L’OIV (l’Office international de la vigne et du vin) est une organisation intergouvernementale à caractère scientifique qui regroupe 47 pays producteurs et consommateurs de vin. Elle tend à harmoniser, à normaliser et à rapprocher les réglementations fiscales, scientifiques et techniques, et son principal objectif est de faciliter les échanges commerciaux en essayant de rendre le marché mondial plus loyal et plus transparent. Cet organisme, dont le siège est à Paris, représente aussi un observatoire privilégié de l’évolution du vignoble et de la production mondiale. L’intervention du président de l’OIV, M. Georges Dutruc-Rosset, dans le cadre d’une journée d’information sur les vins de qualité organisée par la coopérative Syntéane le 15 février dernier à Saintes, permet d’avoir une vision globale de l’évolution de la production et de la consommation de vins dans le monde. Il semble que l’avenir de la filière viti-vinicole repose sur la conquête de nouveaux consommateurs qui découvrent le vin et l’apprécient dans la mesure où la typicité des produits correspond à leurs attentes.
« Revue Le Paysan » – M. Georges Dutruc-Rosset, comment a évolué la superficie du vignoble mondial au cours des dix dernières années ?
Georges Dutruc-Rosset – Au début des années 80, la superficie du vignoble mondial culminait autour de 10,2 millions d’hectares et par la suite on a assisté à une réduction régulière des surfaces. La décennie 80 a été marquée par une diminution forte puisqu’en 1990, le potentiel de production mondial était descendu à 8,8 millions d’hectares. Pendant cette même période, la consommation de vin de table s’est aussi fortement réduite dans de nombreux pays gros producteurs et les modes de consommation ont fortement évolué. Depuis 1990, la baisse des surfaces s’est nettement atténuée pour atteindre un point de retournement en 1997. Le vignoble mondial est descendu à 7,7 millions d’hectares à la fin de 1996 et au cours des trois dernières années, 300 000 ha se sont plantés.
« R.L.P. » – Cette récente augmentation des surfaces concerne-t-elle l’ensemble des grands pays producteurs de vins ?
G.D.-R. – L’augmentation des surfaces depuis 1998 concerne essentiellement les vignobles extra-européens. Au niveau du continent européen, les vignobles de Russie et Géorgie ont fortement régressé compte tenu de l’inadaptation des productions au nouveau contexte du marché. L’absence d’investissements au niveau de l’encépagement et des installations de vinification fait vieillir prématurément le vignoble de ces deux pays. Au sein de la CEE, les surfaces de vignes en France, en Espagne et en Italie sont restées stables pendant toute cette période. La progression des surfaces de 1 à 2 % par an concerne essentiellement les pays du nouveau monde comme la Californie, l’Amérique du Sud, l’Australie, l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, la Nouvelle-Zélande.
« R.L.P. » – Le développement de la viticulture dans les pays du nouveau monde n’est-il pas motivé par des conditions de production très attractives en matière de coûts ?
G.D.-R. – Ces pays n’ont pas découvert la viticulture ces dernières années mais le développement de la viticulture correspond à des investissements sur un secteur estimé rentable au vu de la tendance porteuse du marché jusqu’à la fin de 1999. Dans ces pays, on assiste à l’arrivée d’opérateurs qui ont une véritable stratégie d’entreprise, pour produire, bien vinifier et faire le vin qui se vend. L’approche de production est directement conditionnée aux approches de marché et aux attentes des consommateurs en matière de typicité de vins. Ils possèdent une souplesse pour adapter les caractéristiques du vin au type de client à « séduire ». Cette logique d’entreprise est développée par des entrepreneurs qui sont parfois des agriculteurs. Les coûts de production hectare ne sont pas fondamentalement différents de ceux des pays européens, compte tenu des investissements importants et récents. Par contre la différence se situe plutôt au niveau du prix de revient à l’hl, compte tenu de l’absence de limite de rendement et des potentialités agronomiques et climatiques dans les pays du nouveau monde. Les 20, 30 ou 40 hl de Merlot, de Cabernet… produits en plus sur chaque hectare permettent de dégager des marges financières supplémentaires.
« R.L.P. » – Le développement du potentiel viticole dans ces pays concerne-t-il plutôt des vins blancs, des vins rouges, et quels cépages en particulier ?
G.D.-R. – D’une manière générale, on constate un attrait pour la production de vins rouges, et le climat et la situation géographique des vignobles y semblent aussi favorables. Néanmoins, certaines zones dans des pays comme le Chili, l’Afrique du Sud, l’Australie, l’Argentine produisent aussi d’excellents vins blancs à base de Chardonnay, de Sauvignon. Le développement des vignobles rouges s’est surtout fait au départ en implantant des cépages comme le Cabernet Sauvignon, le Merlot, la Syrah et, dans une moindre mesure, le Pinot noir. Ces cépages « internationaux » ont fait leurs preuves, mais actuellement les entreprises commencent à s’intéresser à d’autres cépages pour préparer l’avenir et développer leurs gammes en matière de recherche de typicité. L’objectif étant toujours de vendre des vins qui aromatiquement et gustativement répondent aux attentes des consommateurs. Au Chili, en Argentine et en Afrique du Sud, on assiste au développement de cépages comme la Carmenère et le Malbec. Le label France en matière de vin s’exporte bien et cela a permis la création de partenariat au niveau de l’implantation des vignobles. Les plants sont vendus par des pépiniéristes français, les vignobles sont implantés par des agronomes français et les vinifications sont supervisées aussi par des œnologues français. Sur le plan technique, on assiste depuis quelques années à un développement de pôle universitaire de formation et de recherche en Californie, mais aussi en Australie et en Afrique du Sud.
« R.L.P. » – Le développement du potentiel de production s’accompagne donc de volumes mis en marché plus importants ?
G.D.-R. – Effectivement, l’augmentation de la production de vins a commencé à être observée à partir de 1997-1998, et cette tendance s’est poursuivie en 1999 et en 2000. Une augmentation de 2 millions d’hl a été constatée sur la période 1996-2000, ce qui peut paraître faible en valeur absolue par rapport à une production totale de 275 millions d’hl. Cependant, en valeur relative, cette hausse de la production se concentre sur quelques pays (l’Australie, l’Amérique du Sud et l’Afrique du Sud), qui ont vu leurs surfaces s’accroître de manière assez spectaculaire durant cette même période. Le vignoble australien est passé de 80 000 ha en 1996 à 140 000 ha en 2000. Les caractéristiques des productions de ces pays ont évolué rapidement au cours des dernières années, puisqu'au départ ils sont passés des vins de cépages basiques à des lots plus qualitatifs, et maintenant ils privilégient les vins d’assemblage sur le segment plus porteur des produits markettés de type « premium « et « super-premium ».
« R.L.P. » – Comment a évolué la consommation mondiale de vins durant la dernière décennie ?
G.D.-R. – D’une manière générale, on observe une stagnation de la consommation autour de 220 millions d’hl avec néanmoins des variations importantes selon les pays. Dans les pays traditionnellement producteurs d’Europe comme la France, l’Espagne et l’Italie, la consommation de vins par habitant a tendance à diminuer légèrement pour se stabiliser autour de 50 à 60 l/personne. Ce niveau de consommation, qui reste tout de même élevé, représente un marché important et un débouché naturel pour une partie de la production de ces pays. La consommation de vins augmente dans des pays comme le Canada, le Royaume-Uni, l’Europe du Nord et le Japon, auprès d’un public de nouveaux consommateurs qui découvre le vin. Ce sont des consommateurs occasionnels de vins qui associent l’achat d’une bouteille à des événements festifs. Ils ne sont pas particulièrement sensibles au prix, mais leurs attentes en matière de typicité et de qualité de produit diffèrent nettement de celles des initiés. Cette nouvelle clientèle issue de la culture anglo-saxonne est à la recherche de vins qui, sur le plan organoleptique, possèdent une typicité différente des productions traditionnelles en France. Les productions des pays du nouveau monde ont apparemment su mieux répondre aux attentes de cette frange de consommateurs sans pour autant se positionner à des niveaux de prix inférieurs aux vins européens.
« R.L.P. » – La diminution de consommation de vin concerne-t-elle tous les types de vins en terme de qualité et de niveaux de prix ?
G.D.-R. – On peut dire que tous types de vins confondus, l’excédent de production de 50 à 60 millions d’hl correspond aux échanges mondiaux de vins. Cela pèse bien sûr sur le marché global mais le marché des vins est très segmenté. Le secteur le plus encombré est celui des vins de table et des vins d’entrée de gamme, et c’est pour cette raison que tous les pays producteurs ont fait de gros efforts pour progresser sur les segments de marché plus qualitatifs. La problématique mondiale pour rééquilibrer le marché nécessitera soit de procéder à des arrachages, soit de relancer la consommation modérée de vins. La baisse de consommation intérieure dans les pays traditionnellement producteurs a entraîné des mises en marché plus importantes à l’exportation et la recherche de nouveaux consommateurs constitue un enjeu important. Il existe tout de même des moyens de trouver des niches commerciales de type « super-premium » pour des quantités moyennes dans les pays où la consommation augmente. Par exemple, la consommation de vins en Angleterre s’est développée régulièrement pour atteindre le niveau de 16 l par habitant. Les consommateurs occasionnels ne possèdent pas encore une culture du vin et il ne faut pas leur donner des éléments trop complexes pour identifier les produits qui leur plaisent. Les vins dits « markettés ou signés » ont semble-t-il une longueur d’avance en matière de repère d’identification pour ces nouveaux consommateurs. Pour investir ces nouveaux marchés, l’idéal serait de dégager une synergie entre les philosophies des AOC et les approches de marques commerciales et de cesser de les opposer. La garantie d’origine de production est un élément important qui contribue à renforcer l’impact des démarches commerciales.
« R.L.P. » – La mise en évidence de critères d’origine de production à des repères d’identification commerciaux représente donc un moyen de valoriser de nouveaux débouchés ?
G.D.-R. – Le fait de pouvoir associer aux démarches commerciales des garanties d’origine de production satisfait une demande actuelle des consommateurs moyennant de les formaliser avec des repères simples. Les vins d’AOC sont produits avec des cahiers des charges stricts et contraignants qui contribuent à renforcer leur renommée et leur positionnement sur les marchés. La réglementation de production des vins de pays et des vins de cépages doit permettre de s’adapter plus facilement a des demandes de profils de qualité différents. Le vin est par nature un produit de diversité et cette diversité permet justement de capter des nouveaux consommateurs adeptes de boissons aux saveurs plus standardisées comme les sodas. La multiplication des cépages contribue à étoffer les gammes de vins et une offre commerciale plus large permet de découvrir de nouvelles niches commerciales. Le consommateur « qui vient » au vin est à priori un esprit curieux dont les goûts et les attentes évoluent, et même en France l’intérêt autour des vins étrangers progresse. Les nouveaux consommateurs vont aussi, au fil des années, enrichir leur culture du vin et leurs attentes de qualité vont naturellement évoluer.
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