« La Commercialisation, Le Maillon Faible De La Coopération »

7 février 2009

gilles_grenier.jpgDans la région de Bordeaux où la coopération regroupe 25 % des volumes, on rêve d’un pool commercial plus fort, avec peut-être moitié moins de metteurs en marché. Le marché, c’est le challenge que s’est donnné Gilles Grenier, président de la Fédération régionale des coopératives.

« Revue Le Paysan » – Dans une région de vins de qualité comme Bordeaux (de « vins fins » comme l’on disait à l’époque), comment expliquer la création de coopératives ?

Dominique Saintout. – Elles sont nées avec la grande crise économique et sociale de 1929. Si l’Alsace et le Midi avaient montré le chemin au début du siècle (1), des viticulteurs girondins plaidèrent pour une organisation face à la mévente de leurs vins. Les principaux clients étrangers, l’Allemagne notamment, n’étaient plus au rendez-vous. Tous les crus furent touchés et plus encore les vins de qualité que les vins moyens. Ce n’est pas un hasard si les premières caves coopératives de Gironde voient le jour à Saint-Emilion et à Pauillac, dans le Médoc. Cela aurait pu être un feu de paille. Le phénomène, au contraire, s’est ancré car l’on s’aperçut que la coopération était un bon moyen de faire vivre l’appellation. En effet, dans un territoire donné, l’AOC concerne tout le monde mais peu de gens ont les moyens de faire vivre l’image. En se regroupant, on repousse les limites, surtout si le leader se retrouve dans la coopération. Ce fut le cas dans une coopérative comme Saint-Emilion.

« R.L.P. » – Et aujourd’hui, la coopération présente-t-elle la même force d’attraction ?

D.S. – Dans certaines régions d’Aquitaine, elle continue de se développer, dans d’autres, elle se maintient plus qu’autre chose, voire elle régresse quelque peu. C’est vrai que l’individualisme reprend parfois le dessus, souvent par manque d’un leader charismatique. Sous nos latitudes et contrairement au Sud ou à l’Est de la France, la coopération reste « minoritaire ». Elle regroupe environ un quart des volumes et tout de même 40 % des opérateurs. Malgré tout, elle joue un rôle modérateur. Quand les prix s’envolent, la coopérative n’a pas vocation de profiter à plein des « coups » mais à l’inverse, quand les prix baissent, le vigneron coopérateur souffre peut-être moins que le vigneron individuel. Cet effet de lissage est à mettre au crédit des volumes et d’une qualité de partenariat qui lui permet de mieux passer les périodes de crise, même si elle profite un peu moins des périodes d’euphorie. Le souci constant de la coopération consiste à pérenniser le contrat d’aval, vers le négoce ou vers la grande distribution. La notion de filière vise à établir une relation de confiance dans le long terme.

« R.L.P. » – La vente en vrac au négoce reste l’axe important de la coopération.

D.S. – C’est indéniable. A la louche, au niveau girondin, la coopération pèse pour un tiers des transactions vrac alors que, tout confondu, elle ne représente qu’un quart des volumes. A noter tout de même que ce pourcentage varie beaucoup suivant les appellations. Soit directement, soit par l’intermédiaire de ses filiales, la coopération n’est pas non plus absente de la grande distribution. C’est assez nouveau mais les contrats filière commencent à émerger. La grande distribution a toujours souhaité se rapprocher du vignoble et c’est plus facile par l’intermédiaire de la coopération que du négoce. La fédération des coopératives n’exclut absolument pas ce type de relations. Ce sont des réponses locales à des situations bien précises, qui peuvent donner une bouffée d’oxygène à de petites structures. Par des chemins différents, l’outil coopératif trouve quelque part sa justification : permettre à de petites exploitations de vivre. Ce mouvement, encore marginal, s’est accompagné d’une certaine traçabilité, d’une certaine transparence. Après bien des tâtonnements depuis une dizaine d’années, voila trois ou quatre ans qu’apparaissent des outils vraiment efficients.

« R.L.P. » – Qu’entendez-vous par là ?

D.S. – Pour moi, la traçabilité part de la parcelle. Voilà deux décennies que les caves coopératives pratiquent la vinification séparée. Mais la traçabilité à la parcelle est vraiment née avec l’outil informatique. Une évolution particulièrement visible ces trois dernières années où les caves ont recruté massivement des techniciens viticoles. De plus en plus, la sélection parcellaire s’avère un élément primordial de la qualité, surtout pour les vins de marque. A la différence de la vinification « châteaux », fondée sur une vinification séparée, la vinification des vins de marque s’appuie sur la notion d’îlots homogènes, pouvant englober des parcelles de plusieurs vignobles. Bien sûr, le négoce a investi à fond le créneau. Il ne nous a pas attendus pour découvrir l’importance des marques dans la captation des parts de marché ainsi que pour fidéliser le consommateur. Il y a quelques années, pour répondre à une demande de la grande distribution, les opérateurs ont recouru de manière sans doute excessive à la notion de châteaux. Les vins de marque semblent bien plus appropriés, ne serait-ce que pour lutter contre la concurrence des vins du nouveau monde. Les vins de marque s’exonèrent plus facilement que les châteaux des contingences de volume. Même positionnés à un très haut niveau de qualité, derrière, les volumes suivent.

« R.L.P. » – Au plan régional, quel serait le niveau souhaitable de vins de marque ?

D.S. – Difficile de donner un chiffre mais peut-être faudrait-il 50 % de vins de marque. La coopération manifeste une certaine lourdeur dans ce domaine, une lourdeur qui peut aussi s’interpréter comme un facteur de stabilité. Quand le négoce réclamait à cor et à cri des châteaux, nous n’avons pas voulu aller à l’extrême. Face aux marques, la coopération a un peu la même attitude. Elle n’a pas vocation à monter en première ligne, d’autant qu’en matière de mise en marché, l’approche groupée de la coopération s’assimile à une marque. Le marquis de Saint-Estèphe ou Grand Listrac sont des marques très anciennes. On peut seulement regretter que le portefeuille des marques de la coopération soit trop restreint. Incontestablement, la commercialisation représente le maillon faible de la coopération. C’est pour cela que Gilles Grenier, président de la Fédération des caves coopératives d’Aquitaine, ne cesse de mettre l’accent sur le marché. La coopération a su prendre le virage de la grande distribution avec des contrats de filière, des cahiers des charges précis. Avec le négoce, ses relations se développent de plus en plus sur des types de vins bien définis. Lui reste à structurer la filière bouteille sous ses propres marques. Le contact consommateur est un élément moteur qui nous manque en partie.

« R.L.P. » – Quelle solution apporter ?

D.S. – On rêverait d’un pool commercial. A quel niveau ? Sans doute pas une seule structure mais peut-être la moitié moins de metteurs en marché qu’aujourd’hui. Notre commercialisation est trop atomisée. Quand on dit qu’en Aquitaine, la coopération pèse pour 25 % des volumes, c’est vrai sur le papier mais pas sur la filière. L’Aquitaine compte 8 500 vignerons coopérateurs et 75-80 chais coopératifs. Un chiffre qui va dans le bon sens. Celui du regroupement des efforts. Mais là où ça se gâte, c’est qu’il existe 120 ou 150 metteurs en marché. Il n’est pas rare qu’une coopérative adhérente d’une Union, commercialise en partie seule, en partie par l’Union et parfois par le biais d’une filiale. Le gain engrangé est ainsi dilapidé. Le challenge du président Grenier vise à amener les gens à réfléchir sur le sujet, en sachant que ce sera très long, très difficile. Ici comme ailleurs, l’esprit de clocher sévit. Le conseil d’administration en place ne veut pas être celui par qui la fusion arrive. Il va avoir l’impression de « vendre son âme » comme celle de ses prédécesseurs. Qui dit fusion, dit aussi un seul président. Il faut d’abord « fusionner » les hommes avant de fusionner les structures. La Fédération n’a ni les moyens ni la mission de prendre de décision à la place des coopératives. Elle peut apporter des éléments de réflexion, inciter ses membres à créer des structures de regroupement mais en aucun cas s’immiscer dans la gestion d’une cave. La décision relève du conseil d’administration. A l’expérience, ce qui frappe les esprits, ce sont les témoignages. Quand, dans le Val de Loire, la coopération a voulu racheter Rémy Pannier pour en faire une marque phare, elle a fait venir les gens de Nicolas Feuillate, en Champagne. Il est toujours bon d’avoir connaissance de ce qui se fait ailleurs ; les choses positives comme les choses négatives. Cela permet d’évoluer plus vite.

« R.L.P. » – Bordeaux a pourtant des lettres de noblesses à son actif ?

D.S. – « Ah vous Bordeaux ! » Cette réflexion, Roland Feredj pour le CIVB ou la Fédération des grands vins l’entendent régulièrement quand ils montent à Paris. Pourtant il faut comprendre que derrière les appellations prestigieuses de Bordeaux, les viticulteurs de Gironde ne sont pas tous des châtelains. C’est même loin d’être le cas. C’est vrai, nous avons longtemps joué de cette ambiguïté mais le fait d’être AOC n’interdit pas de mettre le nez à la fenêtre et d’être réceptif aux attentes de marché. Il y a sans doute un juste équilibre à trouver entre se faire « piloter par l’aval » et rester hermétique aux demandes du marché. Encore aujourd’hui, il nous faut garder à la fois cette image de leader incontesté et avoir à l’esprit que nous ne sommes pas à l’abri du monde. C’est un peu délicat à faire comprendre et encore plus à gérer.

« R.L.P. » – Quels seraient vos modèles ?

D.S. – Sans parler de modèle, je pense que le Languedoc-Roussillon a montré la marche à suivre, en matière de vinification comme en matière commerciale. Il a su faire évoluer les choses. Avec des entités comme UCCOAR ou le Val d’Orbieu, il occupe une place de leader. Sans le copier, il faut sans doute s’en inspirer. En Aquitaine, des structures commerciales mises en place il y a 20-30 ans restent tout à fait pertinentes ; d’autres n’ont pas su s’adapter. Il ne faut pas forcément les supprimer mais les rénover de l’intérieur. Certaines sont en train de le faire. La présence d’un jeune président y contribue sans doute. Car la coopération s’appuie d’abord sur des hommes et ça n’est pas la partie la plus facile.

« R.L.P. » – Comment cela ?

D.S. – Je dirais que trop de richesse nuit. Il y a un quart de siècle, les leaders sortaient facilement du lot. Je pense à quelqu’un comme M. Chandoux, président de la fédération jusqu’en 1987, juriste de formation, viticulteur en Dordogne et dont la sphère d’influence s’étendait bien au-delà de la coopération. Aujourd’hui, bien plus de jeunes ont fait des études longues, possèdent des compétences aussi bien techniques qu’économiques. Nous avons affaire à une pyramide non plus de type égyptienne mais de type aztèque, avec une base très large. Dans ces conditions les leaders potentiels se télescopent, l’abondance de biens nuit au rythme d’avancement. Là où il était facile de repérer et de suivre deux ou trois leaders, il devient compliqué de les identifier parmi une vingtaine.

« R.L.P. » – Comment qualifierez-vous le bon « management » d’une coopérative ?

D.S. – Je parlerais de la règle des trois V : la vigne, la vinification, la vente. La vinification, on a su depuis longtemps se doter des moyens techniques et humains adéquats. Cela marche bien. La vigne, on peut dire sans honte que la mise à niveau s’est faite plus récemment mais le pas est franchi. Reste la vente, encore à conquérir en partie. Quand les structures réussissent à intégrer les trois volets, elles deviennent souvent les porte-drapeaux de leur zone. On en retrouve un peu dans toutes les appellations.

« R.L.P. » – Que pensez-vous de la vente de bouteilles de vin par les adhérents coopérateurs ?

D.S. – Nous ne le souhaitons pas. Un vigneron coopérateur ne peut pas vouloir rester dans le giron de la coopération à seule fin de retirer du vin pour le vendre lui-même. Tout l’objet de la coopération consiste à regrouper l’offre pour peser sur le marché. Le vigneron coopérateur remet la tâche de commercialisation à plus compétent que lui mais ne s’en dessaisit pas. La coopération doit avoir d’autres ambitions que la vente de bouteilles par les adhérents et elle en a.

(1) La première cave coopérative française serait celle des Vignerons libres de Maraussan.

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