« Environnement : Nous Ne Démarrons Pas De Zéro »

22 mars 2009

S’attacher à la durabilité et à la productivité du vignoble charentais tout en respectant les arcanes actuelles et futures de la politique environnementale C’est à cet exercice d’équilibrisme qu’est confrontée la Station viticole du BNIC, à l’instar d’autres organismes techniques. Une recherche de cohérence « sur le fil du rasoir ».

 

« Le Paysan Vigneron » – Quelle place la problématique environnementale occupe-t-elle au BNIC ?

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Luc Lurton.

Luc Lurton – Présente dans la vie de tous les jours, la problématique environnementale touche tous les secteurs professionnels sans exception. La filière Cognac est forcément attentive à ces questions, tant dans sa partie d’amont que d’aval. Les attentes viennent aussi bien des données réglementaires, des nouvelles contraintes que du marché au sens large. Il s’agit d’une problématique très complexe, qui mêle dimensions techniques et réglementaires. Dans ces domaines, il est extrêmement important d’aborder les choses de façon intégrée. La démarche est en train de se mettre en place au sein du BNIC. Un groupe de travail a été créé, relevant directement du comité permanent. Il a pour mission de réfléchir à la politique environnementale de la filière, d’en définir les contours. Le bilan carbone est arrivé rapidement sur la table, sans doute parce que c’est un sujet médiatisé aujourd’hui. Des filières viticoles ont déjà réalisé leur bilan carbone et ont communiqué dessus. En tout état de cause, cette initiative nous paraît utile, pour mettre en évidence les grands enjeux ainsi que pour motiver collectivement les acteurs, en leur fournissant de nouveaux éléments de réflexion. Mais l’approche du groupe de travail fut aussi de considérer qu’à l’évidence, le bilan carbone ne couvrait pas la totalité des enjeux environnementaux de la filière. C’est pourquoi l’interprofession a émis le souhait de réaliser un diagnostic environnemental, au périmètre bien plus large. Les contours s’en dessinent actuellement. La démarche s’étalera sur plusieurs mois.

« L.P.V. » – De quoi se nourrit une telle initiative ?

L.L. – L’approche est multifactorielle. Entrent dans la réflexion des éléments tels que le projet de révision de la directive européenne 94/414 sur la mise en marché des produits phytosanitaires, toutes les conséquences du Grenelle de l’environnement, l’usage de l’énergie pour la distillation, la gestion des effluents… Il faut bien voir cependant que tous ces chantiers ne sont pas totalement nouveaux pour nous. Nous ne démarrons pas de zéro dans le domaine de l’environnement, même si nous n’avons jamais pratiqué l’effet d’affichage. Tout un travail a été accompli au sein du BNIC sur les questions environnementales, travail trans-départements mêlant à la fois le suivi réglementaire par les services juridiques de l’interprofession, l’expérimentation par la Station viticole. Ces aspects de veille réglementaire et d’études techniques spécifiques se poursuivent sans changement. La nouveauté vient de la dimension collective de la démarche. A travers le bilan carbone et le diagnostic environnemental, l’interprofession se donne pour mission de réfléchir à une politique environnementale régionale. Tout cela est encore en gestation. Compte tenu de la complexité du sujet et des enjeux, il est un peu tôt pour en dire plus.

« L.P.V. » – Qui va faire quoi ?

L.L. – Bilan carbone comme diagnostic environnemental sont des initiatives interprofessionnelles, mais on peut tout à fait imaginer que des ouvertures se manifestent auprès d’autres organismes. Le diagnostic environnemental correspond à une méthode assez précise, définie par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Il y aura certainement une implication des acteurs, avec des enquêtes conduites auprès d’eux, comme a déjà été menée une enquête sur la distillation et ses implications énergétiques. Bouilleurs de cru, distillateurs de profession ont été interrogés sur leurs installations, leurs performances énergétiques, à la fois pour établir un état des lieux mais aussi pour envisager des pistes d’amélioration. Les résultats sont en cours d’analyse. Un élève ingénieur AgroParisTech a été recruté à cet effet pour une période de trois mois.

« L.P.V. » – Peut-on imaginer à terme la remise en cause du principe de chauffage à feu nu des alambics ?

L.L. – S’il peut y avoir une réflexion sur le sujet, il ne s’inscrit pas au cœur de notre travail aujourd’hui. Les économies d’énergie constituent la voie privilégiée. Face à une augmentation « fatale » du coût de l’énergie, consommer moins de gaz constituerait déjà une avancée significative.

« L.P.V. » – Le dossier phytosanitaire constitue lui aussi un dossier brûlant.

L.L. – Actuellement le tableau apparaît assez mouvant et complexe, dans la mesure où plusieurs évolutions concomitantes interviennent. Outre le Grenelle de l’environnement qui joue au plan national, existe au niveau européen des échéances de retrait d’un certain nombre de matières actives dès 2010. Plus globalement, l’objectif affiché consisterait à faire baisser de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires à horizon 2018. Ces annonces ne manquent pas d’inquiéter fortement la profession. N’allons-nous pas vers des impasses techniques ?

« L.P.V. » – Sur ce dossier, quelle peut être la contribution de la Station viticole du BNIC ?

L.L. – Ce dossier, à l’évidence, dépasse largement le cadre régional. C’est l’IFV – anciennement ITV – qui est porteur de ces questions au plan national dans le domaine de la viticulture. Nous travaillons en lien étroit avec lui. Ce qui ne veut pas dire que nous nous désintéressions de la problématique. Traditionnellement, la Station viticole du BNIC a toujours eu un rôle d’évaluation spécifique des produits phytosanitaires en terme de risque qualitatif pour les produits élaborés dans la région. Par ailleurs, la Station tient à jour des bases de données concernant les usages, les limites d’utilisation des produits phytosanitaires. Certains produits peuvent aussi ne pas être recommandés dans la région. Sur ces questions nos partenaires régionaux sont les Chambres d’agriculture, le Service de la protection des végétaux. Face au retrait annoncé de certaines matières actives, les firmes proposent bien de nouvelles molécules mais avant que ces molécules soient testées et homologuées, un temps de latence va courir, nous laissant dans l’expectative. Je le répète, il s’agit d’un sujet extrêmement complexe et lourd d’enjeux.

« L.P.V. » – Sur les aspects viticoles et même si nous sommes assez loin du domaine purement environnemental, pourriez-vous nous repréciser les missions de la Station viticole ?

L.L. – La Station est concernée par tout ce qui touche à la pérennité du vignoble et donc à sa durabilité et à sa productivité sur le long terme. Des essais sont conduits sur les maladies du bois mais aussi sur la qualité de la matière première et sa répercussion sur le produit final, la maturité, l’optimisation de la date de récolte, la fumure azotée… Par contre, notre mission ne nous amène pas à intervenir dans la gestion quotidienne du vignoble, par exemple pour lutter contre les maladies cryptogamiques. D’autres organismes s’en chargent.

« L.P.V. » – Vous vous êtes fait une spécialité des maladies du bois.

L.L. – Cette question s’inscrit en totale cohérence avec notre lettre de mission, durabilité et productivité du vignoble

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Journée technique sur les maladies du bois.

charentais sur le long terme. C’est pourquoi nous nous y sommes autant investis. Notre région est certainement celle où se conduit le plus d’expérimentations sur le sujet. Depuis le début des années 90, la Station viticole a mis en place au lycée agricole de Saintes des expérimentations longue durée concernant le processus de contamination, les plaies de taille, l’incidence de différents facteurs agronomiques. Il s’agit d’un dispositif rigoureux, suivi de près par les chercheurs de l’INRA. En suivant l’évolution des maladies du bois, nous essayons d’acquérir des connaissances de fond sur les mécanismes de propagation et de contamination. Malheureusement beaucoup de zones d’ombres demeurent, notamment sur les champignons responsables de ces maladies. Un gros travail reste encore à accomplir. La Station viticole du BNIC y prend sa part. En tant que telle, elle est reconnue au plan français. A l’intérieur de la région, je pense qu’il y a encore énormément d’efforts à faire pour diffuser l’information auprès des professionnels. Le transfert des connaissances doit être amélioré.

« L.P.V. » – Vis-à-vis des maladies du bois, sur quelles pistes de luttes vous orientez-vous ?

L.L. – A court terme, on ne voit pas de solutions curatives se dégager. Par contre des sources de progrès existent, relatives à la gestion du vignoble. Je pense aux méthodes qui permettent de limiter la contamination mais aussi aux conditions entourant la plantation, la maîtrise accrue de l’état sanitaire du vignoble, sans oublier la « boîte à outil » du remplacement, du recépage ou de l’entreplantation. Une autre piste de réflexion se dessine, plus lointaine mais porteuse d’espoir. Il s’agit des aspects de résistance naturelle des cépages aux maladies du bois. Cette approche pourrait ouvrir de nouvelles perspectives en Charentes. Nous savons que l’Ugni blanc est un cépage particulièrement sensible à l’eutypiose. En partenariat avec l’INRA, nous allons travailler à mieux connaître les causes de cette sensibilité pour envisager, ensuite, les possibilités d’obtenir du matériel végétal moins sensible. En disant cela, je ne parle absolument pas d’OGM, d’organismes génétiquement modifiés. Par des techniques de sélection conventionnelle, notre objectif vise la recherche de clones ou d’obtentions moins sensibles aux maladies du bois. La Station viticole du BNIC s’est livrée à un gros travail de mise en conservation de la diversité génétique de l’Ugni blanc. A l’issue d’une importante campagne de prospection conduite sur le vignoble charentais et d’autres régions françaises, nous possédons aujourd’hui plus de 700 accessions différentes d’Ugni blanc. Et nous avons l’intention d’élargir cette prospection à d’autres zones de production. Nous avons notamment pris des contacts avec l’Italie dans la mesure où le vignoble italien est considéré comme le berceau de l’Ugni blanc.

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