« Le Langage De La Vérité »

25 février 2009

jean_bernard.jpg« Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur… » disait Churchill à l’Angleterre assiégée. Si le président du SGV n’est pas aussi maximaliste, lui aussi joue la carte de la transparence : le régime d’affectation des ha ne sera pas un chemin semé de roses. Pourtant, il est convaincu que c’est la seule solution pour que la viticulture se forge un avenir meilleur, plus digne et plus propice à l’amélioration du revenu viticole. Explications.

« Le Paysan Vigneron » – Entre aujourd’hui et demain, quelle différence voyez-vous ?

Jean-Bernard de Larquier – Le statu quo actuel, ce sont des prix Cognac qui ne bougent pas beaucoup, une politique d’excédents sur les « autres vins » qui tire les prix vers le bas, quand elle ne sert pas à bonifier le revenu Cognac. Or moi, ce que je souhaite, c’est que s’appliquent les prix réels, sur tous les marchés. Pour cela, il n’y a pas d’autres choix que de se doter d’une organisation solide et d’une discipline collective. Dire que ce sera facile, que demain matin les viticulteurs se réveilleront fortunés et sans souci, je n’irai pas jusque-là. D’ailleurs, le Syndicat n’a pas envie de faire rêver les gens. Il a plutôt envie de leur tenir le discours le plus clair possible sur là où l’on va et pourquoi.

« L.P.V. » – Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur les raisons profondes qui, à vos yeux, justifient le passage à un régime d’affectation parcellaire ?

J.-B.D.L. – N’ayons pas la mémoire courte. Le passé nous a prouvé notre incapacité à approcher les équilibres. Nous avons plutôt fait la démonstration de notre compétence à nous en éloigner. En 2005, nous nous sommes mis d’accord sur une méthode de calcul de la QNV qui a déjà le mérite de limiter les grandes dérives. Mais ce n’est pas suffisant. En faisant cela, nous n’avons parcouru que la moitié du chemin. Une surface « par défaut » sert aujourd’hui à diviser les besoins Cognac. Elle résulte de la superficie totale diminuée des surfaces estimées pour les vins et autres produits viticoles. Ce qu’il nous faut, c’est un diviseur exact et seule l’affectation peut nous le fournir.

Dans un autre ordre d’idée, l’affectation présente selon moi un grand mérite : celui d’obliger la viticulture à avoir une réflexion d’amont sur ses produits, à anticiper ses décisions, à effectuer un vrai travail commercial vis-à-vis de ses acheteurs négociants. Eux-mêmes, pour s’assurer un approvisionnement, devront s’engager et renforcer leur politique contractuelle. A ces conditions, un authentique rapport de partenariat peut s’instaurer. Le viticulteur n’est pas seulement mû par un intérêt immédiat ou conjoncturel, à l’aune de deux ou trois années. Ce qu’il veut ? Avoir la fierté de son métier, bénéficier d’un revenu stable sur le long terme afin de pérenniser son activité et pouvoir la transmettre à ses enfants.

L’affectation, c’est enfin la possibilité de valoriser les débouchés vins de base, vins de table, jus de raisin. Je sais que beaucoup s’interrogent sur la viabilité de ces débouchés. C’est normal. Aujourd’hui ce sont des excédents, qui ne tiennent que parce que les opérateurs en ont besoin pour leur assemblage, en raison de fortes acidités, de faibles teneurs en sucre. Ayons le courage d’en faire de vrais produits. En tant que responsable, comment accepter de perdre un outil existant, qui permet d’écouler des volumes, volumes que nous pourrons être contents de trouver quand le Cognac accusera un fléchissement. Pour les négociants Cognac, c’est également le moyen de garder un potentiel de production et donc la souplesse qu’ils réclament tant. Voici les principales raisons qui nous conduisent à défendre l’affectation.

« L.P.V. » – Vous n’êtes donc pas favorable à l’arrachage.

J.-B.D.L. – Si les viticulteurs sont sérieux et responsables dans leurs futures affectations, je crois que nous pourrons conserver tous nos hectares. Aujourd’hui, les besoins Cognac s’élèvent à 560 000 hl AP. Sur la base d’un quota Cognac de 8 de pur, cela représente 70 000 ha de vignes. Si l’on y ajoute 1 000 ha pour le Pineau et 500 ha pour les vins blancs de pays, nous atteignons déjà 71 500 ha, soit un delta de 3 500 ha par rapport à la superficie totale de 75 000 ha. Quand on sait que, grosso modo, le renouvellement normal du vignoble devrait porter annuellement sur environ 1 500 ha de jeunes plantations, l’arrachage n’apparaît plus vraiment comme une nécessité.

« L.P.V. » – Tous ces chiffres sont révisables en fonction du niveau de la QNV.

J.-B.D.L. – C’est vrai qu’en régime d’affectation, le SGV s’est engagé à compenser la perte des jus de raisin sur les ha Cognac par un supplément de QNV, estimé à 0,70 hl AP. Dans l’hypothèse d’un rendement Cognac de 8,70 hl AP/ha et toujours sur la base d’un besoin Cognac estimé à 560 000 ha, le delta « autres débouchés » s’élèverait à 9 000 ha, une surface qui devrait être affectée à autre chose qu’au Pineau, Cognac ou vin de pays.

« L.P.V. » – C’est l’enjeu même de l’affectation. Faire en sorte que « tout n’aille pas au Cognac ».

J.-B.D.L. – C’est pourquoi je parle de la première année d’affectation comme de l’année de tous les défis. Car il nous faudra annoncer le niveau du rendement Cognac avant que les gens n’affectent. Si l’affectation doit se faire au mois de juin, le chiffre de rendement sortira au moins de mai, sans connaître le degré d’affectation aux autres débouchés. Une fois rentré dans la mécanique, ce sera plus simple. Le rendement Cognac découlera des conditions d’affectation de l’année précédente.

« L.P.V. » – Comment réussir cette transition ?

J.-B.D.L. – Il nous faudra être convaincant et pédagogique. Bien expliquer aux gens que ce n’est pas parce que l’on change de régime qu’il faut changer de logique. Le viticulteur qui vend aujourd’hui 150 hl AP au Cognac et 40 hl AP au jus de raisin affecte dans les faits 18 ha au Cognac (150 : 8,3). Demain, pour rester dans la même configuration et ne pas se servir de l’affectation comme d’un prétexte à « faire sauter les boutons de la chemise », il devra affecter 17,24 ha au Cognac (150 : 8,70) et 0,76 ha au jus de raisin et non 18 ha au Cognac, ce qui, sous le coup des 8,70, donnerait 163 hl AP. Notre force de persuasion s’avérera-t-elle suffisante ? Pour prévenir les dérives toujours possibles, peut-être faudra-t-il envisager des garde-fous pour inciter tout le monde à jouer le jeu, c’est-à-dire affecter une certaine surface aux autres débouchés, au prorata de son vignoble. En sachant qu’au final, la seule solution face à des comportements par trop irraisonnables serait l’arrachage. Souhaitons ne pas en arriver là.

« L.P.V. » – Quand vous parlez d’un supplément de volume pour compenser la perte des jus de raisin et donc d’un rendement plus élevé, n’est-ce pas donner au négoce ce qu’il attend. Dans ces conditions, sera-t-il enclin à relever les prix ?

J.-B.D.L. – Ne pas décider nous-mêmes de compenser la perte de revenu jus de raisin par un supplément de rendement, c’eut été demander explicitement au négoce Cognac de le faire à notre place. Sa réponse, on la connaît : « donnez-nous plus de marchandise car on ne peut pas augmenter nos prix ». Nous ne voulions pas rentrer dans ce jeu-là. Par ailleurs, la position du SGV n’a jamais été de tarir l’approvisionnement du négoce. Notre philosophie : « pas plus qu’il ne faut mais pas moins ». Je sais que certains viticulteurs n’ayant pas accès au marché du Cognac peuvent ne pas comprendre un tel raisonnement. Je leur répondrai qu’une position trop rigoriste risquerait de créer l‘effet inverse : inciter des viticulteurs à s’engager au Cognac plus que nécessaire, avec perte de revenu pour eux et perte pour la collectivité. Notre marge de manœuvre est étroite. Nous devons trouver le juste compromis entre un contentement légitime des aspirations et l’écueil de conforter des situations acquises, qui empêcherait le plus grand nombre d’accéder au marché du Cognac. Notre intérêt n’est pas de créer une scission au sein de la viticulture. En pâtiraient au premier chef les viticulteurs de base.

« L.P.V. » – Pour l’instant, l’action que vous avez entamée sur les prix ne se traduit pas par des effets tangibles. Un coup d’épée dans l’eau ?

J.-B.D.L. – Absolument pas et nous allons continuer. Nous ne demandons pas 10 % de hausse annuelle mais la compensation de l’inflation et d’une partie de la progression des charges. Connaissez-vous beaucoup d’entreprises qui ne font pas évoluer leurs tarifs quand le SMIC augmente, le carburant augmente, le gaz augmente. Depuis 15 ans, les entreprises viticoles ont comprimé leurs coûts de production et elles voient cette économie « bouffée » par l’augmentation des périphériques. Et que se passe-t-il ? Au lieu de nous accorder 2 à 2,5 % tous les ans, l’immense majorité des négociants se contente de nous faire « l’aumône » de 1 à 1,5 %. Conséquence : la viticulture décapitalise. Vous ne trouverez pas un économiste pour soutenir le contraire. Bien sûr, j’entends l’argument de l’amélioration du revenu par la progression des volumes. Mais se contenter d’une augmentation volumique est un jeu dangereux. Quand le Cognac marchera moins bien, nous ferons un bond de dix ans en arrière sans avoir rien « gratté ». Et qu’on ne nous dise pas que, pour exister, le Cognac a besoin de s’approvisionner au prix du Whisky. Le Cognac est tout de même le spiritueux le plus noble du monde. Il représente une toute petite niche au niveau mondial et nos négociants dégagent d’énormes marges dont ils réinvestissent, heureusement pour nous, une large part. Avec un prix moyen de la bouteille de 21 €, le Champagne prouve tous les jours qu’il est capable de se défendre de la concurrence des crémants et autres mousseux de qualité tout en rémunérant très correctement ses viticulteurs.

« L.P.V. » – Concrètement, comment créer une certaine tension sur les prix ?

J.-B.D.L. – Je dirai que le Syndicat doit porter le message mais que les viticulteurs ont aussi leur part de responsabilité. Que se passe-t-il quand un viticulteur rencontre son interlocuteur habituel dans une maison de négoce ? En général, il lui demande un supplément d’achat, en passant totalement sous silence la question du prix. Il faut que chacun se prenne en main et réclame une revalorisation de son prix d’achat, avec un argumentaire économique à l’appui : « voilà l’évolution de mes charges depuis 5 ans… » Si ce minimum de boulot personnel n’est pas fait, les négociants ont beau jeu de nous dire qu’ils n’entendent jamais parler de prix de la part des viticulteurs. « Ils nous parlent que de volumes ! »

« L.P.V. » – Vous connaissez le rapport de force qui existe ente acheteur et vendeur, le pot de fer contre le pot de terre.

J.-B.D.L. – C’est bien pour cela que le SGV défend une organisation collective pour un meilleur partage de la valeur ajoutée. Mais il ne faut pas croire que cette organisation va régler les problèmes en deux minutes alors que nous sommes dans la panade depuis 30 ans. Soyons patients. Je crois qu’en terme de prix, l’évolution se fera par paliers, au fur et à mesure de la mise en place du système. Il est vrai que les choses peuvent aussi s’accélérer, sous l’effet d’une tension spéculative. L’augmentation des ventes de Cognac XO n’a qu’à se prolonger pendant six mois-un an pour créer un vent de panique qui se traduira par une flambée des prix. A la peur de manquer du grand négoce s’ajoute le comportement parfois erratique des PME. Ne disposant pas de la trésorerie nécessaire, elles sont prêtes à surpayer aujourd’hui ce qu’elles ont sous-payé la veille.

« L.P.V. » – Pour que l’affectation réussisse, la question du revenu tiré des « autres débouchés » est également essentielle.

J.-B.D.L. – Le Syndicat s’est battu pour obtenir un rendement de 130 hl de vin + 70 hl de non-vin. Ce n’était pas gagné d’avance. Si l’affectation fonctionne bien et que les opérateurs s’avèrent capables d’écouler les volumes charentais à un prix correct, le Syndicat se battra à nouveau pour obtenir davantage, c’est-à-dire 140 ou 150 hl en vin, voire davantage. Le ministère de l’Agriculture n’est pas fermé à une telle éventualité. Il l’a dit lors de la rencontre du mois d’octobre : « Prouvez-nous que vous pouvez vendre de tels volumes. » Là aussi, je pense qu’il convient de procéder par étapes. Donnons des gages de notre courage et de notre détermination avant d’aller plus loin. Et surtout, ne nous focalisons pas sur l’année 2005, catastrophique il est vrai au plan des « autres débouchés » mais à mon avis totalement atypique. Quand on veut tuer son chien, on lui trouve des puces.

« L.P.V. » – En régime d’affectation, les viticulteurs s’inquiètent du coût de la destruction des volumes excédant le rendement Cognac.

J.-B.D.L. – Nous ferons en sorte que cela ne coûte rien. Mais je sais que des bruits courts dans la campagne, faisant état du contraire. J’y répondrais en disant que ce n’est pas à la viticulture de gérer une éventuelle querelle entre organismes. Par ailleurs, si les viticulteurs ont l’intelligence de mettre une certaine surface aux autres vins, le problème de la destruction ne devrait pas se poser avec trop d’acuité. Au sujet du Brandy au-dessus du rendement Cognac, nous ne changerons pas notre fusil d’épaule. Pas question de céder à la facilité. Même pour une centaine d’euros par ha, la tentation serait trop grande pour des viticulteurs en mal d’argent de poche. C’est un peu comme la différence entre affectation de surface et affectation parcellaire. Le SGV a toujours soutenu l’affectation parcellaire. Même si les viticulteurs râlent après les contraintes, l’affectation parcellaire sous contrôle de l’INAO apporte la garantie du respect du cadre réglementaire.

« L.P.V. » – En tant que président du SGV, vous sentez-vous soutenu par la masse des viticulteurs ?

J.-B.D.L. – Aujourd’hui, plus de 10 % de la viticulture charentaise est syndiquée. Ce chiffre se situe tout à fait dans la norme française. Nous ne sommes pas plus mauvais que les autres catégories socioprofessionnelles. Le SGV a des adhérents qui paient une cotisation sérieuse de 20 € forfaitaire plus 3 € par ha de vigne. Il a aussi une multitude de sympathisants. Si je défends l’adhésion syndicale, je n’en fais pas un préalable à tout. J’estime qu’un syndicat doit d’abord apporter les preuves de son efficacité, faire son travail avant d’en tirer les dividendes en terme d’adhésion. C’est dans ce sens que ça marche et non le contraire. Par contre, si notre action se solde par une réussite, le Syndicat saura se montrer très exigeant à l’égard de ses mandants. La discipline collective n’est pas une affaire de circonstance.

Verbatim

Président de la Sica Cognac*, Jean-Bernard de Larquier a centré son intervention sur l’avenir de la région, dans la perspective du changement de régime. Extraits.

« Quels devraient être nos objectifs pour un avenir meilleur ? Une appellation unique bien défendue, des marques fortes, une organisation solide, une discipline collective, une valeur ajoutée partagée. Aujourd’hui, nous avons une appellation unique, bien défendue par les services de notre interprofession. Nous avons des marques fortes grâce aux efforts passés, présents et à venir. Il nous manque : une organisation solide, une discipline collective, une valeur ajoutée partagée.

… N’ayons pas peur de l’INAO ! sachons démystifier le grand méchant loup. Notre produit est d’appellation d’origine contrôlée. Cette AOC Cognac a démultiplié la puissance des marques. Sachons nous en souvenir. L’INAO est dans notre région depuis 1909, le décret que nous sommes en train de modifier date de 1936. Notre région a toujours été très puissante. Arrêtons de nous cacher derrière nos craintes. Voici bientôt 70 ans que nous bénéficions de ce décret sans avoir à subir l’agrément, 70 ans que les conditions de production au vignoble n’ont fait perdre l’appellation à personne, 68 ans que nous bénéficions du support d’image AOC sans verser nos cotisations. Lequel d’entre vous bénéficie des remboursements de son assurance sans payer la prime ? Si l’INAO était si diabolique qu’on veut le dire, il y a longtemps que nous aurions l’agrément effectif et que nous aurions payé nos cotisations. L’INAO peut éventuellement être un danger pour les régions faibles. Il faut effectivement rester maître de notre organisation, l’INAO et le ministre n’ayant plus qu’à entériner nos décisions. Mais la région a prouvé qu’elle était forte. Nous avons fait acter le principe de l’agrément par sondage à la sortie de l’alambic. “Ne pas subir l’avenir, c’est déjà le construire.” Ayons cette volonté.

… Dans la réforme que nous vivons – mise en place des bassins de production, création des organismes de défense et de gestion (ODG) – dépêchons-nous de proposer. Ne subissons pas. Pour proposer, écoutons les autres, respectons les spécificités et les responsabilités de chacun dans les étapes de notre filière.

… Deux choix s’offrent à nous : la discipline et la conquête ou le laisser-aller et la défaite. Il nous faut une véritable conscience collective, cette conscience de faire partie d’un ensemble. L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Il nous oblige parfois à prendre des mesures contraignantes pour les opérateurs. L’entrée dans l’affectation avec conscience collective et discipline peut vous faire perdre du revenu par rapport à l’existant dans un premier temps. Mais c’est pour en tirer les fruits à terme. Il faut semer pour récolter. C’est au prix de ces efforts que nous pouvons espérer prospérer et avoir plus de lisibilité. C’est au prix de cette conscience collective que nous réussirons. Les efforts, nous devons tous les fournir. Les plus favorisés ne s’en sortiront pas sans les moins nantis.

… Qu’est-ce qui nous permettra de supporter une discipline collective ? La création de valeur et ensuite le partage de cette valeur ajoutée. »

(*) La Sica Cognac a tenu son assemblée générale le 3 février 2006.

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