Un exercice de rupture

24 juin 2009

ucva_20_opt.jpegPériode charnière pour les distilleries agréées dont l’activité a été profondément modifiée par la nouvelle OCM vitivinicole. Un cycle se termine, un autre commence. En ces temps de changement, les distilleries d’alcool ont su faire preuve d’une belle réactivité, tout particulièrement l’UCVA, entreprise de pointe du secteur.

 

L’assemblée générale de l’UCVA, qui s’est tenue à Coutras le 27 février 2009, en arrêtant les comptes de l’exercice 2007-2008 a également clôturé un cycle, celui de l’ancienne OCM née en 1999. Car la nouvelle OCM a déboulé dans le paysage viticole le 31 juillet 2008, entraînant dans son sillage une cohorte de changements, tout particulièrement dans le champ des distilleries agréées, les ex « distilleries d’Etat ». Au niveau français, l’aide communautaire à la distillation des prestations viniques a fondu, passant de 90 millions d’€ à 40 millions d’€ par an. Au détour de ce changement radical, la viticulture y a laissé la rémunération de ses marcs et lies, payés 0 euro, 0 cent aujourd’hui. Encore est-elle dépolluée gratuitement dans l’immense majorité des cas. Quant aux distilleries, un temps menacées, elles ont réussi à sauver leur existence, au prix d’un actif et habile lobbying. La livraison des marcs et des lies à la distillation reste une obligation, dans toutes les zones, sauf à pratiquer, à la marge, le retrait sous contrôle. De même, demeure la dérogation charentaise sur les vins (la distillation de vin Cognac permet de ne pas livrer de vin [de lies] en complément des marcs). Sinon, le régime des aides a été profondément modifié. A l’ancien système – prix d’achat des alcools déterminé par le régime communautaire – s’est substitué un système d’aides directes. Dorénavant, les distilleries peuvent prétendre, sur les marcs, à une aide à la transformation de 60 € l’hl AP et à une aide à la collecte pouvant aller jusqu’à 50 € l’hl AP. Au maximum l’aide sur les marcs représente donc 110 € l’hl AP. Mais, pour les lies, l’aide à la transformation se limite à… 3 € et rien n’est prévu pour leurs transports. Toujours grâce à un gros travail de lobbying, émanant cette fois de la Fédération française des brandies, la filière a obtenu de pouvoir orienter les alcools issus de la distillation des lies vers les alcools dits « de bouche », les brandies. A partir de la décantation/filtration des lies, les distilleries vont pouvoir produire des eaux-de-vie de vin, un débouché dont étaient jusque-là exclus les sous-produits de la vinification. Mais de la coupe aux lèvres… tout reste à construire.

Dans la grande « lessiveuse » européenne

Dans la grande « lessiveuse » européenne, les distilleries viticoles ont par ailleurs hérité de la charge d’écouler elles-mêmes l’alcool vinique produit à partir des sous-produits. Auparavant, ce sont les offices nationaux – Viniflhor en France – qui s’en chargeaient, sous la houlette du FEOGA. La bio-carburation représente le débouché naturel de ces
alcools industriels, distillé à plus de 96 % vol. Au pied levé, les distilleries ont dû s’organiser pour se porter seules sur le marché mondial de la bio-carburation. Durant l’été 2008, la branche alcool de Résinor France a vu le jour (la sica, déjà existante, se vouait jusqu’alors à la seule commercialisation des pépins de raisins). Son objet social : la collecte, le stockage, la commercialisation des alcools destinés à la bio-carburation. Toutes les distilleries viticoles françaises – les 60 distilleries coopératives comme les distilleries privées – ont souscrit à son capital (135 000 €) à l’exception de deux distilleries, Coyar et Bourgogne alcool, dans le giron de Cristal Union, le grand groupe betteravier français. Malgré une mise en place un peu précipitée, la sica Résinor « branche alcool » a pu fonctionner à la satisfaction de ses membres. Fin février 2009, environ les deux tiers des volumes d’alcool produit étaient commercialisés par contrat auprès de trois clients : l’Espagnol Abengoa, le Français Deulep et le Suédois Sekap. Le recrutement de Jérôme Budua y a largement contribué. A Viniflhor, il était déjà chargé de négocier l’alcool d’origine vinique sur les marchés d’adjudication. Sans capacité de stockage tampon, la sica a quand même réussi à assurer le dégagement des distilleries « en temps et en heure », au prix, il faut le dire, d’un planning un peu funambulesque. Une distillerie comme l’UCVA ne dispose, par exemple, que de trois jours d’autonomie de stockage. Une panne de camion et c’est l’asphyxie de l’usine. C’est pour cela que les distilleries regroupées dans la sica Résinor considèrent avec intérêt la capacité de stockage de Port-la-Nouvelle, le site géré jusqu’alors par Viniflhor pour entreposer les alcools d’origine vinique. Le dépôt, situé sur la côte languedocienne, offre 800 000 hl vol. de logement, dont les deux tiers sous inox. Viniflhor envisage de vendre le site, sous appel d’offres. Selon les conditions, les distilleries vinicoles pourraient y participer ou postuler pour la location des cuves et bacs. Outre l’effet volume, Port-la-Nouvelle, troisième port français de la Méditerranée après Marseille et Sète, permettrait aux clients de Résinor de profiter d’un coût de transport maritime moins élevé que le transport terrestre. Le hic, c’est que les distilleries vinicoles ne sont pas les seules à convoiter une capacité de stockage en front de mer, en passe de devenir stratégique, y compris pour les pétroliers.

Réactive

Face aux turbulences engendrées par la réforme, la filière des distilleries vinicoles a su se montrer réactive. Et tout particulièrement l’UCVA. Anticipant les évolutions à venir, dès 2006, la coopérative de Coutras prenait une participation majoritaire au sein de l’UFAB, l’élaborateur de brandy lié au monde coopératif. Installé à Vauvert, près de Nîmes, l’UFAB commercialise à des metteurs en marché (maisons de spiritueux) environ 90 000 hl AP de brandy sur un marché export départ France de 300-350 000 hl AP. L’UFAB représente donc environ un tiers des ventes de brandies élaborés en France ou encore environ 80 % des brandies distillés en France. En rentrant dans le capital de l’UFAB, l’UCVA a investi dans l’aval. Si le retour sur investissement n’est pas encore d’actualité – significative avance en trésorerie consentie par le groupe UCVA à sa filiale UFAB – le très bon chiffre d’affaires réalisé en 2007-2008 par l’UFAB (le meilleur depuis longtemps) laisse bien augurer de l’avenir. Fidèle de l’assemblée générale de l’UCVA, Frédéric Pellenc, le directeur de la FNDCV (Fédération nationale des distilleries coopératives vinicoles) a rendu hommage à la dynamique d’entreprise de l’UCVA : « Un pessimiste voit des difficultés dans chaque opportunité et un optimiste des opportunités dans chaque difficulté. »

ucva_10_opt.jpegDes inquiétudes

Est-ce à dire que les inquiétudes se sont évanouies ? A entendre Hubert Brunereau, président multi-casquettes (un peu malgré lui) – de sa coopérative bordelaise, de l’UCVA, de l’UFAB, de la CNVDC, de la sica Résinor… – il n’en est rien. « Les marges des distilleries sont déjà étroites. Le nouveau modèle permettra-t-il d’amortir les charges de structures ? Je ne le sais pas. » Son inquiétude concerne surtout 2013, l’année de la « future nouvelle » OCM. Entre-temps, le plan restructuration européen aura fait son œuvre. Car l’UE a prévu de consacrer à l’arrachage un important budget de plus d’un milliard d’€ sur les trois campagnes. Seraient potentiellement concernés 175 000 ha. Avec F. Pellenc, H. Brunereau n’a pas caché l’impact que pourrait avoir ce plan d’arrachage sur le tonnage global des marcs. Revenant aux affaires intérieures de la coopérative, il a assuré que l’outil UCVA ferait tout son possible pour valoriser ses produits, directement ou par l’intermédiaire de ses filiales. « Nous nous battrons pour être compétitifs et, après 2012, pour pouvoir continuer à dépolluer gratuitement ou au moins le moins cher possible. »

Marché Du Brandy

S’Adapter Aux Nouvelles Conditions

Pour un metteur en marché, le problème est moins de payer plus cher que de payer plus cher que le voisin. En introduisant de nouvelles règles, l’OCM crée des éléments perturbateurs, qui devraient s’estomper avec le temps. Mais l’harmonisation du prix des brandies se fera certainement à la hausse.

Exit l’ancien système qui prévoyait, pour les eaux-de-vie de bouche, une aide à la production via les distilleries et des aides au stockage. Ce régime avait conduit à un marché relativement saturé ou en tout cas très largement approvisionné : distillation de 7 à 8 millions d’hl en Espagne, 3 millions d’hl AP en Italie… La nouvelle OCM supprime ou réduit les aides à l’alcool de bouche sauf à choisir, comme l’Espagne, dans son plan national d’aide, un soutien direct au producteur. La France, en ce qui la concerne, a écarté la distillation de bouche de son plan national mais a opté pour la possibilité de produire des eaux-de-vie de vin à partir de la décantation/filtration des lies, afin de tenter de stabiliser les apports. Quoi qu’il en soit, face à une probable augmentation du prix de revient des eaux-de-vie de vin, on peut s’attendre à des prix de brandies à la hausse, proposés aux maisons de spiritueux. Mais avant que l’harmonisation s’opère, le marché va connaître une période de perturbation, le temps que les opérateurs de spiritueux s’approprient complètement la nouvelle donne et que s’écoulent les importants stocks accumulés sous l’ancien régime. Une fois réalisée cette « mise à jour », les spécialistes s’attendent à une progression des cours des eaux-de-vie de vin de 20 à 30 %. Il appartiendra ensuite aux opérateurs de brandies de se repositionner sur les marchés. Et la crise internationale risque de complexifier l’exercice.

 

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