UGVC – Replantations : Arrêt des transferts illicites, une ODE à l’unité

14 avril 2017

Le syndicat viticole UGVC a consacré sa dernière réunion dite de « Mise au courant » à l’odyssée des transferts de replantation, heureusement conclu par un coup d’arrêt. Sans franchement parler d’autosatisfecit, ce fut une ode à l’unité, unité intrarégionale, unité avec les autres régions viticoles. L’occasion d’aborder aussi le statut du vignoble Cognac, pour déboucher sur une véritable sécurisation.

Si l’autosatisfaction n’était pas au cœur du propos de l’UGVC ce mardi 28 mars au Castel de Chateaubernard, il y avait bien un peu de ça quand même. Ou, en tout cas, le désir bien légitime de tirer profit de cette victoire que tout un chacun s’est attaché à mettre sur le compte de l’unité. Unité régionale entre viticulture et négoce, entre UGVC et interprofessions, entre syndicat de filière et J.A ; unité viticole plus large entre le bassin Charentes-Cognac et les autres régions viticoles, dans le cadre de la CNAOC, du CNIV (Fédération nationale des interprofessions), de FranceAgriMer et même les syndicats généralistes (rencontre avec feu Xavier Beulin, président de la FNSEA) ; unité avec les parlementaires français, européens ; unité même avec les autorités administratives du territoire (DDT (M), Préfets…). Pour tout dire, cette affaire de contournement des droits de plantation à l’intérieur de la région délimitée Cognac a mobilisé une somme de personnes  et de structures assez impressionnante. Le résultat obtenu s’est révélé à la hauteur de l’énergie dépensée.

 

Faille réglementaire

 

Mais comment en était-on arrivé là ? A partir du 1er janvier 2016, date d’application de la réforme des autorisations de (re) plantation, une faille réglementaire apparaît. Le vignoble Vin blanc Cognac est VSIG (Vin sans indication géographique). Ne peut donc s’appliquer à lui la clause dite « de restriction à la replantation » qui consiste à interdire les autorisations de replantations provenant de zones extérieures à l’appellation. En même temps, ce changement se télescope avec une autre modification concernant les limites géographiques de l’exploitation viticole. Au détour de la réforme de la PAC de 2013, la distance des 70 kms circonscrivant l’exploitation viticole a été abolie pour se voir substituer les frontières de l’Etat, en l’occurrence de la France. En Charentes, en l’absence de restrictions à la replantation, les transferts pourront venir de toute la France.  Des opportunistes bien informés flairent « le bon coup » : acheter des vignes à bas prix dans des régions en difficulté pour les rapatrier illico en Charentes. Le mouvement, enclenché début 2016 va monter crescendo durant toute la campagne viticole. En tout, on parle de 250 ha, de 30 à 40 viticulteurs charentais concernés. Mais il se pourrait qu’il y en ait davantage. Quoi qu’il en soit, c’est déjà beaucoup trop.

 

Dérégulation

 

Présent à la réunion de l’UGVC, Florent Morillon, président du CRINAO Charentes-Cognac, directeur amont d’Hennessy, a résumé l’esprit ambiant : « ne pouvaient pas cohabiter deux régimes : des viticulteurs qui se soumettent au contingent et d’autres qui s’en exonèrent, au risque de déréguler la région. » Ce constat va déboucher sur une « entente sacrée » ,  qu’a bien illustrée Alexandre Imbert, directeur de l’UGVC : identifier la réalité des transferts, saisir les bonnes personnes à tous les échelons, régional, national, communautaire.

Les juristes consultés (avocat, juriste de la CNAOC) ont tôt fait de se forger une intime conviction. Le « trou dans la raquette » ne résulte pas d’une volonté délibérée de l’Union européenne. Le contournement n’est pas légal. Il va à l’encontre de l’esprit comme du droit communautaire. Dés juin/juillet 2016, le problème juridique est identifié. Dans le nouveau régime européen, les autorisations de replantation sont attribuées à des exploitations qui, par définition…exploitent. S’il n’y a pas exploitation effective avant arrachage, les transferts d’autorisation sont, par nature, illicites. Il faut juste « vendre » cet argumentaire au Ministère de l’agriculture. Il n’y est pas hostile mais ne se résout pas à modifier un texte juste pour une région, certes importante mais qui reste quand même une région parmi d’autres. Après avoir proposé des alternatives comme un contrôle renforcé des structures et devant la grogne des Charentais, Syndicat viticole en tête, le ministère se décide à bouger. Il faut dire qu’entre-temps, il y aura eu l’affaire des « Vautours » médiatisée par les J.A et, cerise sur le gâteau, la conférence de presse du 14 février.

 

Soutien massif

 

Ce jour-là, le vignoble de Cognac obtient le soutien des autres régions viticoles de France (Bordeaux, Bourgogne, Champagne, Côtes du Rhône…) réunies à Paris à la CNAOC. Le même jour, des parlementaires locaux s’entremettent pour poser une question d’actualité à Stéphane Le Foll. A un titre ou à un autre, quatre parlementaires (députés, sénateurs) s’investissent fortement aux côtés des viticulteurs (Catherine Quéré, Mayline Reynaud, Bernard Lalande, Daniel Laurent). Le 20 février, le Ministère de l’agriculture reprend l’initiative en proposant à la région de Cognac un rendez-vous technique avec ses services. Le 24 février, c’est au tour de Stéphane Le Foll de faire bouger les lignes. Il rencontre les gens de la filière Cognac (UGVC, SMC, BNIC) ainsi que les parlementaires. Dans la foulée, la situation se débloque très vite avec la signature d’un arrêté. Il prévoit que, face aux transferts, les services de FranceAgriMer reprennent la main, au sens propre comme au sens figuré. Désormais, toute demande d’autorisation de replantation fera l’objet d’une instruction manuelle des services de FranceAgriMer pour s’assurer du non-détournement de la réglementation des replantations. Par l’examen d’un faisceau d’indices, il s’agira de vérifier la réalité de l’exploitation avant arrachage.

« Après un an de combat, c’est l’action conduite de façon collective et unitaire qui nous a permis de mettre fin à la dérive » s’est réjoui Stéphane Roy, président du syndicat viticole. Il a souhaité donner un coup de chapeau particulier à la CNAOC et à sa représentation européenne l’EFOW pour le « formidable soutien juridique et de lobbying qu’elles nous ont apporté». « Nous allons travailler de manière plus systématique avec ces organisations. Ce n’est pas concurrencer l’interprofession que de le faire mais simplement élargir le réseau d’influence, comme le négoce le pratique avec la FEVS (Fédération des vins & spiritueux). » 

 

"Esprit de famille"

 

Eric Billhouet, président de l’ODG Cognac, a célébré « l’esprit de famille » – « Notre organisation interprofessionnelle inspire pas mal de respect. Le fait d’avoir le négoce à nos côtés a conféré encore plus de poids à la démarche ». Jean-Bernard de Larquier, lui, a tenu à resituer les fondamentaux de l’appellation. «Effectivement, l’appellation est obtenue à la sortie de l’alambic, mais le vignoble des Charentes est indélocalisable. Si les marques de Cognac sont fortes aujourd’hui, c’est qu’elles ont pu s’appuyer sur une appellation et un terroir. » Le président du BNIC a remercié « les 99,5 % de viticulteurs respectueux de l’appellation. » « De tout temps à Cognac, nous avons eu une viticulture légaliste. Il n’y avait aucune raison de laisser une minorité de 25 à 40 viticulteurs tirer la couverture à elle. Nous savons tous que l’intérêt collectif n’est pas la somme des intérêts personnels. La région jouait gros dans cette affaire. A Cognac, l’équilibre est toujours difficile à trouver et, surtout, il est très fragile. Il peut très vite s’effilocher. » Il en a appelé à une viticulture forte  dotée d’un syndicat fort pour défendre ses intérêts. « Demain, nous verrons sans doute une équipe administrative de l’UGVC travailler avec l’équipe administrative du BNIC ».

 

Un maximum de bruit

 

Le président de la section viticole J.A de Charente-Maritime – qui s’exprimait au nom des deux départements – a tout simplement dit qu’il était inacceptable de pas maîtriser son potentiel de production. Le nom des « Vautours » ? «Nous l’avons trouvé en groupe, en pensant qu’il résumait bien notre état d’esprit. A un certain moment, il fallait faire le maximum de bruit ».

 

 "Un retour vers la sérénité"

 

Florent Morillon a salué son binôme à FranceAgriMer, Christophe Forget – « au conseil spécialisé FAM de février, tu as parlé très fort et tu as été entendu, merci à toi Christophe . » Il a aussi plaidé pour que l’on  «tourne la page, afin que la région retrouve une certaine sérénité ». « Certes, dorénavnt, il faudra mieux anticiper, mieux lire entre les lignes mais l’important, c’est d’avancer. » « Dans un contexte, a-t-il dit, où les VSIG accusent une baisse de – 25 %, où il n’est pas rare de voir des prix de vins dévisser de – 25 /– 30 %, le Cognac développe un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’€. Dans le même temps, le marché de la Vodka représente plus de 500 millions de caisses ; sur cent bouteilles de spiritueux vendues au monde, moins d’une est du Cognac. Tout cela pour dire qu’il y a encore plein de place sur les marchés. » Suivez du regard le Business plan Cognac et le dimensionnement du vignoble. Quant aux jeunes agriculteurs, Florent Morillon n’est pas loin de les assimiler à la notion de « viticulture durable ». De même, la forte pondération du critère de priorité pour les « nouveaux planteurs » (dans l’attribution du contingent de plantations nouvelles 2017) ne semble pas soulever son enthousiasme.

 

Pour revenir au sujet n° 1 de la « Mise au courant » – les transferts – Florent Morillon a justement fait remarquer qu’il s’agissait d’une solution provisoire. « La solution définitive viendra du cadre communautaire ». Car si l’arrêté du Ministère de l’agriculture règle la question de l’entrée illicite des autorisations de replantation, elle ne s’attaque pas au fléchage des contingents de plantations nouvelles. Comment empêcher un contingent Pineau ou VSIG de revenir vers le Cognac ? C’est tout le problème du statut du vignoble, dont a traité Catherine Le Page, directeur du BNIC, en fin de réunion.

 

Le 24 février, Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, s’était non seulement engagé à ce que ses services règlent le problème des transferts mais aussi sécurise le cadre réglementaire du vignoble de Cognac. Pari tenu. Les pistes présentées par Catherine Le Page sont celles portées par la région de Cognac mais aussi par l’État français.

 

Vin apte à produire une eau-de-vie sous le signe de qualité

 

L’idée générale ? Que le vin Cognac soit reconnu comme vin apte à produire une eau-de-vie sous signe de qualité (comme s’était le cas avant 2008, sous l’empire du régime de distillation double fin). Pourquoi est-ce si important ? Premièrement : pour  que le vignoble VSIG (vin sans indication géographique) puisse profiter, par extension, des disposions des IGP et AOP en matière de gestion du potentiel de production (introduction d’une clause de restriction à la replantation…). Deuxièmement : qu’une vraie étanchéité existe entre les différents contingents attribués, contingent Cognac, contingent Pineau, contingent IG / VSIG.

 

Il faut savoir que, juridiquement, le Cognac a une double nature. Produit agricole par son vin, il est produit industriel sous signe de qualité (AOC en France, IG au plan communautaire) pour le Cognac produit fini. Conséquence ! Sa réglementation se situe sous la tutelle de deux régimes : le régime de l’OCM vin 1308 / 2013 pour le vin produit agricole et le régime du règlement 110 / 2008 « Boisson spiritueuses » pour le Cognac produit industriel sous signe de qualité (annexe 3 du R.110). Jusqu’à maintenant, il n’existe pas de passerelle entre les deux régimes. Si, tout en résolvant le problème du contournement des autorisations de replantation, il était aussi possible d’établir ce lien, « ce serait une grande victoire » a noté J.B de Larquier.

 

Véhicules législatifs

 

Pour ce faire, deux options existent : soit passer par l’OCM vin, soit passer par le Règlement 110. Dans le même temps, il faut aussi trouver le ou les « véhicules législatifs » qui, en matière européenne, permettent d’introduire des modifications dans les textes en vigueur. « Par chance, a indiqué C. Le Page, deux fenêtres de tir apparaissent en 2017, une opportunité assez rare pour être signalée ».

 

La première, plus « anglée » OCM vin, s’appuierait sur « l’omnibus législatif » qui, pour la période 2014/2020, permet de « revisiter » certaines modalités du règlement 1308/2013 (le terme « omnibus », en langage eurocrate, fait référence au train qui s’arrête  à toutes les gares). La seconde fenêtre de tir, plus « anglée » règlement Boissons spiritueuses » s’appuie sur un « alignement » du Traité de Lisbonne consistant à dépoussiérer certaines dispositions. Mais encore faut-il que soient déposés des amendements allant dans le sens des demandes du Cognac. Pour ce faire, la région peut compter sur l’État français mais aussi sur les députés européens dont ceux de l’Intergroupe vin & spiritueux. Y siège notamment une personnalité bien connue du monde viticole, Michel Dantin. Avec Astrid Lullig, ce député européen du sud-est de la France a fait beaucoup pour le rétablissement d’un encadrement du potentiel viticole des états membres.

En termes de calendrier, le plan A (OCM vin), mis en œuvre en 2017, pourrait s’appliquer dès 2018 ; le plan B (R. 110), activé en 2018, trouverait une application en 2019. Et le plan C, en cas d’échec des plans A et B ? « Il n’y a pas de plan C a répondu du tac au tac Jean-Bernard de Larquier. « Nous ne nous mettons pas en situation d’échec. »

En arrière-plan, bien sûr, il y a la fin programmé du système d’encadrement des plantations, en 2030. Et les efforts que s’apprêtent à faire les pays viticoles

du sud de l’Europe pour le pérenniser. Mais ça, c’est une autre histoire.

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