Comment « challenger » sur les marchés ? C’est la question que tout le monde se pose en ces temps de crise. La France produit environ 50 millions d’hl vol. de vin, en « boit » dans les 30 millions d’hl, en exporte 15 millions. Reste un solde de 5 millions d’hl, qui pèse dans les stocks et sur les prix. L’idéal serait de hausser la marche export de 20 à 25 %. Un objectif crédible ? Pour le savoir, la Sopexa, la société spécialisée dans la promotion des produits agro-alimentaires français mais qui a aussi délégation de service public auprès du ministère de l’Agriculture, a décidé de poser la question à un panel représentatif de professionnels, dans 16 pays. L’étude, intitulée Wine Trade Monitor, a été réalisée en mai 2009 et a mobilisé une quarantaine de personnes. Pour la communication, Sopexa s’est fait aider de Vitisphère, la plate-forme internet méridionale spécialisée dans le vin. Le choix des pays fut assez simple. A été retenu le top ten des pays les plus importateurs de vins français (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Canada, USA, Japon…). Puis fut ajouté à cette liste, un certain nombre de pays émergents de premier plan, résumés dans le sigle BRIC pour Brésil, Russie, Inde, Chine. Dans chacune de ces zones, l’enquête a cherché à toucher les vrais professionnels en charge des marchés, importateurs, grossistes, distributeurs. Au final ont répondu à l’enquête 1 358 opérateurs (72 % des personnes sollicitées), dont beaucoup de décideurs, chefs de maison, cadres dirigeants. Une fois dépouillée, l’étude, de 130 pages, met en lumière quelques tendances, comme l’intérêt marqué, à l’international, pour les vins rosés ou encore pour les vins bio, notamment au Canada et au Danemark. Ces pays ne sont pas loin de développer une demande spécifique pour ce type de vin. A contrario, la notion de commerce équitable ne semble pas faire recette.
un bon rapport qualité/prix
Personne ne sera étonné d’apprendre qu’à l’international comme en France, les consommateurs de vin recherchent une « good value winess », un bon rapport qualité/prix. Confirmation également de ce que l’on savait déjà : les trois « big stars » des cépages se nomment Cabernet-Sauvignon, Merlot, et Chardonnay (cités spontanément par 81,5 %, 70 % et 68 % des interrogés). Mais, pays par pays, des nuances émergent : la Syrah s’affiche comme une « valeur sûre » au Canada, le Pinot noir au Japon, le Sauvignon aux Etats-Unis et en Belgique. Plus surprenant, les Riesling, Malbec et Tempranillio font figure de cépages montants, tandis que le Pinot gris tire son épingle du jeu au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, le Chenin blanc en Belgique, aux Etats-Unis et au Japon. Pour la France « qui maîtrise une très belle offre sur ces cépages », l’étude souligne « de vraies opportunités à saisir ». D’ailleurs, il semblerait que le marché répugne à trancher entre les deux grands modèles émergents des vingt dernières années, le modèle de l’origine et celui du cépage. « Nous ne sommes pas dans une confrontation de modèles mais plutôt dans une coexistence. » Si le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Inde en pincent manifestement pour les cépages, l’Asie, le Danemark, la Belgique, le Canada penchent davantage vers les AOP et IGP. Encore que la ligne de partage semble parfois bien ténue. C’est pourquoi la catégorie des « bi » rassemble un certain nombre de pays : Canada, Japon, Etats-Unis, Danemark, Pays-Bas.
Dans le concert des pays viticoles (Espagne, Italie, Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande, Chili…), la France arrive bien classée sur les critères de volume disponible, de longueur de gamme, de constance de la qualité et même de rapport qualité/prix. Mais, bonne ou mauvaise chose, le vin français est souvent perçu comme un vin « de grandes occasions ». Les enquêtés citent encore le manque de lisibilité des étiquettes et, plus surprenant peut-être, le manque d’innovation des vins français, un domaine où les Italiens, espagnols, chiliens marquent des points.
A Bordeaux, des spécialistes ayant participé au baromètre sont venus parler de leurs pays de prédilection : Martin Sinkoff (maison Frédérique Wildman & Sons, importateur de vins fins à New York), Bruno Baudry, drecteur général Castel Asie, installé depuis onze ans au Japon, Mathew Dickinson, directeur commercial Thierry’s Wine Services (UK), une jeune responsable Sopexa Russie, le cabinet Altios pour le Brésil…
sophistication du marché américain
Le témoin américain a noté, dans son pays, une demande concomitante de vins de cépages et d’AOP. Cette attitude, il l’attribue à la sophistication du marché, en phase poussée de maturation. « Il s’agit peut-être du marché le plus concurrencé au monde, même si les vins californiens alimentent encore près de 60 % du marché intérieur. » Dans les portefeuilles des distributeurs américains il n’est pas rare de retrouver au minimum onze vins de nationalités différentes et plus souvent une quinzaine, contre une moyenne de 9 à l’échelle mondiale. Face à cette concurrence exacerbée, l’importateur voit trois pays producteurs se détacher dans les années à venir, l’Argentine, l’Espagne et le Chili. L’Argentine tout particulièrement est tirée par le Malbec : 80 % des ventes se réalisent sur ce cépage. « Les Américains recherchent le confort. Ils veulent quelque chose de très accessible en matière de compréhension. Le vin de cépage répond à cette attente. Si le vin de Cahors utilise le Malbec, pourquoi ne pas mentionner le nom du cépage sur l’étiquette. » Outre-Atlantique, la crise se traduit par un gel des achats d’impulsion. « Au-dessus de 30 dollars la bouteille, on constate un arrêt quasi total des ventes. » L’effet Malbec, si propice à l’Argentine, s’appuie également sur un peso argentin beaucoup plus faible que l’euro, d’où une bien meilleure parité de change avec le dollar et des prix beaucoup plus accessibles. Malgré tout les Etats-Unis demeurent « un marché hyper-stratégique en matière de communication. L’Angleterre et les Etats-Unis font l’image d’un vin. »
Si le marché britannique reste, pour les vins français, le premier marché export, en volume comme en valeur, la France a perdu depuis dix ans sa place de leader. D’abord dépassée par les vins australiens, elle l’est aujourd’hui par les vins sud-africains et chiliens, voire américains et italiens. Berceau incontournable des grands vins, la France a du mal à communiquer sur ses atouts traditionnels que sont la diversité, l’authenticité, la richesse aromatique. Des notions complexes qui passent difficilement auprès de consommateurs britanniques à la recherche d’un discours simple. Le succès des vins australiens s’explique en grande partie par un décryptage aisé de l’information. « Ce sont de bons vins, présentant une offre simple qui s’exprime par le cépage et une étiquette facile à comprendre. » Outre-Manche, les grandes enseignes de la distribution comme Tesco, Sainsbury’s, Asda dominent le marché du vin. Elles mènent une stratégie claire de marques distributeurs (MDD), doublé parfois d’une recherche d’excellence (voir Tesco Finest) mais aussi une politique de marque. A ce titre, l’interlocuteur anglais souligne la faiblesse des marques françaises de vins. « Votre plus grande marque est la marque J.-P. Chenet (Grands chais de France). Vous devriez certainement mettre davantage le focus sur les marques. » Depuis 4-5 ans, le segment des vins rosés a été multiplié par deux en Grande-Bretagne. A coup sûr, il s’agit d’une carte gagnante. Cette vague fut propulsée par les vins californiens. Ils proposent un style de vins rosés assez fort en couleur, avec un taux de sucre élevé (entre 15 et 25 g/l). Outre-Manche, l’offre française souffre d’émiettement, surtout si on la compare à l’offre australienne, contrôlée par 4 ou 5 grands opérateurs. « Il y a vingt-cinq ans, les Australiens ont pu mettre en place un plan d’attaque du marché britannique et s’y tenir. »
de nombreux sommeliers au japon
Installé depuis 11 ans au Japon pour défendre les couleurs du groupe Castel, Bruno Baudry connaît bien le marché vin de l’empire du soleil levant. Il le qualifie de « complexe » : à la fois mature et sophistiqué et « pas tant que cela ». C’est au Japon que l’on rencontre le plus grand nombre de sommeliers ramené au nombre d’habitants. La guilde des sommeliers nippons compte pas moins de 1 500 membres. Mais, pour autant, le Japonais ne consomme que 3 bouteilles de vin par an. Les Japonais se méfient des marques distributeurs. Elles sont peu présentes (moins de 5 % du marché). Classé à la 6e place pour l’importation de vins français, le marché japonais a été fortement touché par la crise. En dix ans de vie professionnelle au Japon, B. Baudry n’avait jamais vu un tel niveau de déstockage. Par contre, à Vinexpo, de belles commandes sont arrivées. Entre Tokio et Nagasaki, les vins bio séduisent. En forte progression depuis 7-8 ans, les références se sont multipliées. On en dénombre au moins 200 à ce jour. Devant des consommateurs japonais sensibles à une économie plus durable, les vins bio sont perçus par la belle restauration comme un élément de différenciation. Il faut dire que Tokyo compte 160 étoilés Michelin, un des taux les plus élevés de la planète. Dans ces établissements, à peu près la moitié des vins sont bio ou revendiquent au moins l’onction de la viticulture raisonnée.
BRIC pour Brésil, Russie, Inde et Chine. La somme des quatre pays pèse 3 milliards d’habitants soit 42 % de la population mondiale. La part de l’exportation française de vin sur ces destinations s’élève à 4 %. Une part de marché de 4 % rapportée à 42 % de la population mondiale… il reste de la marge. Au Brésil, la consommation du vin s’est développée au début des années 2000, grâce à une production locale qui a dynamisé la demande intérieure. Les vins du cru représentent encore 85 % des volumes vendus sur le marché domestique et manifestent même quelques velléités à l’exportation. D’où, pour la première fois, leur présence à Vinexpo. Le pays se classe aujourd’hui au 15e ou 16e rang mondial pour la consommation de vin. Le potentiel s’avère d’autant plus important que la consommation par habitant reste modeste : 2 litres par an. Assez logiquement, les pays producteurs sud-américains sont sur-représentés au Brésil. D’autant plus que l’Argentine est exempté de droits de douane et que le Chili jouit d’accords privilégiés. La France occupe la 4e place des pays exportateurs, derrière l’Argentine, le Chili, l’Italie, juste devant le Portugal. Les vins français sont très appréciés et profitent de la bonne implantation des grandes chaînes de distribution françaises comme Carrefour/Casino. Sur ce marché aussi, les vins rosés connaissent une courbe exponentielle depuis trois ou quatre ans.
La Russie, un grand pays par la taille, par le nombre d’habitants, par la consommation de vin aussi. Il s’en boit environ 9 millions d’hl vol., entre la production intérieure et les vins importés. Sur ce volume, les vins effervescents représentent environ 25 %.
La Russie importe 6 millions d’hl vol. de vins, dont une bonne part sous la forme de vins vracs, retraités localement. Les vins tranquilles en bouteilles ne représentent que 2,4 millions d’hl vol. Le marché, qualifié de « peu mature », se constitue pour l’essentiel de vins bas de gamme, vins doux, fortifiés. A peu près 72 % des vins sont vendus en dessous de 300 roubles (6,30 €). Traditionnellement, les pays satellites – Moldavie, Géorgie – alimentaient le marché russe. Mais, en 2006, l’embargo russe sur les vins géorgiens a mis un coup de frein aux échanges. Ce gel a favorisé l’arrivé en force de vins européens mais aussi argentins. Aujourd’hui, le classement des pays exportateurs s’établit comme suit : Bulgarie, France, Moldavie. On assiste aussi à une montée en puissance des vins italiens, espagnols, allemands, chiliens. Les exportateurs de vins reconnaissent un très fort potentiel aux classes jeunes – 18-35 ans – aux femmes ainsi qu’aux classes moyennes (environ 19 % de la population). Sont visées en priorité les capitales (Moscou, Saint-Pétersbourg…), sans oublier la Sibérie, l’une des régions les plus riches de Russie. Depuis 4 ans, la consommation de vin en Russie connaît une courbe ascendante, estimée à près de 10 % par an. Et malgré la crise, cette tendance ne se dément pas (+ 2,5 % sur le premier trimestre 2009). Le développement des ventes est boosté par les multiples actions de terrain mises en place par les sociétés de négoce (formation des distributeurs, voyages de presse, accueil des clients dans les propriétés…). Bien évidemment, les restaurants représentent des endroits clés pour la promotion des vins haut de gamme, avec là aussi, moult propositions de formations. Outre qu’il reste peu mature, le principal handicap du marché russe du vin tient à la faiblesse de la distribution, dans les mains d’un nombre limité d’opérateurs : 10 opérateurs réalisent 50 % des importations et 20 opérateurs, 80 %. De surcroît, ils sont en butte à la crise financière et à la difficulté d’obtenir des crédits.
Avec 5,8 % en mai 2009, l’Inde enregistre la plus forte croissance au monde après la Chine. Sur une population d’1,2 milliard d’habitants (dont la moitié a moins de 25 ans), on estime que 40 à 50 millions d’habitants ont accès aux produits importés. Ceci dit, le marché des vins importés reste microscopique en Inde. Sur 1,2 million de caisses de vin, 200 000 caisses seraient des vins importés. Sur ce volume, la France s’octroierait une part de marché de 40 % avec 80 000 caisses de vins exportés. Contre toute attente, l’Inde produit du vin, à partir d’un vignoble jeune (70 000 ha), implanté fin des années 2000. La région de Maharashtra concentre presque l’intégralité du vignoble. Située au centre de l’Inde, elle présente une façade maritime sur la mer d’Oman qui fait d’elle le poumon économique de l’Inde. Bombay est sa capitale. Pour protéger sa propre production de raisin, l’Inde pratique une politique protectionniste, traduite par des droits de douanes élevés, ce qui amène le prix de vins exportés « à facilement faire la culbute ». Le développement très rapide de l’hôtellerie de luxe inspirait tous les espoirs aux distributeurs de vins. La crise a cependant ralenti la veine immobilière. Si les Indiens semblent des inconditionnels des vins français, il convient de surveiller attentivement les concurrents italiens et surtout espagnols, très agressifs.
un potentiel énorme en chine
Quel exportateur ne regarde pas la Chine avec des yeux enamourés ! Son potentiel est énorme – 1,6 milliard d’habitants – et son dynamise économique proverbial (indice de consommation de + 7,5 % fin mai 2009, avec un PIB [produit intérieur brut] de + 6 %). La Chine figure comme la troisième puissance mondiale après les Etats-Unis et le Japon. Les difficultés entourant la définition du vin en Chine rendent cependant incertaines les statistiques de consommation. On estime toutefois que les Chinois boivent annuellement 0,5 litre de vin, un chiffre en hausse constante. A 95 %, il s’agit de vins locaux. Le vignoble Dynasty est présenté comme le deuxième metteur en marché chinois. Il résulte de la joint venture, signée en 1979, entre la maison Rémy Martin et la municipalité de Tianjin, métropole située à 150 km de Pékin. Au bord de la mer de Chine, la ville est aux dimensions de la grande Chine. Elle compte 11 millions d’habitants. Toujours soucieux de leur santé, les Chinois consomment plus volontiers du vin rouge (le french paradoxe), pour 80 % de leurs achats. Si quelques grands crus peuvent faire l’objet de cadeaux, la Chine ne cultive pas la fibre œnologique comme ses voisins japonais. A meilleure preuve, la Chine n’abrite pas plus de dix sommeliers en Chine et encore sont-ils le plus souvent australiens ou néo-zélandais. Ce qui n’empêche pas les affaires de prospérer.
En ce printemps 2009, beaucoup d’Asiatiques ont foulé les moquettes de Vinexpo. Ils étaient partout, dans les stands en train de déguster des vins, assistant aux conférences. Une impression confirmée par les chiffres. Le salon a dénombré 1 189 visiteurs en provenance de Chine et de Honk-Kong, une fréquentation en hausse de 63 % par rapport à l’édition 2007. En crise mais moins en crise que les autres pays, la Chine populaire commence à acquérir une visibilité sur le marché du vin. Avec un potentiel de 200 millions de consommateurs, elle en a tout à fait la légitimité. Dans un proche avenir, l’empire du milieu pourrait devenir le premier marché mondial du vin. Un marché ultra-stratégique où il convient d’être, même si le vin (1,2 % du marché chinois des boissons alcoolisées) n’est pas prêt de détrôner la bière, les eaux-de-vie et les alcools locaux. Quelques belles années s’offrent encore au Cognac.