La région de Cognac vit une belle période depuis une décennie en raison de la forte et constante progression des expéditions qui a relancé toute l’économie régionale. Les performances commerciales du nectar régional porté principalement par les quatre grandes maisons font des envieux dans l’univers viticole Français. Le négoce investit beaucoup sur les grands marchés internationaux et la demande d’eaux de vie est forte. Le Cognac évolue actuellement dans une catégorie de spiritueux qui a le vent en poupe. L’univers des alcools bruns premium connectés à des origines et à des savoirs faire est dans un cycle commercial porteur. Le contexte actuel de forte tension commerciale entre la Chine et les Etats Unis, les deux marchés phares du Cognac représente une source d’inquiétude. Néanmoins, les perspectives commerciales optimistes pour l’avenir sont à l’origine de l’accroissement des besoins de production d’eaux-de-vie qui sont désormais actés. La filière intra-régionale est rentrée dans une phase de développement. L’augmentation de la surface du vignoble est engagée sur des bases que les professionnels de la viticulture et du négoce annoncent comme rationnelles et fiables.
Le challenge prioritaire des viticulteurs dans cette période «dorée »est d’avoir des niveaux de productivité élevés les plus constants possible. Or, la nature depuis une décennie malmène le vignoble presque chaque année. Les épisodes de grêles et de gel se succèdent avec une intensité et une fréquence rare qui interpelle. Ils sont la cause de la fragilisation de l’économie de certaines propriétés. Les deux nouveaux sinistres de grêle et de gel de ce printemps en sont la parfaite illustration. Les pertes de productivité engendrées par les aléas climatiques concernent très régulièrement 10 à 15 % de la surface du vignoble. Leur impact sur les volumes de production de la région est perceptible certaines années. La variabilité de production intra-régionale liée aux affres du climat est une problématique de fond auxquels les professionnels de la viticulture sont sensibles depuis longtemps.
La mise en place de la réserve climatique en 2008 a été cautionnée par la majorité des viticulteurs qui considéraient cette mesure totalement en phase avec leurs objectifs de productivité élevés. Utiliser les potentialités de millésimes généreux pour compenser la maigreur d’autres années tombait sous le sens. Depuis trois à quatre ans, malheureusement, l’augmentation du niveau du rendement Cognac a remis en cause ce bel outil. Les décideurs de la viticulture ont fait le choix assumé de favoriser l’accroissement des volumes commerciaux sous-bois. Cette stratégie génère des niveaux de revenus immédiats plus importants au sein des propriétés les plus productives et pénalise durablement celles qui enchaînent les aléas climatiques. La compensation du déficit de production régional est obtenue par la recherche de volumes maximum au détriment des principes de redistribution sur plusieurs années
Après cet épisode de gel 2 019 plus sévère que l’on ne l’imaginait au départ, les forces vives de la viticulture éprouve un sentiment d’injustice dans l’accès à l’attractivité économique de la filière Cognac. Quand malheureusement, la nature ampute tous les deux ou trois ans la productivité, l’activité économique des propriétés s’en trouve affectée. Or, la recherche de plus de constance de revenus dans la durée est dans « les gènes » du métier des vignerons-stockeurs de Cognac. Elle représente aussi un gage de pérennité dans la conjoncture actuelle de développement de la filière. La stabilité de l’équilibre financier des comptes de résultat des exploitations viticoles est scrutée de près par les banquiers finançant les investissements dans les vignes, les chais et les distilleries. Beaucoup de viticulteurs s’interrogent sur le bien-fondé de cette recherche permanente de volumes maximum. Ne serait-il pas opportun d’aborder les débats sur la fixation du rendement 2 019 en tenant plus compte de cette attente de modération de plus en plus émergente ?
Le challenge d’accroissement de la productivité est indissociable des aspects de viticulture durable dont le bien-fondé s’impose à la filière Cognac et aux autres régions viticoles Française. Produire « vert » devient un concept éthique et attendu des filières commerciales et cela va engendrer un changement radical des méthodes de production. L’adhésion à ces concepts ne se discute plus ; elle sera un passage obligé dans la décennie à venir. Sa mise en œuvre suscite à la fois de l’intérêt, des réticences et des désillusions. En Charentes, conjuguer des rendements Cognac supérieurs à 14 hl/ha à la mode verte est un challenge de technocrate mais pas celui des hommes de l’art dans les vignes. Faire preuve là aussi de modération en demandant un peu moins aux vignes faciliterait déjà les choses. Néanmoins, imaginer les vignes du futur est déjà un challenge agronomique prioritaire en partie engagé et en partie à créer. Le cap de cette évolution fondamentale repose sur la réduction forte de l’utilisation des intrants phytosanitaires, l’adapter à l’évolution climatique, la maîtrise de la qualité des eaux-de-vie et le respect des réalités économiques et humaines. Il conviendra de penser ce nouveau modèle viticole en étant connecté aux spécificités des différents terroirs et des hommes qui font vivre les propriétés. Le modèle viticole actuel donne encore pleine satisfaction et constitue un capital de savoir pour construire les fondations du vignoble Cognac des prochaines décennies.