Un Climat De Hausse

10 mars 2009

Est-ce une « vérité qui dérange » ou qui arrange ? Clairement, la viticulture charentaise ne va pas faire la fine bouche. La hausse actuelle du prix des eaux-de-vie lui sied plutôt. Après des années de morne stagnation, 2006-2007 marque un indéniable changement, sans doute justifié par un double phénomène : l’évolution bien réelle des ventes de Cognac et l’effet des années de petites distillations. Maintenant dire qu’il n’existe pas une part d’anticipation – et donc quelque part de spéculation – chez les acheteurs comme chez les vendeurs serait sans doute inexact. La capacité à se projeter dans l’avenir fait figure de sport régional, une spécialité que le produit Cognac justifie d’ailleurs (voir l’effet amplificateur du vieillissement, la vente d’une bouteille supplémentaire justifiant d’en stocker en moyenne cinq de plus). D’où le terme de hausse « limite spéculative » qui commence à faire son apparition. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Concernant les vins et eaux-de-vie sous contrats, les prix ne bougent guère ou de manière homéopathique. C’est d’ailleurs bien le problème de la viticulture, dans la mesure où ces prix font office de référence. Les représentants syndicaux vont prochainement reprendre leur bâton de pèlerin pour tenter de décrocher auprès des maisons les quelques % de hausse qui leur semble amplement justifiés. Ils souhaitent le faire sur la base de références économiques objectives, non contestables par la viticulture ou le négoce.

On considère généralement que le marché contractuel embrasse 60 à 70 % des volumes. Reste les 30 à 40 % du marché « spot ». C’est ce créneau de marché qui, aujourd’hui, est saisi de fébrilité. « Le second marché est en train de bouger fortement » confirme un courtier. « Sur les comptes jeunes – comptes 1 et 2 – les prix se rapprochent terriblement du 1er marché voire le dépassent. » Un représentant du petit et moyen négoce va même plus loin. Pour lui, l’heure n’est plus à parler de prix mais carrément de manque de marchandise. « J’ai voulu acheter 1 000 hl AP de la récolte 2006, il paraît qu’il y en a plus » s’insurge-t-il en dénonçant à la fois la politique de rétention qu’exerceraient la viticulture et des mouvements quelque peu erratiques de certaines maisons qui contribueraient à assécher le marché. Face à cette situation, les PME du Cognac tirent la sonnette d’alarme et leur message est entendu au-delà de leur propre sphère. « Il faut savoir si l’on veut garder ou non dans cette région un tissu de petits et moyens négociants ? » interroge un « poids lourd » de la filière. Un intermédiaire souligne le caractère particulièrement sensible du prix des comptes jeunes car, dit-il, « ces comptent servent à alimenter un marché “de prix”, celui du VS. Les opérateurs positionnés sur la grande distribution européenne risquent de voir leurs ventes amputées . » Sur les comptes plus âgés, comptes 4 et suivants, les hausses lui paraissent plus « digérables » car les marges sont plus importantes et peuvent donc supporter une contraction. Le même considère que sur les qualités VSOP notamment, la hausse actuelle relève plutôt du rattrapage. « Quand je parlais à mes clients d’un VSOP à 1 000 €, ils hurlaient le scandale. Aujourd’hui, à 1 500 ou à 2 000 €, ils hurlent toujours. Pourtant, s’ils font l’effort de se replacer dans une perspective historique de 15-20 ans, ils s’apercevront que les prix n’ont guère bougé. Il ne paraît pas anormal que le prix d’un compte 6 s’affiche au double de celui d’un compte 2. » Sur les eaux-de-vie vieilles – les comptes 10/20 – il est d’usage de dire que tous les prix se retrouvent dans la nature, de 1 500 € l’hl AP à quelques petites opérations traitées à 3 000 € voire 3 500 € l’hl AP. La dispersion des cours est de mise selon ce que « goûte » l’eau-de-vie, son rang dans l’échelle des comptes 10, l’acheteur.

Président de l’Union syndicale, syndicat de négociants qui a vocation à regrouper le petit et moyen négoce – celui-là même qui se trouve dans l’œil du cyclone actuellement – Antoine Cuzange n’hésite pas à lancer anathèmes et sombres prophéties. « Quand, il y a deux ans, je disais que les prix allaient remonter, on me riait au nez. Aujourd’hui, je prétends que les prix vont se casser la figure. La progression du Cognac me semble en tout cas lourdement entamée. Nous rentrons dans un processus de modélisation semblable à celui de 1992. Les PME que je représente sont multi-produits. La viticulture, par contre, ne fait que du Cognac. Elle pâtira de la situation la première. Aujourd’hui, au tarif des grandes maisons, personne ne veut vendre, selon une vision affective et émotionnelle de son activité. Ce qui manque à la région, c’est le bon sens et de ça, on n’en trouve pas en magasin. Quand certains campaient sur leurs 6 de pur, il aurait déjà fallu produire 8. Aujourd’hui les mêmes font de la rétention. C’est n’importe quoi ! D’ores et déjà il faut se dire qu’il n’y a plus de VSOP car nous sommes en train de "bouffer” nos réserves de VS. Même les grandes maisons ne peuvent pas faire face à leurs besoins. Nous parlons beaucoup du passage de l’XO en compte 10 mais quand nous y serons, nous risquerons fort de ne plus vendre une bouteille de Cognac. Trop cher ! Le marché profitera à d’autres. Décidément, l’économie charentaise est une économie trop soumise aux affects. » L’Union syndicale a proposé au dernier comité permanent du BNIC l’idée, pour les VS, de commencer à décompter leur âge minimum de vieillissement de deux années dès la mise sous bois, sans attendre le 1er avril. Réaction plus que mitigée de la viticulture qui considère que ce système « serait un coin dans le suivi des comptes par le BNIC » sans parler des critiques que s’attire parfois en amont le petit et moyen négoce. « Beaucoup de ces entreprises fonctionnent avec moins de 0,3 ou 0,4 année de stock. Est-ce vraiment responsable de leur part ? Elles ont acheté pas cher, vendu pas cher. Leurs ennuis actuels leur incombent en partie. » En même temps, dans le camp viticole, d’autres voix s’élèvent pour appeler à un certain pragmatisme. « Il faut peut-être savoir aider ces entreprises à passer un cap difficile, ponctuellement, sur deux ou trois campagnes, sinon certaines iront au tapis. Alors, il ne faudra pas se plaindre que la région soit dominée par deux ou trois mastodontes. »

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