Joaquim Fernandes est un tailleur expérimenté qui n’a pas gagné par hasard l’édition 2014 du concours de taille des Jeunes Agriculteurs de Charente-Maritime. L’homme, d’abord sympathique, a une profonde connaissance de la vigne qu’il a acquise en travaillant depuis 30 ans au sein des vignobles Paul-Giraud à Bouteville. Le jeune homme, qui a commencé sa carrière dans cette propriété à l’âge de 17 ans, a été pris en charge par Paul Giraud, le père de l’actuel propriétaire. L’intérêt du jeune sala-
rié pour la vigne n’avait pas échappé à son employeur qui l’a littéralement pris en main et formé.
3 ans de formation avant de devenir un tailleur à plein-temps
J. Fernandes, faute d’avoir pu suivre un cursus de formation viticole, a appris « sur le tas » en travaillant quotidiennement avec P. Giraud. Il est d’ailleurs très reconnaissant de la patience dont a fait preuve son employeur formateur : « Quand je suis arrivé sur la propriété, je ne savais pas faire grand-chose mais les travaux dans les vignes m’intéressaient. J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec M. Paul Giraud qui était un homme rigoureux, patient et très expérimenté. Pendant 10 ans, il m’a tout appris de la vigne et m’a donné son savoir sans réticence. C’est lui qui m’a inculqué les bons principes de la taille en faisant preuve de constance et de progressivité dans l’apprentissage. Je ne suis pas devenu un tailleur à part entière en quelques semaines ni en quelques mois. Il m’a fallu plusieurs années pour acquérir tous les principes fondamentaux. J’ai appris à tailler avec M. Giraud d’une manière qui peut surprendre aujourd’hui beaucoup de formateurs. Le premier hiver, je le suivais quand il taillait. Il sélectionnait les lattes et les coursons et moi je nettoyais derrière lui les bois. Cela m’a permis de regarder et d’essayer de comprendre pourquoi il laissait ou il supprimait certains bois. Puis, petit à petit, j’ai commencé à tailler quelques souches tout seul. Quand M. Giraud arrivait, il prenait le temps de regar-
der la taille de chaque pied et il m’expliquait les conséquences de la sélection de tel ou tel bois. Je lui posais des questions et on échangeait beaucoup. Lorsque l’état de certains ceps me posait des problèmes, je demandais des conseils. La devise de M. Giraud en matière de taille reposait sur une notion : bien observer l’état du tronc et des bras de ceps avant de donner un coup de lame. Progressivement, j’ai commencé à comprendre les grands principes de taille mais c’est seulement au bout de trois ans que je suis devenu un tailleur à plein-temps sur la propriété. »
Tailler c’est avant tout prévoir la taille de l’année prochaine
La méthode de formation de taille qu’a suivie J. Fernandes lui a permis d’acquérir progressivement un véritable sens de l’observation. Cette notion d’observation de la structure d’un cep lui paraît être quelque chose d’essentiel pour adapter en permanence la taille à l’état de la souche. Selon ses propos : « La compréhension d’un cep de vigne demande de la patience et du temps. On ne peut pas griller les étapes car la taille est une intervention très complexe. Il n’y a pas deux souches qui se ressemblent. »
J. Fernandes considère que les principes fondamentaux de la taille sont le respect des courants de sève, l’équilibre de la charge de bourgeons selon l’état des ceps et surtout éviter de faire des grosses plaies de taille. La notion des courants de sève selon le principe Poussard est quelque chose de primordial pour la pérennité des souches. Quand la circulation de la sève à partir de la base du tronc est « cassée » en laissant des coursons mal placés ou avec un dernier bourgeon dessous, la souche est irrémédiablement amputée. La notion de sélection du bon courson est fondamentale pour préparer la taille de l’année N + 1 et assurer la pérennité de la souche. Les coursons doivent être positionnés dans l’axe des bras, toujours en dessous, avec une longueur de 2 bourgeons et un deuxième bourgeon dessus. La taille de courson sur courson ne donne jamais de bonnes choses. Tailler ce n’est pas penser à la production de l’année, c’est prévoir la taille de l’année prochaine et celle de l’avenir. La longévité des souches doit être une préoccupation permanente pour un tailleur.
Éliminer progressivement les fragments de vieux bois desséchés
Lorsque l’on est malheureusement contraint de raccourcir un bras de ceps en faisant une grosse plaie, l’élimination de la fraction de bois apparemment mort ne doit pas intervenir en une fois. Il faut faire preuve de patience et attendre une, deux et parfois trois années de plus pour éliminer progressivement les seuls fragments de bois entièrement desséchés. Cela évite de favoriser l’entrée des mauvais champignons. J. Fernandes pense que la relation entre la forte expression des maladies du bois et les mauvais gestes de taille est fondée. Dans des vignes de moins de 10 ans, prendre le temps de tailler est indispensable pour essayer de construire une alimentation de sève équilibrée. L’utilisation des sécateurs de taille pneumatiques et électriques apporte un bénéfice indéniable en matière de confort de travail, mais rend l’action de coupe très facile. Le tailleur peut être tenté de trop araser les coupes sur le vieux bois en ne laissant plus de cône de dessèchement. La puissance de coupe ne doit pas aller à l’encontre de la précision du geste. C’est plus propre mais c’est aussi plus dangereux pour la longévité des souches. Les chicots de bois laissés une année peuvent être raccourcis plus tard, quand la structure du bois est bien sèche. Au niveau des lattes comme des coursons, tailler toujours le plus loin possible du dernier bourgeon est une précaution pour éviter des phénomènes de dessèchement qui peuvent gêner et empêcher parfois la pousse.
La recherche de performances de taille trop élevées favorise la coupe du bois
J. Fernandes considère aussi que la pratique simultanée de la taille et du tirage des bois qui s’est développée depuis une dizaine d’années rend les tailleurs moins attentifs à la sélection des bois : « Le fait de faire les deux interventions en même temps a tendance à éloigner le regard des tailleurs des rangs. Cela induit une perte de la concentration visuelle qui nuit à la sélection des bois les mieux placés. La taille nécessite de l’attention et de la rigueur. Sur le vignoble Giraud, je n’ai été capable de construire les jeunes ceps qu’au bout de 5 à 6 ans de taille. Aujourd’hui, les jeunes plantations jusqu’à la quatrième feuille sont toujours taillés avec un sécateur à main pour limiter les grosses coupes. On ne devient pas un bon tailleur en quelques semaines de formation. Les objectifs de recherche de productivité de plus de 100 à 120 ceps/heure dans des vignes de 15 à 25 ans me paraissent assez incompatibles avec la mise en œuvre de principes de taille de qualité. Quand on demande à un salarié de tailler 120 à 140 ceps/heure, il ne taille plus, il coupe du bois et dans 5 ans l’état de la souche s’en ressentira. »
Une transmission du savoir abordée avec progressivité
Paul Giraud, l’actuel chef d’exploitation, fait pleinement confiance à J. Fernandes pour l’organisation des travaux sur la propriété. Il est devenu un chef de culture qui gère l’organisation des interventions viticoles au cours de l’année. La transmission des savoir-faire fondamentaux est une préoccupation importante dans cette exploitation qui emploie quatre salariés. Depuis le début de l’hiver dernier, un jeune salarié qui a le sens du végétal est en phase de formation. J. Fernandes* a imaginé une méthode pour transmettre ses connaissances en matière de taille : « J’ai appris à tailler d’une manière très progressive et cela m’a permis de bien comprendre l’importance de la sélection des bois de taille et des coursons. Une phase d’observation du travail d’un tailleur expérimenté paraît indispensable pour acquérir la réflexion et le bon regard sur l’état des souches. Le nouveau salarié de la propriété n’a pas été lâché dans les parcelles après quelques jours de formation. Nous avons décidé de l’initier progressivement. Durant plusieurs semaines, il a suivi un tailleur confirmé pour observer les gestes de sélection des bois. Ensemble, ils ont parlé taille toute la journée. Ensuite, le jeune homme a été mis seul à tailler chaque matinée. Après trois heures de travail, j’allais le voir pour regarder la qualité de la taille. On prenait le temps de commenter la sélection des bois et les choix de taille. Ces échanges dans la parcelle représentent à mon avis la meilleure formation. Les après-midi, le jeune salarié faisait une autre activité pour éviter la saturation. En ce début de prin-
temps, il maîtrise les bons principes mais la vitesse d’exécution n’est pas encore là. D’ici deux à trois ans, il aura acquis le bagage d’un tailleur de qualité. Personnellement, la transmission de mon expérience de tailleur m’intéresse beaucoup ».
* Contact : 06 61 80 64 55.
concours de taille des jeunes agriculteurs : un véritable succès
Le concours de taille organisé le 15 mars dernier par les Jeunes Agriculteurs de Charente-Maritime avait attiré 69 concurrents. Le lycée viticole Le Renaudin a accueilli la manifestation qui était pilotée par Michel Girard, le conseil viticole de la Chambre d’agriculture de Charente-Maritime.
Exploitants, salariés, retraités et étudiants viticoles de Charente et Charente-Maritime se sont retrouvés côte à côte pour une journée de compétition et de convivialité.
Après le café d’accueil, les participants se sont mis en place dans la parcelle de vigne pour débuter l’épreuve pratique. 10 pieds à tailler en 20 mn, les concurrents ont été notés sur trois critères : la production, la pérennité et la formation. Ensuite, un deuxième volet plus théorique de l’épreuve s’est déroulé. Il s’agissait d’un questionnaire portant sur des aspects techniques et de culture générale relatives à la viticulture du bassin des Charentes.
Le palmarès de l’édition 2014 :
1er : Joaquim Fernandez, également 1er de la catégorie « salariés viticoles ».
2e : Jean-Philippe Daviaux, également 1er de la catégorie « exploitants viticoles ».
3e : Jean-Pierre Méchinaud, également second de la catégorie « salariés viticoles ».
Le premier retraité, Jean-Claude Moreau, s’est classé 5e au général.
La première féminine, Marinette Paillot, salariée viticole, s’est classée 6e au général.
Le premier étudiant, Anthony Saurin, s’est classé 15e au général.
L’un des faits marquants du concours de taille 2014 a été la participation nombreuse de jeunes étudiants, notamment du lycée Le Renaudin et de la MFR de Triac-Lautrait. C’est la preuve que la nouvelle génération s’intéresse à la taille (28 étudiants ont participé au concours) ! Le vainqueur du concours a d’ailleurs souhaité les encourager : « pour savoir courir il faut d’abord marcher » a-t-il dit, une façon imagée de préciser que la technique vient avec l’expérience et qu’il faut persévérer pour maîtriser cette étape cruciale du cycle de la vigne.
Les JA remercient également l’ensemble des partenaires et exposants de la manifestation qui ont généreusement gratifié les concurrents de nombreux lots, et plus particulièrement les établissements Boisumault et la société Mage pour la dotation d’une attacheuse électrique.
Le rendez-vous est désormais donné pour une nouvelle édition du concours l’an prochain.