UGVC : Le foncier viticole en discussion

24 juillet 2012

Avec le retour en force, à Cognac, de la composante production, le foncier viticole acquiert un relief supplémentaire. Renouvellement du vignoble, prix des vignes, installation, agrandissement… autant de questions stratégiques abordées par le syndicat viticole, dans un contexte global où la menace de libéralisation des droits de plantation plane toujours.

 

 

La première assemblée générale sous le signe UGVC – Union générale des viticulteurs pour l’AOC Cognac – s’est tenue à Cognac le lundi 11 juin 2012. « C’est avec un peu d’émotion que j’ouvre cette assemblée générale » a avoué le président de l’UGVC, Christophe Forget, qui a tout de suite enchaîné sur le nouveau logo du syndicat, une identité visuelle qui se veut symbolique du rassemblement viticole. Une arche qui embrasse tous les métiers.

Choisir le foncier viticole comme thème de l’AG n’était pas non plus totalement fortuit. En plus de l’actualité liée à la forte exigence de production, quoi de plus transversal que le foncier viticole. Tout le monde est concerné : petites et grosses structures, livreurs de vins, bouilleurs de cru, fermiers, propriétaires… Jusqu’à preuve du contraire, le Cognac ne fait pas encore partie des productions hors sol.

Le foncier viticole a toujours drainé de lourds enjeux. C’est encore plus vrai aujourd’hui où, à un bout de la chaîne, les ventes de Cognac sont sources de prospérité et, à l’autre, pèse encore la menace de libéralisation des droits de plantation. Quelle valeur pour le foncier demain ?

Raphaël Martinaud, désigné CVO « contributeur volontaire obligatoire » par son syndicat pour animer la table ronde, a d’abord brossé l’état des lieux. En 1977, à son pic de surface, le vignoble cognaçais a atteint 97 307 ha. A un peu plus de trente ans de distance, il représente aujourd’hui 74 465 ha. Entre-temps, il se sera arraché – dans la douleur – quelque 30 000 ha et replanté – un peu – quelques cépages hors Cognac, d’ailleurs en passe d’être reconvertis pour quelques centaines d’ha. La question est tout de suite venue sur la « composante production », et plus précisément sur les facteurs limitants. « Quels sont-ils ? » Manifestement, les organisateurs attendaient des réponses simples, des pistes claires. Honnêteté scientifique oblige, Vincent Dumot, de la Station viticole, ne s’est pas laissé aller à des raccourcis approximatifs. Son propos, émaillé de « on ne sait pas », « c’est difficile à dire », s’est fait l’écho de plus de questions que de réponses. La seule information un peu tangible livrée par V. Dumot fut tirée du « réseau matu » de la Station viticole du BNIC. Sur ce réseau matu – suivi de 50 parcelles réparties dans la région, pour mille pieds chacune – les pieds improductifs représenteraient, en moyenne, 12 % des souches. Un ordre de grandeur intéressant « mais qui ne suffit pas à tout expliquer » a pris soin de préciser le technicien viticole. Mais alors, pourquoi aussi peu de repères concernant le potentiel de production ? Sans doute parce que la combinatoire des différents facteurs qui influent sur le rendement est très compliquée. Ce déficit relatif d’information ne témoigne-t-il pas aussi d’une certaine déprise des études scientifiques sur le vignoble, déprise décidée par les professionnels il y a quinze ou vingt ans au profit de recherches sur le produit Cognac ? Cela transparaissait entre les lignes quand il fut fait état des travaux de la Station viticole dans les années 60 ou de l’enquête d’Yvan Courlit sur les pratiques culturales et l’état sanitaire du vignoble. Une enquête qui remonte à 2001, voilà onze ans déjà. Aujourd’hui, c’est un euphémisme de dire que le vignoble concentre tous les
regards.

Renouvellement du vignoble

A tel point que, cet an-ci, les viticulteurs seraient volontiers mis à l’index pour ne pas assez renouveler leur vignoble. Au renouvellement, ils préféreraient l’agrandissement. Patrice Fradet, de CERFrance Poitou-Charentes, a tempéré cette vision des choses. « Il ne faut pas opposer les deux démarches. Aujourd’hui, les viticulteurs sont très conscients qu’il leur faut « tenir la production » et donc que l’amélioration de l’outil est indispensable. Nous observons de plus en plus de plantations nouvelles ou de complantation (remplacement des pieds manquants). Par contre, les gens n’ont pas toujours le réflexe de solliciter la banque pour un financement de ce type. Ils cherchent souvent à l’autofinancer. Le recours à l’emprunt est plus naturel sur le matériel. » Selon les statistiques du BNIC, le taux de renouvellement du vignoble charentais s’éléverait à 2,20 %. Un taux clairement insuffisant mais en progrès par rapport au début des années 2000 (1,02 %).

En ce qui concerne l’agrandissement des exploitations, Antoine Mornaud, du Crédit Agricole Charente-Périgord, n’est pas loin de parler d’une lame de fond. « Nous sommes persuadés que le mouvement de concentration des exploitations va se poursuivre. Dans la région délimitée, les exploitations de plus de 50 ha vont se multiplier. Nous changeons de paradigme et d’autant plus que les relations avec le négoce évoluent. D’ailleurs, cette tendance se vérifie partout en France, dans toutes les régions, pour toutes les productions. A cause du baby-boom, les études montrent que la moitié du foncier va changer de main dans les dix ans à venir. »

Sans forcément prétendre le contraire, Patrice Fradet pondère le propos. « Gérer de grosses surfaces, ça ne s’invente pas. Il faut renouveler le matériel, trouver de la main-d’œuvre. En quelque sorte, changer de métier. Un métier qui fait davantage appel au management, à la gestion. Tout le monde n’en a pas forcément envie. »

Pour le responsable de territoire Jarnac-Cognac, 50 ha de vignes constituent vraiment un cap. « En deça – autour de 30-40 ha – les exploitations restent des structures familiales. Au-delà, on entre dans une autre dimension. A la marge, nous voyons aussi émerger de nouveaux modèles, avec la vigne plus considérée comme une valeur patrimoniale, un peu sur le modèle champenois. Dans ce schéma, les exploitants sont pluractifs. C’est encore assez rare mais ça existe. »

Si le directeur des clientèles spécialisées à la Caisse régionale Charente-Périgord partage un point de vue avec P. Fradet, c’est bien celui de prise de risque. « Quand on est à la tête d’une exploitation de 60, 70 ou 80 ha de vignes, il faut la faire « tourner ». La prise de risque est sans commune mesure avec une exploitation de type familial. » Mais, dit-il, « il existe beaucoup de viticulteurs talentueux, en Charente et en Charente-Maritime, en capacité personnelle de gérer des exploitations de taille importante ».

Jean-Bernard de Larquier, vice-président du BNIC, a pointé un soupçon d’incohérence. A la lecture des statistiques, il n’y aurait que 150 exploitations à dépasser le seuil des 50 ha, sur l’ensemble de la région délimitée. Réponse des spécialistes : attention aux statuts sociétaires, qui peuvent recouvrir deux ou trois exploitations.

Interrogés sur la remontée du prix des vignes, notaire comme représentant de la Safer n’ont pas pu dire autre chose que ce que tout le monde savait déjà : que la hausse était intimement liée à la bonne santé du Cognac. Il semblerait qu’investisseurs nationaux voire internationaux gardent un œil intéressé sur le marché foncier viticole charentais, même si les acteurs locaux captent le gros des affaires. Une prudence de mise a entouré les prix. Peu de valeurs furent citées. Antoine Mornaud a bien évoqué un garde-fou à 30 000 € l’ha émis par son établissement pour le financement d’un ha de vigne. Mais tout le monde, y compris l’intéressé, sait bien qu’il s’agit d’un plafond plus théorique qu’autre chose. « Tout dépend de l’économie du projet. Un tas de paramètres influent. » Ceci dit, pour la banque, il ne s’agit pas non plus d’un encouragement au tout et n’importe quoi. « Aujourd’hui, l’on sait très bien que pour un jeune, en acquisition pure, au-delà 35 000 € l’ha, cela ne passe pas, surtout quand il s’agit de structures importantes, autour de 20 ha. Sur deux ou trois ha, le calcul sera totalement différent. »

L’installation a repris du galon dans la région viticole. Apparemment, il ne se passe pas de semaine où les établissements bancaires ne reçoivent un dossier d’installation. « La région offre à nouveau des perspectives. Même si cela reste dur, il y a bien plus de potentialités qu’il y a dix ans. » Constat sociologique – les retours sur les exploitations peuvent s’opérer beaucoup plus tard qu’auparavant, autour de la quarantaine, avec des profils professionnels divers. Par contre, si une chose ne change pas, c’est le cadre familial. Plus que jamais, il s’affirme comme un passage obligé. Famille, je vous aime.

La durée des contrats Cognac – annuelle, deux ans glissants voire trois ans – sont-elles à la hauteur des enjeux actuels ? Quelqu’un comme J.-B. de Larquier a tendance à penser que non, alors même qu’il voit dans l’économie contractuelle un facteur de sécurité, un élément de stabilité qui ne peut que rejaillir sur la gestion du foncier. Avis mitigés des intervenants à la table ronde : « Evidemment, des contrats plus longs seraient une bonne chose mais peut-on demander à un négociant de s’engager sur 7 ou 10 ans ? Est-ce seulement envisageable par rapport à la situation économique ? Il pourra toujours le faire mais, comme le dit la formule, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. »

Quand les vignes se négocient aux prix qui sont les leurs aujourd’hui, peut-on imaginer qu’un jour les droits de plantations disparaissent ? « Une folie destructrice ! » s’est exclamé un intervenant. « Souhaitons qu’une solution intelligente soit trouvée pour rétablir ce qui n’a pas si mal fonctionné depuis des lustres. »

Christophe Forget et Stéphane Roy sont revenus sur le PAPE (Production annuelle par exploitation), le projet défendu par l’interprofession de Cognac. Ils en ont réexpliqué l’économie à grands traits. Il s’agirait de transformer les hectares en « droits à produire » mais sans déperdition à la sortie :
1 droit à produire = 1 ha. Pourquoi promouvoir un tel système ? Le grand argument avancé, c’est la défense de la compétitivité des exploitations. En cas de retournement de situation – de crise – il s’agirait de pouvoir arracher des vignes tout en gardant son « quota de production », exactement comme ce qu’a permis en son temps le « Plan Guionnet ». La région se veut aussi « force de proposition » auprès de la Commission européenne, celle-là même qui a eu l’idée saugrenue d’abandonner des droits de plantation. « Le commissaire Ciolos a dit au groupe de haut niveau de lui soumettre des solutions innovantes. Notre projet en fait partie » a glissé S. Roy, secrétaire général de l’UGVC.

Si, dans le PAPE, le lien au sol est maintenu (1 droit à produire = 1 ha à la sortie), il n’en reste pas moins que la transformation de la surface plantée en droits à produire introduit une distance supplémentaire avec le patrimoine foncier. Quid de la gestion de ces droits à produire ? Qui s’en chargerait, de quelle manière ? Et puis le projet de PAPE ne répond pas à la question fondamentale, qui est celle de la réintroduction du principe d’encadrement des plantations, aujourd’hui vertuellement supprimé. C’est ce qu’a opportunément rappelé Jean-Marie Baillif, président du Syndicat des producteurs de Pineau. « Les propositions émises avec le PAPE sont certainement intéressantes pour plus de flexibilité économique, mais il ne pourra y avoir de gestion réelle des droits de plantation que si le texte européen “chapeau” est réintroduit. »

Alors qu’un viticulteur, dans la salle, pensait « qu’il valait mieux faire notre politique nous-mêmes », un autre de ses collègues s’est demandé si la prise de position régionale « ne risquait pas de porter atteinte à la voie solidaire du « non à la libéralisation » des droits de plantation ? »

Christophe Véral, chef de famille de la viticulture au BNIC et membre de l’UGVC a pris la parole en fin de réunion pour une mise au point : « Il est très important que vous sachiez qu’au BNIC, pour l’instant, il n’y a eu aucun débat, aucune discussion sur l’augmentation de la surface plantée. Réglons d’abord le problème des pieds improductifs. Il sera déjà possible de produire 12 % de plus. Cette campagne, nous avons distillé 760 000 hl AP de Cognac pour des sorties de l’ordre 500 000 hl AP. Cela nous laisse une marge de manœuvre de plus de 300 000 hl AP. Pas d’affolement donc. » Même tonalité chez Christophe Forget : « Sachons garder la tête froide, prendre tout le recul nécessaire pour adopter les meilleures décisions, en toute sérénité. »

UGVC : Un symbole rassembleur
La nouvelle identité visuelle de l’UGVC se veut un concentré de tous les métiers de la viticulture charentaise : la vigne avec la grappe de raisin d’un vert acidulé, la distillation et son alambic aux formes suggérées et enfin la partie stockage avec ce fût strié qui part de la chaudière, que quelqu’uns voient davantage comme le serpentin de la chaudière. A chacun son interprétation. L’arche, symbole d’unité, relie ces trois éléments.
Une agence de Soyaux, près d’Angoulême, fut chargée de dessiner le logo. Au départ, avait été envisagée une approche très graphiste. « Mais les viticulteurs avaient une idée très précise de ce qu’ils voulaient » note Emilie Chapalain, responsable de la communication à l’UGVC. L’agence a proposé une nouvelle mouture. Qui fut la bonne. Le groupe projet « logo » se composait de Raphaël Martinaud, Raphaël Brisson et Patrick Brisset.
Il va falloir attendre la rentrée, en septembre, pour découvrir le nouveau site internet de l’UGVC, totalement relooké aux couleurs du syndicat.

La composante rendement

De quoi se compose le rendement ? Question stratégique et complexe. A la réunion de l’UGVC, Vincent Dumot, de la Station viticole du BNIC, a rappelé que le rendement était la résultante d’une « combinatoire » entre de nombreux facteurs. Au titre des éléments majeurs, il a cité la réserve hydrique du sol. Mais il y en a bien d’autres comme, au premier chef, les pieds manquants ou encore l’enherbement. Au milieu des années 2000, l’enherbement total a servi à « casser la dynamique du rendement ». Le pic de l’enherbement total fut sans doute atteint en 2003. A l’époque, il s’agissait de s’adapter à la nouvelle réglementation européenne (suppression de la distillation obligatoire), à l’introduction du plafond de rendement agronomique ainsi qu’au discours régional « des cuves qui gagnaient de l’argent et de celles qui en perdaient », tenu simultanément par une partie du négoce et de la viticulture. De la rareté devait naître l’opulence. Temps bien révolu aujourd’hui. Mais le moteur du rendement ne repart pas d’une simple pression sur l’accélérateur. Fait certain : l’enherbement total n’a plus le vent en poupe. La pratique qui tend à se systématiser aujourd’hui est celle de l’enherbement un rang sur deux. Question ! Aujourd’hui, où se situe le plafond de rendement ? Faut-il le voir dans les gros rendements (160 hl vol./ha) réalisés au détour des années 90 ou bien dans les 120 hl actuels ? Le plafond agronomique a-t-il tendance à augmenter ou à diminuer ? Question subsidiaire : comment fait-on pour « crever le plafond » ?

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Verbatim
(extraits du rapport moral de Ch. Forget)
« Dans le paysage professionnel, l’UGVC s’impose comme l’interlocuteur incontournable et surtout la voix unique de la viticulture charentaise. Notre ambition, c’est bien la reconquête d’un poids économique et politique de la viticulture, plus équilibré au sein de la filière Cognac. Le conseil d’administration du syndicat se compose de 54 membres. Je dois vous avouer ma satisfaction de travailler dans le respect et l’écoute de l’autre. Le stock en viticulture ne représente aujourd’hui que 25 % du stock global et cette proportion est alarmante. L’effort de rattrapage des prix doit se poursuivre… Le signal du négoce doit être fort et en tout cas supérieur aux 5 % de moyenne de l’an passé. A l’interprofession, on parle souvent de partage ; eh bien sachons partager les risques mais aussi les réussites.  Notre priorité ! L’augmentation de prix de nos eaux-de-vie, pour permettre le renouvellement de nos vignes. »

 

 

 

 

 

 

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