« OCM Vin : Lever Les Entraves Pour Une Meilleure Compétitivité »

22 février 2009

russell.jpgDirecteur du service chargé des différentes OCM au sein de la Commission européenne, Russell Mildon a vécu de l’intérieur les étapes qui ont conduit la Commission à proposer l’actuel projet de réforme de l’OCM vin. Il explique la philosophie et les choix stratégiques de la Commission.

 

 

Le diagnostic – « Avant d’envisager le contenu de la réforme, une première question devait être posée : l’OCM vin de 1999 a-t-elle besoin d’être réformée ? La réponse à cette question fut le fruit de deux années d’étude. Cette mise à plat nous a démontré l’existence d’une double problématique, celle de l’offre et celle de la demande. Côté offre, une partie de nos producteurs gagnent très bien leur vie. Bien sûr, ils connaissent des aléas de production mais, globalement, la rentabilité de leur activité est assurée. Malheureusement, dans certaines parties de l’Europe, des producteurs ne gagnent pas leur vie. Par exemple, il est de notoriété publique que des vignerons du Midi de la France sont au bord du gouffre. Côté demande, nous avons constaté que l’Europe viticole était battue en terme relatif sur pas mal de marchés. Sur les marchés en progression, les pays du nouveau monde tirent mieux leur épingle du jeu. Ce n’est pas faire injure à mes amis français que de dire que, sur le marché britannique, les vins australiens décrochent un meilleur prix unitaire que les vins français, italiens, espagnols, allemands. A travers les études, nous avons obtenu la confirmation des attentes de base du consommateur. Le produit qu’il achète une semaine, il veut le retrouver deux semaines plus tard, dans un esprit de fidélisation de l’acte d’achat. A quelques exceptions près, il ne recherche pas un vin trop fort. Il a envie de connaître le millésime. Les indications de cépages l’intéressent. Conclusion : nos règles issues d’une certaine tradition européenne – contraintes sur les pratiques œnologiques, maîtrise des rendements, désignations d’étiquetage complexes – empêchent la moitié de notre production d’être commercialisée avec tous les atouts nécessaires. D’où perte de terrain, tant au niveau des volumes qu’au niveau des prix. »

Un secteur viticole performant
– « On l’oublie trop souvent ! La viticulture européenne “performe”. A trop se focaliser sur les volumes, émerge souvent l’image d’une viticulture en déclin, sans considération pour le chiffre d’affaires, qui représente tout de même une donnée primordiale. C’est vrai qu’un terme de volume, le solde commercial européen (exportations – importations) n’est pas favorable. Il est passé sur les dix dernières campagnes de 5 millions d’hl à 2,5 millions d’hl vol. Par ailleurs, le secteur n’a jamais connu autant de distillations de crise. Par contre, en terme financier, l’Europe viticole a battu un record en 2005-2006. Son chiffre d’affaires export a évolué de 2,5 milliards d’€ à 5,5 milliards d’€, un résultat d’autant plus percutant qu’il porte sur de “vraies exportations”, hors Union européenne. Une filière ne peut pas décrocher 5 milliards d’euros à l’échelle mondiale sans être sérieusement compétitive. Une tendance d’autant plus intéressante que sa progression se vérifie sur ces dix dernières années. »

Ce que la Commission ne propose pas
– « Nous ne proposons pas d’abolir le statut quo sur les AOC, les indications géographiques, les mentions valorisantes. L’objectif n’est pas de casser les productions qui se portent bien. Implicitement, cela signifie que la viticulture sous IG pourrait décider de restreindre les pratiques œnologiques, maîtriser les rendements, limiter les plantations, manifester des exigences strictes… »

Ce que la Commission propose – « Il y aurait deux catégories de viticulture, une viticulture d’AOC et le “reste”, sans jugement de valeur de notre part. Nous voulons donner plus de compétitivité à cet “autre monde”, qui existe déjà et qui porte sur environ la moitié de la production européenne. Pour ce vignoble vin de table et assimilé, l’idée serait de faire tomber le maximum d’entraves commerciales Pourquoi ne pas éliminer ces hiérarchies bizarres qui embrouillent le consommateur ? Pourquoi ne pas libéraliser les plantations, à partir du moment où un vignoble, ou plutôt un viticulteur, fait preuve de compétitivité ? Pourquoi entraver son expansion par des règles restrictives sur les droits de plantation ? Pourquoi ne pas permettre les mentions valorisantes, l’indication du millésime, du cépage, lorsque la preuve peut en être apportée ? Bien sûr, pour ce type de vignoble, il conviendrait de chercher le rendement optimal, afin d’obtenir le meilleur rapport qualité/prix. »

L’objectif final – « Le but recherché est que les vins de table et assimilés se vendent mieux, tant en terme de prix que de volume. Nous pensons que le simple fait d’ôter les entraves commerciales pourrait se traduire par des ventes en hausse de 8 millions d’hl et des prix plus rémunérateurs pour les vins sans indication géographique qui, aujourd’hui, ne peuvent revendiquer sur leurs étiquettes ni cépage ni millésime. »

Un secteur libéral – « La viticulture s’inscrit déjà parmi les secteurs les plus libéraux de l’Union européenne. Les prélèvements à l’importation comme les restitutions à l’exportation représentent “peanuts”. Et tant mieux. Car pour une telle filière à vocation exportatrice, il y va de l’intérêt stratégique à long terme de chercher à éliminer toutes les aides à la production, se traduisant par des subventions à la tonne ou à l’hl. Leur maintien peut servir comme autant de prétextes à conflits. »

Des instruments de soutien « surannés »
– « L’actuelle batterie de distillations et d’aides au stockage évoque un mode de gestion passéiste, issu du 19e-20e siècle. En tant que mécanisme de subvention, elle prête le flanc à la critique alors qu’elle ne démontre pas son efficacité. Prenons la distillation des prestations viniques de l’article 27, le “dada” de certains Français. Il faut bien voir que ce n’est pas le seul modèle possible. Les Allemands, Autrichiens, Hongrois procèdent autrement. Ils pratiquent le retrait sous contrôle par épandage. S’ils leur arrivent de distiller, c’est sans subvention. La valorisation provient des sous-produits. Même chose en Australie où des motifs environnementaux justifient le recours à la distillation. Personne ne conteste l’intérêt qualitatif d’un passage en chaudière des sous-produits. Mais cette élimination doit se faire sans aide.

Il est de notoriété publique que l’Espagne tient à la distillation “alcool de bouche” de l’article 29, ex-Préventive. Pourtant je crois que l’Espagne est prête à accepter sa disparition, moyennant compensation. Pourquoi ? Parce que les producteurs ont compris que, face à une distillation “alcool de bouche” aujourd’hui plafonnée à 25 % de la production individuelle, ils auraient sans doute plus à gagner à sa libéralisation sur des vignobles dédiés.

La gestion 2005-2006 de la distillation de crise représente un autre exemple de dysfonctionnement de ces mesures. L’Europe a accédé à la demande française de l’appliquer aux vins de qualité, alors que le Conseil, en 1999, la réservait explicitement aux vins d’entrée de gamme. C’est ainsi que Bordeaux a pu faire jouer la distillation de crise, en courant le risque marketing d’altérer son image. La distillation de crise coûte par an 200 millions d’€. Ne serait-il pas plus sain et rentable d’affecter cette somme à des mesures plus intelligentes ?

La distillation double fin “Charentes” engendre quant à elle un budget annuel de 20 millions d’€. Proactifs, les professionnels de la région de Cognac ont compris que, comparé au 1,4 million d’€ engrangé par le Cognac, ils pouvaient très bien se passer de cette manne. Vivant de l’exportation, ils ne souhaitent surtout pas s’attirer d’entraves en miroir. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. Quant aux aides au stockage, doivent-elles faire l’objet d’un financement européen, sachant qu’en tout état de cause les vins seront stockés ? Toutes ces aides pourraient servir à l’édification d’une politique plus durable. »

Un budget maintenu – « Le budget annuel de l’OCM vin s’élève actuellement à 1,2 milliard d’€. Malgré les économies pressenties, le commissaire européen à l’Agriculture, Mariann Fischer Boel, lors du séminaire du 16 février 2006, a pris l’engagement de le maintenir à 1,5 milliard d’€ par an, pour prendre en compte l’élargissement de 15 à 25 pays et l’arrivée, le 1er janvier 2007, de deux nouveaux Etats membres, la Bulgarie et la Roumanie. L’option la plus communément envisagée est de mettre à disposition de chaque Etat membre une enveloppe, dont le contenu comme le montant ne seraient pas très spécifiques. Elle offrirait aux Etats une flexibilité et une subsidiarité importante. Parallèlement, la Commission propose le renforcement d’un programme d’arrachage à des fins sociales, pour les vignobles des viticulteurs les moins compétitifs. Il a été calculé que l’excédent chronique, objet de distillations, correspondait peu ou prou à la production de 400 000 ha, chiffre donné comme un maximum. L’Union européenne pourrait consacrer à l’arrachage jusqu’à 2,4 milliards d’€ en cinq ans. En fonction du dosage de l’arrachage, les enveloppes nationales seraient susceptibles de variations. Arrêtée dans ses grandes lignes, la proposition d’adaptation structurelle est encore sujette à ajustements. Une mesure comme la vendange en vert présente un intérêt évident. Mais on sait très bien que si elle est portée par Bruxelles, elle ne marchera jamais. Il faut la mentionner pour que d’autres acteurs s’en emparent, comme les coopératives. Si cela vient de la base, elle pourrait fonctionner dans des situations locales. »

Le soutien à l’aval – « Les mesures de soutien au marché ne peuvent relever que du second pilier de la PAC, c’est-à-dire du Développement rural. Or, dans ce cadre-là, quand le FEOGA dépense 1 €, l’Etat bénéficiaire doit s’engager à investir 1 €. Pour la période 2007-2013 qui nous intéresse, il semble que certains expriment la crainte que les Etats membres aient déjà plus ou moins budgétisé leurs dépenses. Dans ces conditions, comment rendre opérationnelle une action qui ne se conçoit qu’en binôme ? »

Mesures d’accompagnement – « Je comprends la frustration des Charentais qui, dans leur grand dynamisme, auraient souhaité changer de régime dès 2007. Ils devront se caler sur le calendrier de la réforme. Les Charentais attendent des “mesures d’accompagnement” suite à l’abandon de l’article 28. Je n’emploierai pas le terme de terme de compensation qui évoque davantage des notions de “cash” ou de “bakchich”. Je préfère, comme les Charentais, parler de mesures d’accompagnement qui renvoient à l’idée de politique européenne pluriannuelle visant à valoriser les investissements stratégiques. Il s’agit d’une base plus saine et plus durable. »

Le calendrier de la réforme
– « Nous sommes dans une phase où la Commission a reçu de façon bilatérale les représentants de différentes régions viticoles. Notre commissaire s’est également déplacé dans plusieurs pays, France, Espagne, Portugal… pour prendre le pouls du terrain et aller à la rencontre des professionnels. Lors de sa visite fin octobre, elle fut la première commissaire de l’Agriculture à se rendre à Cognac. Les ministres des Etats membres ont discuté sur la base de la communication de la Commission pour aboutir à certaines conclusions intermédiaires. A quelques nuances près, les positions se rapprochent. Par ailleurs, ce qui est exprimé en public diverge parfois de ce qui se dit en privé. Ce qui intéresse la Commission à ce stade de préparation des propositions, ce ne sont pas les grandes déclarations mais comprendre le pourquoi des arguments avancés. Même si rien n’est encore figé, la Commission estime disposer aujourd’hui de suffisamment d’éléments pour conforter ses thèses. Avec un retard de trois mois sur le timing, la Commission attend les conclusions du Parlement européen, qui devrait émettre son avis fin février 2007. Restera à la Commission le soin de digérer l’avis du Parlement – ce qui demandera au moins un mois – et d’en tenir compte, ainsi que des arguments avancés par d’autres acteurs. Ensuite, deux ou trois mois supplémentaires seront nécessaires pour rédiger et traduire une proposition législative complète, ce qui nous amènera au mois de juin 2007. Si tout va bien, le texte reviendra dans le cercle décisionnel Parlement/Conseil à partir de l’été 2007 pour une application vendanges 2008. »

Un bel avenir
– « Le secteur viticole réfléchit sur son avenir. En dépit de certains défis communément reconnus, se dessine un bel avenir, une perspective durable, issue de son patrimoine, de son passé et de ses acteurs d’aujourd’hui. Pour assurer cet avenir, il faut s’engager dans une réforme qui, tout en corrigeant certains points de fond, préserve ses atouts et les valorise mieux. »

* Au sein de la « DG Agri » – la direction générale de l’Agriculture et du Développement rural – de la Commission européenne, Russell Mildon est le directeur chargé de l’Economie des marchés et des OCM. A ce titre, Russell Mildon est chargé du suivi des OCM existantes (céréales, porcs, œufs, produits laitiers, viande bovine, tabac, huile d’olive, vin, riz…). Tout naturellement, ses fonctions le conduisent à exercer une expertise sur les réformes en cours, dont celle de l’OCM vin.

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