Un nouveau concept de « suivi » de l’assimilation des éléments fertilisants

11 juin 2014

L’agronomie viticole est un sujet qui redevient d’actualité dans la région de Cognac, en raison de la baisse de productivité d’un certain nombre de jeunes parcelles d’ugni blanc. Ce constat, exprimé par de nombreux viticulteurs, a été à l’origine de la mise en œuvre d’une démarche technique glob ale de valorisation des potentialités des sols par la société Vitivista Charentes. L’initiative est intéressante car elle repose sur le développement de nouveaux outils d’aide à la décision, les analyses de flux de sève pour piloter l’itinéraire agronomique des parcelles. Depuis trois ans, la mise en place d’un réseau de parcelles pilote permet de tester au champ cette démarche d’expertise novatrice et originale.

 

 

L’équipe de la société Vitivista Charentes est plus fréquemment sollicitée depuis quelques années par les viticulteurs sou-cieux de vouloir augmenter la productivité des vignes. L’émergence de cette attente n’est pas réellement une surprise compte tenu de l’état « de faiblesse » d’une partie du vignoble. La conjonction d’éléments économiques, agronomiques et climatiques durant presque deux décennies a dompté le tempérament généreux de l’ugni blanc. Les vignes ont été en quelque sorte « mises au régime sec » trop longtemps et aujourd’hui leur redonner du « tonus » n’est pas simple.

Comment augmenter la productivité de 3 à 4 hl d’AP/ha ?

Beaucoup de viticulteurs font le constat amer des conséquences des stratégies de conduite du vignoble fondées sur « le produire peu et pas cher ». Cela a engendré une adaptation de l’état agronomique des souches dont tout le monde a sous-estimé les conséquences à moyen terme. Aujourd’hui, le contexte a complètement changé et les exigences de productivité moyennes dépassent 10 hl d’AP/ha. Malheureusement, beaucoup de parcelles ne sont pas en mesure d’atteindre régulièrement ces objectifs de rendements. L’augmentation de la productivité est deve-nue une préoccupation importante, qui est abordée à la fois par une implication forte dans le renouvellement du vignoble et des investissements pour redonner du tonus aux vignes existantes. L’intérêt grandissant pour tous les leviers techniques permettant d’augmenter les rendements de 3 à 4 hl d’AP/ha se confirme. Beaucoup de viticulteurs pensent que l’augmentation du potentiel de production est fortement liée au renforcement des apports de fumures minérales et organiques. C’est en partie vrai et aussi en partie faux. Il ne suffit pas de doper les apports de potasse, d’amendements, de chélates, pendant deux ans pour voir décoller les rendements. Les ceps de vignes ne se comportent pas comme une structure industrielle dont le surdimensionnement de certains éléments mécaniques, électroniques, logistiques permet en quelques mois d’augmenter les capacités de production. Un vignoble évolue dans un contexte agronomique et climatique qui se gère, se consolide et se bonifie dans le long terme. L’effet nature très puissant ne peut être que consolidé par la mise en œuvre de pratiques agronomiques raisonnées et adaptées à chaque environnement de sol, de cépage, de porte-greffe, de topographie…

Une approche de raisonnement agronomique parcellaire

p16.jpgLa prise en compte des besoins alimen-taires réels des ceps de vignes repose sur une juste appréciation des principes agronomiques propres à chaque environnement de production. Aussi, le fait de proposer des solutions de programmes d’apports de fumure standardisées et souvent maximalisées est une réaction de facilité privilégiant les enjeux commerciaux au détriment des attentes techniques réelles. C’est en écoutant les attentes et les réflexions des viticulteurs en matière de productivité que l’équipe de la société Vitivista Charentes a ressenti le besoin de s’intéresser aux aspects d’agronomie viticole. Yoann Lefebvre et Dominique Bonnet, les deux techniciens, ont profité des acquis scientifiques du groupe Vitivista au niveau des recherches sur les analyses de flux de sève pour mettre en place une réflexion d’agronomie propre au vignoble de Cognac. La démarche de travail repose sur l’idée d’essayer de proposer une approche de raisonnement des besoins d’alimentation tenant compte réellement des spécificités de chaque parcelle. Plus concrètement, la meilleure connaissance du potentiel agronomique des différents terroirs doit déboucher sur une stratégie globale pérenne, incluant des approches de valorisation de la vie biologique des sols, une gestion des apports de fumure affinée (en termes de doses et d’utilisation de formules d’engrais et d’amendement) et un raisonnement des pratiques culturales tout au long du cycle végétatif. Cela signifie que les préconisations de fertilisation ne sont plus le levier technique unique et majeur pour doper la productivité des parcelles. L’entreprise a développé une stratégie globale fondée sur l’utilisation de nouveaux outils d’aide à la décision et de produits de fertilisation adaptés aux spécificités des terres de doucins, aux champagnes, aux groies.

S’intéresser aux conditions d’assimilation des éléments fertilisants

p17.jpgLa démarche d’agronomie viticole qui a été mise en place depuis trois dans le vignoble de Cognac par la société Vitivista reste encore pour l’instant dans une phase de déve-loppement. La meilleure connaissance des spécificités d’assimilation des éléments fertilisants nécessite du recul pour être en mesure de bien appréhender le comportement dans le temps des ceps de vignes. Les attentes en matière de productivité exprimées par les viticulteurs auprès des techniciens de la distribution et des services officiels depuis quelques années sont directement corrélées aux réalités de terrain. Certains exploitants, qui reconnaissent avoir sous-alimenté pendant de nombreuses années leurs vignes, sont confrontés à des diminutions de rendements préoccupantes. Pour faire face à ce genre de situation, la réponse immédiate est de proposer des programmes de fumure renforcés pendant plusieurs années sans pour autant être convaincus que les stratégies d’apports correctifs tiennent compte des spécificités des îlots de terroirs des propriétés. D’autres viticulteurs qui ont toujours fait l’effort d’alimenter régulièrement leurs vignes observent parfois un certain manque d’efficacité de leurs apports de fumures. Pourquoi des parcelles de vignes alimentées normalement ont un niveau de production irrégulier ? Face à ces approches plus techniques des viticul-teurs, les techniciens ne disposent pas toujours des moyens pour analyser finement les itinéraires agronomiques des parcelles et comprendre les conséquences de la mise en œuvre de telle ou telle pratique (apports de chélate, de fumure organique, incidence de l’enherbement du travail mécanique…).

Les analyses de flux de sève : de nouveaux outils d’aide à la décision

Y. Lefebvre avoue humblement ne pas être toujours en mesure de répondre à la diversité des situations : « Face aux nombreuses interrogations des viticulteurs sur les aspects de productivité, on avait assez souvent le sentiment d’apporter une réponse trop généraliste et pas forcément adaptée à l’effet site de production. Ce ressenti a été à l’origine de la création avec un groupe de viticulteurs, d’une action de sensibilisation sur les principes agronomiques propres à la région de Cognac. L’idée de départ était de se doter d’outils d’aide à la décision pour raisonner plus finement les besoins d’alimentation des ceps de vigne en tenant compte de la nature du sol, du sous-sol, du porte-greffe, des pratiques culturales et des objectifs de production Cognac. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer en matière d’alimentation des ceps de vignes des procédures comparables aux approches de modélisation du mildiou pour piloter l’itinéraire agronomique des parcelles plus finement. Y. Lefebvre ne cache pas que les réflexions en matière d’agronomie sont complexes à appréhender, mais le développement des analyses de flux de sève rerésente un progrès pour mieux comprendre l’assimilation des éléments fertilisants. La finalité des travaux de recherche sur les analyses de flux de sève de la démarche Nutrivista représente à mon avis une réelle avancée. C’est le premier moyen analytique qui permet de quantifier précisément les niveaux d’assimilation des éléments fertilisants majeurs, des oligo-éléments et des équilibres à quatre périodes clés du cycle végétatif. La technique est l’aboutissement de travaux scientifiques conduits par la société Vitivista (technique brevetée) en partenariat avec le laboratoire Galys et l’école d’ingénieurs de Purpan. Elle est mise en œuvre depuis maintenant trois ans dans la région dans différentes aires de production. Les analyses de flux de sève sont sur leur principe assez comparables à une prise de sang dans l’univers de la santé humaine. Elles permettent d’établir à un moment donné un état des lieux de l’alimentation des vignes en comparant les résultats obtenus aux valeurs de référentiels régionaux propres à chaque nature de sol. La synthèse de tous les résultats des analyses de flux de sève contribue à créer les référentiels des différents types de sols de la région (les champagnes, les doucins, les groies et les argiles du pays bas). »

Une démarche adaptée aux réalités de la production régionale

L’équipe Vitivista Charentes a abordé la démarche de pilotage de l’agronomie des parcelles en tenant compte des spécificités de la production Cognac avec le cépage ugni blanc et les objectifs de rendements élevés. Le contexte de production charentais n’a rien à voir avec celui d’autres régions viticoles voisines où l’on recherche des rendements maximums de 50 à 60 hl/ha (avec des cépages comme le merlot, le cabernet ou le sauvignon). La recherche de rendements moyens élevés (supérieurs à 100 hl/ha) avec des vignes à faibles densités (larges et hautes) implantées sur des sols particuliers induit des spécificités en matière de besoins et d’exportations d’éléments fertilisants (majeurs et oligo-éléments). Les travaux de recherche conduits par la Station viticole du BNIC ont permis de définir depuis longtemps les aspects fondamentaux des besoins « alimentaires » de l’ugni blanc dans les différents sols de la région. Le tableau ci-dessus présente les exportations d’éléments fertilisants dans les différents organes végétaux, les feuilles, les sarments et la vendange.

Potasse et magnésie : deux éléments importants et parfois concurrents

p18.jpgLes exportations d’éléments fertilisants interviennent de façon prioritaire au niveau de la vendange et des feuilles car les sarments de vignes sont fréquemment restitués au sol par le broyage. La vigne est surtout gourmande en potasse mais l’assimilation de cet élément peut être perturbée par des antagonismes avec la magnésie ou en raison de niveaux de pH des sols élevés ou de mauvaises conditions climatiques. Les besoins en magnésie sont faibles mais l’assimilation de ce composé est souvent pénalisée par les niveaux de pH des sols élevés et l’antagonisme avec la potasse. Les formes courantes du potassium et du magnésium sont des ions et des oxydes retenus par le complexe argilo-humique (les argiles et la matière organique). La capacité des souches à assimiler les ions de potassium et de magnésium est liée à la capacité d’échange (CEC) qui est elle-même dépendante de la quantité d’argile. La nature des argiles bien différentes dans les terres de champagne, les groies, les doucins a une influence sur la disponibi-lité de la potasse et de la magnésie dans les sols. L’appréciation de la CEC d’un sol permet de caractériser l’importance du garde-manger et indique aussi sa capacité à se vider et à se remplir. Les symptômes de carence en potasse sont très rares dans la région de Cognac car les sols sont généralement bien pourvus. Elles peuvent apparaître en début de cycle végétatif et se résorber rapidement avec le retour du beau temps. L’assimilation du m agnésium peut être perturbée par certains porte-greffes, (le SO4 et le fercal) et à la faveur de conditions climatiques pluvieuses plus propices à l’absorption de la potasse. Le rapport K/mg au niveau des feuilles est un indicateur de l’équilibre d’alimentation de ces deux éléments.

Le phosphore naturellement présent stimule la croissance racinaire

La demande en phosphore de la vigne est très limitée et, en général, les teneurs des sols de la région en sont naturellement bien pourvues. C’est un élément fertilisant qui facilite le développement racinaire des plantes. Le phosphore est à la fois peu solu-
ble et peu mobile. Il peut être insolubilisé par l’excès de calcaire. Les phénomènes d’érosion des sols assurent le transport du phosphore dans les eaux. Les racines de vignes sécrètent des substances acides qui ont la capacité de remettre en solution le phosphore insolubilisé. Les phénomènes de carence en phosphore sont inconnus dans le vignoble charentais. Les besoins en phosphore (de 5 à 20 µ/ha) augmentent de façon proportionnelle au niveau de rendements. L’intensité de la vie biologique des sols est également stimulée par de bonnes disponibilités en phosphore. Les pics de besoins au cours du cycle végétatif se situe à deux périodes, la floraison-nouaison et la véraison. Dans les jeunes vignes, le développement du système racinaire est stimulé par le phosphore.

Des besoins en azote minéral de 30 à 50 unités par an et par hectare

Dans la mesure où l’eau n’est pas un facteur limitant, l’azote influence directement la croissance de la plante et détermine la vigueur de la vigne. La nutrition azotée doit être dosée et pilotée avec sagesse pour trouver le juste équilibre de développement des souches. Les excès de vigueur provoquent une croissance végétative exubérante, pénalisent le déroulement de la maturation et accentuent la sensibilité au mildiou et à la pourriture grise. À l’inverse, une insuffisance de vigueur limite la productivité des souches. Néanmoins, vouloir doper « le tempérament faiblard » d’une parcelle en apportant 100 unités d’azote minéral est un non-sens technique. Les travaux de la Station viticole du BNIC ont mis en évidence que les besoins totaux en azote de l’ugni blanc en Charentes se situent en moyenne autour de 30 à 50 unités/ha maximum. Une grande partie de ces besoins en azote est assurée naturellement par le processus de minéralisation de la matière organique. La quantité d’azote minéral produite à partir de la matière organique est dépendante de différents facteurs : les teneurs en matière organique et en argile des sols, la proportion de terre fine, le pH des sols, l’activité microbienne, les pratiques d’entretien des sol, le broyage ou pas des sarments… Le raisonnement de la fumure azotée ne peut pas être abordé de manière dissociée des méthodes d’entretien du vignoble qui tient compte aussi de la climatologie de chaque cycle végétatif et des contraintes d’organisation des travaux.

La matière organique représente une source d’apport naturelle d’azote minérale

Les effets nature des sols et la vie biologique ont une incidence déterminante sur le déroulement du processus de dégradation de la matière organique. Si la plupart des sols de la région de Cognac sont bien pourvus en matière organique, cela ne veut pas dire pour autant que le processus de dégradation des matières carbonées (d’origine végétale ou animale) se déroule de manière optimale. L’écosystème présent dans les sols (les lombrics, les divers insectes, les bactéries, les champignons, les mycorhizes) fait office d’agent stimulateur de l’activité biologique. Leur rôle est essentiel dans le processus de formation de l’humus stable dans les sols. Une dégradation harmonieuse de la matière organique conduit à la fourniture de divers éléments fertilisants (azote et autres), au renforcement de la capacité d’échange des sols, à l’amélioration de la capacité de rétention en eau (la réserve hydrique) et amplifie les phénomènes de complexation des métaux (la chélatation du fer, cuivre, sous des formes peu solubles et peu lessivables). La baisse naturelle du taux de matière organique d’un sol est un processus naturel qui s’effectue de manière très lente au rythme moyen de 2 % par an. Le broyage des sarments de vignes chaque hiver compense environ 30 à 50 % des pertes de matière organique. Vouloir compenser les pertes de matière peut se justifier quand les résultats des analyses de terres le confirment. Le raisonnement des apports d’une fertilisation organique peut répondre à plusieurs objectifs différents : la compensation des pertes d’humus, la stimulation de la vie microbienne, l’amélioration des potentialités agronomiques globales des sols et l’intervention sur plusieurs de ces éléments. Il convient de mener une réflexion sérieuse et fondée pour choisir les produits les plus adaptés à chaque situation.

Les chloroses ferriques représentent une préoccupation importante en Charentes

p19.jpgLes besoins en fer de la vigne, bien que très réduits (1 kg/ha/an), sont en mesure de provoquer dans le vignoble de Cognac des phénomènes de chlorose qui peuvent être lourds de conséquences. L’absorption de fer par les racines peut être perturbée en début de cycle végétatif par divers événements : un excès de calcaire dans le sol (inadaptation du choix du porte-greffe), un climat pluvieux et froid, des façons culturales inadaptées au printemps (travail du sol précoce en conditions humides), un système racinaire dégradé, un manque de réserves dans les bois à l’automne précédent, un antagonisme de l’assimilation du manganèse. Quand ces perturbations physiologiques interviennent avant la période de la floraison, les conséquences affectent la productivité en engendrant des phénomènes de filage des inflorescences et de coulure. En Charentes, la prévention des phénomènes de chlorose est une préoccupation importante. On distingue trois types de chloroses : une chlorose vraie directement liée à une déficience de fer dans les sols (une situation rare), une chlorose induite consécutive à une indisponibilité du fer pourtant présent dans les sols (en raison de pH élevés, d’excès de calcaire actif, de manque d’aération des sol) et une chlorose physiologique provenant soit d’un blocage de la migration du fer vers les feuilles (suite à une déficience d’acide citrique, de manganèse), soit d’un état du fer insoluble qui le rend inassimilable (en relation avec l’excès de calcaire). La notion de disponibilité du fer pour la plante témoigne de la complexité des phénomènes d’assimilation des éléments fertilisants qui peuvent être perturbés par la nature même des sols (sols calcaires, sols acides) et la mise en œuvre de certaines techniques et pratiques culturales (inadaptation des choix de porte-greffes, d’interventions de travail du sol).

Des besoins en éléments fertilisants très fluctuants au cours du cycle végétatif

L’intérêt des analyses de flux de sève est justement de pouvoir quantifier précisément le niveau d’assimilation des éléments fertilisants majeurs (N, P, K, Mg) et des oligo-éléments (fer, manganèse, bore, cuivre, zinc) à des périodes où la plante a des besoins importants. Au cours du cycle végétatif, les besoins en potasse, en azote, en magnésie, fluctuent de manière importante au point que des situations de carences avérées à un moment donné peuvent ensuite soit se résorber, soit s’amplifier. Les rythmes naturels d’absorption des éléments fertilisants sont aussi très dépendants de la fonctionnalité du système racinaire, du régime hydrique des sols et de la climatologie.

Les printemps froids et pluvieux favorisent l’absorption de la magnésie et du phosphore au détriment de la potasse. À l’inverse, un état de sécheresse relative au moment du débourrement amplifie l’assimilation du potassium. La demande de fer, de bore se manifeste tôt en saison quasiment dès le débourrement. L’arrivée d’une période de froid au moment du débourrement ralentit fortement l’activité microbienne des sols et de fait réduit fortement le processus de minéralisation de la matière organique. La vigne peut alors souffrir d’un manque d’alimentation en azote. À l’inverse, une période de chaleur accompagnée d’une humidité suffisante au moment du débourrement stimule l’activité microbienne des sols, les phénomènes de minéralisation et l’absorption de potasse et d’azote. Si la période de chaleur s’accompagne d’une sécheresse, l’activité microbiologique du sol s’arrête et bloque le processus de minéralisation dans les zones de sol sèches. Les bactéries responsables du processus de minéralisation se déshydratent (se mettent en veille) pour résister aux effets de la sécheresse. Dans les horizons de sols les plus superficiels et les plus riches en matière organique qui s’assèchent, les racines perdent une partie de leur fonctionnalité. Ceci explique l’apparition de phénomènes de carence à la suite de pé-riode de sécheresse en été. À l’inverse, des conditions trop pluvieuses entraînent une dispersion des éléments les plus solubles comme la potasse et l’azote, et aggravent les phénomènes de chlorose dans les sols calcaires. Les excès d’eau en été et à l’automne peuvent provoquer une forte dissolution du potassium dans le sol qui gêne l’assimilation du magnésium.

Des indicateurs de la physiologie des souches durant le cycle végétatif

p21.jpgLa démarche Nutrivista présente l’avantage d’apprécier d’une part l’assimilation des éléments fertilisants au cours du cycle végétatif et d’autre part le niveau de réserves accumulées dans les bois en début d’hiver. Les quatre analyses de flux de sève sont réalisées à des stades clés du cycle végétatif : la première au stade boutons floraux séparés, la deuxième au moment de la floraison, la troisième à la fermeture de la grappe et la dernière à la mi-véraison. Des prélèvements de feuilles permettent de quantifier précisément la concentration d’éléments fertilisants principaux (l’azote, le phosphore, la potasse, la magnésie et le calcium) et de certains oligo-éléments (le bore, le cuivre, le fer, le manganèse et le zinc) dans la sève brute. Les analyses débouchent sur une présentation des résultats par élément et aussi des interactions entre différents éléments (les rapports K/mg, Fer/mn, N/Cu). Les analyses de sarments interviennent au moment du plein repos végétatif (entre la mi-novembre et la mi-décembre). Leur finalité est d’avoir une idée précise des niveaux de réserves glucidiques qui assureront le démarrage du prochain cycle végétatif. Ces deux types de données apportent de nouveaux indicateurs pertinents sur les niveaux d’assimilation des éléments fertilisants durant le cycle végétatif et la capacité des ceps de vignes à assurer leur développement.

Des outils d’aide à la décision permettant d’anticiper les déficiences d’assimilation

Y. Lefebvre considère que les résultats des analyses de flux sont en quelque sorte des indicateurs du comportement phy-
siologique des ceps de vigne à quatre pé-riodes clés de l’année : « Jusqu’à présent, aucun moyen analytique ne permettait de mesurer le niveau d’assimilation des éléments fertilisants durant le cycle végétatif. Les analyses de terre quantifient les stocks d’éléments fertilisants présents dans le sol mais qui ne sont pas forcément sous une forme assimilable par la plante. Les analyses de feuilles quantifient en fin de saison (en août ou en septembre) les teneurs de certains éléments fertilisants (potasse, magnésie et oligo-éléments) mais le cycle végétatif est terminé. Avec les résultats des quatre analyses de flux de sève, on a un état des lieux du comportement physiologique des souches durant tout le cycle végétatif. Par exemple, en 2012 et 2013, les résultats dans certaines parcelles sensibles à la chlorose révélaient des déficiences d’assimilation du fer dès le stade boutons floraux séparés trois à quatre semaines avant l’apparition des symptômes. En 2012, l’insuffisance d’assimilation de la magnésie avait été identifiée bien avant l’apparition des symptômes. Cela permet d’anticiper l’apparition de certains problèmes d’assimilation et d’envisager des apports foliaires préventifs évitant les accidents physiologiques et l’extériorisation des phénomènes de carences. La fiabilité des interprétations des résultats des ana-lyses de flux de sève repose sur la qualité du référentiel propre à chaque type de sol. La démarche Nutrivista a commencé modestement en 2011 avec une vingtaine de parcelles mais elle s’étoffe rapidement (85 parcelles en 2013). D’ici deux à trois ans, les référentiels terres de champagne, doucins, groies, auront gagné en pertinence. »

Une expertise agronomique globale « pensée » par rapport aux équilibres d’assimilation

L’interprétation des résultats des analyses de flux de sève s’affine au fur et à mesure que les référentiels des trois principaux types de sols dans la région (les terres de champagne, les groies et les doucins) s’étoffent. Une jeune ingénieur en agronomie, Julie Caparros, a été recrutée depuis deux ans pour effectuer le traitement statistique des données du réseau Nutrivista Charentes. C’est un travail essentiel qui va permettre d’aller beaucoup plus loin dans les préconisations de pilotage de l’itinéraire agronomique des parcelles. Y. Lefebvre estime que la réponse aux attentes de productivité actuelles doit s’appuyer sur une démarche agronomique globale adaptée à l’état des lieux du sol et du sous-sol de chaque parcelle : « La vigne est une plante pérenne qui doit s’adapter aux fortes varia-bilités du climat. Les échanges entre le sol et le système racinaire qui sont très complexes conditionnent la bonne alimentation des ceps de vigne. Les viticulteurs qui s’intéressent à notre démarche sont souvent des personnes qui ressentent les limites des stratégies classiques d’amélioration de la productivité fondées sur des apports de fumure généreux, coûteux et, avec le recul, pas toujours adaptés à l’environnement sol plante. Notre approche est de proposer une expertise agronomique globale dans la durée en s’appuyant sur les données pertinentes de la démarche Nutrivista. La finalité est de reconstruire progressivement des itinéraires agronomiques propices à de meilleurs équilibres d’assimilation des éléments fertilisants et à un développement harmonieux des souches. La stimulation de la vie biologique des sols est au cœur de nos préoccupations en tant que moteur du processus de transformation de la matière organique. Dans les sols calcaires de la région, bien que la matière organique soit souvent présente à des teneurs assez élevées, les populations de lombrics sont parfois assez faibles. Avant d’apporter des amendements, des engrais organiques, l’appréciation de l’intensité de la vie du sol est indispensable. La gestion des itinéraires culturaux est également très importante pour tempérer les effets du climat et rendre plus assimilable la fertilisation. »

Retrouver plus de cohérence et de constance dans le pilotage des itinéraires agronomiques

p23.jpgDepuis trois ans, Y. Lefebvre et J. Caparros passent beaucoup de temps dans les vignes pour suivre le réseau de parcelles Nutrivista. Leur démarche d’expertise agronomique est en train de se construire progressivement et, malgré une certaine discrétion, les premiers résultats sont là. La remise en cause de certaines approches d’entretien des sols s’est avérée aussi importante que les apports de fumure. Les deux techniciens ont beaucoup échangé avec les viticulteurs et ces dialogues entre experts et praticiens ont souvent débouché sur des actions coordonnées au niveau des itinéraires culturaux, des préconisations de fumures et des stratégies de valorisation du potentiel des sols. Les préconisations ne privilégient pas particulièrement les apports d’intrants mais portent sur une série d’éléments complémentaires intervenant tout au long du cycle végétatif
comme, par exemple, la préservation d’un enherbement superficiel lors de prin-temps humides, ensuite la destruction du couvert végétal avant qu’il ne devienne concurrentiel, la protection des réserves hydriques en été, le travail mécanique superficiel de la terre, des apports de ferti-lisants très spécifiques au sol ou par voie foliaire suite à des constats de déficiences d’assimilation… La finalité est d’aider les viticulteurs à retrouver plus de cohérence et de constance dans la conduite des itinéraires agronomiques pour valoriser dans le moyen terme les potentialités des divers environnements de production.

Bibliographie :
− Chapitre « Gestion des sols et fertilisation » du Guide viticulture durable Charentes.
− Travaux de recherche sur la fertilisation de l’ugni blanc de la Station Viticole du BNIC.
− Manuel pratique de fertilisation, qualité des moûts et des vins d’André Crespy, ingénieur agronome ENSAM.
− Fiches fertilisation de l’IFV.

David Charron, le chef de culture et responsable technique des vignobles Chauchet à Verrières, est depuis longtemps sensible aux aspects d’agronomie. Il les considère comme essentiels pour mettre en valeur les potentialités des terroirs. Le vignoble Chauchet, d’une surface de 45 ha, est conduit en cordons hauts à port retombant sur des terres de champagne très calcaires. La propriété est implantée sur trois îlots distincts : l’un à Verrières, l’autre à Ambleville et le troisième à Jarnac-
Champagne.

Le système de conduite, des cordons hauts en taille minimale et enherbé, a été implanté sur la propriété à la fin des années
soixante-dix. Il est bien maîtrisé en matière de longévité des ceps et de constance des rendements dans le temps. D’une manière générale, les vignes possèdent une vigueur correcte et les niveaux de production moyens au cours de la dernière décennie se situaient autour de 10 à 11 hl d’AP/ha. Des différences de développement végétatif existent naturellement entre les trois terroirs de la famille « terres de champagne ». Une jeune parcelle située à Jarnac-Champagne, qui avait depuis sa plantation une sensibilité accrue à des phénomènes de chlorose, a servi de site pilote pour tester la démarche Nutrivista.

Un moyen de raisonner plus finement l’équilibre nutritionnel des souches

Deux campagnes de recul sur des terres de champagne très calcaires
D. Charron souhaitait depuis quelques années pousser plus loin la réflexion au niveau de l’agronomie afin d’avoir une approche de pilotage des fumures moins standardisée : « Le fait de rechercher des niveaux de production plus élevés dans des vignes larges impose de s’intéresser plus sérieusement à l’alimentation des souches. Le vignoble Chauchet n’a jamais fait d’impasse au niveau des apports de fumure, même pendant les périodes économiques difficiles et, globalement, les vignes ont une vigueur normale. Le fait d’apporter des fumures minérales et organiques sans s’intéresser au fonctionnement de l’ensemble sol-vignes ne me paraissait pas cohérent. La présence à Jarnac-Champagne d’une jeune parcelle (plantée en 2007) très touchée par une chlorose récurrente a été l’élément déclencheur pour tester la démarche Nutrivista. Dès la première analyse de flux de sève au printemps 2012, l’origine du problème a pu être identifiée. Le fer, le manganèse et le bore passaient très mal au printemps et, à l’inverse, l’assimilation de la potasse était excessive. Par contre, l’alimentation en azote se déroulait normalement tout au long du cycle végétatif. Des interventions correctives spécifiques par voie foliaire peu coûteuses ont permis d’éviter l’apparition des phénomènes de chlorose. La quantification des niveaux d’assimilation des éléments fertilisants aux quatre périodes du cycle végétatif me paraît être quelque chose d’essentiel pour diagnostiquer les déséquilibres d’alimentation et ensuite moduler les apports de fumure en fonction des besoins. En 2013, la démarche Nutrivista a été poursuivie sur les quatre îlots de terroir de la propriété. L’interprétation des résultats à l’issue de la saison a permis d’adapter les fumures de manière différenciée. L’azote était apporté en deux fois, un premier apport fin mars-début avril et l’autre début juillet. Les résultats des deux premières analyses de flux de sève ont révélé une très bonne assimilation de l’azote, qui a rendu superflu le deuxième apport. La synthèse des résultats sur l’ensemble de l’année 2013 a confirmé que l’assimilation de la potasse était excessive tout au long de la saison. Au printemps 2014, les apports de potasse ont été réduits. D. Charron considère que les analyses de flux de sève permettent de raisonner plus finement l‘équilibre nutritionnel des souches en fonction de la nature des sols, du climat et des pratiques culturales. Depuis l’année dernière, la présence de nombreux turricules à la surface du sol et une structure de la terre plus souple attestent d’une vie microbienne plus intense. Les vers de terre semblent être beaucoup plus présents dans les parcelles. Au niveau économique, le surcoût des trois analyses Nutrivista (365 € HT pour l’année par site) a engendré des économies d’apport de fumures nettement plus conséquentes sur les 45 ha de vigne.

Créer des conditions de "bien-être" pour les souches
Jean-Luc Marraud exploite 48 hectares de vigne répartis dans deux propriétés distinctes, l’une à Saint-Bonnet-de-Barbezieux et l’autre à Chantillac. Le vignoble palissé est implanté à des densités plutôt élevées de 2,50 m à 2,80 m d’écartement et toutes les vignes sont taillées en Guyot double. La particularité de cette propriété se situe au niveau de la nature des sols, très différente : les terres de champagne calcaires en situation de coteaux à Saint-Bonnet, les doucins à Chantillac et des sables sur la commune voisine de Lamérac. Le développement végétatif se déroule chaque année de manière très différente sur chacune de ces zones.

Les choix de conduite du vignoble sur cette propriété sont effectués en ayant la volonté de faire évoluer les choses progressivement, sans modifications profondes et rapides pour ne pas déstabiliser le développement de la vigne. Cette philosophie concerne tous les postes essentiels : la densité de plantation, la taille, la structure du palissage, les méthodes d’entretien des sols et les apports de fumure.

Un cep de vigne se travaille dans la durée avec beaucoup de constance

Ce viticulteur ne cache pas qu’il aime avoir des vignes dont la production soit régulière dans le temps, d’où des choix de conduite à plus forte densité et la mise en œuvre d’une taille raisonnable. Il porte beaucoup d’attention à la mise en œuvre de pratiques culturales cohérentes, à la fois vis-à-vis du potentiel agronomique des sols et des contraintes d’organisation du travail. Ses propos attestent d’ailleurs de sa volonté permanente de concilier la productivité, la pérennité et le réalisme économique : « J’ai toujours été sensible à l’incidence des itinéraires agronomiques sur le développement de la vigne. Un cep de vigne se travaille dans la durée et il faut raisonner les choix culturaux et de fertilisation avec beaucoup de constance. Les méthodes culturales que je mets en œuvre actuellement reposent sur un désherbage du dessous des rangs et sur l’enherbement de toutes les allées. Durant les quinze années de crise, je n’ai jamais arrêté d’apporter des fumures car, pendant cette période, les vignes produisaient beaucoup. Globalement, la productivité des vignes est bonne mais je dois faire face à la mortalité des ceps, liée aux maladies du bois. Cela rend nécessaire de vraiment bien travailler dans les vignes en pleine production. J’ai aussi repris des vignes plus âgées avec plus de manquants dont la productivité décroche. C’est pour toutes ces raisons que je suis attentif aux aspects agronomiques. Quand Yoann Lefebvre m’a parlé des analyses de flux de sève, j’ai tout de suite trouvé intéressant le fait de pouvoir disposer d’un moyen analytique pour suivre l’alimentation des ceps. C’est à mon sens un réel progrès. »

Un moyen d’adapter les apports aux besoins afin de stimuler le bien-être des souches

Dans les terres de doucins, J.-L. Marraud avait constaté, lors d’années particulières sur le plan climatique (2007, 2009 et 2011), des baisses de TAV malgré un bon état foliaire de fin de saison. Dans ces sols silico-argileux, les vignes semblaient avoir plus de mal à porter la récolte en fin de saison. Il a décidé de mettre en place, dès 2012, des analyses de flux de sève pour comprendre ce qui se passait : « Dès les premiers résultats, je me suis rendu compte que les sols ne vivaient plus. La vie microbienne n’était pas bonne et les taux de matière organique étaient également un peu faibles, ce qui perturbait l’assimilation des éléments fertilisants au fur et à mesure de l’avancement du cycle végétatif. J’ai donc modifié les fumures en abandonnant les traditionnelles fumures minérales, au profit d’engrais organiques. Les pH très acides de ces sols ont été relevés en pratiquant des chaulages. L’effet a été immédiat, les carences en magnésie, fréquentes en été, ont disparu et les niveaux de TAV ont augmenté. Il me semble que les analyses de flux de sève permettent d’être plus précis dans l’adaptation des apports de fumure vis-à-vis des besoins de la plante. C’est un nouvel outil qui doit contribuer à créer de meilleures conditions de bien-être pour les ceps de vigne. C’est pour moi quelque chose d’important car un cep de vigne bien alimenté sera plus équilibré et aussi plus apte à porter une récolte généreuse et de qualité. Au bout de deux années de recul, il est encore un peu tôt pour avoir une idée juste de l’intérêt de la démarche Nutrivista. Je pense qu’il faut la poursuivre encore pendant trois ou quatre ans avant d’en tirer des conclusions définitives. »

 

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