Le vignoble de Cognac est confronté depuis plusieurs années à des problèmes de baisse de productivité qui commencent à interpeller de plus en plus de viticulteurs. Voir des parcelles de 35 ans décrocher est logique compte tenu de l’effet âge. Par contre, ne pas être en mesure de produire régulièrement 9 ou 10 hl d’AP dans une vigne de 15 à 20 ans est beaucoup plus inquiétant. Indéniablement, le capital de ceps de vigne de la région délimitée n’est pas au mieux de sa forme et produire régulièrement dans les prochaines années 11, 12, 13 hl d’AP/ha ne sera pas accessible à toutes les propriétés. Les effets cumulés de la déprise économique jusqu’en 2005 du contexte climatique difficile et contrasté et des nuisances liées aux maladies du bois ont fragilisé le modèle de vigne charentaise à faible densité.
La forte demande de vins de distillation et d’eaux-de-vie dans la région délimitée amène actuellement beaucoup de viticulteurs à remettre en cause les itinéraires agronomiques de leurs vignobles. Or, doper ou tempérer les rendements des vignes ne se « programme » pas comme un process industriel. Après 15 ans de conduite du vignoble à l’économie, il ne suffit pas d’allonger les bois de taille et d’apporter des fumures élevées pour voir la productivité se redresser au bout de 1 à 2 ans. La physiologie des ceps de vignes obéit à des principes biologiques et qui s’inscrivent dans la durée. La vie des souches se construit, s’entretient, en faisant preuve de constance et de sens de la pérennité.
Les ceps de vigne : un capital végétal noble à gérer avec le sens de la pérennité
Contrairement aux cultures annuelles, l’efficacité des leviers techniques influençant la productivité ne se matérialise pas dans l’immédiateté. Les niveaux d’investissements en intrants (fumures, renouvellement des plantations, entreplantation) et en travail (temps de travaux réduits pour tailler, épamprer…) revus à la baisse pendant plus d’une décennie n’ont pas eu une incidence immédiate sur le comportement des vignes. Il a fallu attendre 5 à 7 ans pour en observer les conséquences nettes. A l’inverse, des délais tout aussi importants (et parfois plus longs) sont nécessaires pour relancer la productivité. L’équilibre agronomique d’une parcelle est une notion fondamentale et concrète dont tous les viticulteurs perçoivent le sens. L’impatience et les changements de cap importants et fréquents dans la conduite du vignoble ont une incidence négative progressive et graduelle à la fois sur la productivité et la pérennité des souches. En d’autres termes, les ceps de vignes n’aiment pas être brutalisés ! Faire varier trop souvent le régime alimentaire et les méthodes de conduite ne contribuent pas à rendre les vignes « fortes ». Ces propos d’agronome font toute la spécificité du métier de viticulteur. Par ailleurs, les responsables des propriétés n’ont pas été en mesure d’occulter les réalités économiques fluctuantes de la filière Cognac au cours des 20 dernières années. Idéalement, une nouvelle plantation devrait avoir une durée de vie d’au moins 30 à 40 ans mais, durant cet intervalle de temps, l’économie d’une région viticole peut fluctuer profondément. Si gérer l’agronomie et la pérennité d’un vignoble en faisant abstraction des réalités économiques est utopique, conduire un vignoble en tenant uniquement compte des fluctuations économiques annuelles est tout aussi irréaliste. L’univers de production d’un vignoble doit être envisagé à partir de stratégies de conduite pérennes assurant la protection du capital végétal noble : « les ceps de vigne ».
La productivité des jeunes vignes de 15 à 20 ans « décroche »
Les méthodes de conduite économique se sont généralisées à partir de 2000
La présentation dans le tableau ci-contre de la productivité et des caractéristiques climatiques et agronomiques principales des 13 derniers millésimes est riche d’enseignements. 1999 a été la dernière récolte qui n’était pas soumise à une limite de rendements maximum et donc beaucoup de propriétés recherchaient des niveaux de rendements élevés. Le climat de ce millésime incarnait une certaine spécificité charentaise faite de périodes chaudes sans excès et de séquences humides en été et à l’automne (pouvant faire grimper les rendements). Les niveaux de production hectare volumiques et en alcool pur moyens de 1999 n’ont depuis jamais été aussi élevés, sauf peut-être en 2004 où un nombre de parcelles significatif n’a pas été récolté et vinifié. L’introduction d’un plafond de rendement agronomique régional à partir de la récolte 2000 a été l’élément qui a initié un changement radical des pratiques de conduite du vignoble. L’objectif n’était plus de rechercher le rendement maximum mais de piloter l’itinéraire agronomique « a minima » pour atteindre un niveau de production rentable sur le plan économique et financier. Les méthodes de conduite ont été adaptées à ce nouveau contexte. Moins d’engrais, une protection phytos minimum, des travaux au vignoble allégés (enherbement généralisé à la place du travail mécanique des interlignes, taille courte une année sur deux, transformation de beaucoup de parcelles en arcure hautes…) ont permis de réaliser des économies substantielles.
Les conséquences des itinéraires culturaux « a minima » perceptibles à partir de 2006
Une perte de productivité de 1,2 hl AP/ha au cours des six dernières années
Bref, l’image régionale de forte productivité des ugni blancs charentais de la fin des années 90 est bel et bien révolue. Le niveau de productivité moyen de la région délimitée au cours des 12 dernières années, qui atteint 10,98 hl d’AP/ha, masque de fortes disparités d’un millésime à l’autre et d’une propriété à l’autre (liée à la philosophie de production de chaque viticulteur). La comparaison des niveaux de production entre les périodes 2000-2005 et 2006-2011 met en évidence une baisse de productivité de de 1,2 hl d’AP/ha. Certes, les récoltes 2007 et 2008 marquées par des événements agronomiques lourds de conséquences ont une influence sur la baisse de productivité, mais leur impact doit être relativisé. En effet, durant la période 2000-2005, le millésime 2000 avait été très délicat (une pression de mildiou à peu près équivalente à 2008) et en 2004, des volumes de vins significatifs ont été laissés dans les vignes. Par contre, les TAV moyens des vins au cours des 6 dernières années ont augmenté de 0,2 % vol., ce qui est tout de même assez significatif car beaucoup de propriétés n’hésitent plus à déclencher la récolte avant que les raisins atteignent leur niveau maximum en sucre potentiel. L’autre constat indiscutable concerne la nuisance sur les rendements des maladies du bois qui est toujours dans une phase ascendante.
Les vignes larges à faible densité sont-elles toujours adaptées au contexte de production actuel ?
Dans cet environnement de production plus difficile, le standard des vignes charentaises, les plantations à faible densité permettant une mise en œuvre maximum de la mécanisation paraît fragilisé. Dans beaucoup de propriétés, des parcelles de pleins coteaux encore jeunes de 15 à 20 ans ont de la peine à produire régulièrement 9 hl d’AP/ha. Ce constat interpelle de plus en plus de viticulteurs qui se demandent si replanter des vignes charentaises larges à faible densité est toujours le bon choix pour l’avenir. L’évolution climatique et la plus grande sensibilité des souches aux maladies du bois des parcelles représentent deux nouvelles problématiques majeures pour la pérennité du vignoble. Les chefs d’exploitation mettent en œuvre des itinéraires culturaux et agronomiques à court, moyen et long terme qui jouent un rôle déterminant sur l’aptitude à produire des souches. Cela repose principalement sur le choix d’un système de conduite de plus en plus standardisé et adapté aux exigences qualitatives et économiques. Les notions de rationalisation et de standardisation ont pris une importance considérable car cela permet d’optimiser les coûts de production annuels. Un hectare de vigne à 3 m sur 1,20 m coûte annuellement moins cher à entretenir que des plantations à plus fortes densités. Par contre après 25 ans de production, la longévité de parcelles plantées à 2 500 ou 3 500 ceps/ha s’avère très différente.
Les « interventions annuelles » d’entretien interfèrent sur la productivité et la pérennité
L’incidence de certaines pratiques et interventions annuelles d’entretien du vignoble comme un pilotage de la vigueur adaptée à la nature du sol et du sous-sol, les apports de fumure (au sol, ou foliaires) véritablement raisonnés par rapport aux besoins, des pratiques de taille respectueuses des courants de sève, des méthodes d’entretien des sols tenant compte du climat, le remplacement des manquants… représentent une succession d’actes parfois considérés à tort comme secondaires mais qui, à long terme, interfèrent sur le maintien de la productivité et la pérennité des parcelles. La mise en œuvre de la conduite du vignoble est un challenge permanent qui doit permettre de concilier dans le long terme la maîtrise des coûts de production, une productivité suffisante et de qualité et la longévité des parcelles. Or, lorsqu’une vigne s’est affaiblie, vouloir « stimuler » la productivité n’est pas une chose aussi simple ! Le pilotage judicieux de la conduite du vignoble nécessite un investissement économique et humain permanent.
Imaginer le modèle de vignes Cognac de demain
Le contexte de production actuel fait émerger l’importance du respect des principes d’agronomie au niveau de la conduite d’un vignoble. Construire un itinéraire agronomique cohérent dans le temps redevient un sujet de préoccupation majeur quand il faut augmenter la production de 12 000 à 16 000 ceps/ha. Dans une vigne à faible densité (2 500 ceps/ha), cela revient à demander à chaque souche de produire en moyenne 6,4 kg de raisins au lieu de 3,5 kg. Certains viticulteurs de la région estiment difficile d’atteindre cet objectif alors que d’autres le considèrent accessible deux années sur trois. Une telle divergence d’appréciation du potentiel de productivité du vignoble atteste de la forte variabilité des potentialités agronomiques des vignes. Certaines parcelles ont la capacité de produire seulement 10 000 à 12 000 kg/ha alors que d’autres portent régulièrement 16 000 à 17 000 kg. L’analyse des itinéraires agronomique des vignes à haut potentiel de production et des pratiques mises en œuvre par les viticulteurs adeptes des gros rendements révèle que l’attention et les investissements dans la conduite et l’entretien annuel n’ont jamais été relâchés (même dans la période de déprise économique du début des années 2000). Ce constat conforte la spécificité des vignes charentaises à faible densité qui s’apparentent à des « athlètes de haut niveau » très sensibles à leur hygiène de vie. Produire durablement 12 à 13 hl d’AP/ha nécessite de la cohérence, une grande constance dans la mise en œuvre des itinéraires culturaux et des moyens financiers suffisants dans le temps pour ne pas casser la dynamique de production. Le très mauvais contexte économique auquel ont été confrontées beaucoup de propriétés entre 1995 et 2005 « se paie cash » aujourd’hui avec des rendements décevants et des vignes encore jeunes, déjà fatiguées et vieillies. Le phénomène est accentué par deux événements imprévisibles, l’évolution climatique et l’augmentation de la capacité de nuisance des maladies du bois.
Relancer une recherche agronomique régionale forte est indispensable
Dans un tel contexte, quelles solutions peut-on mettre en œuvre pour que le vignoble charentais retrouve une bonne productivité et de la pérennité ? De nombreux viticulteurs s’interrogent sur leurs méthodes de conduite actuelles et sur les choix agronomiques qu’ils doivent effectuer pour leurs nouvelles plantations. Faut-il persister dans le modèle de vignes à basses densités ? L’augmentation des densités de plantation est-elle une piste d’avenir ? L’introduction de nouveaux systèmes de conduite spécifiques à la filière Cognac tenant compte de l’évolution climatique et du pouvoir de nuisibilité accrue des maladies du bois est sans aucun doute attendue et souhaitable. La réintroduction de plantations à plus forte densité et donc plus étroites (de 3 000 à 3 500 ceps/ha ; 2,50 x 1 m) engendre une augmentation des charges annuelles de travail et de mécanisation dont l’impact et l’intérêt économique à long terme ne font pas l’unanimité. Les conséquences de l’évolution climatique et des maladies du bois sur la productivité rendent encore plus complexes les choix en matière de densité de plantation et de systèmes de conduite. D’ici 15-20 ans, les millésimes marqués par une climatologie sèche engendrant des stress hydriques deviendront beaucoup plus fréquents. On peut se demander si les plantations réalisées ces dernières années auront les ressources agronomiques suffisantes pour supporter un tel contexte de production ? Toutes ces réflexions attestent actuellement de l’importance et des préoccupations prospectives autour du capital vignes dans la région délimitée. La mise en œuvre d’une réflexion agronomique globale sur l’adaptation d’un modèle de vigne à vins de distillation devient une thématique prioritaire. Or, pour l’instant peu de travaux fondamentaux sont mis en œuvre sur ces sujets par les organismes techniques régionaux de référence. Par ailleurs, les réflexions agronomiques de recherche de productivité des autres organismes de recherches en France ne concernent pas des niveaux de 16 000 kg/ha de raisins produites avec 2 500 souches. C’est une approche spécifique qui ne concerne seulement que 75 000 ha à Cognac, 10 000 à 20 000 ha en Armagnac et en Italie, la région d’Emilie-Romagne. Investir dans des actions de recherches agronomiques plus fondamentales afin de faire évoluer le modèle de production des vignes Cognac sera, dans l’avenir, un challenge déterminant pour pérenniser toute la filière Cognac à court, moyen et long terme.