Plaidoyer pour une économie participative

6 mars 2009

michel_pelletier.jpgPrésident du CRINAO jusqu’au 31 juillet prochain, Michel Pelletier dit sa foi dans l’appellation d’origine pour structurer l’avenir de la région. Le changement de régime lui semble inéluctable. Homme de consensus mais aussi de conviction, il croit en « l’assurance des pas », une marche lente mais obstinée. L’économie participative, marquée par un meilleur partage de la valeur ajoutée, lui semble porteuse d’une dynamique d’ensemble. Une utopie à laquelle se pragmatique n’a pas envie de renoncer.

« Le Paysan Vigneron » – Que pensez-vous de la situation actuelle ?

Michel Pelletier – Nous sommes tous d’accord pour dire que nous nous trouvons à un tournant. La double fin a fait son temps. Elle a atteint ses limites. Il faut se diriger vers une nouvelle organisation, sans pour autant remettre en cause les fondements qui ont bâti la viticulture charentaise.

« L.P.V. » – Dans ce cadre-là, quel rôle peut jouer l’AOC ?

M.P. – Je crois énormément aux valeurs de l’appellation d’origine. L’AOC ne peut pas être délocalisée. Il s’agit tout de même d’un atout considérable, pour l’ancrage des hommes et des femmes dans le territoire. Dans ce sens, on ne peut chercher qu’à conforter l’assise que représente l’appellation. Tout changement est source de nostalgie. La donne change. Comme dit l’adage « on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce que l’on gagne «. Mais, quelque part, l’enjeu du nouveau dispositif consiste bien à améliorer le revenu des viticulteurs. Certes, il convient de respecter le point de vue des uns et des autres et rien n’empêche de dialoguer et d’évoluer ensemble. Ceci étant, il faut savoir ce que l’on veut dans cette région ! Je constate que l’interprofession a adopté une position unanime sur le Plan d’avenir viticole. Le CRINAO a avalisé les grandes lignes de la nouvelle organisation de la viticulture charentaise et le rapport Zonta a concrétisé ces orientations. Il ne s’agit pas de faire la révolution mais de mettre en œuvre de manière sereine les évolutions qui s’avèrent nécessaires. Les pouvoirs publics français nous ont également fait comprendre que le système était « rendu au bout », tant du point de vue réglementaire que par les incidences financières qu’il véhiculait. Si la double fin doit perdurer jusqu’en 2006, date présumée de la réforme de l’OCM, il ne faut sans doute pas attendre la dernière limite pour se préparer à la modification de régime, quitte à dire que ce qui est prévu aujourd’hui ne sera applicable que dans deux ans. Il ne s’agit pas d’entraîner des changements brutaux mais il ne faut peut-être pas non plus pratiquer le double langage. Prétendre « il faut aller vite » et, en même temps, tout faire pour ne pas avancer. Pour qu’une démarche aboutisse, elle doit s’appuyer sur un maximum de consensus. Si la région part en ordre dispersé, elle n’avancera pas. Au plan national, on aura beau jeu de nous rétorquer : « cette région ne sait pas ce qu’elle veut », mettons-nous d’accord sur le cadre à mettre en œuvre. Des divergences pourront s’exprimer sur les modalités.

« L.P.V. » – L’émergence d’un nouveau dispositif pose forcément le problème de la renégociation des équilibres entre les différents partenaires.

M.P. – Nous ne sommes plus à la période euphorique de la fin des années 60 où le négoce nous disait « Viticulteurs, produisez, nous nous chargeons du reste ». Je crois que chacun doit assumer son rôle. Si la viticulture s’occupe de la production, elle doit aussi pouvoir l’organiser, en tout cas de manière bien plus prépondérante que le négoce. Respectons la viticulture en lui donnant les moyens de maîtriser son avenir. Tout ceci, bien entendu, doit se faire en concertation et dans le respect mutuel. Pas question de faire de la rétention d’approvisionnement. Mais la viticulture ne peut pas se contenter d’être seulement un fournisseur de matière première, même si le négoce réalise 90 ou 95 % des ventes et représente une force de frappe tout à fait remarquable en exportant le Cognac dans 180 pays.

« L.P.V. » – Est-ce que cela changerait la donne si, demain, le rendement était fixé au sein de l’INAO ?

M.P. – Dans toutes les régions d’AOC de France et de Navarre, le rendement est fixé annuellement sur proposition du syndicat d’appellation, avalisée au plan national. Si tel était le cas en Charentes, la proposition n’émanerait donc plus de l’interprofession. Dans ce nouveau schéma, le syndicat de défense acquerrait un rôle déterminant. Dans notre région, de nombreuses parties prenantes participent à l’élaboration du produit. Elles ont donc vocation à faire partie du syndicat d’appellation. En même temps il faut savoir que, selon la position arrêtée dans la région, l’agrément est acquis à la sortie des installations de distillation. Cela n’a d’ailleurs pas été facile de faire admettre au groupe d’experts que le décret de 1993, qui stipulait que le certificat d’agrément devait accompagner tout mouvement, était inapplicable à notre contexte. La voie adoptée a donc été celle du sondage ou, plus exactement, celle du non agrément par défaut. Maintenant, qui fait la démarche de demande d’agrément ? Le propriétaire du produit. Il s’agit de se mettre d’accord là-dessus. Je crois savoir que l’interprofession a mis en place un groupe de travail sur la composition du syndicat de défense. Sans vouloir me prononcer sur les chiffres, je pense que la viticulture doit avoir la majorité à l’intérieur de ce syndicat. La production du Cognac n’est pas simplement le fait de la distillation. Tous les maillons de la chaîne sont nécessaires, du terroir au pied de vigne, qui confèrent la typicité du produit en passant par la vinification et la distillation. En disant que la viticulture doit être majoritaire, je ne prétends pas pour autant qu’elle doit être la seule. Que ce soit à travers le syndicat de défense, l’organisme d’agrément, la commission de dégustation, il est clair que l’on ne va pas « inventer le fil à couper le beurre ». Il faudra prendre en compte ce qui existe. Dans les différentes commissions, il y aura des viticulteurs, des représentants des professions intermédiaires mais aussi des négociants.

« L.P.V. » – En même temps que l’on parle du « curseur » à l’intérieur du syndicat de défense, se discute aussi le curseur des rendements.

M.P. – En tant que chef de famille de la viticulture au sein du BNIC, rôle que j’ai assumé jusqu’au 31 juillet dernier, je pense avoir joué l’ouverture mais une ouverture modérée. Personnellement, j’étais favorable à une progression de la QNV jusqu’à 6,5. Aujourd’hui, il va falloir être très attentif à ne pas céder aux sirènes de l’euphorie, des sirènes qui se remettent à chanter fort, voire très fort. Dans certaines zones, je constate un grand fatalisme de la part des viticulteurs, comme si le 8 ou le 9 de pur était déjà entériné. Attentions à ne pas reproduire les erreurs du passé. Le Cognac a pour caractéristique d’avoir un cycle de production très long. Les vins de la récolte 2003 sortiront en compte 2 en 2006, en VSOP en 2008, en Napoléon en 2010 et que dire des X.O. Si le marché privilégie aujourd’hui les qualités jeunes, que se passera-t-il dans 5 ou 10 ans ? Bien entendu, le Cognac possède une marge de développement, ne serait-ce que par l’écart qui le sépare de son concurrent direct le Whisky : 9 millions de caisses de Cognac vendues dans le monde contre 120 millions de caisses pour le Whisky. Mais alors qu’il y a 40 ans, on pouvait soutenir que le Cognac doublait ses ventes tous les dix ans, actuellement nous ne sommes plus sur de telles tendances, ne serait-ce que par les volumes en jeu. Le taux de croissance des dix dernières années est plus proche des 1,5 %. Sans être alarmiste, soyons réaliste. Le revenu de la viticulture se constitue de quatre éléments : le potentiel de production – les rendements, liés aux sorties, c’est-à-dire à l’aspect commercial – l’équilibre de l’offre et de la demande qui va agir sur le stock et enfin le prix, un facteur tout aussi déterminant que les autres. Pour avoir produit sur deux ans, en 1989 et 1990, quatre fois les besoins, nous nous sommes retrouvés avec une rotation de stock de 8 années de ventes. Grâce à la politique de restriction mise en place, le stock a diminué depuis d’une quantité supérieure à l’écoulement d’une campagne. Cette politique a pu être mal ressentie mais, si nous avions laissé faire, serions-nous là où nous en sommes aujourd’hui ? Si nous devions ouvrir le curseur des rendements bien plus largement, nous le ferions au bénéfice de certains mais au détriment d’autres. Par ailleurs, en encombrant le marché, nous affaiblirons le revenu de la viticulture.

« L.P.V. » – Dans l’équation prix/volume, qui doit l’emporter ?

M.P. – Je n’opposerais pas les prix aux volumes mais je ne peux pas admettre que l’on considère le viticulteur comme un producteur de matière première, tel que cela existe dans les pays en voie de développement. Je suis pour une économie participative. Je ne conteste pas qu’une marge importante existe entre le prix payé au producteur et le prix de vente. Le négociant doit couvrir ses frais d’élevage, de commercialisation, de promotion. Mais est-ce normal que le négoce ne veuille pas augmenter les prix payés au producteur alors que le budget cumulé de communication des maisons de négoce s’avère supérieur au chiffre d’affaires de la viticulture ? La baisse des prix sous couvert d’achat supplémentaire a été très mal ressentie par la viticulture. Je m’aperçois aussi que le résultat des maisons de négoce n’est pas si mauvais que cela, même si la parité €/$ l’impact négativement. On ne peut pas aller d’un excès à l’autre. Il faut arriver à trouver un juste équilibre. La viticulture ne demande pas l’impossible mais qu’il y ait une évolution logique des choses. Le monde viticole souhaite une chose : s’inscrire dans la durée. Le négoce a d’ailleurs intérêt à avoir en face de lui une viticulture dotée d’un revenu décent et la viticulture un négoce qui progresse.

« L.P.V. » – Dans un cadre INAO, quelle serait votre position sur la gestion des excédents au-delà du rendement Cognac ?

M.P. – Je pars d’un constat. L’interprofession s’est prononcée pour la destruction, sans possibilité de faire du brandy au-delà du rendement et je me réfère à cette position. D’ailleurs, où serait le problème si la viticulture pouvait profiter d’un revenu suffisant. La question serait résolue d’emblée. Personnellement, je pense qu’il ne viendrait pas à l’idée des Champenois de fabriquer un mousseux avec leurs produits de surplus.

« L.P.V. » – Pensez-vous que les différentes composantes régionales puissent trouver un terrain d’entente sur les dossiers d’actualité ?

M.P. – Il paraît assez normal que chacun défende sa boutique. Dans mon parcours syndical et professionnel, j’ai essayé d’être pragmatique, sans m’interdire pour autant une part de rêve et même d’utopie, mais toujours mâtinés du sens des réalités. Je répète que la recherche de la compétitivité à tout prix peut représenter un danger pour l’avenir de la viticulture charentaise. La stratégie qui consiste à vouloir diminuer impérativement les coûts de production et, en même temps, augmenter la QNV Cognac à 8 ou à 9, comme étant la seule clé d’amélioration des revenus, peut devenir une stratégie perverse. Le partage de la valeur ajoutée à travers une économie participative me semble la seule voie d’un partenariat équilibré entre viticulture et négoce. L’avenir de cette région passera nécessairement par des viticulteurs qui pourront vivre dignement de leur travail et par un négoce dynamique et prospère.

« L.P.V. » – L’AOC peut-elle y aider ?

M.P. – Entre une économie ultra-libérale et une économie organisée, l’AOC se classe, quoiqu’on en dise, du côté de l’économie organisée. Ou alors on se dirige vers autre chose mais je pense que depuis que le Cognac est Cognac, il se situe dans le sillage historique de l’AOC, de par sa notoriété, le savoir-faire de ses hommes. Si l’AOC doit peut-être savoir combattre son immobilisme, elle doit aussi évoluer sans perdre ses valeurs. De Closet a écrit un livre intitulé « Toujours plus ». Ceux qui ont déjà beaucoup en veulent plus encore. Dans cette notion d’équilibre, la sagesse doit l’emporter. Moi, je ne crois pas aux grands bouleversements. Je crois à l’assurance des pas. On gravit des échelons pas à pas mais avec assurance, en s’appuyant sur la complémentarité entre le secteur de la production et celui du négoce. Si l’un voulait étouffer l’autre, il ne serait pas possible d’avancer. Tout doit se faire dans la complémentarité. La région a des atouts, elle a plus d’atouts que de faiblesses. Globalement dans cette région, il faut savoir faire taire nos divisions et privilégier le long terme à une politique de court terme qui n’aurait pas d’avenir. Je crois que, malgré tout, avec le Projet d’avenir viticole, nous sommes en train de viser le long terme, même s’il reste encore des étapes à franchir. Tout va dépendre de la volonté des hommes de croire dans la réussite d’ensemble.

 

INAO : le régional et le national renouvelables fin juillet

On a du mal à le croire mais Michel Pelletier aura bientôt 65 ans. Limite d’âge oblige, le mandat régional du président actuel du CRINAO va donc s’interrompre. Au plan national, les choses peuvent s’envisager autrement, dans la mesure où la limite d’âge ne s’applique pas aux personnalités qualifiées. Le départ de M. Pelletier va coïncider avec le renouvellement, fin juillet, des membres du comité régional de l’INAO ainsi que ceux du Comité national vins et eaux-de-vie. Ces membres sont nommés pour une période de six ans, renouvelable, c’est-à-dire qu’ils peuvent exercer plusieurs mandats de suite. Ce fut le cas de Michel Pelletier, dans les instances de l’INAO depuis 1967, date de son passage au CNJA. Avant d’être lui-même nommé à la tête du CRINAO, Michel Pelletier aura travaillé avec plusieurs présidents, d’abord Paul Hosteing, premier président du CRINAO de la région de Cognac, puis André Mullon, Jean Bouché et Bernard Gauthier.

A Cognac, le comité régional de l’INAO se compose, à parité, de dix représentants du secteur de la production et de dix représentants du secteur du négoce. Parmi eux, deux membres ont vocation à représenter le Pineau, l’autre appellation régionale avec le Cognac. Un usage bien ancré veut que le président du CRINAO soit un viticulteur. Les membres sont nommés à la discrétion du ministre de l’Agriculture, après consultation locale. C’est sous la responsabilité du préfet de région – en concertation avec les échelons techniques DDAF et DRAF – que les noms sont transmis au ministre.

Le rapport Zonta a émis une proposition : créer un Comité national spécifique aux eaux-de-vie. Si cette proposition n’est pas assurée de voir le jour, les représentants du secteur des eaux-de-vie souhaitent au moins une chose : pouvoir renforcer leur présence au sein du Comité national vins et eaux-de-vie, une présence qu’ils estiment notoirement insuffisante, compte tenu, notamment, du poids du Cognac. Aujourd’hui, le secteur des eaux-de-vie dispose de deux sièges au Comité national. Michel Pelletier et ses collègues souhaitent que cette représentation passe au minimum à quatre sièges. Une commission nationale « eaux-de-vie » existe bien au sein de l’INAO – au même titre que d’autres commissions permanente comme la commission nationale agrément par exemple – mais n’y siègent pas que des représentants des eaux-de-vie.

Les membres actuels du CRINAO de la région de Cognac, nommés par arrêté du 27 septembre 1998 pour une durée de six ans :

Représentants du secteur production – Jocelyn Bruneau, Jean-Michel Cadusseau, Jean-Noël Collin, Christian Gauvrit, Jean-Pierre Guillon, Xavier Léglise, Michel Pelletier, Gérard Raby, Gérard Roy, Jacques Tournat.

Représentants du secteur négoce – Lucette Barbera, Jean-Marie Beulque-Schaub, Yann Fillioux, Jean-Pierre Lacarrière, Bernard Lacroux, Frédéric Larsen, Bernard Lassalle, Jean-Marc Olivier, Patrick Raguenaud, Jérôme Royer.

 

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