Homme de réseau, Jacques Maroteix est actif au niveau européen, notamment au niveau du groupe des Chambres d’agriculture de la façade atlantique qu’il a contribué à créer. C’est également un homme tourné vers la prospective, convaincu que « le sens porte l’action » et qu’il faut « allumer un phare au loin » pour se diriger.
« Revue Le Paysan » – Jacques Maroteix, depuis quand êtes-vous président de la Chambre d’agriculture 17 ?
Jacques Maroteix – Depuis 1992. J’ai d’abord exercé un mandat partiel, consécutif à la démission de Jean-Marie Michelet pour des raisons de santé, puis un mandat normal de 6 ans, de 1995 à 2001, suivi d’un second mandat qui s’achèvera en 2007.
« Revue Le Paysan » – A proprement parler, vous ne faisiez pas partie du sérail viticole charentais. On vous y a découvert assez récemment.
J.M. – La viticulture est véritablement arrivée à la Chambre en 2000, à la naissance du SUAIA. La reconversion fut l’élément déclencheur de l’implication des Chambres sur le dossier viticole. A cette occasion, nous avons ressenti la nécessité d’avoir un message commun entre Charente et Charente-Maritime. Les actions de développement en appui de la viticulture représentèrent un autre vecteur de mobilisation.
« Revue Le Paysan » – A quoi sert une Chambre d’agriculture ?
J.M. – Je ne veux pas paraître trop pompeux mais si l’on se réfère au Code rural, la Chambre d’agriculture est le conseiller des Pouvoirs publics pour toutes les affaires agricoles. Nous sommes amenés à donner notre avis sur toutes les évolutions du monde rural. C’est pour cela que les deux Chambres 16 et 17 ont cherché à travailler ensemble pour exprimer un point de vue autorisé au préfet.
« Revue Le Paysan » – En quoi votre mission diffère-t-elle de celle des syndicats ?
J.M. – Le rôle des syndicats est également de réfléchir au contexte professionnel mais pas forcément d’organiser la production. L’action des Chambres joue plus en terme de relais.
« Revue Le Paysan » – Aujourd’hui, quels sont les sujets de préoccupation essentiels de la Chambre d’agriculture 17 ?
J.M. – J’en citerais deux, la viticulture et les problèmes d’environnement. La réforme de la PAC représente à l’évidence un sujet important mais nous n’y pouvons pas grand-chose.
« Revue Le Paysan » – En matière viticole, on connaît votre position en faveur de l’extournement obligatoire mais qu’entendez-vous par environnement ?
J.M. – En ce qui nous concerne, les problèmes d’environnement passent essentiellement par l’eau. La Charente-Maritime est tout de même le département de Poitou-Charentes qui présente le plus de surfaces irriguées – 64 000 ha – tandis qu’au plan national, nous arrivons en 3e position. Et puis, à côté du volet quantité, il y a le volet qualité avec le souci de veiller à ce que le bassin hydraulique d’aval reçoive des eaux de qualité. Je pense notamment au bassin ostréicole Marennes-Oléron. Si l’on revient à l’agriculture, notre département, sur 450 000 ha de SAU, compte 100 000 de marais et environ 80 000 ha de zones humides. Là dessus, il faut faire vivre des éleveurs. La persistance de l’élevage dans ces zones passera obligatoirement par des aides spécifiques, sachant qu’aujourd’hui les aides en vigueur sont en train d’être démantelées. Les OLAE (opérations locales agri-environnementales) furent remplacées par les CTE qui eux-mêmes viennent de subir une sérieuse cure d’amaigrissement. Le nouveau CAD (contrat d’agriculture durable) ressemble comme un frère à l’ancien CTE, sauf que ses mesures agri-environnementales sont limitées à deux et son enveloppe plafonnée à 27 000 euros sur cinq ans, ce qui réduit de beaucoup son intérêt. Nous devons absolument obtenir pour les zones humides des enveloppes spécifiques assorties de règles ad hoc. C’est ainsi que l’Etat français doit se battre pour le respect de la convention de Ramsar, du nom d’une ville iranienne où fut signé un texte pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides. Cette convention a trouvé une suite dans les directives européennes dites « Oiseaux » et « Habitats » de 1979 et 1992 qui, elles-mêmes, donnèrent naissance au réseau Natura 2000 de l’Union européenne. Pour les prairies en zones humides, nous demandons un accompagnement de 1 000 F par ha. Il s’agit d’une revendication relayée par l’ensemble des Chambres d’agriculture françaises de la façade atlantique.
« Revue Le Paysan » – Est-ce à dire que ces Chambres, de par leur situation géographique, constituent une sorte de club ?
J.M. – Elu à la Chambre en 1989, il se trouve que j’ai participé à la naissance d’un embryon de réseau au niveau de la Chambre régionale d’agriculture. Entre les cinq présidents de Chambres d’agriculture, nous nous sommes dit qu’il était important pour nous de nous préoccuper de l’ouverture de l’Europe aux pays de l’Est et qu’il convenait de créer une sorte de contre-pouvoir. A la même époque, Olivier Guichard, président de la région Pays de Loire, monsieur Aménagement du Territoire sous de Gaulle et Jean-Pierre Raffarin, président de la région Poitou-Charentes créent l’entité Arc Atlantique. Quelque temps plus tard, le même J.-P. Raffarin lance un groupe Atlantique au Parlement européen, dont l’un des premiers objectifs consiste à obtenir des enveloppes financières pour accompagner des projets de développement. Paris gagné avec le programme Atlantis qui voit le jour en 1993, financé pour moitié sur fonds européens du FDER. Ces axes principaux concernent l’eau et l’environnement, les nouvelles technologies de l’information, le transport aérien et le tourisme. Pour revenir à notre groupe de Chambres d’agriculture de la façade atlantique, après un premier embryon en Poitou-Charentes, il s’est très vite étendu aux autres régions françaises – Normandie, Bretagne, Pays de Loire, Aquitaine –, puis il a acquis une dimension européenne avec la participation de l’Irlande, l’Ecosse, le sud de l’Angleterre, le Pays basque espagnol, les Asturies, la Galice, l’Andalousie et tout le Portugal. Après avoir fonctionné de manière informelle, il s’est constitué en association en 1996.
« Revue Le Paysan » – De quoi parlez-vous ?
J.M. – Nos travaux se développent essentiellement à partir du programme Atlantis. Le sujet de la qualité de l’eau est assurément quelque chose de très fédérateur entre nous. Mais il y a aussi toute la partie stratégie et prospective.
« Revue Le Paysan » – Qu’entendez-vous par là ?
J.M. – Le monde devient de plus en plus complexe et bouge en permanence. Pour les élus que nous sommes, la meilleure façon d’atteindre un but est de dégager des perspectives et décider de les suivre en se fixant un cadre de référence, quitte à l’adapter. Mais il paraît illusoire d’attendre qu’un ordre naturel des choses s’impose à nous pour nous montrer la bonne direction. Si les élus d’un territoire n’ont pas la volonté d’aller dans un sens, il ne se passera jamais rien sur ce territoire. De plus, ce qui est intéressant dans tout cela, c’est la démarche dynamique que cela peut enclencher. Si l’on communique bien sur un projet, d’autres acteurs peuvent se fédérer, créant ainsi une synergie qui permet de déboucher sur des moyens financiers. C’est un concept tout simple mais qui fonctionne. Il n’apporte pas des idées mais une méthode.
« Revue Le Paysan » – D’où le tenez-vous ?
J.M. – Ce concept ou plutôt cette méthode de comportement face à la réalité découle de toute une réflexion conduite par Joseph Lusteau, directeur du cabinet de consultant Diagonart Conseil à Nantes. Pour résoudre « la problématique du changement » (le monde qui bouge), J. Lusteau préconise de mettre l’initiative au cœur de l’action. Il parle de « logique intentionnelle ». Selon lui, le sens constitue la clé de voûte de la performance des entreprises. Autrefois, quand le monde était stable et pas trop complexe, l’on pouvait se permettre de travailler sur des modèles et des « dires » d’experts. Aujourd’hui, face à un monde en mouvement, comment arbitrer entre quatre ou cinq solutions si l’on n’a pas pris la précaution préalable d’allumer un phare au loin, qui donne les orientations ? Nous sommes passés d’une économie de production à une économie de marché puis à une économie d’environnement, bien plus compliquée à appréhender. La méthode du « phare » préconisée par Joseph Lusteau est utilisée par les 23 départements adhérents de l’Arc Atlantique mais pas seulement. Elle s’applique aux territoires ruraux ainsi qu’aux entreprises agricoles.
« Revue Le Paysan » – Qu’entendez-vous par territoires ruraux ?
J.M. – Je pense aux Pays et à leurs élus. Nous, Chambre d’agriculture, avons décidé de conduire un travail en direction de ces décideurs politiques, en participant aux conseils de développement des Pays. L’agriculture occupe 80 % du territoire. Si nous voulons que les élus se construisent une vision du pays qui tienne compte de nos spécificités, nous devons être à leurs côtés. C’est tout le rôle impulsé par la Chambre d’agriculture 17 en faveur du tourisme, du développement des produits fermiers, des chartes paysagères. Si notre agriculture reste dans les produits basiques, elle sera en prise avec le marché mondial. Elle doit se démarquer en choisissant une autre stratégie.
« Revue Le Paysan » – Laquelle ?
J.M. – Avec nos collègues de la façade atlantique (Portugais, Espagnols, Français, Anglais, Écossais, Irlandais…) nous avons essayé de conduire une réflexion prospective sur ces questions. Deux pistes principales s’amorcent. Nous voulons d’abord une politique alimentaire forte pour l’Europe, qui respecte l’environnement, favorise les produits de qualité et les goûts différenciés, en s’appuyant sur des règles sanitaires strictes. Ces règles sanitaires sont perçues comme le seul moyen de se protéger des excès de l’extérieur, sans atteindre pour autant à la liberté du commerce. Nos amis américains ou australiens sont passés maîtres dans l’art « jésuitique » d’utiliser cette arme protectionniste qui tait son nom. Cette politique devrait s’accompagner de compensations financières pour combattre les handicaps territoriaux (agriculture de montagne…). Le deuxième axe pourrait s’articuler autour d’une grande politique de la « moléoculture », mot barbare désignant les matières premières pour l’industrie issues de l’agriculture, afin de sortir du tout pétrole. L’intégration des pays de l’Est dans l’Europe agricole va décupler les enjeux.
« Revue Le Paysan » – A travers CA 17 international, la Chambre d’agriculture de Charente-Maritime ne participe-t-elle pas au développement de futurs concurrents. ?
J.M. – Faut-il laisser aux seuls américains, allemands ou anglais le soin de réaliser le développement dans ces pays-là ? Que l’on y aille ou que l’on n’y aille pas, les pays de l’Est produiront et seront un jour nos concurrents. Autant leur apporter un peu de nos concepts d’organisation. Nous n’y allons pas dans le même esprit que les grands groupes agro-alimentaires. Nous essayons d’aider les agriculteurs à se structurer commercialement. Pour nos techniciens, il s’agit d’un exercice très salutaire qui participe d’une remise en cause totale. On en revient différent.
Homme Des Nouvelles Technologies
C’est par la Trézenze que Jacques Maroteix est arrivé à la Chambre d’agriculture. Président de la fédération départementale des CETA, il crée avec un collègue l’Association des irrigants de la vallée de la Boutonne, s’investit dans le projet de la Trézence… et se retrouve sur la liste Chambre. Bien qu’adhérent de la FDSEA – et avant lui son père – il n’a jamais fait partie du conseil d’administration du syndicat. Il s’installe sur l’exploitation familiale en 1978, à Migré, dans le canton de Loulay. Auparavant, il a suivi un cursus scientifique qui l’a conduit, après un bac C et une année en fac de chimie-biologie, à l’Ecole supérieure d’ingénieurs et de techniciens pour l’agriculture (ESITPA), l’école d’ingénieurs de l’Assemblée permanente des Chambres. De retour sur l’exploitation, il participe au développement d’un logiciel de comptabilité et de gestion de parcelles avec une société informatique bordelaise, Kalamazo. Il y découvre avant l’heure les vertus de l’enregistrement et acquiert une dextérité informatique qui, encore aujourd’hui, impressionne ses interlocuteurs. Jacques Maroteix se déplace rarement sans son ordinateur portable et ne craint pas de taper un texte sur le vif pour réaliser une synthèse. On ne raisonne et ne s’engage jamais mieux que sur un support écrit. Homme des nouvelles technologies, il n’en reste pas moins un « vrai » agriculteur qui hésite à se déplacer durant les périodes de semis ou de moisson. Possédant 160 ha, il travaille en entraide avec un voisin disposant de 90 ha de terres. Si l’on y ajoute une petite activité d’ETA, ils exploitent ensemble 360 ha, entre blé, tournesol, colza et maïs irrigué sur 20 ha. Agé de 50 ans, J. Maroteix est marié et père de deux fils. Son épouse est la sœur de Gilles Merlet, viticulteur et négociant à Saint-Sauvant. Ce qui explique aussi que Jacques Maroteix ne soit pas tout à fait un néophyte en matière viticole.