Hermanus VVersteijlen, chargé de l’économie des marchés agricoles à la Direction Générale de l’Agriculture à Bruxelles (DG Agri), accompagné d’une représentante de l’Unité vin, a été reçu par l’interprofession du Cognac les 29 et 30 juin derniers. Les échanges se sont largement concentrés sur le sujet prioritaire de la libéralisation des droits de plantation.
Dans ce genre d’exercice, toute la question est de savoir quelles sont les intentions des uns et des autres, qui interfère sur qui et à qui rapporte l’échange ? De manière générale, les hauts fonctionnaires européens sont assez friands de ces déplacements en région. Sans portée officielle, ces visites permettent de « prendre la température », de mieux comprendre les réalités de terrain, voire, au terme d’une vision un tout petit peu moins angélique, de tenter d’emmener à leurs vues des groupes d’opinion. Sur un dossier aussi polémique/politique que celui des droits de plantation, il n’est pas impossible que cette intention existe. A un moment où l’Europe viticole travaille d’arrache-pied à bâtir une position commune sur le maintien des droits de plantation (voir article page 7), les gens de la Commission peuvent nourrir l’espoir d’entendre un discours différent, afin d’enfoncer un coin dans l’unité en marche. A ce compte-là, Cognac pourrait-il jouer le « cheval de Troie », même à son insu ?
On sait que la région délimitée souhaite se vivre de plus en plus comme une « force de proposition », y compris à Bruxelles. Et, qu’en règle générale, on ne flatte jamais en vain sa fibre « spécifique ». Région productrice de spiritueux elle est, région de spiritueux elle se revendique, avec les règles particulières qui vont avec. Ceci dit, sur la question droits de plantation, elle joue la prudence. Face à un dossier aussi brûlant et lourd d’enjeux, personne n’a vraiment envie de se brûler les ailes ou de jouer les pyromanes.
Certes, il y a bien cette notion de « régulation partagée », inscrite en toutes lettres dans la feuille de route du BNIC (voir position de l’interprofession en encadré). Mais, en elle-même, cette « régulation partagée » n’est pas vraiment une « bombe ». Il s’agirait même d’une idée assez consensuelle, faisant explicitement référence à une gestion interprofessionnelle des droits de plantation. Pas de quoi émouvoir même les plus puristes parmi les défenseurs des droits de plantation. Plus gênant eut été le Pape ou Potentiel annuel de production par exploitation. A un moment, on avait pu comprendre qu’il préconisait de découpler la production des droits de plantation. Mais la région a, semble-t-il, fait machine arrière. Plus question de supprimer le lien au sol. Même si le Pape survit, le droit à produire restera bien attaché à la terre, juré, craché ! Enfin, la meilleure preuve de la « pureté » des intentions charentaises, c’est que, lors de la visite des hauts fonctionnaires européens, les représentants régionaux, viticulteurs comme négociants, se sont montrés extrêmement clairs et fermes. « Il nous faut un encadrement ; nous avons besoin d’une régulation » ont-ils déclaré sans ambiguïté aux émissaires de Bruxelles. Ainsi, si tant est que les fonctionnaires de la Commission soient venus chercher un soutien – ce qui reste encore à prouver – ils n’ont pas forcément trouvé en Charentes d’oreilles attentives. Au final, les observateurs parlent d’une visite « plutôt favorable à la cause des droits de plantation », même s’ils pointent du doigt un exercice « assez périlleux voire piégeux ». « Si chaque région défend son propre modèle, cela affaiblit forcément la position commune. » Par ailleurs, à côté des conversations officielles, il y a les conversations officieuses, dont la teneur est, par nature, invérifiable.
Nourrir la réflexion
Pour Catherine Le Page, directeur du BNIC, qui avait lancé l’invitation, il s’agissait avant tout de « partager des éléments, nourrir la réflexion, dans les deux sens ». Les professionnels l’en ont remercié. Et c’est vrai que, trivialement, on peut dire qu’ils en ont eu pour leur argent.
Directeur, à la DG Agri, de la direction C chargée de l’Economie, des marchés et de l’OCM unique, Hermanus Versteijlen est le supérieur hiérarchique du chef de l’unité vin, Jesus Zorrilla Tores, lui-même chargé de l’OCM viti-vinicole. Autant dire que H. Versteijlen est un poids lourd, un rouage essentiel dans l’organigramme de la Direction générale de l’agriculture. Le haut fonctionnaire européen n’a pas mâché ses mots. « Face à des marchés de plus en plus exposés à la concurrence internationale, la législation communautaire a pour but de conférer à l’offre européenne plus de compétitivité. Les restitutions à l’export, c’est terminé ! Chacun doit se débrouiller pour être concurrentiel. »
En quoi les droits de plantation représenteraient-ils un frein à la compétitivité ? Réponse du directeur de la Direction C : « Les droits de plantation augmentent les coûts, en obligeant ceux qui veulent produire du vin à acheter des droits. » Dont acte. Et d’ajouter, dans une langue qui fleurait bon son technocrate hostile « aux têtes qui dépassent » : La disparition des quotas laitiers, s’est terminée en 2015 et l’on n’y reviendra pas. La disparition des quotas sucre est annoncés comme terminés aussi. Le dernier secteur où existent encore des limitations de production, c’est le secteur vin. »
Un ange est passé quand Hermanus Versteijlen, spécialiste du secteur laitier, a émis le commentaire suivant : « Le secteur laitier est un secteur où la réforme a relativement bien réussi. Le lait, en cinq ans, a connu une énorme « convergence de prix ». Il est maintenant tout à fait compétitif sur le marché mondial. » Faut-il rire ou pleurer à l’idée que le vin connaisse une même « convergence » de prix.
Le haut fonctionnaire européen s’est amusé à pousser le bouchon un peu plus loin : « A-t-on vraiment besoin des droits de plantation pour réguler ? » – avant de servir l’argument massue de la Commission – « sous le régime des droits de plantation, le secteur vin n’a pas forcément fait la preuve de son équilibre. Nous avons quand même connu d’énormes campagnes de distillation. »
A entendre ses porte-parole, la Commission ne serait-elle qu’un monolithe, claquemuré sur ses positions ? Pas si sûr. Ici et là, sans l’air d’y toucher, un brin caustique, le haut fonctionnaire européen a laissé filtrer l’image d’une Commission plus « à fleur de peau » qu’il n’y paraît. « Je suis là pour défendre la position de la Commission même si j’écoute aussi les arguments de ceux qui, tous ensemble, de manière unanime, disent que nous avons apparemment fait une erreur. »
Pour ne pas insulter les règles de l’hospitalité, Jean-Bernard de Larquier n’a pas parlé d’erreur mais il a fermement dénoncé la libéralisation des droits de plantation. « La région délimitée Cognac compte 4 500 viticulteurs. Imaginez que ces 4 500 viticulteurs plantent ne serait-ce qu’un ha. Cela suffirait à déstabiliser le marché. C’est ce genre d’élément que nous voulons porter à votre connaissance. »
Après avoir vanté le modèle interprofessionnel charentais – « j’ai vu des positions très harmonisées entre négoce et viticulture » – le haut fonctionnaire européen a tenté une ouverture sur les cahiers des charges des vignobles d’AOC. « Il existe des mécanismes qui permettent de définir et de contrôler les volumes. » Malgré l’hommage rendu au BNIC, toujours flatteur, pas sûr que son argument ait fait mouche dans une région des Charentes épidermique au chapitre des vins sans IG (sans Indication Géographique).
« Les professionnels du Cognac ne souhaitent pas aboutir à la liberté totale de planter de la vigne.
Ils veulent au contraire mettre en place un mécanisme de régulation partagé par l’ensemble des professionnels de la filière et s’inscrivant pleinement dans une perspective qualitative de l’AOC Cognac.
Pour ce faire, ce dispositif devra aussi permettre d’encadrer les plantations à destination de la production de vin sans indication géographique (VSIG), afin que celle-ci ne vienne pas perturber la production de l’AOC Cognac. Ce dernier point concernant les VSIG est essentiel pour l’avenir du vignoble charentais. »
La réserve climatique pourra-t-elle abonder la réserve de gestion en 2011 ?
La question est posée et même très officiellement. En ce début d’été, négoce et viticulture de Cognac sont unanimes à demander une révision des textes, afin que la réserve climatique puisse, en 2011, venir « abonder » la réserve de gestion, pour les viticulteurs qui le souhaiteraient bien entendu. Pour mémoire, sur la campagne ouverte au 1er juillet, la région a proposé à ses autorités de tutelle un rendement de 9,52 hl AP/ha commercialisable tout de suite, assorti d’une réserve de gestion d’1 hl AP/ha, bloquée. Mais la sécheresse ambiante fait peser un doute : « pourra faire le quota ? »
Si l’on considère que le rendement total s’élève à 10,52 hl AP/ha (9,52 + 1), il y a donc une certaine logique – et même une logique certaine – à réclamer la mobilisation de la réserve climatique pour alimenter la réserve de gestion. N’est-ce pas la vocation de la réserve climatique que d’aider ceux qui connaissent des déficits de rendement à réaliser malgré tout leur « quota ». « Les textes adoptés par l’INAO vont dans ce sens » plaide-t-on à Cognac. Naturellement, la requête charentaise s’nterprètre au regard d’un marché du Cognac porteur. « Il serait sans doute dommage de ne pas répondre à la demande. » Par ailleurs « la vocation d’une eau-de-vie est-elle de rester dans l’inox * ? » s’interrogent de façon de plus en plus insistante les opérateurs charentais.
Maintenant, au plan juridique, peut-on revenir sur un mécanisme voté par l’interprofession et dûment entériné par les pouvoirs publics ? Les représentants professionnels pensent que oui. « Mise en place l’an dernier, la réserve de gestion prévoyait une « clause de revoyure » au bout de deux ans. Après tout, on ne fait qu’anticiper d’un an la question. » Rendez-vous est pris, courant juillet, avec le Ministère de l’agriculture.
Pour un opérateur, la question n’est pas tant de savoir s’il convient de faire de la réserve de gestion avec de la climatique – sa réponse est « oui bien sûr » – que de se demander quel est le bon rendement, la bonne gestion et le bon compte de sortie.
*L’inox, matériau neutre, sert à loger la réserve climatique, qui ne doit pas vieillir.
Commission européenne : Organigramme de la direction générale de l’agriculture (DG AGRI)
Présidée par le Portugais José Manuel Barroso, la Commission européenne compte, à l’échelon politique, 26 commissaires européens, en plus du président (un par Etat membre). Le Conseil des commissaires chapeaute la Commission européenne et ses 34 000 fonctionnaires européens.
La Commission européenne est organisée en services et en DG (Directions générales). Chaque commissaire européen a la responsabilité d’une Direction générale : Concurrence, Budget, Education, Fiscalité, Politique régionale, Santé et Consommateurs, Agriculture…
A Bruxelles, la Direction générale de l’agriculture et du développement rural est placée sous la tutelle du commissaire européen Dacian Ciolos. Elle compte environ mille fonctionnaires, dirigés par le Directeur général José Manuel Silva Rodriguez. La DG Agri se subdivise en treize directions : Direction A (affaires internationales, OMC), Direction B (affaires internationales, élargissement…), Direction C (économie des marchés agricoles, OCM unique), Direction D (soutiens directs, gestions des marchés), Direction E (programmes de développement rural), etc., jusqu’à la lettre L.
Hermanus Versteijlen, le haut fonctionnaire européen reçu à Cognac au mois de juin, dirige la Direction C (économie des marchés). Cette direction, forte de 120 fonctionnaires, couvre tous les secteurs agricoles européens, des grandes cultures aux fruits et légumes en passant par le sucre, le lait, la viande, le vin. Elle se partage en cinq unités (grandes cultures, viande…), dont l’Unité vin et boissons spiritueuses dirigée par Jesus Zorrilla Tores, chef de cette unité.
0 commentaires