Lutte contre les maladies du bois

1 février 2011

Les maladies du bois de la vigne sont très dommageables pour la pérennité du patrimoine viticole car les responsables de ces maladies attaquent les organes pérennes de la vigne, provoquant à plus ou moins long terme la mort du cep. Près de 10 ans après l’interdiction de l’utilisation de l’arsénite de sodium dans la lutte chimique contre l’Esca, 2010 a été marquée par une forte extériorisation des symptômes d’Esca et de Black Dead Arm dans la plupart de nos vignobles. Face à l’absence de méthodes de lutte satisfaisantes, l’étude de la lutte contre ces maladies est devenue la priorité absolue de la filière. A travers cet article, nous vos proposons un état de l’art des connaissances acquises et une présentation des perspectives d’étude pour les années à venir.

Pas de transmission par les outils de taille…

Une étude menée par l’IFV entre 2004 et 2006 a montré que l’un des champignons pionniers de l’esca (Phaeoacremomium aleophilum) ne se propageait pas par les sécateurs. Cette étude vient confirmer des observations déjà réalisées par l’INRA de Bordeaux entre 1997 et 2002 pour un autre champignon pionnier (Phaeomoniella chlamydospora).

La désinfection des outils de taille entre chaque pied pour empêcher les contaminations par les champignons responsables de l’esca, apparaît ainsi complètement inutile. A signaler toutefois que cette opération reste indispensable sur les parcelles atteintes de nécrose bactérienne.

La taille tardive et la protection des plaies de tailles inefficaces…

Une expérimentation menée au Lycée agricole de Saintes, mise en place en 1990 par le groupe de travail Eutypiose Charentes et suivie par la Station Viticole du BNIC a montré l’inefficacité de la taille tardive réalisée en période de pleurs à l’égard de l’esca et du BDA. En effet, les ceps suivis présentent autant de symptômes foliaires caractéristiques de ces maladies lorsqu’ils sont taillés en période de repos ou de pleurs. Malgré la protection hivernale assurée par les sarments et la protection mécanique des pleurs, ces champignons posséderaient la capacité de pénétrer par les plaies de taille après la période de pleurs ou l’aptitude à contaminer d’autres plaies réalisées lors des opérations en vert (épamprage ou ébourgeonnage). La taille tardive s’avère par contre une méthode prophylactique très efficace dans la lutte contre l’eutypiose.

La Station Viticole du BNIC a également montré que même s’ils possédaient une certaine efficacité dans la protection des plaies de taille face à l’eutypiose, les mastics ou encore l’escudo (interdit depuis 2007), s’avéraient sans efficacité sur l’expression des symptômes foliaires d’esca ou de BDA.

Pas plus d’espoir avec les Trichoderma…

De la même manière, les Trichoderma ne permettent pas de protéger efficacement les plaies de taille contre les champignons pionniers de l’esca ou du BDA. C’est le principal résultat qui ressort d’une étude menée par l’IFV entre 2005 et 2007, portant sur 13 Trichoderma. Selon Philippe Larignon, expert à l’IFV, ces résultats ne sont pas surprenants car Trichoderma est un champignon du sol rarement retrouvé sur les plaies de taille en conditions naturelles.

Un léger effet retardeur de croissance a pu être observé sur Eutypa lata, responsable de l’eutypiose, même si l’utilisation de Trichoderma n’a pas bloqué son développement. Un produit, à base de Trichoderma, a été récemment homologué sur l’eutypiose, mais les méthodes d’évaluation sont controversées.

Les Trichoderma ne présentent pas plus d’intérêt en pépinière lorsqu’ils sont utilisés durant les étapes de trempage, de stratification ou sur les greffes-boutures lors du greffage. Les essais de pulvérisation au vignoble sur le cep en hiver ou d’application d’un compost au sol riche en Trichoderma, ne se sont pas avérés plus concluants.

Pulvérisations et injections au vignoble en échec..

Les différents essais de pulvérisation de fongicides, de Stimulateurs des Défenses Naturelles (SDN) ou de fertilisants, en préventif sur les plaies de taille ou en curatif sur vigne établie pour diminuer l’expression des symptômes n’ont abouti à aucun résultat significatif. De la même manière, toutes les tentatives d’injection, en curatif dans le cep atteint, de substances actives diverses et variées, se sont soldées par des échecs et des effets peu durables dans le temps, et ce malgré une manipulation longue d’environ 10 minutes par cep.

Mode de conduite : une influence réelle mais variable en fonction des situations

L’IFV a suivi pendant plus de 10 ans sur deux parcelles du Beaujolais où sont représentés divers modes de conduite (gobelet, guyot et cordon) l’expression des symptômes foliaires associés aux maladies du bois (eutypiose, esca et BDA). Il en ressort clairement, concernant l’eutypiose, que la taille en cordon favorise la maladie. Concernant l’esca, les résultats sont variables d’une parcelle à l’autre : sur la parcelle d’étude en Cru Brouilly, les cordons sont les modes de taille les plus sensibles alors que sur l’autre parcelle d’étude, les tailles en cordon sont moins touchées. L’influence du mode de conduite a ainsi été mise en évidence mais compte tenu de l’impact variable de celui-ci, aucun mode de taille en particulier, y compris le Guyot Poussard, ne peut être conseillé pour limiter les maladies du bois.

Mais les connaissances en pépinières progressent à grand pas…

Des enquêtes réalisées auprès des pépiniéristes du Sud-Est et du Sud-Ouest ont montré que les plants, à la sortie de la pépinière hébergaient la plupart des champignons associés aux maladies du bois. Leur présence dans les plants est plus ou moins importante selon les lots analysés, en fonction du matériel végétal et/ou du processus de fabrication des plants.

Les pépiniéristes ne disposent à ce jour d’aucun moyen leur permettant de trier les bois contaminés pour les éliminer. Les étapes-clés du processus d’élaboration des plants, au cours desquelles se produisent les contaminations ont pu être identifiées : il s’agit des étapes de réhydratation et de stratification qui se déroulent dans des conditions chaudes et humides, particulièrement favorables à la croissance des champignons impliqués. Les études en cours portent sur la recherche de méthodes de désinfection du matériel végétal.

Parmi les différentes méthodes de désinfection testées à ce jour (cryptonol, eau de Javel, traitement à l’eau chaude, fongicides, microorganismes et essences de végétaux), seul le traitement à l’eau chaude effectué dans les conditions préconisées dans le traitement du phytoplasme de la flavescence dorée (45 minutes à 50 °C) a montré des résultats intéressants. Cependant, il n’est peut être pas suffisant pour contrôler les maladies du bois car certains champignons y restent insensibles. Le suivi de parcelles plantées avec du matériel végétal traité, comparées à des parcelles plantées avec du matériel végétal n’ayant pas subi ce traitement, permettra d’apporter une réponse définitive sur la réelle efficacité et durabilité du traitement à l’eau chaude.

De nouveaux produits, déjà utilisés pour la désinfection des denrées alimentaires et dont l’efficacité sur l’élimination des champignons impliqués dans les maladies du bois a été démontrée en laboratoire, ont été testés en 2010 dans l’eau de réhydratation des plants. Le taux de reprise de près de 90 % laisse entrevoir des résultats intéressants. L’efficacité de ces produits sera connue d’ici quelques mois après débitage du matériel traité, culture des fragments isolés et lecture sur boîtes de pétri. L’étape suivant la production de plants indemnes de ces champignons sera d’évaluer si l’inoculum présent dans l’environnement contamine la nouvelle plantation et à quelle vitesse.

5 projets ambitieux suscitent un réel espoir

Dans le cadre du plan quinquennal de modernisation de la viticulture, le ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche a lancé en décembre 2008 un appel à projet afin de renforcer les travaux de recherche et d’expérimentation sur des moyens innovants de prévention et de lutte contre les maladies du bois de la vigne. Cet appel à projet piloté par l’IFV, en collaboration avec le Comité National Interprofessionnel des Vins d’Appellation d’Origine (CNIV) et l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA), témoigne d’une volonté forte du Ministère et des professionnels de la filière vitivinicole pour trouver des solutions durables afin de lutter contre ces fléaux qui mettent en péril notre patrimoine viticole. 1,5 million d’euros, sur 3 ans, ont été mis sur la table pour la réalisation de cinq projets de grande envergure.

1. Black Dead Arm, caractérisation de mécanismes impliqués dans l’expression des symptômes et identification des toxines (organisme porteur : Université de Reims Champagne-Ardenne). Le projet porte sur deux grands axes : connaître l’origine de l’expression des symptômes foliaires et l’impact de cette maladie sur l’état physiologique de la plante. L’originalité de ce projet est de transférer, en France, la technique sur la reproduction des symptômes foliaires (effectuée sur des boutures cultivées en conditions contrôlées) mise au point au Portugal. D’autres travaux seront réalisés en collaboration avec des partenaires européens (Université de Fribourg en Suisse et Institut Supérieur d’Agronomie de Lisbonne, au Portugal).

2. Epidémiologie de l’esca/black dead arm et caractérisation du microbiote colonisant le tronc de la vigne (organisme porteur : INRA Bordeaux UMR 1065 Santé Végétale/ENITA Bordeaux). L’objectif de ce projet est de caractériser le complexe d’espèces microbiennes, associé au développement des maladies du bois de la vigne, d’étudier sa répartition spatiale dans le vignoble et son expansion par des approches d’épidémiologie. L’ensemble de ces éléments permettra de répondre à des questions relatives à l’impact de la prophylaxie dans la gestion des maladies du bois, sur le rôle de la vigueur dans la sensibilité à ces maladies. A moyen terme, la connaissance des microflores non pathogènes colonisant le bois de vigne pourra permettre également la conception de produits microbiens de lutte biologique.

3. Recherche de marqueurs physiologiques et moléculaires impliqués dans la tolérance de la vigne à certains champignons des maladies de dépérissement (organisme porteur : Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, Bordeaux). Le projet porte sur la détermination de critères simples et pertinents, liés aux réponses physiologiques et moléculaires de la plante à l’infection par l’agent de l’eutypiose. L’objectif in fine est d’utiliser par la suite ces marqueurs de tolérance comme nouveaux outils pour la sélection de cépages tolérants aux maladies du bois. Un travail plus préliminaire pourra être également réalisé sur les agents du Black Dead Arm (les Botryosphaeriaceae).

4. Impact des choix culturaux des viticulteurs sur le développement des maladies du bois (organisme porteur : Chambre Régionale d’Agriculture Languedoc-Roussillon). L’objectif de ce projet est de proposer méthodes prophylactiques et de répondre aux interrogations des viticulteurs.

Deux grands axes sont développés : impact du matériel végétal (effet clone), impact des pratiques culturales (taille, densité, irrigation, maîtrise de la vigueur…).

5. Recherche et évaluation de procédés permettant la production de plants indemnes de champignons associés aux maladies du bois (organisme porteur : Chambre d’Agriculture de la Gironde). L’objectif est d’améliorer la qualité de l’état sanitaire de plants.

Le projet concerne le développement de nouveaux outils de diagnostic des champignons pour le contrôle de la qualité des plants en sortie de pépinière (PCR quantitative), l’obtention de processus de multiplication des plants permettant de garantir la production d’un matériel indemne de champignons associés aux maladies du bois, et l’évaluation du traitement à l’eau chaude sur les maladies du bois au champ. Les premiers résultats vous ont été présentés précédemment.

Conclusion

Depuis l’interdiction de l’arsénite de sodium en 2001, les connaissances concernant les maladies du bois et leurs épidémiologies ont énormément progressé.Ces nouvelles connaissances nous rappellent également l’étendue du chemin qu’il reste à parcourir à la recherche, pour trouver des moyens de lutte efficaces contre ces maladies tellement complexes. La volonté du Ministère et des professionnels de renforcer, à travers 5 projets de grande ampleur, les recherches sur ces maladies suscitent un réel espoir de déboucher sur des solutions applicables dans un avenir que l’on espère pas trop lointain. n

Philippe Larignon
(IFV Rhône-Méditerranée – philippe.larignon@vignevin.com)
Virginie Viguès
(IFV Sud-Ouest – virginie.vigues@vignevin.com)
Olivier Yobrégat
(IFV Sud-Ouest – olivier.yobregat@vignevin.com)
Extrait de « La Grappe d’Antan » n° 82,
le bulletin d’information de l’IFV Sud-Ouest

 

 

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