A l’heure de la sortie de Plan et alors que la QNV ne bouge pas, le couple de viticulteurs s’interroge : « Nous sommes-nous pas trompés ? » Favorable à une progression mesurée de la QNV, il justifie sa position par une série d’arguments.
« Revue Le Paysan » – A quel niveau verriez-vous la QNV cette année ?
Anne-Sophie et Olivier Louvet – Nous sommes favorables à une QNV de 6,5 hl AP/ha. Nous savons que les avis sont partagés sur le sujet et sans doute y a-t-il un peu plus de partisans du maintien des 6 que d’une progression à 6,5. Encore que ceux qui souhaitent 6,5 s’expriment peut-être moins que les tenants du maintien. Quand votre voisin vend 4, ce n’est pas très facile de lui jeter à la figure que vous voulez une augmentation. Il va présupposer que vous n’êtes pas loin des 6.
« R.L.P. » – A votre avis, quels arguments plaident pour une hausse ?
A.-S. et O.L. – Attention, nous souhaitons voir la QNV monter à 6,5 mais certainement pas à 7 ou à 8 hl AP/ha. Ce serait complètement déraisonnable. Les raisons en faveur d’une augmentation sont multiples. Il y a d’abord le niveau des stocks des comptes jeunes. Nous manquons presque de marchandise pour alimenter les ventes de VS et VSOP et il est illusoire de penser que les rassises vont venir combler le déficit. Nous avons déjà vu en 1990 les effets dévastateurs d’un à-coup : hausse des prix à la bouteille et baisse automatique des ventes. A notre avis, cette région commande une gestion en bon père de famille. La stabilité vaut toujours mieux que les tensions à la hausse ou à la baisse. Une autre raison pour les 6,5 tient tout simplement à ce que la vigne est « dehors ». Ici, nous nous situons dans un couloir de grêle. L’exploitation a grêlé 3 fois en 16 ans. Quand la vigne assure l’intégralité de votre revenu, comment passer sans un volant de stock ? Enfin, avec d’autres, nous sommes rentrés dans le Plan en reconvertissant 10 % de notre vignoble et en arrachant de manière temporaire 5 %. Nous allons bientôt perdre nos droits à produire dans le cadre de la QNV d’exploitation et les quantités restent toujours cantonnées à 6. On est en droit de se demander si nous ne sommes pas les dindons de la farce par rapport à ceux qui n’ont rien fait.
« R.L.P. » – Vous avez au moins l’espoir de tirer bénéfice des vignes reconverties.
A.-S. et O.L. – Bien sûr mais avant, il aura fallu que l’exploitation et donc la partie Cognac fasse l’avance. Sur un coût d’implantation d’une jeune vigne de 100 000 F /ha, nous avons perçu 30 000 F d’aides et financé à notre corps défendant le reste, soit 70 % de la somme. Livrant à une coopérative, nous allons toucher un premier tiers de la récolte en septembre, un tiers l’an prochain et le solde dans trois ans. Le roulement s’établira donc sur huit ans et, entre-temps, il aura bien fallu dégager les moyens de faire tourner l’exploitation. Un léger déblocage de la QNV peut y aider.
« R.L.P. » – A travers le niveau de QNV, ce qui est en jeu pour les viticulteurs, c’est l’accès au Cognac. Ils voudraient sans doute plus d’égalité dans les achats et ils craignent que l’augmentation de la QNV favorise la concentration de ces achats.
A.-S. et O.L. – L’égalité certes, mais où est-elle l’égalité, entre une exploitation qui vit entièrement de la vigne et une autre qui tire 80 % de son revenu des céréales ; entre une entreprise qui emploie de la main-d’œuvre, qui paie des fermages et une autre qui fonctionne sur le mode familial. Parfois la logique d’égalitarisme bat en brèche le principe d’égalité. A vouloir sauver tout le monde, on court le risque de ne sauver personne. A 6 hl, on ne s’en sort pas, dans une conjoncture où s’empile l’effet des 35 heures et du rendement agronomique.
« R.L.P. » – Le raisonnement de la QNV s’intègre également dans un « bras de fer » viticulture/négoce au sujet des prix.
A.-S. et O.L. – Contre une hausse de la QNV à 6,5, le négoce propose une augmentation des prix de 2 à 3 %. C’est clair que c’est insuffisant mais a-t-on beaucoup à gagner à un bras de fer avec le négoce ? En terme de stratégie, la négociation semble préférable au blocage. Qui plus est, depuis trois ou quatre ans, il s’avère que les décisions concernant le niveau de QNV émanent de la viticulture. Essayons une année d’augmenter de manière raisonnablement la QNV et nous verrons bien l’effet sur les prix. Si les prix chutent, il sera toujours temps de rectifier le tir et si les prix se maintiennent, on pourra peut-être monter un peu plus le niveau de QNV à l’horizon 2006, une fois acquise l’affectation des ha comme le préconise le SGV Cognac.
« R.L.P. » – En cas d’affectation des ha et de rendements différenciés, quelle attitude tiendriez-vous ?
A.-S. et O.L. – Nous sommes tout à fait légalistes et cherchons plutôt à jouer le jeu régional, afin d’améliorer la situation générale. Nous sommes très vite rentrés dans le Plan, en reconvertissant et en arrachant temporairement. En plus des ha reconvertis, nous affecterions sans doute des parcelles à d’autres destinations que le Cognac, avec des rendements adaptés. Chez le viticulteur, l’arrachage engendre un refus viscéral. Mais, si la raison l’emportait sur la passion, il serait sans doute préférable de bien vivre avec 15 ha que mal avec 20.
« R.L.P. » – Si le maintien à 6 hl AP l’emportait cette année, y verriez-vous un risque ?
A.-S. et O.L. – Nous en identifions au moins deux. Le premier tient à l’attitude du négoce. A défaut de trouver la marchandise adaptée, il peut lever son effort commercial consenti sur les qualités jeunes. Ce risque est bien réel. Le second, peut-être plus grave encore, concerne l’attitude des viticulteurs. Pensez-vous que la tentation ne viendra pas à certains de se mettre en marge de la réglementation BNIC ? Le risque qu’ils pourraient courir pour 3 hl de pur supplémentaires, ils ne le courront peut-être pas pour 2,5. Enfin, il faut reconnaître qu’il est particulièrement injuste que des viticulteurs vendeurs directs ayant fait des efforts commerciaux pour vendre leur Cognac ou leur Pineau soient pénalisés par une QNV restrictive, qui ne correspond même plus à un souci d’équilibre. Suivant que l’on compte ou non l’évaporation totale, le destockage atteint cette campagne entre 45 000 hl AP et 70 000 hl AP. Nous arrivons à un taux de rotation du stock de sept années et demie. Après avoir distillé jusqu’à 9 ou 10 hl AP/ha, nous voilà confinés à une politique malthusienne.
« R.L.P. » – Que feriez-vous si la QNV était confirmée à 6 de pur ?
A.-S. et O.L. – Nous nous y conformerions bien sûr, parce que nous sommes légalistes mais aussi pas solidarité avec les autres viticulteurs. Par contre, cela accréditerait l’idée que nous nous sommes peut-être trompés en rentrant dans le Plan, alors que la QNV n’évolue pas. Ce serait donner une prime à l’immobilisme.
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