L’équipe Vitivista Charentes développe une stratégie de conseils qui repose sur l’écoute des besoins des viticulteurs et la mise en œuvre d’expérimentations destinées à optimiser les préconisations. Depuis quelques années, l’agronomie est devenue un sujet de réflexion important pour les techniciens de l’entreprise qui ont mis en place des essais comparatifs de différentes approches de fumure d’entretien. La présentation des résultats après trois années d’expérimentation révèle des éléments intéressants.
Raisonner l’apport des fumures au sol en fonction des besoins
La réponse généralement apportée par les distributeurs est de proposer une approche globale de renforcement des fumures qui s’appuie sur un mixte d’interventions au sol (apports minéraux, organiques et organo-minéraux, et de chélates dans les sols chlorosants) et des complémentations foliaires au cours du cycle végétatif. Les apports au sol sont indispensables pour compenser les exportations liées à la production annuelle. La généralisation des analyses de terre est un moyen pertinent de pouvoir quantifier précisément les niveaux de richesse en potasse, en acide phosphorique, en humus et en éléments secondaires. Cela permet de raisonner les apports de fumure en tenant compte du « niveau de stock » présent dans les sols.
Un déficit de teneurs en potasse, en magnésie, en fer, en manganèse… peut engendrer des dysfonctionnements majeurs lors du développement de la vigne. A l’inverse, la présence de fortes réserves d’humus, de potasse, de magnésie… ne signifie pas pour autant que les souches seront correctement alimentées. Le « garde-manger » peut être plein mais pas accessible !
Proposer une réflexion cohérente adaptée aux conditions régionales
Les racines doivent avoir la capacité d’absorber les « nutriments » au moment où la plante en manifeste le besoin. L’assimilation des éléments fertilisants par les racines des ceps obéit à des principes complexes et spécifiques à chaque nature du sol (et du sous-sol), à la climatologie de chaque millésime, à l’implantation et à l’état de fonctionnalité du système racinaire, à l’intensité de la vie biologique de la terre et aux contraintes exercées par les méthodes d’entretien des sols. Les déséquilibres d’alimentation des ceps de vignes peuvent être liés à de nombreuses causes que seule une réflexion agronomique globale permet d’appréhender. Elodie Vergnettes, Dominique Bonnet et Yoann Lefèbvre, les techniciens de Vitivista Charentes, ont mis en place depuis quatre ans des expérimentations d’apport de fumure d’entretien au sol de correction et de complémentations foliaires (des stimulateurs de croissance). Leur démarche a comme objectif de se doter de références spécifiques des sols de la région pour ensuite proposer aux viticulteurs les solutions les plus adaptées sur le plan technico-économique.
Un pilotage agronomique des parcelles à long terme
Les viticulteurs possèdent une connaissance empirique du parcellaire de leur vignoble qui leur permet d’observer la réaction des ceps de vignes aux apports de fumures et aux différents itinéraires culturaux. Les potentialités agronomiques réelles des sols viticoles s’extériorisent de façon lente dans le temps, mais elles peuvent être modulées en ayant des actions raisonnées tenant compte à la fois des besoins réels des souches et du fonctionnement du sol. Le pilotage agronomique des sols d’une propriété doit s’envisager avec constance dans le temps sur des séquences de 10, 15 ou 20 ans. C’est le seul moyen de concilier les exigences de productivité annuelles et la pérennité du fonctionnement des souches. Or, dans la région de Cognac, la notion d’entretien agronomique des sols a été négligée pendant longtemps. Les vignes charentaises au tempérament vigoureux ne semblaient pas extérioriser de « problèmes d’alimentation », même après des années d’apport de fumure au « régime sec ». Les fortes variations de besoins de production de la filière Cognac depuis 20 ans ont eu comme conséquence de reléguer les principes d’agronomie viticole au second plan. Les niveaux de rendements Cognac faibles du début des années 2000 ont modifié les démarches d’entretien du vignoble.
Les impasses de fumures de longue durée sont aujourd’hui lourdes de conséquences
Produire 6 à 8 hl d’AP/ha avec l’ugni blanc était si facile que les budgets fumure ont été revus à la baisse et voire même « gelés ». L’entretien du tempérament généreux de l’ugni blanc et le maintien de rendements élevés généraient plus de charges (en fumure, protection du vignoble et temps de travaux) que de revenu supplémentaire. La dureté du contexte économique a conduit à « de moins en moins alimenter » les vignes et conjointement, des effets de concurrence ont été recherchés en implantant des couverts végétaux dans les rangs (enherbement en plein ou une allée sur deux). Dans un premier temps, l’évolution rapide des itinéraires agronomiques n’a pas semblé affecter les vignes. La vigueur a diminué assez rapidement, mais la productivité était encore pleinement satisfaisante. Cette situation a perduré pendant presque 10 ans. Beaucoup de propriétés ont continué de produire régulièrement 9, 10 hl d’AP/ha sans que les exportations liées à ces niveaux de productivité soient compensées. Au fil du temps, on peut penser que de plus en plus de vignes se sont en quelque sorte « anémiées » et leur potentiel de productivité a baissé et est difficile à relancer aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si les problèmes de carence en azote des moûts ont commencé à apparaître à partir de 2002 et de 2003. Pour pallier les impasses de fumure durant une décennie, cela paraît en théorie assez facile mais dans la réalité l’environnement sol/plante est complexe. Il ne suffit pas de « doper » les apports de fumures minérales, organiques et foliaires pendant deux ans pour voir grimper rapidement les rendements.
Créer les conditions pour rendre assimilables les éléments fertilisants
E. Vergnettes, D. Bonnet et Y. Lefèbvre ont estimé que vouloir proposer des stratégies de relance de la productivité des vignes « fatiguées » nécessitait une réflexion plus poussée au niveau de l’agronomie. Les effets nature du sol et du sous-sol, état et conduite des vignes et les pratiques culturales influencent fortement l’assimilation des éléments fertilisants. Les différences de nature de sol entre des terres de champagnes, des doucins, des groies et des argiles du pays bas rendent impossible la mise en œuvre d’une recette corrective de fertilisation standard. E. Vergnettes et Y. Lefèbvre estiment que l’équilibre de développement d’une parcelle de vigne est la résultante d’une diversité d’éléments qui rend chaque situation bien spécifique : « L’environnement sol/plante est complexe et penser que le seul fait d’apporter des fumures abondantes (minérales ou organo-minérales) pendant un, deux ou trois ans, va permettre de redresser durablement la productivité d’une parcelle n’est pas suffisant. Un sol est un milieu vivant naturellement riche en petits animaux et en micro-organismes qui doivent faire l’objet d’une attention permanente. Il faut entretenir la vie de sols pour créer des conditions propices à l’assimilation des éléments fertilisants par les racines. Les vers de terre et les micro-organismes jouent un rôle déterminant sur les mécanismes biologiques et chimiques du sol qui transforment les éléments fertilisants sous une forme stable en assimilables par la plante. Cette notion simple à exprimer n’est pourtant pas facile à mettre en œuvre dans la pratique. La stimulation de la vie biologique des sols contribue à améliorer leur fertilité et, par voie de conséquence, favorise la productivité des cultures. S’interroger sur l’intensité de la vie microbienne de la couche de terre arable est un préalable indispensable à toutes les approches de correction de fumure. »
Stimuler la vie biologique et observer le fonctionnement des sols
Les études des agronomes révèlent que la monoculture de la vigne génère une biomasse microbienne faible, car c’est une culture peu couvrante de par un tissu racinaire limité. Les racines en produisant des exsudats engendrent des réactions en chaîne avec des champignons et des bactéries qui rendent les éléments fertilisants assimilables. Les pratiques d’entretien des sols jouent aussi un rôle sur l’intensité de la vie microbienne. La présence de l’enherbement s’avère beaucoup plus bénéfique que des interventions culturales successives maintenant en permanence les sols parfaitement propres (ou désherbés en plein). La recherche de stratégies tendant à stimuler la vie biologique des sols ne doit pas non plus faire perdre de vue les effets dépressifs et bénéfiques des divers itinéraires culturaux dont la mise en œuvre permet de tirer le meilleur profit de chaque nature de sol. Par exemple, les réserves hydriques des sols sont un élément à ne pas négliger avec l’évolution climatique. La réserve utile en eau est dans les doucins élevée, moyenne dans les terres de champagne et plus faible dans les groies. L’adaptation des pratiques culturales à chaque contexte est donc indispensable pour concilier les enjeux de productivité annuelle et de pérennité de développement des parcelles. La stimulation de la vie biologique des sols doit s’inscrire dans une démarche d’agronomie globale qui permette d’aller plus loin dans le raisonnement des fumures plus efficientes. L’équipe Vitivista Charentes considère qu’il existe des moyens simples et accessibles pour les techniciens de terrain et les viticulteurs d’apprécier visuellement l’intensité de la vie microbienne des sols : « L’observation de la vitesse de dégradation des déchets végétaux (les feuilles, les sarments broyés) atteste de la capacité de la couche de terre arable à « digérer » les substances organiques. Ensuite, en hiver et au printemps, la présence de turricules ou de tortillons à la surface du sol témoigne de l’activité des lombrics. Ces petits animaux sont de bons indicateurs de l’activité biologique des sols, mais leur quantification précise n’est effectuée pour l’instant que dans le cadre de travaux de recherche. Nous envisageons d’essayer de mettre en place des tests de quantification et d’identification des lombrics dans le cadre de nos prestations de raisonnement des fumures. »
Valider l’intérêt des fumures d’entretien à long terme
Six stratégies de fumures d’entretien comparées
Les modalités de l’essai permettent de comparer diverses stratégies de fumure construites à partir de plusieurs itinéraires : une destinée à faire réagir immédiatement la vigne en apportant uniquement de l’azote minéral sous la forme d’ammonitrate 33,5 % (bloc 3) ; une seconde à base uniquement de patenkali compensant les exportations annuelles de potasse et de magnésie (bloc 2) ; une troisième avec uniquement la formule d’engrais organo-minéral (5, 4, 9, 3GO) stimulant la vie biologique (bloc 1) ; et trois associations de ces produits de base, organo-minéraux + azote minéral (bloc 5), organo-minéraux + patenkali (bloc 6), organo-minéraux + azote + patenkali (bloc 7).
Les observations réalisées depuis trois ans ont porté à la fois sur les paramètres de la productivité, les rendements, le TAV, les aspects qualitatifs, l’acidité des moûts, la présence de botrytis, les teneurs en azote assimilable des moûts, et sur les aspects physiologiques. La climatogie différente des cycles végétatifs, 2010 plutôt sec, 2011 marqué par 6 mois de sécheresse et une précocité exceptionnelle, et 2012 très pluvieux au printemps et plus tardif, s’avère intéressante.
Les rendements volumiques fortement stimulés
Les résultats commencent à révéler des éléments intéressants. Au niveau des rendements volumiques, les premières tendances au niveau des apports de produits de base seuls montrent une incidence marquée de l’azote minéral sur les trois millésimes (gains de + 35 à + 58 %), une constance d’efficacité des apports d’organo-minéraux (gains de + 19 à + 35 %) et un effet modeste de la fumure potassique. L’association organo-minéraux et azote minéral joue à plein sur le processus de minéralisation, d’où une synergie d’efficacité qui engendre une nette augmentation du poids des grappes et des rendements (gain moyen proche de 50 %). L’association organo-minéraux + potasse s’avère assez proche des résultats de la modalité organo-minéraux seuls. Le cumul des trois produits engendre des gains de rendements importants mais pas supérieurs à l’association organo-minéraux + azote.
Des TAV en baisse sauf pour le patenkali
Le bon comportement des engrais organo-minéraux au niveau des rendements en hl d’AP/ha
La productivité des vignes charentaises est plus facile à visualiser en prenant comme référence les rendements en hl d’AP/ha. D’une manière générale, toutes les approches de fumure d’entretien engendrent une augmentation de la productivité mais avec des écarts parfois importants. Les résultats de la modalité organo-minéral seul sont à la fois intéressants (+ 1,14 à 3,53 hl d’AP/ha) et constants dans le temps. L’efficacité de ce type de fumure s’extériorise de façon plus régulière quelles que soient les conditions climatiques de chaque millésime. A l’inverse, le seul apport de potasse et de magnésie amène moins de gains de productivité. La fumure d’azote minéral seul a donné un bon résultat en 2011 (en raison des pluies abondantes de fin juillet et d’août) alors qu’en 2010 et 2012, les gains sont nettement moindres. L’effet de l’azote minéral est aussi très perceptible en 2011 dans les deux modalités organo-minéral + azote et dans le bloc organo-minéral + azote + patenkali. Cette dernière modalité a généré des gains de rendements certes indéniables mais peut-être pas en rapport avec le niveau d’investissement élevé (462 € ht/ha).
Un effet indéniable des apports d’azote minéral sur la pression de mildiou et de botrytis
Les notations ont mis en évidence le rôle de l’azote (et l’effet dose de cet élément) dans le développement de la maladie. Les modalités intégrant l’azote minéral sont les plus touchées par le mildiou. Le botrytis est une maladie complexe dont l’expression est généralement conditionnée par un contexte climatique favorable durant l’été et la conduite agronomique des vignobles (vigueur en relation avec l’entretien des sols et les fumures). L’enherbement en plein de la parcelle contribue à limiter le tempérament d’une parcelle vigoureuse du fait de la nature des terres de doucins. Le botrytis ne s’est développé qu’en 2011 avec un niveau d’intensité qui est resté modeste.
Les notations réalisées juste avant la récolte ont permis de mettre en évidence l’incidence directe des apports d’azote minéral sur le niveau des dégâts. L’effet « booster » au niveau de la vigueur engendre une sensibilité accrue des raisins aux attaques de botrytis. Des notations d’expression d’esca à la mi-septembre ont commencé en 2012 sur la parcelle. Les techniciens considèrent qu’il faudra attendre deux à trois ans supplémentaires d’observations pour tirer des conclusions.
La relation entre fumure/ acidité totale à confirmer
Les différences au niveau des teneurs en azote assimilable des moûts au moment de la récolte ne sont malheureusement pas suffisantes pour tirer des conclusions. Les écarts observés par rapport au témoin sont faibles et très fluctuants d’une année à l’autre.
Une démarche de fumure plus respectueuse de l’environnement
L’équipe technique Vitivista Charentes va poursuivre cet essai pendant plusieurs années avec le même protocole d’observation. Son souhait est d’implanter d’autres démarches d’expérimentation de ce type sur des sols de champagne et des terres de groies. Ils estiment que les phénomènes d’assimilation des éléments fertilisants sont étroitement liés à la nature du sous-sol (et de la roche mère), au pH, au taux de calcaire actif, au taux de matière organique et à la nature des argiles présentent dans la couche de terre arable. Y. Lefèbvre et E. Vergnettes considèrent que les expérimentations d’agronomie doivent être mises en place sur une longue période et sur plusieurs sites pour que les résultats aient une bonne pertinence : « Nous sommes tout à fait conscients que les premières conclusions de l’essai de Touvérac ne sont pas représentatives de l’ensemble des situations de la région de Cognac. Notre souhait est de développer ce même travail sur un ou deux sites de sols calcaires. Les effets nature, équilibre et vie biologique des sols jouent un rôle déterminant sur l’aptitude des ceps de vignes à pouvoir assimiler sans contraintes les éléments nutritifs. Les premiers résultats révèlent des choses à la fois simples et essentielles. Le seul fait d’apporter des fumures minérales sous forme d’azote, de potasse et de magnésie n’est pas toujours suffisant pour assurer une meilleure alimentation des parcelles. Ensuite, nous avons observé que la stimulation de la vie biologique avec des engrais organo-minéraux appropriés (dans la formule testée sur ce site) représentait un moyen efficace de gagner en productivité sans engendrer de conséquences négatives liées aux excès de vigueur (sensibilité au botrytis et au mildiou). Créer des conditions plus favorables au processus de dégradation de la matière organique, à la minéralisation, à la rizosphère, permettra de mieux utiliser les réserves du sol et de limiter l’utilisation d’intrants chimiques. Cela nous paraît être une voie plus respectueuse en matière de respect de l’environnement. Nous travaillons également les aspects de complémentation foliaire en privilégiant des produits à base d’algues qui ont un effet « booster » sur l’activité photosynthétique. Toutes ces démarches d’expérimentation que nous développons restent modestes et un dialogue plus étroit avec les équipes de techniciens des services officiels travaillant ces mêmes sujets pourraient être constructif. »