« Tout Le Tissu Rural Qui Change »

27 février 2009

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«Le foncier ne disparaît pas, il se redistribue.»

En tant que syndicaliste*, Christian Vignaud s’est beaucoup impliqué dans la défense de l’installation. Comme élu – il est maire de la petite commune de Plaizac dans le canton de Rouillac – il est au contact des évolutions du tissu rural. Une évolution qui ne cesse de l’inquiéter.

 

 

 

« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi faut-il défendre l’installation ?

Christian Vignaud – Tout simplement pour le renouvellement des générations. Aucun métier ne peut s’en dispenser. Déjà à mon époque – C. Vignaud a 42 ans – NDLR – l’installation faisait partie des priorités syndicales. C’est sous Christiane Lambert, alors présidente du CNJA, qu’a fleuri le slogan « plutôt des voisins que des ha ». Que constatons-nous aujourd’hui ? La chute vertigineuse du nombre d’exploitations. Dans mon village, nous étions 19 agriculteurs dans les années 80. Economiquement parlant, nous ne sommes plus que 4 en 2006. Et combien serons-nous demain ? C’est tout le tissu rural qui est en train de changer de faciès. Le foncier ne disparaît pas mais il se redistribue. Je trouve quand même dramatique de constater que, bientôt, il ne restera plus qu’une ou deux exploitations par village et qu’à terme des communes rurales pourront se retrouver sans exploitants. Dans ces conditions, comment pourra fonctionner la solidarité entre agriculteurs ? Pour créer une Cuma, il faut être quatre. Quand nous serons plus que deux, nous devrons parcourir 10 km de plus pour nous associer à d’autres.

« L.P.V. » – Vous semblez établir une corrélation directe entre agrandissement et déficit d’installation ?

C.V. – L’agrandissement n’explique pas tout mais, à l’évidence, c’est un facteur important. La profession agricole n’a pas su ou n’a pas voulu trouver les outils efficaces pour réguler le foncier. Pour moi, la Safer est devenue un agent immobilier comme un autre. Et puis, en toile de fond, existe toujours cette espèce de compétition entre agriculteurs. Le métier d’agriculteur est un métier ingrat, où sévit une jalousie latente. Quel agriculteur ne rêve pas de croquer l’exploitation de son voisin ! Quand la FSVC a commencé ses tournées dans les cantons, je me souviens que nous plaidions déjà pour une conquête de la valeur ajoutée au détriment de l’empilement des hectares. Avons-nous été entendus ? Des candidats, toujours plus nombreux, se pressent pour acquérir des surfaces. Au nom de la simple loi économique, comment les vendeurs résisteraient-ils à une telle pression ? Ils « lâchent » des surfaces qui pourraient aller à l’installation.

« L.P.V. » – Quel effet peuvent avoir les messages lancés par le commerce des eaux-de-vie ?

C.V. – Ces messages, le négoce n’a même pas besoin de les relayer. Ils sont récupérés par la viticulture comme autant d’alibis, de justifications à faire ce dont elle crève d’envie. Je considère l’agrandissement comme étant avant tout un problème agricolo-agricole. Quand vous voyez des transactions de vignes se conclurent à 9 ou 10 000 € au-dessus du point d’équilibre ha, vous pouvez vous poser des questions. Où est la raison dans tout cela ? On peut comprendre qu’un agriculteur mette le prix sur une petite parcelle qui l’intéresse. Mais quand il s’agit d’exploitations entières, situées à 10 ou 15 km du siège d’exploitation, l’explication tient moins. Il y a quinze ans, une exploitation de 20 ha de vignes figurait dans la fourchette moyenne/haute. Aujourd’hui, elle se classerait presque parmi les petites structures, à côté des 60-70 ha dont on entend parler tous les jours. J’espère pour ces exploitations que les maisons de Cognac seront toujours à même de maintenir leurs efforts de communication. Mais l’histoire du Cognac nous a appris que l’activité n’était faite que de hauts et de bas et l’histoire se répète. Je considère l’agrandissement à outrance comme un facteur de fragilisation des exploitations. Déjà dans les années 90, à l’époque où j’étais président du CDJA Charente, je me souviens avoir vu des jeunes partir la fleur au fusil. Quelques années plus tard, je fus très malheureux d’apprendre qu’ils quittaient le métier, meurtris. Entre-temps, la situation s’était retournée. Mais ce qui me peine le plus peut-être, c’est de constater que nombre d’exploitants qui s’agrandissent, négligent d’aller vers la valeur ajoutée. On les voit abandonner le stockage, la distillation, voire la vinification et les vendanges. Ils deviennent des livreurs de matière première. En tant que syndicaliste viticole, cela me désole. Je suis « scié » de voir cette évolution. Après, on a beau jeu d’aller à la course aux hectares.

« L.P.V. » – Qui s’agrandit ? Les jeunes, les vieux ?

C.V. – Toutes les tranches d’âge sont concernées. Mais je constate un appétit peut-être plus exacerbé chez les jeunes. Dans leurs cas, ils considèrent l’agrandissement comme un « droit », un droit à grossir. Cette situation est un peu à l’image de ce qui se passe dans une cour d’école. Les plus jeunes enfants sont parfois les plus terribles. A mon avis, faire son lit en forçant le passage n’est pas la meilleure manière de procéder. La jeune génération peut se révéler très individualiste. Est-ce l’éducation qu’elle a reçue, la conséquence des difficultés traversées par les parents ?

« L.P.V. » – Justement, ne croyez-vous pas que l’embellie du Cognac puisse amorcer très vite un retour des jeunes sur les exploitations. A travers ses investissements, la viticulture prouve tous les jours sa réactivité. Elle peut aussi stopper l’hémorragie de ses troupes.

C.V. – Certes mais n’oublions pas qu’un mouvement de fond existe, celui du boom des départs à la retraite. Qu’est-ce que j’entends autour de moi ? Des réflexions de gens plutôt désabusés qui ont envie, comme ils disent, de « vendre le bazar ». Ils invoquent la « paperasserie », les contraintes réglementaires. Ils ne veulent plus « s’emmerder avec ça ». De quoi rêve un agriculteur ? De voir son fils fonctionnaire. Plutôt que de sortir « par le haut », les gens sont plutôt tentés de prendre la petite porte. Vu la faiblesse des retraites agricoles, l’intérêt de monnayer ses affaires n’est pas non plus à négliger. Les parents qui se sont saignés pour envoyer leurs enfants faire des études peuvent aussi en attendre un certain retour. Viennent se greffer là-dessus les questions de succession. Pourquoi aller s’embêter à tenter de privilégier Pierre, Paul ou Jacques ? Il est plus simple de vendre. Par contre, là où je me dis que « ce n’est pas gagné » pour les grosses unités en train de se monter, c’est justement en terme de transmission. Comme irez-vous transmettre une exploitation importante ? On le voit bien à Bordeaux. A l’époque où le marché était euphorique, les gens n’y pensaient pas ou ne le pouvaient pas, compte tenu des valeurs en jeu. Aujourd’hui, avec les prix actuels, il serait peut-être plus facile de céder mais la trésorerie n’y est plus ou les jeunes ne veulent pas s’engager.

« L.P.V. » – En tant qu’élu, êtes-vous sollicité pour aider l’installation ?

C.V. – Dans les années 80, je me souviens que la communauté de communes de Rouillac, à la demande des jeunes, avait essayé de faire des choses, au niveau des fermes relais notamment. Aujourd’hui, les collectivités territoriales sont très peu sollicitées. Elles seraient plutôt dans l’observation des batailles intestines entre agriculteurs pour s’agrandir. J’ai l’impression que les choses se font naturellement et qu’on les laisse s’accomplir. Ce n’est pourtant pas faute de constater la dégradation. Sur 2005, les chiffres d’installation s’annoncent catastrophiques. Dans les années 90, le canton de Rouillac était celui qui installait le plus de jeunes, une vingtaine par an. En Charente, les chiffres annuels d’installation atteignaient 180 à 190 et encore n’en étions-nous pas satisfaits. Au niveau national, nous faisions partie des « pas bons », comparés à nos collègues bretons, vendéens ou même basques. Ils rigolaient des Charentais.

« L.P.V. » – Pour le maire que vous êtes, qu’est-ce qui change ?

C.V. – Se pose déjà le problème de faire vivre ensemble des gens qui ne partagent plus grand-chose en commun. Par ailleurs, nos petites communes débordent de demandes de permis de construire. Le village de Plaizac possède du caractère. Je passe mon temps à freiner cette boulimie de terrains constructibles, pour ne pas trop dégrader l’environnement. Ici, on ne trouve plus de maisons à rénover. Beaucoup d’enfants ou petits-enfants d’exploitants travaillant dans les environs souhaitent profiter d’un terrain pas cher mais aussi d’une qualité de vie. Toutes les études le montrent : les centres-villes se vident au profit des campagnes. La question, c’est que les néo-ruraux attendent de nous les services de la ville. Ils veulent la ville à la campagne, sans en avoir les inconvénients. Les élus que nous sommes cherchons à faciliter l’accès aux services, mais dans les limites financières et économiques existantes.

« L.P.V. » – Des conflits d’intérêts entre agriculteurs et non-agriculteurs ne se profilent-ils pas à l’horizon, au sujet des chemins par exemple ?

C.V. – Pas vraiment. Je n’ai pas trop à me plaindre dans mon secteur. D’ailleurs, les promeneurs sont aussi de grands utilisateurs des chemins et sont les premiers à signaler un nid-de-poule. Je remarque aussi qu’autant la population s’inverse, autant la composition des conseils municipaux reste à peu près stable. Est-ce pour des raisons de proximité, d’engagement ? Les agriculteurs occupent toujours un poids prépondérant dans la représentation communale.

« L.P.V. » – La diminution des effectifs agricoles et le vieillissement de la population représentent-ils des éléments préoccupants ?

C.V. – Bien sûr. L’enrichissement vient de la diversité. Quand, sur un territoire, le nombre d’agriculteurs diminue de moitié, tout en pâtit, le travail en commun, les échanges, le dynamisme des structures syndicales et de développement. Nous avons besoin d’un renouvellement des générations. Une vieille expression charentaise ne dit-elle pas que les jeunes « nous mettent les pieds dans le dos ». En clair, ils nous font avancer.

* Président de la FSVC jusqu’à la création du SGV Cognac, Christian Vignaud fut, dans les années 90, président pendant 5 ans du CDJA 16. Il présida le CRJA et fut membre de la commission syndicale du CNJA sous les présidences de Christian Jacob, Christiane Lambert, Pascal Coste.

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