« L’alcool viticole doit être cité dans le texte »

14 mars 2009

Dans la filière alcool, Bernard Douence est un homme incontournable. Président de la CNDV (Confédération nationale des distilleries viticoles), l’autre instance des distilleries viticoles avec la FNDCV (Fédération nationale des distilleries coopératives vinicoles) présidée par André Camroux, il est aussi président pour quelques mois encore de l’Union nationale des groupements de distilleries d’alcool, lieu de concertation des producteurs d’alcool de betteraves, de céréales et des vins. Installé à Marcillac, dans le Blayais (distilleries du même nom), B. Douence connaît bien le contexte charentais.

Au niveau de la réglementation française, se discute actuellement le pourcentage d’incorporation obligatoire d’alcool dans l’essence. Pour leur part, les distilleries viticoles se battent « a minima » pour que l’alcool viticole soit expressément cité dans le texte. Un préalable qu’elles jugent indispensable pour pérenniser les outils de production de la filière alcool viticole.

 

« Le Paysan Vigneron » – Croyez-vous à l’avenir de la filière alcool pour la biocarburation ?

bernard_douence.jpgBernard Douence – Depuis des années, le développement de cette filière bute sur la guerre de tranchée menée par les pétroliers, la compagnie Total en tête, qui voient d’un très mauvais œil l’incorporation d’alcool à l’essence. Cette adjonction aurait pour effet d’augmenter les stocks d’essence, déjà excédentaires. Car, en France tout au moins, la tendance de consommation s’est inversée ces dernières années entre essence et diesel, alors même que les contrats liant les compagnies aux pays producteurs leur font obligation d’acheter une certaine quantité d’essence. Dans ces conditions, autant les pétroliers sont favorables au diester, participant au rééquilibrage de la source diesel, autant ils sont opposés à l’éthanol pouvant rentrer dans l’essence. Ceci étant, les choses sont peut-être en train d’évoluer.

« L.P.V. » – De quelle manière ?

B.D. – Sous la pression environnementale, le Gouvernement a décidé de soutenir la production d’alcool-carburant comme étant un moyen de réduire les émissions de C02 dans l’atmosphère. Un projet de texte dans ce sens a déjà été voté par l’Assemblée nationale puis par le Sénat. Il pose le principe d’une incorporation obligatoire d’un certain pourcentage d’alcool dans l’essence. On parle de 2 % dans un premier temps pour grimper à 5,75 % en 2010. Reste à enlever la décision de Bercy, le ministère de l’Economie et des Finances devant aussi compter avec le lobby des pétroliers.

« L.P.V. » – Dans ce débat, quelle est la contribution des alcools viticoles ?

B.D. – Nous apportons notre appui au monde céréalier et betteravier pour obtenir la notion d’incorporation obligatoire. Dans cette affaire, nos intérêts sont liés. A une condition près toutefois : que dans la rédaction du texte sur l’incorporation d’alcool dans l’essence, les alcools viticoles sont expressément cités. Ce point ne va pas de soi, il n’est pas acquis. Avec la FNDCV, nous nous battons pour le faire reconnaître.

« L.P.V. » – Est-ce si important que l’alcool vinique s’assure le débouché de la carburation, dans la mesure où il n’y est pas des plus concurrentiels ?

B.D. – On ne sait pas de quoi demain sera fait. Aujourd’hui, l’existence des prestations viniques semble assurée alors que la question a pu se poser il y a quelques années. Mais imaginons qu’un jour Bruxelles nous fasse l’obligation de livrer les marcs et les lies, tout en se désengageant de la partie des aides. L’alcool vinique aurait alors besoin de tous ses débouchés traditionnels (rectification…) y compris celui de la carburation. Certes, vous me direz que l’alcool viticole, avec son potentiel de 800 000 hl AP par an, ne pèse pas bien lourd au regard des perspectives annoncées et n’aura donc pas de mal à trouver un débouché. Ne parle-t-on pas de besoins à hauteur de 20 à 30 millions d’hl AP dans l’hypothèse d’une incorporation de 6,75 % de bioéthanol (contre 1,1 million d’hl AP aujourd’hui). Mais, parallèlement à cela, sont évoqués des projets gigantesques. On parle d’unités de production d’éthanol à base de betteraves ou de céréales de 3 millions d’hl AP, avec des coûts de revient très bas. Un jour, l’alcool viticole ne risque-t-il pas de se faire éjecter du marché sous prétexte qu’il sera trop cher. C’est pour éviter ce genre de désagrément que nous tenons absolument à ce que l’alcool viticole soit expressément cité dans le texte relatif à la carburation. Nous y voyons un gage de pérennité pour nos outils et la filière.

« L.P.V. » – Que pensez-vous de la réflexion charentaise portant sur la biocarburation pour les excédents Cognac ?

B.D. – Je vois difficilement une quelconque réflexion s’enclencher dans ce sens avant que la filière vinicole soit définitivement assurée de pouvoir participer au marché de la biocarburation. S’il le marché n’existe pas, comment les excédents Cognac pourraient-ils en faire un exutoire ? Il ne faut pas rêver ! Plus globalement, j’ai du mal à comprendre pourquoi les Charentais veulent se priver de l’article 28. Pour justifier de tels changements, on nous dit que l’OCM vin va être révisée en 2006. Ce n’est pas totalement exact. L’échéance 2006 ne constitue qu’un point d’étape, au terme duquel Bruxelles décidera ou non de rouvrir l’OCM vin. Et même si des modifications se dessinent à la marge, je ne suis pas sûr que la distillation de retrait de l’article 28 soit le souci majeur des hauts fonctionnaires de la Communauté. Avec l’intégration des nouveaux pays, ils ont bien d’autres préoccupations en tête. Toujours au sujet de l’article 28, avant de casser quelque chose, soyons sûrs que le reste marche. Pour considérer le seul aspect des biocarburants, le dossier est loin d’être ficelé.

« L.P.V. » – En ce qui concerne le brandy, autre point d’achoppement, quelle est votre une opinion ?

B.D. – On sort de la problématique biocarburant. Avec le distillat de vin issu de l’article 28 qui peut être mélangé aux eaux-de-vie de vin, les Charentes participent pour une petite part à la filière française du brandy. Si demain il ne se produit plus de brandy français, le marché sera récupéré en totalité par l’Espagne, quelque chose à éviter je pense. Le marché du brandy représente 2 millions d’hl AP dans le monde, dont 300 à 350 000 hl AP élaborés en France. Ce n’est pas parce que les excédents Cognac iront à la carburation qu’il se fera moins de brandy.

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