L’enherbement : Une culture de « services »

29 avril 2013

L’enherbement, principalement pratiqué dans l’inter-rangs, s’inscrit comme une stratégie parfaitement adaptée au contexte pédo-climatique girondin, tant et si bien qu’elle concerne aujourd’hui près de 80 % des parcelles girondines.

 

 

Ce succès s’explique avant tout par le fait que cette pratique a permis, dans bien des cas, de maîtriser une vigueur et des rendements excessifs, souvent associés à une qualité médiocre, par effet de concurrence pour l’eau et l’azote principalement.

La concurrence générée par l’enherbement permet ainsi de mieux contrôler les rendements et d’améliorer la qualité de la récolte : augmentation du degré alcoolique, diminution de l’acidité, enrichissement en polyphénols…

La réduction de la vigueur entraîne en outre une diminution des travaux sur le végétal (rognages, ébourgeonnages, épamprages…) et une amélioration du microclimat au niveau des grappes et du feuillage favorable à une diminution de la sensibilité de la plante aux attaques cryptogamiques.

Enfin, l’amélioration de la portance liée à l’enherbement facilite les interventions mécanisées pour les traitements phytosanitaires ou les vendanges, en période pluvieuse notamment.

La crainte de la concurrence

Le principal frein à une pratique plus généralisée de l’enherbement réside dans la crainte d’une concurrence hydro-azotée excessive, en particulier sur des sols peu fertiles, à faible réserve utile, et pour les vignobles à forte densité de plantation.

Des rendements fortement réduits et des moûts carencés en azote assimilable sont les principales dérives redoutées par les viticulteurs, marqués par les sécheresses des millésimes 2003, 2005 et, plus récemment, 2010.

Il convient cependant de noter que ces effets de l’enherbement dépendent en grande partie de la nature (spontané ou semé) et de la durée de vie (permanent ou temporaire) de l’enherbement, ainsi que des caractéristiques du vignoble : type de sol, système de conduite (densité et surface foliaire), pratiques culturales (surface enherbée) et objectifs de production (rendements et caractéristiques organoleptiques des vins). D’une manière générale, le contexte pédo-climatique girondin apparaît cependant plutôt favorable au développement de cette pratique.

Des espèces « peu concurrentielles »

Parmi les solutions envisagées pour répondre à cette problématique de concurrence, les instituts techniques s’orientent vers la sélection d’espèces « peu concurrentielles », graminées ou légumineuses, annuelles à ressemis ou pérennes à cycle décalé.

Si certains résultats apparaissent prometteurs, il convient cependant de vérifier dans quelle mesure ces solutions pourraient être transposées sur le vignoble girondin. Là encore, il est indispensable de garder à l’esprit qu’il n’existe pas d’espèce « passe-partout », qui puisse s’adapter à toutes les configurations pédo-climatiques et à tous les contextes technico-économiques.

L’enherbement « total » à l’essai

Cette problématique de concurrence est d’autant plus d’actualité que le développement de tondeuses inter-ceps offre désormais aux viticulteurs la possibilité d’enherber sous les rangs.

La principale contrainte de cette technique, qui ouvre la perspective d’un enherbement « total », réside bien évidemment dans l’accentuation des effets concurrentiels, notamment ceux sur les rendements, liée à l’augmentation de la surface enherbée.

De ce fait, les essais mis en place ces dernières années privilégient l’implantation d’espèces à priori peu concurrentielles. La sélection d’espèces à faible pousse, peu montantes, constitue également un des objectifs prioritaires de ces expérimentations, de manière à limiter le nombre de tontes nécessaires pour maîtriser l’enherbement du cavaillon.

Des services écologiques

La pratique de l’enherbement modifie également les propriétés physico-chimiques et biologiques des sols : augmentation de la teneur en matières organiques et amélioration de la stabilité structurale et de la porosité des sols.

Ces effets se traduisent notamment par une augmentation de l’infiltration aux dépens du ruissellement, avec pour conséquences une diminution du risque d’érosion, une amélioration de la recharge en eau des sols et une réduction des transferts des herbicides vers les eaux superficielles. L’amélioration de la stabilité structurale réduit également la sensibilité des sols à la battance et au tassement. Enfin, l’enherbement pendant la période de repos hivernal permet de réduire le risque de lixiviation de l’azote minéral, sous forme de nitrates.

Malgré la concurrence induite par l’enherbement, les modifications structurales générées par cette pratique peuvent paradoxalement s’avérer favorables à la disponibilité des ressources hydriques et minérales : amélioration des capacités de rétention d’eau et d’absorption des éléments minéraux et augmentation de l’activité biologique rendant le cycle des nutriments du sol plus efficace.

L’intérêt des « engrais verts »

La pratique de l’enherbement semé temporaire, ou « engrais vert », apparaît également prometteuse à bien des égards. Elle consiste à semer une ou plusieurs espèces végétales, de croissance généralement rapide, cultivées non dans le but d’être récoltées, mais pour être incorporées au sol afin d’augmenter sa fertilité.

Cette technique permet en effet d’améliorer la stabilité structurale des sols, par l’action

mécanique des racines (augmentation de la perméabilité, de la porosité et de la cohésion) et la stimulation de l’activité biologique provoquée par l’enfouissement de matière organique abondante et très fermentescible, favorable à la vie microbienne du sol.

Après enfouissement, la décomposition des engrais verts libère progressivement, sous forme assimilable, les éléments minéraux qu’ils ont accumulés (notamment l’azote pour les légumineuses ou la potasse pour les crucifères), les mettant ainsi à la disposition de la vigne.

Enfin, la pratique des engrais verts présente des intérêts en terme de limitation des risques de dégradation des sols. Pratiquée en période hivernale, cette technique assure notamment une protection physique contre le ruissellement. Elle permet également d’immobiliser l’azote et de limiter ainsi les phénomènes de lessivage et de transfert vers les nappes phréatiques.

La gestion adaptative du « système vigne enherbée »

Il apparaît aujourd’hui pertinent de considérer le « système vigne enherbée » comme une association de cultures, au sein de laquelle l’enherbement s’inscrit comme une « culture de services » dont les objectifs sont les suivants : optimiser la concurrence hydrique et azotée (en fonction du contexte pédo-climatique et de l’objectif de production), entretenir la fertilité des sols en limitant leur dégradation et préserver l’environnement.

Compte tenu de la complexité des relations de concurrence hydro-azotée entre la vigne et l’enherbement, il semble opportun de s’orienter vers des systèmes de cultures « adaptatifs » permettant de limiter les effets de la variabilité climatique inter et intra-millésimes sur les potentialités œnologiques de la vendange.

Cela implique la possibilité d’effectuer des ajustements dans le système vigne enherbée, en fonction de l’évolution climatique du millésime, notamment en terme de gestion de l’enherbement inter-rangs.

En ce sens, la pratique de l’enherbement naturel dans l’inter-rangs, détruit au besoin plus ou

moins précocement durant le cycle, apparaît comme une technique intéressante pour s’adapter à la variabilité climatique inter et intra annuelle, tout en répondant de manière régulière aux objectifs de production.

Cependant, le manque de références et d’outils d’aide à la décision nécessaires au pilotage intra et inter-annuel de l’enherbement fait défaut aux viticulteurs.

A ce jour, l’évolution des modèles de bilan hydrique offre la possibilité de simuler de façon dynamique et pluriannuelle la disponibilité des réserves hydriques au cours du cycle végétatif.

La définition de trajectoires optimales de contrainte hydrique durant le cycle, propres aux différents contextes pédologiques et objectifs de production, permettrait alors de gérer l’enherbement selon l’évolution du millésime.

S’orienter vers une approche globale

La problématique de réduction des intrants herbicides nous amène à une réflexion plus générale sur l’optimisation de la concurrence hydro-azotée exercée par les adventices sur la vigne, en fonction des contextes pédo-climatiques et des objectifs de production.

Afin de limiter l’effet de la variabilité climatique sur les potentialités œnologiques de la vendange, il apparaît aujourd’hui pertinent de s’orienter vers des « systèmes de culture adaptatifs », au sein desquels la pratique de l’enherbement naturel pourrait jouer un rôle majeur.

Quelles que soient les stratégies envisagées pour l’entretien des sols, il semble également indispensable de prendre en considération leurs impacts sur la disponibilité des éléments minéraux pour la vigne. En ce sens, la mise en œuvre d’itinéraires techniques permettant d’entretenir la fertilité des sols et leur résistance aux phénomènes de dégradation, constitue une voie prometteuse pour répondre à l’objectif de réduction des intrants engrais.

Le rapprochement des démarches classiques d’entretien des sols et de fertilisation, trop souvent dissociées, vers une approche globale, intégrative, apparaît comme une stratégie favorable à la réduction conjointe des intrants herbicides et engrais.

Privilégier l’enherbement, sous toutes ses formes

Dans cette optique, il semble indispensable d’accorder une place de choix à la pratique de l’enherbement, sous toutes ses formes, compte tenu des multiples services agronomiques et écologiques qu’elle peut procurer.

Cependant, afin de compenser les effets concurrentiels, il conviendrait d’accompagner cette démarche de stratégies compensatoires. Le recours plus régulier à des amendements organiques permettrait par exemple d’améliorer la capacité de rétention en eau des sols et la disponibilité des éléments minéraux pour la vigne. Cette politique permettrait en outre d’améliorer la stabilité structurale des sols et leur résistance aux phénomènes de dégradation.

Cette réflexion pourrait également mener à raisonner différemment le choix du matériel végétal lors de la plantation, en optant par exemple, dans les situations sensibles à la concurrence, pour des porte-greffes à vigueur conférée plus élevée ou plus résistants à la sécheresse.

Maxime Christen
Service Vigne et Vin
Chambre d’Agriculture de la Gironde
Vinipôle Bordeaux Aquitaine

 

 

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