Un site pilote de confusion sexuelle à Champagne-Vigny

24 mai 2017

La lutte contre les vers de la grappe se raisonne en fonction de la sensibilité des îlots dont l’appréciation s’effectue par une surveillance des vols d’eudémis et de cochylis. Des réseaux de piégeages structurés et efficaces permettent de disposer d’un suivi de la présence des ravageurs qui débouchent sur un raisonnement fin et différencié des traitements. Cette organisation de lutte intelligente a malheureusement été mise à mal par la quasi-généralisation des protections insecticides contre la cicadelle de la Flavescence dorée. La réalisation de deux ou trois traitements insecticides systématiques relègue au second plan les efforts de lutte raisonné contre les vers de la grappe et n’est pas toujours pleinement efficace vis-à-vis de ces derniers ravageurs. Pascal et Mathieu Duran qui étaient confrontés à des dégâts tardifs de Cochylis, ont décidé de mettre en place une démarche de lutte en confusion sexuelle sur une dizaine d’hectares

 Les techniciens et les viticulteurs observent que des vols d’eudémis et de cochylis dans les zones du PLO engendrent localement des perforations de baies parfois importantes. Le suivi des pièges (sexuels et alimentaires) a permis de bien cerner la présence et l’importance des vols de ces ravageurs et de mettre en évidence les limites des traitements à dates fixes contre la FD. Pascal et Mathieu Duran du Domaine du Maine Giraud à Champagne Vigny, ont fait ce constat depuis plusieurs années dans un ou deux îlots de leur vignoble. La propriété se situe dans un secteur de lutte insecticide obligatoire à deux traitements contre la Flavescence Dorée et cette protection insecticide ne donne pas pleine satisfaction pour le contrôle des vols de Cochylis de deuxième génération. La date de réalisation du deuxième traitement contre la cicadelle de la FD s’avère décalée (trop précoce) par rapport au pic des vols de papillons de cochylis. Une dizaine d’hectares situés sur un plateau sont assez régulièrement concernés par une pression accrue de vols tardifs de cochylis.

       

La couverture insecticide Flavescence Dorée ne permet pas de contrôler les vols tardifs de Cochylis

 

        La rigidité du calendrier de la couverture insecticide systématique contre la cicadelle de la FD représente à la fois un gage d’efficacité vis-à-vis du vecteur de cette maladie et aussi localement un handicap pour maîtriser d’autres ravageurs présents au cours de la saison. Cette situation qui a été observée dans divers secteurs de la région situés dans le PLO, interpelle. P Duran et son fils se sont interrogés sur le bien-fondé de réaliser une intervention supplémentaire d’insecticide pour contrôler les vols tardifs de cochylis : « Une zone assez vaste de notre vignoble présente régulièrement une sensibilité accrue à des vols tardifs de cochylis depuis quelques années. Nous avons observé des dégâts au niveau des grappes et l’état sanitaire de la vendange au moment de la récolte peut s’en trouver fragilisé. La réalisation d’un traitement insecticide supplémentaire sur cet îlot s’imposerait mais jusqu’à, présent nous n’en avons pas fait ! Depuis de nombreuses années, mon frère et moi avons déployé des efforts pour raisonner nos traitements phytos en fonction des niveaux de risques réels. On essaie de protéger efficacement notre vignoble en ayant une stratégie permanente d’utilisation minimum des intrants phytosanitaires. Mon fils, Mathieu qui travaille désormais avec moi, partage cette même envie de traiter efficace et le moins possible. Or, la lutte insecticide contre la FD avec les deux traitements systématiques va à l’encontre de cette philosophie mais nous ne pouvons faire d’impasse. C’est d’autant plus frustrant que cette protection est insuffisante vis-à-vis des vols tardifs de cochylis ».

 

Un intérêt pour des méthodes de lutte plus respectueuses de l’environnement

 

        L’augmentation de la fréquence des dégâts a amené P & M Duran à envisager de renforcer la protection insecticide. La solution la plus rationnelle était bien sûr de réaliser un traitement insecticide supplémentaire seulement sur l’îlot d’une dizaine d’hectares. Cette stratégie de lutte bien qu’étant efficace, ne satisfaisait pas les deux viticulteurs : « On s’est donc renseigné sur tous les moyens plus doux de contrôler les vols tardifs de Cochylis. Une discussion informelle de ce problème avec, Lionel Daranlot, le technicien de la société Isidore, nous a permis de découvrir l’intérêt technique de la confusion sexuelle. Le concept de cette méthode de lutte, nous paraissait séduisant, de par son caractère respectueux vis de l’environnement et de la santé humaine. La pose de diffuseurs de phéromones en début de saison permettait de remplacer les traitements insecticides durant toute la saison. Au départ, la discussion en est restée là en raison du coût de la démarche de confusion sexuelle qui se situait autour de 200 € HT/ha. L’équipe de société Isidore qui avait perçu notre intérêt, nous alors proposer de mettre en place un site pilote sur la campagne 2 017 ».

 

Les sociétés BASF et Isidore partenaires pour maîtriser la mise en œuvre de la confusion sexuelle

 

        La société Isidore a acquis une bonne expérience de la gestion des réseaux de lutte de confusion sexuelle contre les vers de la grappe dans le Bordelais. L’entreprise par le biais de sa filiale Raisonnance, encadrera en Gironde et en Dordogne en 2017 plus de 5 000 ha de lutte en confusion sexuelle. L’action concerne l’ensemble des zones du vignoble Bordelais, de Saint Emilion, du Médoc, de l’Entre-Deux-Mers, du Bourgeais et du Blayais. Un partenariat a été construit de longue date entre la société BASF (qui est à l’origine et commercialise les diffuseurs Rak contre l’eudémis et la cochylis) et le groupe Isidore pour développer cette méthode de lutte douce. La mise en œuvre de la confusion sexuelle a connu au moment de son lancement quelques déboires en raison d’une insuffisance d’encadrement technique des territoires ou elle était mise en œuvre. Cette méthode de lutte alternative et respectueuse de l’environnement doit être abordée avec technicité pour que les émissions de phéromones jouent pleinement leur effet de perturbateur sur les papillons mâles. Les phéromones contenues dans les capsules reproduisent la substance émise par les papillons femelles d’eudémis et de cochylis pour attirer les mâles. Lorsque l’atmosphère est saturée en phéromones, les papillons mâles sont dans l’incapacité de localiser les femelles et les accouplements sont beaucoup moins nombreux. Cela engendre une nette baisse de la production d’œufs, de chenilles et par voire de conséquences, des dégâts faibles sur les baies. Les essais et les divers retours d’expériences ont mis en évidence l’importance des conditions d’implantation des diffuseurs au sein du parcellaire sur l’efficacité de ce dispositif de lutte.


Une démarche d’accompagnement technique spécifique à chaque site

 

        L’équipe de techniciens du groupe Isidore grâce à sa filiale Raisonnance a développé un service d’accompagnement (AOC : Accompagnement Optimal pour la confusion) pour mettre en œuvre et suivre ce type de lutte. Cette démarche technique spécifique permet à la fois d’adapter la pose des diffuseurs à la nature de chaque territoire et de suivre l’efficacité de la lutte durant toute la campagne. La conception des diffuseurs Rak de la société BASF s’accompagne d’un protocole d’installation précis dans les parcelles. Le matériau de la structure des Rak est en un polymère poreux non biodégradable. Les ampoules contiennent des teneurs en phéromones permettant leur libération constante durant une période de 180 jours. La couverture d’un hectare de vigne nécessite environ la pose de 500 à 600 diffuseurs (1 diffuseur protège 20 m2) en fonction de la structure des zones à protéger. Le renforcement de la densité des diffuseurs dans la périphérie des zones confusées limite les invasions de papillons issues des parcelles limitrophes non confusées. La confusion sexuelle doit être mise en œuvre dans des entités de surface minimum de 8 à 10 ha ayant une forme homogène. La pose des diffuseurs s’effectue manuellement sur les fils du palissage et leur enlèvement intervient après les vendanges.

 

Bien poser les diffuseurs et s’assurer de leur efficacité durant toute la saison

 

        Laurence Frouin, l’une des responsables de la Sct Raisonnance explique que la réussite d’un dispositif de lutte en confusion sexuelle est directement liée à la maîtrise globale de la mise en œuvre des diffuseurs : « La stratégie de lutte en confusion sexuelle ne peut donner pleine satisfaction que si un certain nombre de paramètres liés à la pose des diffuseurs et ensuite au suivi du territoire protégé sont bien maîtrisés. Tout d’abord, la date de pose des Rak doit intervenir quand la somme des températures à partir du 1er février atteint 565 °C. Le positionnement doit impérativement avoir lieu avant le début du vol de la première génération. Les observations météo issues de la propriété de P et M Duran, nous ont amenés à poser cette année, les diffuseurs à la fin du mois de mars. L’implantation des diffuseurs obéit aussi à des règles précises qui sont directement liées à la topographie et la nature du parcellaire de chaque territoire. Un renforcement de la densité de Rak dans les zones périphériques et à proximité des bois et des haies crée un effet de barrière de défense vis-à-vis des invasions vols extérieurs. Nous réalisons une étude d’implantation propre à chaque site afin de proposer un plan de pose des diffuseurs et de bien sécuriser les limites extérieures du territoire confusé. Ensuite, durant tout le cycle végétatif, un suivi de la présence des ravageurs est mis en place en réalisant des piégeages de papillons (avec des pièges sexuels implantés dans le périmètre confusé et en dehors) et des comptages de glomérules de deuxième et de troisième génération. Chaque semaine, nos équipes quadrillent le terrain pour réaliser les observations dont les résultats sont communiqués dans la foulée aux vignerons. L’objectif de ce travail est de détecter la présence éventuelle de vols résiduels et en cas d’incidents, de caler efficacement une intervention insecticide de rattrapage. Le travail du suivi des vols d’eudémis et de cochylis au sein des territoires confusés s’étale de la mi-avril à la fin septembre ».

 

Un îlot pilote d’une dizaine d’hectares

 

        L’idéal est de mettre en place les dispositifs de lutte en confusion sexuelle sur des surfaces importantes et durant plusieurs années afin d’assurer une diminution durable de l’importance des vols d’eudémis et de cochylis. P et M Duran ont choisi d’implanter un dispositif de lutte de confusion sexuelle dans un îlot de dix hectares extériorisant une sensibilité régulière à des vols tardifs de Cochylis bien que cette zone fasse partie du PLO de lutte contre la flavescence dorée. Le territoire est situé en sommet de coteau sur un plateau viticole assez homogène (de forme rectangulaire et entourée de vignes et de chemins) avec essentiellement des vignes larges à 3 d’écartement (9 ha d’ugni blanc et 1 ha de merlot). L’étude d’implantation du dispositif de lutte a débouché sur l’établissement d’un plan de pose précis sur toute la surface. Un renforcement de la densité des diffuseurs dans les zones limitrophes et à proximité des chemins a été réalisé. Au total 5 500 diffuseurs ont été implantés dans l’îlot de 10 ha. La pose des diffuseurs s’est effectuée directement sur le fils de la base du palissage, le 29 mars dernier. Cette intervention a demandé une heure à 1 h 30 de travail par hectare en fonction de la topographie des parcelles et de l’expérience du personnel. Le contrôle de l’efficacité de la lutte de ce site repose sur les observations des relevés de captures de deux pièges sexuels, l’un situé à l’intérieur du périmètre confusé et l’autre à l’extérieur. Les résultats de capture d’insectes permettent tout au long de la saison de comparer les différences de populations d’eudémis et de cochylis.

 

Ne plus mettre d’intrants phytosanitaire à moins de huit semaines des vendanges

 

        Pourquoi P et M  Duran se sont-ils engagés dans une démarche de lutte nettement plus coûteuse que les traitements insecticides classiques ? Leur réponse est l’aboutissement d’une réflexion globale intégrant à la fois des aspects environnementaux et économiques : « Le fait d’avoir été confronté dans un îlot de la propriété à un manque d’efficacité de la couverture insecticide FD sur les vols tardifs de cochylis est devenu un sujet de préoccupation depuis quelques années. Quelles solutions devions nous envisager ? Il était possible effectivement de réaliser un insecticide supplémentaire à moins de huit semaines des vendanges mais le positionnement d’intrants phytosanitaires aussi tard en saison ne nous plaisait pas. Le principe de la confusion sexuelle nous a tout de suite intéressé mais par contre, son coût hectare élevé nous a paru au départ dissuasif. Notre intérêt pour les pratiques de viticulture durable et nos attentes fortes en termes de qualité de vendange, nous ont fait réfléchir. Passer l’ensemble des 45 ha en confusion sexuelle était inenvisageable d’un point de vue économique. On a proposé à notre fournisseur de faire un effort sur la dizaine d’hectares sensible aux vols de cochylis et la société Isidore a su faire preuve de compréhension pour finaliser ce projet. Nous espérons maintenant que les résultats seront à la hauteur de nos attentes ».

 

                                                                 

        Le Château de Beaulon :  un pionnier de la confusion sexuelle en Charentes

                

        Le château de Beaulon a Saint-Dizant-du-Gua est un pionnier de l’utilisation de la confusion sexuelle en Charentes depuis une quinzaine d’années. Christian Thomas a choisi de diversifier l’encépagement pour la production d’eaux-de-vie en plantant de la Folle-Blanche. Ce cépage aux grappes compactes est très sensible aux attaques de vers de la grappe dont les perforations dans les baies représentent des voies d’entrée pour botrytis.

Des Folles-Blanches moins sensibles au botrytis

        La parcelle de Folle-Blanche est implantée sur un coteau calcaire bien exposé d’une douzaine d’hectares avec du Sémillon et de l’ugni blanc. L’ensemble cet îlot est protégé en confusion sexuelle avec des Rak de la société BASF depuis 15 ans. Ch Thomas a fait le choix de cette méthode de lutte pour à la fois réduire la sensibilité du cépage aux attaques de botrytis et diminuer l’utilisation des intrants phytosanitaires : « Au départ, la lutte en confusion sexuelle m’a paru être un moyen efficace de maîtriser les dégâts de vers de la grappe dans la Folle-Blanche. Le fait de remplacer l’utilisation des insecticides durant tout l’été par un procédé respectueux de l’environnement venait aussi cautionner tous les efforts de maîtrise d’utilisation des produits phytosanitaires que nous faisons sur la propriété. Les résultats ont été encourageants dans les parcelles de Folle-Blanche qui résistaient mieux aux attaques de botrytis. Depuis quelques années, la mise en œuvre des traitements insecticides contre la Flavescence Dorée concerne cet îlot de 12 ha mais nous continuons la lutte en confusion sexuelle. Je reste convaincu de l’intérêt technique et environnemental de ce dispositif de lutte qui n’a qu’un seul inconvénient : son coût élevé de 150 à 200 €ha. Si c’était moins cher, je poserai des Rak sur l’ensemble du vignoble ».

       

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