Une interview de Xavier Desouche, président de la Chambre d’Agriculture Charente

15 décembre 2013

Pour défendre l’installation face à l’agrandissement, Xavier Desouche croit au fermage, mais à un fermage rénové, afin que les propriétaires « restent maîtres de leurs biens ». La nouvelle loi d’avenir agricole, en préparation, envisage un renforcement du contrôle des structures. « Nécessaire mais pas suffisant dit le président de la Chambre d’agriculture de la Charente, issu des rangs de la Coordination rurale. Sans un fermage repensé, ce sera un coup d’épée dans l’eau » .

 

 

p34.jpgAinsi, une nouvelle loi d’orientation agricole est dans les tuyaux.

Oui, on l’annonce pour mars-avril 2014 et elle prévoit, dit-on, une modification du texte sur le contrôle des structures, afin de le rendre plus contraignant. C’est un fait ! Plusieurs systèmes – démembrement nue-propriété/usufruit, cessions de parts de société – permettent aujourd’hui d’échapper au contrôle des structures. Ces moyens déguisés constituent autant de dérives. Il faut se débrouiller pour que le moins de cas possible passent à travers les mailles du contrôle des structures. Mais outre la question du « comment ? », j’estime que ce n’est pas suffisant. Aujourd’hui le fermage est sans doute la meilleure réponse pour faciliter l’installation d’un jeune. C’est un bon moyen de lui mettre le pied à l’étrier. Sauf que le statut du fermage tel qu’il est actuel-lement enferme les propriétaires. Parce qu’ils perdent leur faculté de choix, parce qu’ils s’engagent pour une ou deux générations, ils ont peur de louer leurs biens. Concomitamment à la réforme du contrôle des structures, il faut faire évoluer le statut du fermage. Sinon, il y a fort à parier que la révision de la loi d’orientation agricole et son volet structurel ne soient qu’un coup d’épée dans l’eau. Un juriste trouvera toujours le moyen de contourner la loi.

Que pensez-vous de l’action des Safer ?

Je pense que les Safer, dans cette région notamment, ont permis – et permettent encore – de limiter le grossissement des exploitations. Par rapport à une région que je connais bien, la Picardie, leur efficacité a été bien plus grande dans ce domaine. Elles ont aussi réussi à maintenir le prix du foncier dans des limites raisonnables. Maintenant, les choses évoluent très vite. Comme ailleurs, nous risquons fort d’être rattrapé par l’agrandissement. C’est déjà en partie le cas. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir le nombre d’exploitations agricoles dont les surfaces atteignent ou dépassent les 100 ha sur notre territoire. En dix ans, ce fut une explosion. Sommes-nous partis, comme dans le nord de la France, pour assister au doublement des surfaces d’une génération à l’autre sans pouvoir endiguer le phénomène ? Souhaitons que non. Pour revenir aux Safer, je ne crois pas que la préemption soit le remède miracle. Pour moi, c’est l’outil ultime, à utiliser avec parcimonie. Un usage fréquent signifierait quelque part la faillite de la régulation des structures.

Les installations sont-elles suffisantes dans notre région ?

Bien sûr que non ! En Charente, on en dénombre tous les ans une petite centaine pour plus de cinq mille agriculteurs. C’est très faible. Pour offrir un taux de renouvellement satisfaisant, il faudrait que ce chiffre soit au moins du double. Pour garder notre territoire vivant, la moitié des terres devrait aller à l’installation. Par définition, un paysan fait vivre son pays. Que se passera-t-il le jour où il n’y aura plus que des grandes exploitations ? Une autre donnée m’inquiète, celle de l’installation non aidée. A priori, cette année, 75 jeunes s’installeront sans les aides. Cela signifie, entre autres, que la Chambre d’agriculture ne les connaîtra pas et ne pourra donc pas les aider le cas échéant, alors que son conseil est neutre. La Chambre n’a rien à vendre.

Vous voyez quand même tous les nouveaux installés quand ils s’inscrivent au CFE, le Centre de formalités des entreprises, tenu par vos soins pour le secteur agricole.

Oui mais c’est trop tard. Il est important de les voir en amont, pour détecter d’éventuels points de fragilité. Un jeune agriculteur qui s’endette au-delà du raisonnable sera dans le rouge au premier à-coup. Même chose s’il s’installait sur une surface trop exiguë.

Peut-on vivre sur une exploitation familiale aujourd’hui ?

Naturellement, à condition que la dimension soit cohérente et non une « fausse dimension ». Des tailles intermédiaires fonctionnent mal. Y rester, c’est se con-damner. Pour sortir de ces formats bancals, deux solutions existent : soit pratiquer la diversification soit s’agrandir. À ce titre, l’agrandissement reste un outil d’adaptation indispensable. Après, il faut savoir ce dont on a envie. En viticulture notamment, il y a des gens qui vont parfaitement gérer des exploitations de 20-25 ha mais qui auront du mal avec des structures de 60 ou 80 ha. Non pas forcément pour des questions de compétences mais je dirais plutôt « d’appétence ». A un certain moment, le métier change. De producteur, on devient gestionnaire de personnel, ma-
nager d’entreprise. Est-on vraiment fait pour ça ? C’est une question à se poser.

Selon vous, le syndicalisme viticole s’est-il saisi de la question de l’agrandissement des structures viticoles et comment l’envisage-t-il ?

Je sais qu’il y a des discussions sur le sujet mais elles sont difficiles me semble-t-il. Entre l’agrandissement et l’installation, c’est un peu deux mondes qui s’affrontent. Espérons qu’un compromis s’instaure entre installation et agrandissement. Tout ne peut pas aller à l’installation mais tout ne doit pas aller non plus à l’agrandissement. Que les exploitations évoluent certes mais en laissant de la place aux jeunes. Comme je l’ai déjà dit, le fermage me paraît le meilleur outil pour faire évoluer les exploitations viticoles. Dans ces conditions, je le répète, il faut protéger les propriétaires. Qu’ils
restent maîtres de leurs biens.

Un vœu pieu ?

À coup sûr si l’on n’arrive pas à faire bouger le statut du fermage. Dans les céréales, la conjoncture se renverse assez vite, modifiant de concert les relations entre bailleurs et preneurs. Mais en viticulture, l’agrandissement risque d’avoir gelé les positions avant que l’opportunité de louer des terres viticoles se présente à nouveau. En outre, la crise à ceci de pervers qu’elle favorise la libération de terre mais qu’elle pénalise en même temps les acquéreurs ou locataires potentiels, qui n’ont plus les moyens d’investir dans un train de culture.

Au sein de la Chambre d’agriculture, un débat existe-t-il sur le modèle agricole à défendre ?

Ce débat, nous devrons l’avoir. Il s’impose à nous. Mais inutile d’ouvrir le chantier avant que la nouvelle loi d’orientation agricole soit écrite. Cette réflexion, nous la mènerons au moment de la révision du Schéma directeur départemental, renégocié dans le sillage de la réforme des structures.

 

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