Une Interview De Stéphane Héraud, Président De La Cave Des Hauts De Gironde

10 mars 2009

« Le Paysan Vigneron » – Que vous inspire la crise qui affecte le vignoble bordelais ?

heraud.jpgStéphane Héraud – Ce n’est pas simple. A mon avis, je crois qu’il faut distinguer deux situations très différentes, celle des rouges et celle des blancs. Les deux connaissent des difficultés mais pas pour les mêmes raisons. Les blancs qui plaisent au marché, au négoce, à la grande distribution se vendent, c’est une certitude. Par contre les produits qui ne correspondent pas au goût de consommateur ne trouvent pas preneur. Il s’agit d’un problème classique d’adaptation au marché. Sur un total de 5,4 millions d’hl, les Bordeaux blancs représentent 600 000 hl vol. Le marché est demandeur de blanc. Si tous les vins blancs étaient de bonne facture, ils s’écouleraient à des prix intéressants.

« L.P.V. » – En blanc, que placez-vous sous la notion de qualité ?

S.H. – Un produit de qualité est un produit adapté au marché, que l’on a plaisir à consommer. Pour les blancs, il s’agit d’un vin présentant fraîcheur et acidité. Jouent naturellement la qualité du raisin et bien sûr le cépage. Pour la production de ses blancs, Bordeaux offre une grosse proportion de Sémillon. Or c’est le Sauvignon qui se vend correctement aujourd’hui. Non pas parce qu’il s’appelle Sauvignon mais par ses qualités intrinsèques de fruité, d’arôme, de fraîcheur. A meilleure preuve, s’il existe des stocks d’invendus en blancs, les produits acceptés par le marché se négocient à 1 100 € le tonneau. Un niveau de rémunération qui, en blanc, permet de vivre si tant est que les rendements ne diminuent pas trop.

« L.P.V. » – Pouvez-vous préciser ?

S.H. – En matière de baisse de rendements, je crois que nous sommes arrivés à une limite économique. D’autant que le contrôle des rendements ne résout pas tous les problèmes. Une vigne pourra produire 30 hl vol./ha. Si les vins ne correspondent pas au marché, on n’en vendra pas plus. Par contre, on aura pénalisé ceux qui vendent correctement. En deux ans, nous sommes passés de 70 à 60 hl vol./ha. Par le simple fait du rendement, nous avons perdu 20 % de notre chiffre d’affaires. Une filière ne peut pas accepter de se fragiliser indéfiniment de cette manière.

« L.P.V. » – Qu’en est-il de la crise des rouges ?

S.H. – Sur les rouges, c’est plus compliqué. Même les produits de bonne qualité rencontrent des problèmes. Sont épargnés les très bons vins, ceux qui se démarquent. Mais tout ce qui est standard sans être forcément mauvais a du mal à se vendre. En dehors des grands crus, personne n’est à l’abri. Dans toutes les appellations, des propriétés marchent bien et d’autres marchent mal. Autant sur les blancs le critère qualitatif arrive en tête pour expliquer les difficultés, autant sur les rouges il n’est pas le seul à opérer. Sont souvent exclus du marché les gens qui n’ont pas su s’organiser économiquement et quand je dis cela, je nous inclus, nous les coopératives.

« L.P.V. » – Est-ce le cas de la coopérative des Hauts de Gironde ?

S.H. – Je ne le pense pas. Nous demandons beaucoup à nos viticulteurs en terme de travail mais nous arrivons à sortir des produits à des prix supérieurs au marché, voire largement supérieurs au prix de marché.

« L.P.V. » – Comment faites-vous ?

S.H. – Nous incitons nos adhérents à faire des efforts au vignoble. Ensuite la cave investit fortement dans les outils de vinification. Parallèlement, le système coopératif nous permet d’offrir une qualité relativement homogène. Enfin nous avons développé auprès du négoce tout un axe de partenariat, en blanc comme en rouge. A ce titre, le prix ne fait plus vraiment référence. Ce qui fait référence, c’est le cahier des charges que nous demande notre partenaire. C’est une relation paritaire, un partenariat gagnant/gagnant. L’acheteur sort de son rôle de négociant spéculateur et nous-mêmes tentons d’adapter notre production aux souhaits de l’acheteur.

« L.P.V. » – Ne vous sentez-vous pas proche de l’intégration ?

S.H. – Non car les engagements sont très diversifiés. Pas un de nos acheteurs représente la moitié de nos volumes. Notre plus gros partenaire doit nous enlever 10 % des vins. Cela signifie que nous conservons une certaine indépendance. Si, en plus, un esprit constructif prévaut, il n’y a pas de raison de craindre l’intégration. D’ailleurs, à prise de risque, prise de risque et demi. Nos acheteurs pourraient avoir peur de lier une partie de leur approvisionnement à un fournisseur. Ce n’est pas le cas. Sans faire le panégyrique de la coopération, je crois que les metteurs en marché trouvent auprès de nos structures des interlocuteurs qui pèsent lourds, capables de leur apporter qualité et disponibilité volumique. Compte tenu du nombre d’entreprises viticoles que nous fédérons et de la diversité de nos terroirs, les acheteurs savent que, quel que soit le millésime, ils trouveront chez nous des assemblages corrects. Il s’agit d’un argument important pour les marques distributeurs (MDD) – nous en avons quelques-unes – la grande distribution et le négoce en général.

« L.P.V. » – Comment évolue votre coopérative, en terme d’adhésion par exemple ?

S.H. – Pour l’instant, nous comptons pas mal de jeunes dans nos rangs. La tranche d’âge des moins de 40 ans exploite plus de la moitié des surfaces de la coopérative. Et la fusion a même attiré de nouveaux coopérateurs. Toutefois, l’équilibre reste toujours très fragile. Ces questions de renouvellement de génération appellent la plus grande vigilance car elles conditionnent la pérennité de la structure. Il y a deux ans, la coopérative a conduit une enquête auprès des adhérents de plus de 50 ans, pour identifier les personnes avec ou sans successeur et tenter d’apporter des solutions en amont. Dans le même temps, la cave conduit une politique assez volontariste, en terme de facilité de paiement, d’assurance grêle négociée collectivement à des tarifs avantageux ou encore d’achats groupés de produits phytosanitaires à des prix largement inférieurs aux prix de marché.

« L.P.V. » – Quels sont les principaux chantiers de la cave ?

S.H. – Face à la crise des Bordeaux rouges, nous allons inciter nos adhérents à reconvertir une partie de leurs vignes rouges en blanc, sur les terrains qui s’y prêtent bien sûr. En plus de l’aide européenne à la
restructuration, la cave s’est engagée à compenser la perte de marge consécutive aux deux années sans récolte. De cette façon, nous espérons parvenir à environ 10 000 hl de production supplémentaire en blanc. Aujourd’hui, la cave se partage entre 70 % de rouge et 30 % de blanc.

« L.P.V. » – Vous ne croyez pas à la reprise des Bordeaux rouges ?

S.H. – Si. Les efforts d’assainissement de marché – arrachage, distillations, baisse des rendements – consentis depuis deux ans ont déjà permis de retrouver l’équilibre. Au-delà des surstocks qui continuent de peser sur le marché, production et commercialisation s’établissent à 5,5 millions chacune. Pourtant les prix ne sont pas assez élevés pour que la viticulture vive correctement. Aujourd’hui, je pense que nous sommes au « fond du trou ». Des signaux positifs nous font espérer un inversement de tendance mais quand interviendra-t-il ? En 2007, 2008, 2009 ? Personne ne le sait.

« L.P.V. » – Faut-il « désespérer » du négoce bordelais ?

S.H. – Parmi le négoce bordelais, il y a de tout. Des entreprises de taille suffisante pour attaquer les marchés mondiaux et d’autres qui ne le sont pas. Nous n’avons pas à nourrir de complexes. Personnellement, j’ai confiance. Les 10 ou 15 premières sociétés de Bordeaux réalisent la plus grosse part des affaires. Si, en plus, nous avons l’intelligence de bâtir des relations de partenariat, il n’y a pas de raisons que la région de Bordeaux ne retrouve pas en quelques années la place qu’elle occupait au niveau mondial.

« L.P.V. » – Quelle est votre opinion sur les grands dossiers syndicaux et professionnels ?

S.H. – L’agrément au plus près de l’acte de consommation me semble une réforme tout à fait nécessaire. Pour des vins de qualité intermédiaire, les vins de pays de l’Atlantique nouvellement créés peuvent apporter une solution de repli, tout en permettant d’utiliser les techniques de vinification mondiales. Par contre, en matière de segmentation, Bordeaux affirme haut et fort son opposition à l’émergence d’une sous-appellation, l’IOC. Ce refus s’est traduit par un vote en comité de bassin Bordeaux-Aquitaine il y a un mois. La région ne voit pas d’inconvénients à utiliser les copeaux de chêne, au moins pour ceux qui le souhaitent. Le consommateur paraît loin du débat sur les morceaux de bois. Ce qu’il veut, c’est se faire plaisir.

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