après six années et demie de présence soutenue auprès des consommateurs, je crois que l’on peut considérer y être parvenu avec la Vodka Grey Goose.

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