Grille de rémunération : le prolongement du cahier des charges

26 décembre 2008

dumas-lattaque_opt.jpgTechnicien viticole à la Chambre d’agriculture 17, L. Dumas-Lattaque a conceptualisé depuis 1995-1996 une grille de rémunération pour les vins de pays charentais. Deux structures (la cave du Liboreau à Siecq et la Sica des Vignerons de Goulebenèze à Burie) appliquent ses paramètres, révisables chaque année à la discrétion des conseils d’administration. Gage de transparence : la grille de rémunération fait partie intégrante d’un itinéraire technique résumé dans ses grandes lignes par le cahier des charges.

« Revue Le Paysan » – Quelle fonction assignez-vous à la grille de rémunération ?

Lionel Dumas-Lattaque – Par son système de dégressivité, elle a une fonction pédagogique évidente : encourager ceux qui travaillent bien et inciter les autres à les rejoindre. Mais on pourrait presque dire que la grille en elle-même, c’est le plus facile à réaliser. Car elle est surtout la conséquence d’une préparation bien en amont, avec le cahier des charges qui résume l’itinéraire cultural que l’on veut donner aux parcelles. Sans cahier des charges posant les bases minimales de la qualité, je ne vois pas comment l’on pourrait argumenter sur la rémunération. C’est un gage de transparence. Et l’on sait bien qu’au moins 50 %, si ce n’est plus, de la qualité finale s’obtient dans les raisins et donc à la vigne. N’oublions jamais qu’un vinificateur quel qu’il soit – vigneron à titre individuel ou coopérative – a vocation à dégager la quintessence du produit et non à rectifier les défauts éventuels de la vendange. C’est la base même de la vinification. Il faut donc s’arranger pour amener au bout de la vigne le meilleur produit possible. Ce qui ne préjuge en rien de la qualité finale, après des étapes comme la vinification, l’élevage ou la mise en bouteille. Mais là aussi, il convient de ne pas perdre de vue que le produit livré – et payé – est le raisin et non le vin in fine. D’où la pertinence d’un cahier des charges pour servir de support à une grille de rémunération.

« R.L.P. » – A chaque grille de rémunération devrait donc correspondre un cahier des charges spécifique ?

L.D.-L. – C’est certainement le but à atteindre. Dans l’immédiat, je dois dire que le cahier des charges que j’ai aidé à bâtir est plutôt « a minima ». Il pourrait facilement s’appliquer à d’autres structures ou à d’autres vignobles. Pourquoi ? Parce qu’un cahier des charges ne prend tout son sens qu’à condition d’avoir une idée du produit final. « Qu’est-ce que le vin de pays charentais ? » « Est-ce un vin précoce, mâture, à garder ? » « Est-ce un vin blanc sec, demi-sec ? » « Sa couleur est-elle plus ou moins prononcée ? »… Je ne suis pas sûr que des réponses aient été apportées à toutes ces questions et encore moins en 1995, quand j’ai commencé d’échafauder le cahier des charges. Il y a encore tout un travail « d’introspection » à faire concernant les vins de pays charentais. Sur un secteur aussi grand que celui des deux Charentes, des terroirs vont certainement émerger qui permettront d’affiner des objectifs de production et d’introduire des composantes supplémentaires – je préfère parler de composantes plutôt que de contraintes – en terme de densité, de taille… Ce cahier des charges, je l’ai voulu suffisamment ouvert pour que les gens, à l’intérieur des structures, puissent se l’approprier, se posent des questions et puissent le faire évoluer en fonction de leurs objectifs. « Ton cahier des charges, il est laxiste » ai-je entendu ici et là. Moi je le trouve plutôt réaliste, partant du principe que dans cette région les vignerons doivent apprendre à marcher, eux pour qui le vin fut longtemps l’accessoire de l’eau-de-vie. Ils doivent apprendre les fondamentaux, les bases de leur métier. Quand la région aura 20 ans d’expérience derrière elle, elle pourra prétendre faire des produits de « haute expression ». On peut toujours « parler d’or », faut-il encore en avoir les moyens ! C’est sans doute un atavisme « Chambre » mais je plaide pour une démarche pas à pas où la formation prend toute sa part. Ce raisonnement, je l’appliquerais volontiers à la grille de rémunération. Effectivement cette manière de procéder réclame du temps. En imposant une grille de répartition, on peut aller un peu plus vite mais on fait aussi plus de déchets. Et si la vocation d’une coopérative n’est pas de « faire du social », même si cette dimension fait partie de ses valeurs, il faut bien reconnaître que la progression à marche forcée laisse toujours un goût amer, traîne derrière elle des rancœurs. Il paraît bien plus profitable d’insuffler l’envie aux gens. On ne crée par une coopérative pour dix ans. Elle s’inscrit dans la durée et la stabilité. Parce que la coopérative se compose d’un groupe d’hommes et qu’un groupe n’avance pas comme un homme seul, il est évident que la démarche collective prend plus de temps que la démarche individuelle. C’est peut-être aussi pour cela que caves particulières et caves coopératives sont si complémentaires. Non seulement les deux possèdent leur propre marché mais elles répondent à des rythmes différents.

« R.L.P. » – C’est certainement l’indication d’une densité minimale de 3 300 pieds/ha qui a valu à votre cahier des charges d’être qualifié de « laxiste ».

L.D.-L. – Personnellement je n’ai rien contre une densité de 4 000 pieds/ha avec un écartement de 2,5 m. Mais quand le cahier des charges a été mis en place, des vignes étaient déjà plantées à 3 m, avec l’équipement matériel ad hoc. Allait-on décourager ces viticulteurs à replanter au risque de se priver d’un potentiel économique existant ? Et puis honnêtement si, à 4 000 pieds/ha, on ne faisait que de la qualité, ça se saurait. Je crois beaucoup plus à l’importance de la SFE (surface foliaire exposée). On s’accorde à dire que la qualité est au rendez-vous si vous avez moins de 1 kg de raisin par m2 de SFE, sachant que l’on peut jouer sur l’un ou l’autre des paramètres (moins de 1 kg par m2 ou plus d’un m2 pour 1 kg). A 3 mètres, une vigne développe une SFE d’environ 9 000 m2 (entre 8 et 10 000 m2 selon la hauteur du rognage ou de palissage). A raison de 1 kg de vendange par m2, c’est la production de 9 tonnes ou encore 72 hl/ha rapportés à un taux d’extraction des jus de 80 %. Ce rendement, je le qualifierai de maximum. Dans un objectif de qualité, il vaut mieux viser 20 % au-dessous, ce qui donne un rendement de 60 hl/ha, ce qui correspond aussi à une augmentation de SFE de 20 %. Car si j’enlève un poids de vendange, automatiquement j’augmente mon taux de SFE utile. Je dirai qu’entre une vigne à 2,5 m produisant 70 hl et une vigne à 3 m donnant 60 hl, le résultat me semble très proche. Comme aux cartes, il est plus facile de gagner quand on a beaucoup d’atouts dans son jeu. A 3 mètres, on peut gagner mais ça sera plus difficile. Le tout est de l’expliquer. Plutôt que d’être un peu « gendarme » et d’appliquer des chiffres et des réglementations, je préfère tabler sur la capacité de compréhension des gens, via la formation. Et sur leur capacité à se responsabiliser aussi.

« R.L.P. » – C’est sans doute ce qui explique le côté sommaire du cahier des charges.
grille_de_paiement.jpg

L.D.-L. – Tout à fait. Il se borne à rappeler les têtes de chapitre, à indiquer quelques passages obligés. Le reste relève du suivi terrain, dans un objectif permanent de responsabiliser les gens. Rentrer dans le détail de la procédure nécessiterait un pavé de 600 pages. Je n’y vois pas grand intérêt.

« R.L.P. » – Quels sont les critères de répartition retenus par la grille de rémunération ?

L.D.-L. – Pour l’instant la grille retient quatre critères – rendement, degré, état sanitaire et âge – assortis de coefficient de classement.

« R.L.P. » – La grille prévoit des niveaux de rendements supérieurs à 80 hl/ha alors que les vins de pays charentais sont limités à 80 hl/ha à titre réglementaire. N’est-ce pas surprenant ?

L.D.-L. – Inclure dans la grille de paiement un viticulteur produisant plus de 80 hl/ha, c’est lui donner cette petite chance qui lui permettra de rattraper le peloton. C’est l’espoir qu’il ne jouera pas contre son camp. C’est aussi le témoignage que l’on travaille sur du vivant et non sur de l’inerte. Reste que le viticulteur qui dépasse le rendement est largement pénalisé par le système de dégressivité. A un certain niveau, c’est comme s’il produisait 40 hl/ha. Alors autant se mettre dans les clous. Par ailleurs, la grille évolue en permanence. Elle se fait plus rude avec le temps. La tranche de production inférieure à 60 hl/ha a par exemple gagné 15 points en 5 ans. Les coefficients de classement permettent de toucher du doigt un problème crucial : la politique commerciale de la cave : « Quel client est-ce que je vise ? Est-ce un client qui recherche du volume ou de la qualité ? » Très longtemps, la coopération a gardé un état d’esprit productiviste, soumise à une demande de masse. Aujourd’hui, elle doit avoir le courage de lui dire : « Si vous recherchez seulement du volume, ce n’est pas chez moi que vous le trouverez », avec tous les bémols que l’on peut mettre à cette affirmation péremptoire. Défendre un prix rémunérateur tout en ne se coupant pas de marché, récompenser la qualité tout en ayant le souci de conserver des volumes pour amortir les coûts… C’est parmi ces demandes parfois contradictoires que la grille doit naviguer.

« R.L.P. » – A côté du rendement, de l’âge ou du degré, d’autres critères viendront-ils compléter cette grille ? Certains parlent de la mesure des anthocyanes comme d’un critère intéressant. D’autres mettent en avant la densité de plantation.

L.D.-L. – A l’évidence, il y a un travail tout à fait intéressant à mener pour approfondir le sujet. L’île de Ré vient de se doter d’un analyseur qui lui permet de mesurer 13 critères au quai de réception. Outre les critères habituels (degré, acidité), cet appareil permet d’appréhender des indices sanitaires comme la pourriture grise ou l’activité fermentaire, l’état de maturité, l’acide tartrique ou encore l’azote assimilable. Si l’on a du mal à imaginer une grille jouant sur tant de critères, il est clair qu’un tel outil peut aider à la réflexion d’une grille différenciée par la qualité. La mesure des anthocyanes me paraît intéressante quoique un peu prématurée. Tant que l’on aura pas vraiment identifié le produit que l’on veut faire, je ne vois pas trop le profit qu’il y a à identifier de tels composés, à moins de tomber dans des querelles d’œnologues. En ce qui concerne la densité de plantation, elle renvoie à l’explication réglementaire de la qualité qui est sujette à discussion. Personnellement, je préfère parler de SFE, comme je l’ai expliqué précédemment.

« R.L.P. » – Qui dit critères dits contrôles. Comme cela se passe-t-il ?

L.D.-L. – Pour le rendement, chaque benne arrivant à la coopérative est pesée. Une fois la récolte terminée, ce poids est converti en volume grâce au coefficient moyen de conversion enregistré par la coopérative au cours des vendanges (par exemple 128 kg pour un hl l’année N). Ce poids de vendange rapporté à la surface permet d’obtenir le rendement à l’hl vol. L’enregistrement du degré fait partie des mesures classiques effectuées à la cave. Plus intéressant, il a été précédé d’un contrôle de maturité à la vigne, partie intégrante du cahier des charges, à l’instar de l’itinéraire technique. Voilà quatre ans que ce contrôle de maturité parcelle par parcelle a été mis en place et les gens s’y conforment volontiers. Pour apprécier la maturité et déclencher des vendanges territorialisées, les adhérents sont invités à réaliser sur chacune de leur parcelle trois prélèvements à raison de 20 grappes par parcelle. Ces prélèvements s’effectuent toutes les semaines, à jour fixe (le lundi ou le mardi), pour avoir le temps de réagir derrière. A la cave, les grappes passent au fouloir et le degré potentiel du jus est pesé au réfractromètre, ce qui permet de dégager une progression du degré au fil des prélèvements. La corrélation avec le rapport sucre/acidité, transmis par la mesure de l’acidité totale, permet de déclencher de manière pertinente les vendanges. Des visites des parcelles par une commission qualité, trois fois par an, complètent ce contrôle de maturité : au printemps pour apprécier la taille et le débourrement ; après la fleur pour évaluer l’état sanitaire de saison et le rendement ; et avant vendange pour élaborer un calendrier prévisionnel de récolte. Outre la question de la maturité, l’objectif de la cave, c’est de pouvoir entamer une vraie démarche prospective auprès de ses acheteurs en leur assurant un volume, un degré, des conditions sanitaires. La qualité va bien au-delà du seul produit. Elle s’étend à tout un relationnel établi avec le futur client. Il faut pouvoir lui dire : « vous pouvez compter sur nous ».

« R.L.P. » – A côté du rendement et du degré restent deux autres critères qualitatifs, l’âge de la vigne et son état sanitaire.

L.D.-L. – L’âge se passe de commentaires. Ses conséquences sur la qualité sont expliquées et connues. Quant à l’état sanitaire, l’appréciation s’en fait à réception de la vendange, en vidant la benne, en sachant que la visite à la parcelle peut envoyer quelques appels à la vigilance. Le contrôle porte sur le taux de pourriture mais aussi sur la présence de feuilles, de sarments. La décision est binomale entre le salarié de la coopérative et le livreur. A mon sens, la présence de trop de feuilles, de débris végétaux est aussi dommageable que la pourriture. Il faudra régler l’égrappoir au maximum et tout cela nuit à la qualité. Qui plus est, et même en l’absence de pourriture, cela peut signifier que l’état sanitaire n’est pas aussi bon qu’il n’y paraît. En matière de qualité du vin, l’important c’est l’harmonie. A l’extrême, je préfère une chaîne entièrement rouillée qu’une chaîne en or recélant un maillon rouillé. Vous pouvez avoir une couleur et un nez agréable. Si votre vin « goûte » végétal, il ne vaudra rien.

« R.L.P. » – Le système de dégressivité de la grille appelle des commentaires. Certains remettent en cause la notion d’escaliers.

L.D.-L. – Il est clair que la tendance est de vouloir gommer cet effet d’escalier qui fait qu’entre un rendement de 59 hl et un autre de 61, le nombre de points chute. Je ne suis pas sûr que cette évolution soit fondamentale. Outre le fait que la différence entre deux tranches ne porte pas sur des mille et des cents, le système d’escalier a un rôle formateur et fait partie de ces règles du jeu que l’on accepte ou que l’on accepte pas. La grille de paiement me semble poser un autre type de question : son évolution dans le temps. Globalement, la grille de paiement peut être utilisée de deux manières : soit la coopérative distribue tout chaque année, après déduction des frais ; soit elle conserve par-devers elle un reliquat. Le premier système paraît très équitable et, à moyen/long terme, l’objectif de la coopérative est atteint, qui consiste à faire progresser la qualité de l’ensemble. Mais le viticulteur qui a bien travaillé au début, qui a éventuellement partagé son savoir-faire avec ses collègues et qui a effectivement été mieux payé durant les premières années voit son avantage compétitif fondre comme neige au soleil au fur et à mesure de la progression de l’ensemble, sachant que la rémunération est fondée sur un mécanisme de répartition totale. Au bout de quelques années, sa rémunération aura été rejointe par la moyenne et son revenu aura finalement baissé par rapport au début. A ce moment-là, le « bon » viticulteur du début peut se poser la question d’être parti trop tôt, même si, l’on est bien d’accord, le but de la grille est d’amener le maximum d’adhérents à un bon niveau de rémunération. Comment répartir en ne lésant personne tout en atteignant un niveau d’excellence, sans laisser quiconque sur le bord du chemin mais en amenant les meilleurs devant… Une grille de rémunération « idéale » devrait répondre à ce type d’exigences. La quadrature du cercle ! L’avantage que je vois au système du reliquat, c’est d’introduire de la motivation, au moins à deux niveaux. Au plan de la rémunération d’abord car, en annonçant par exemple 400 F de l’hl, la règle est claire et les gens qui travaillent bien savent qu’ils pourront obtenir ce prix. Et si tout le monde atteint ce niveau de qualité, eh bien, il n’aura pas de reliquat – Au plan de ce que l’on pourrait appeler « l’auto-développement » ensuite car la coopérative peut utiliser ce reliquat pour favoriser tout type d’action lui paraissant digne d’intérêt : encourager un réencépagement spécifique, aider les jeunes, favoriser les CTE, contribuer à la mise en place d’essais… C’est vrai qu’en terme de motivation immédiate, le système de la répartition totale fonctionne bien dans la mesure où, les premières années, le paiement à la qualité est un moteur très efficace. Mais c’est un outil à double tranchant puisqu’il y a réversibilité de la rémunération dans le temps. Un écueil qu’évite le système du reliquat, en sachant par contre que ce dernier est globalement moins favorable à l’adhérent, dans la mesure où ce qui constitue le prix moyen dans un système de répartition représente la rémunération maximale dans un système de reliquat. Voyez dans quels arcanes nous conduit une grille de rémunération ! On comprendra qu’elle nécessite d’être expliquée et encore expliquée. Certains peuvent s’étonner aussi de la place accordée à la « carotte financière » au sein de la coopération. Mais quelque part, tout système, pour fonctionner, a besoin de la « reconnaissance du ventre ». Savoir donner pour recevoir : n’est-ce pas le propre de tout groupe d’hommes.

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